Voir Rapport 2006 : Saisine n°2005-68
Saisine n°2005-68
AVIS et RECOMMANDATIONS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité
à la suite de sa saisine, le 18 juillet 2006,
par M. Louis MERMAZ, sénateur de l’Isère
La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 18 juillet 2006, par M. Louis MERMAZ, sénateur de l’Isère, des conditions dans lesquelles a été pratiquée une fouille intégrale à l’égard d’un détenu au centre des jeunes détenus de Fleury-Mérogis, en même temps que des incidents ayant entouré le changement de cellule et le déclassement de ce même détenu.
La Commission a pris connaissance de la procédure disciplinaire intentée à l’encontre du détenu A.L., ainsi que de la plainte pénale déposée par ce dernier pour des faits d’agressions sexuelles et de violences volontaires prétendument commis à son encontre.
La Commission a entendu l’ancien détenu M. A.L., les surveillants pénitentiaires O.B. et Y.V., et le premier surveillant B.L.
LES FAITS
Au cours de l’été 2004, M. A.L. purgeait une peine d’emprisonnement au centre des jeunes détenus de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. La Commission est saisie de deux incidents le concernant, survenus respectivement les 19 juillet 2004 et 23 août 2004.
M. A.L. travaillait à la bibliothèque du centre des jeunes détenus. Le 19 juillet 2004, après la libération (à l’occasion de la fête nationale) de nombreux détenus, le chef de détention décida de réorganiser l’occupation
des cellules, la mesure devant être exécutée dans l’après-midi. Elle concernait notamment M. A.L.
Vers 13h00, le surveillant de service (il s’agissait de M. O.B., alors surveillant stagiaire) invita les détenus appelés à changer de cellule à préparer leur paquetage. M. A.L. s’y refusa. Il aurait alors fait valoir, tant au surveillant présent qu’à la première surveillante intervenue un peu plus tard, que le changement prévu l’éloignerait de la bibliothèque où il travaillait.
Vers 15h30, alors qu’il était invité à nouveau à préparer son changement de cellule, M. A.L. fit (selon les dires de son conseil) une « crise de nerfs » et se taillada l’avant-bras avec son couteau. La porte de la cellule fut refermée. Des surveillants munis de boucliers sont intervenus, ont contraint M. A.L. à sortir de la cellule, l’ont menotté et conduit dans une salle où, après démenottage, il fit l’objet d’une fouille à corps. Il fut conduit ensuite à l’infirmerie où neuf points de suture furent pratiqués sur son bras. Ce jour-là, M. A.L. ne fut pas placé en cellule disciplinaire, un certificat médical ayant contre-indiqué un tel placement.
Vers 16h30, le premier surveillant chargé d’enquêter sur les faits entendit M. A.L. Celui-ci, selon les dires de son interlocuteur, resta calme au cours de l’entretien, exposant qu’il ne comprenait pas les raisons du changement de cellule. Personne, selon lui, ne les lui aurait communiquées. Aucun élément du dossier ne contredit cette indication.
A la suite de ces faits, M. A.L. fut « déclassé », perdant son emploi à la bibliothèque du centre. Il comparut le 28 juillet 2004 devant la commission de discipline, qui lui infligea la sanction du placement en cellule disciplinaire pendant dix jours.
Le 22 août 2004, le conseil de M. A.L. saisit le parquet d’une plainte, exposant que la fouille à corps subie le 19 juillet avait été effectuée « dans des conditions particulièrement indignes » et était « constitutive des délits de violences volontaires et d’agression sexuelle en application des articles 222-22 et suivants et 222-7 et suivants du Code pénal ». Le dossier ne contient aucune information sur les suites données à cette plainte.
Le 23 août 2004, un article de presse détailla la situation de M. A.L. Prenant connaissance de cet article, le directeur du centre des jeunes détenus demanda aux surveillants qui étaient intervenus le 19 juillet de lui faire un compte-rendu des faits qui s’étaient produits ce jour-là.
Avant d’établir ce compte-rendu, le surveillant stagiaire, M. O.B., prit l’initiative de se rendre (avec un collègue également stagiaire) auprès de M. A.L. pour vérifier lequel de ses deux bras avait été tailladé. Cette intervention provoqua l’irritation de M. A.L. Les surveillants l’empêchèrent de refermer la porte de sa cellule et provoquèrent l’intervention de collègues qui, après avoir menotté M. A.L., le conduisirent dans la salle de fouille, où il subit à nouveau une fouille à corps. M. A.L. a indiqué avoir été ensuite conduit au quartier disciplinaire, où il serait resté nu pendant plusieurs heures.
Le 25 août 2004, il comparut à nouveau devant la commission disciplinaire. Il a indiqué avoir été relaxé du chef de l’accusation de mise en danger de la sécurité d’autrui et sanctionné de deux jours de quartier disciplinaire pour insultes au personnel. Après l’exécution de cette sanction, il fut transféré dans une nouvelle cellule, où il acheva quelques semaines plus tard l’exécution de sa peine.
AVIS
Sur les interventions des surveillants auprès de M. A.L.
En invitant, le 19 juillet 2004, M. A.L. à quitter la cellule où il était détenu, les surveillants n’ont fait qu’exécuter les instructions qui leur avaient été données. Leur intervention légitime n’aurait sans doute donné lieu à aucun incident si M. A.L. avait été informé à l’avance des changements apportés à la situation : changements au demeurant prévisibles, dès lors qu’ils étaient liés aux mesures d’élargissement qui accompagnent traditionnellement la fête nationale.
En revanche, lorsqu’on lui demanda le 23 août 2004 d’établir un compte rendu des faits survenus le 19 juillet, le gardien stagiaire O.B. n’était nullement tenu d’aller interroger M. A.L. Connaissant les incidents dont il avait été le témoin, il ne pouvait pas ignorer que sa démarche ne pouvait être ressentie par le détenu que comme une provocation. Cette démarche a constitué de sa part une faute à la fois professionnelle et déontologique.
Sur les fouilles à corps
Dès lors que M. A.L. s’était tailladé le bras, la fouille à corps effectuée le 19 juillet 2004 était justifiée dans son principe. S’agissant des modalités de son exécution, les éléments du dossier remis à la Commission ne permettent ni de confirmer ni d’infirmer les indications fournies par le conseil de M. A.L. à l’appui de la plainte adressée au parquet. Il appartiendra au juge pénal de se prononcer et à l’administration pénitentiaire de tirer les conséquences de la décision du juge.
Les faits qui se sont produits le 23 août 2004 n’autorisaient pas les surveillants à pratiquer ce jour-là une fouille à corps : rien n’établit qu’au moment de ces faits, M. A.L. pouvait être suspecté de dissimuler des objets dangereux pour lui-même ou pour autrui. La précaution d’une simple palpation de sécurité aurait dû suffire.
RECOMMANDATIONS
La Commission recommande que l’attention des services de l’administration pénitentiaire soit appelée sur le caractère exceptionnel que doit présenter la mise en oeuvre d’une fouille à corps sur un détenu. Cette mesure de coercition attentatoire à la dignité de la personne ne doit être utilisée que si le détenu peut être suspecté de dissimuler des objets dangereux pour lui même ou pour autrui.
La Commission recommande également que les détenus soient informés
à l’avance des mesures susceptibles d’affecter leur situation dans l’établissement, dans tous les cas où ces mesures sont prévues ou prévisibles.
Elle suggère que les personnels d’encadrement contribuent activement à la formation des jeunes agents en s’assurant à la fois de l’opportunité des démarches que ceux-ci peuvent être amenés à effectuer auprès des détenus, et des modalités d’exécution de ces démarches.
Adopté le 15 janvier 2007
Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé son avis à M. Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux.