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(2006) Blog 03 « Tant qu’il y a de la vie... »

Mise en ligne : 21 février 2006

Dernière modification : 11 juillet 2006

Texte de l'article :

 « Tant qu’il y a de la vie... »

Dix détenus de la centrale de Clairvaux ont réclamés le rétablissement de la peine de mort par lettre ouverte afin de se faire entendre du fond de leurs oubliettes.
Comment peut-on arriver à faire une telle demande d’euthanasie alors que le Garde des Sceaux, après une visite éclaire à Clairvaux, a déclaré que tout se passait bien dans l’établissement et que c’était la crème des centrales ?...bref circulez y a rien à voir !
C’est vrai que vu de l’extérieur on a du mal à imaginer que la centrale de Clairvaux est un mouroir pour longues peines, difficile aussi d’imaginer les dommages physique et psychologique que peuvent causer des peines de 15, 20, 30 ou 40 ans de réclusion. Tout cela n’est qu’abstraction pour le grand public et c’est bien normal puisqu’il faut faire le tour du monde carcéral et y côtoyer ces autochtones à longues peines et autres perpétuitaires pour comprendre.
Vous en avez de la chance par l’intermédiaire de ce « blog » je suis votre guide. Allez petit cours d’explications et d’instruction civique pour tout le monde, histoire de flâner dans les lieux de souffrances et les recoins obscurs de notre répressive République.

Ancien monastère cistercien datant de 1115, Clairvaux deviendra une prison à partir de 1808, elle ce situe dans l’Aube et sa réputation est plutôt sombre... En effet tout le monde se souvient de Buffet et Bontemps qui suite à une prise d’otage sanglante furent guillotinés, comme quoi le désespoir ne date pas d’aujourd’hui et que la volonté d’aller à l’échafaud n’est pas une première.
Il y en a eu d’autres morts violentes en ce lieu, que j’appelais, durant un séjour là-bas, « le village des damnés ». (En référence au directeur de l’époque qui s’appelait Danet). 
Si les pierres pouvaient livrer leurs douloureux secrets je crois que l’on finirait par devenir fou à force d’entendre tant de souffrances accumulées par des décennies de pénitence et même des siècles de privations du temps où les moines hantaient les lieux. D’ailleurs les bâtiments de la centrale sont construit, paraît-il, sur un ancien cimetière cistercien. Cela me fait penser étrangement aux cimetières indiens que l’on ne doit pas profaner sous peine de malédiction...
Bref quand on est arrivant ça sent la mort et le malheur et on ressent une impression étouffante, comme si on pénétrait dans un sanctuaire voué à la damnation et je crois sincèrement que c’est le cas. J’y suis resté quelques mois avant d’être éjecté « manu militari » suite à une émeute en février 2003.
Cette période m’a suffit pour comprendre le fonctionnement dévastateur et mortifère de l’oubli contre lequel il faut lutter pour ne pas sombrer. J’y ai aussi rencontré quelques uns de la dizaine de signataires et comment ne pas les comprendre, eux dont la vie ne s’est réduite au fil des années qu’à des saisons qui passent, un paquetage et une cellule pour le restant de leur vie. Bien souvent ils n’ont plus de famille et sont condamné a vivre « la prison intérieur » sans aucune perspective d’avenir. L’homme a besoin d’espoir pour continuer à vivre et je crois que la pire des punitions c’est la privation de cet espoir. Les prisonniers finissent par en crever comme ces animaux se laissant mourir en captivité...

« Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir » c’est ce que j’ai envie de crier à mes frères de misères, même si je sais ô combien c’est dur et ô combien nous sommes méprisés. Cependant Nous devons réclamer notre retour à la vie sociale et des aménagements de peines et non le rétablissement de la peine capital, même si je sais que c’est une image symbolique.
Nous devons résister et combattre pour nos droits et notre dignité et cela passe avant tout par le droit à l’expression !
Il faut expliquer à ceux de l’extérieur, qui ignorent tout du monde carcéral, qui nous sommes et leur dire par les mots la dimension de notre condition humaine et expliquer notre vie intra-muros. 
« Juger c’est ne pas comprendre car si l’on comprenait on ne jugerait pas » cette citation de Malraux prend tout son sens et je pense qu’avant toute chose il faut briser les apriorismes qui alimentent les peurs et les phantasmes dont le pouvoir se sert pour sévir toujours plus fort.
Il faut prendre la parole au-delà de ce que peuvent penser les petits esprits vindicatifs ou extrémistes. Personne ne peut parler à notre place de ce que nous vivons au quotidien, nous les longues peines. Tout doit être expliqué et mit sur la table si l’on veut un jour répondre intelligemment aux problèmes récurrents de la prison criminogène, de la récidive, de la dangerosité, des échecs de la réinsertion et autres points négatifs dont l’état se sert pour durcir les lois et allonger nos peines. Si la prison engendre la récidive c’est parce qu’elle traite ces résidents comme des chiens durant des années, ceci par négligence, manque de moyens et lâcheté politique. C’est un cercle vicieux dont-on n’est pas prêt de se sortir puisque la seule réponse de l’état depuis des années n’est basée que sur la répression et l’inaction en matière d’aménagement de peines.

Non, la population carcérale n’est pas constituée que de loups sanguinaires prêt à voler, tuer et violer à peine libérer, ça c’est ce qu’on essaye de vous faire croire pour camoufler l’incurie de nos gouvernants qui peinent à régler le problème carcéral et judiciaire par manque de volonté politique et par soucis d’économie (sur les 25 pays européen nous arrivons en 23eme position en ce qui concerne le budget alloué à la justice).
Beaucoup de détenus aimeraient s’en sortir, mais on leur en donne pas la possibilité, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur, et tant qu’on aura pas compris et résolu ce problème il y aura toujours plus de récidives, donc toujours plus de victimes, donc toujours plus de phobies, donc toujours plus de répression, donc toujours plus de places de prison à construire...C’est sans fin !
Dans son fonctionnement actuel la prison est une usine à délinquance, alors il ne faut pas se plaindre lorsque les journaux se remplissent de faits divers.
On met tout sur le dos de la récidive, mais sur le dos de qui doit-on mettre la cause de ces récidives ? 
Eh bien je vais vous le dire, la responsabilité première en incombe aux hommes politiques au pouvoir qui gèrent la situation de façon approximative et aléatoire. Ils ont d’autres chats à fouetter et leur principale préoccupation c’est l’élection présidentielle de 2007.
C’est bien beau de se croire à l’abri et de ne pas entendre l’appel de ces dix condamnés, mais c’est une erreur, car c’est une alarme qui dénonce le malaise grandissant du monde carcéral qui, comme un immense barrage, finira par céder dans un terrible déferlement de violence dont vous serez peut-être les premières victimes, tandis que les personnalités et responsables politiques, eux, seront bien à l’abri dans leur tour d’ivoire protégés par une armada de garde du corps.

Chaque jour en France des prisonniers finissent leurs peines et sortent de prison. La condamnation à perpétuité ne concerne que 520 personnes sur environ 60 000 détenus, les autres vous rejoignent quotidiennement et dans les pires conditions après avoir passé des mois, ou des années, à se faire humilier, mépriser, rabaisser, avilir, dénigrer, opprimer, déconsidérer, écraser dans les honteuses prisons de la République. Un vrai cocktail de bonheur qui facilite le retour à la vie sociale et à la reinsertion...J’ironise.
Au lieux de faire la politique de l’autruche et la sourde oreille, l’opinion publique devrait faire pression pour que le problème soit pris très au sérieux par le gouvernement afin d’améliorer les conditions de vie de la population pénale et surtout d’accroître les aménagements de peines, car plus les peines seront aménagées moins il y aura de récidive, toutes les études le confirment. Allonger les peines pour réduire la délinquance n’est qu’une illusion.
Nous sommes tous concernés car les prisonniers deviennent des citoyens libres et les citoyens libres peuvent devenir des prisonniers.
Il faut entendre et respecter le message de ces « perpètes », comme celui du petit délinquant, car si personne ne prend ses responsabilités on va droit dans le mur et aucune politique répressive ne pourra empêcher l’explosion de violences et de délinquances qui surviendra dans les années à venir. Tout cela parce que les dirigeants de ce pays ne se seront pas préoccupés du problème pénitentiaire et qu’ils n’auront pas résolus le problème du chômage, ni les difficultés économiques qui sont les vrais terreaux de la criminalité. 
Le gouvernement actuel préfère dépenser l’argent du contribuable pour construire des prisons, il ferait mieux d’investir dans la construction de logements décents ou d’écoles pour l’avenir de vos enfants.
En tout cas je suis solidaire de mes compagnons d’infortune et je pense que ce message de détresse n’est pas vain car, par sa provocation, il a susciter une réaction qui je l’espère sera positive et constructive dans la prise de conscience des pouvoirs publiques et de l’opinion.
Quant à moi je continuerai de m’exprimer sur ce « blog » en m’adressant à tous ceux que le sujet intéresse. Il est important que vous sachiez et compreniez qui nous sommes. Il est important aussi que vous sachiez que notre combat est légitime et que nous nous battons pour une amélioration de notre sort et une reconnaissance de nos droits à l’intérieur, comme à l’extérieure.
Mon discours est peut-être trop direct ou sans détour, mais je n’ai pas à faire de concession ou à prendre de gants pour décrire la réalité crue de ce monde carcéral impitoyable. L’institution ne nous fait pas de cadeaux, qu’elle ne s’attende pas à ce qu’on lui en fasse temps que nous seront traité comme des sous- hommes.

A très bientôt sur le « blog » pour la suite.
 
Laurent JACQUA 
Février 2006