Laurent JACQUA
Maison Centrale de Poissy
17 Rue Abbaye
78300 POISSY
’’U.V.F : l’amour en cage...’’
Je viens de faire l’expérience des U.V.F (Unité de Vie Familiale) mis en place à Poissy depuis la fin de l’année 2005. En France il n’y a que trois prisons qui testent ces nouveaux parloirs, la centrale pour femmes de Rennes, le centre de détention de l’île de Ré et la centrale de Poissy.
De quoi s’agit-il exactement ?
Pour être clair il s’agit des parloirs sexuels, pudiquement appelés « chambres d’amour ». Je vais vous en expliquer le fonctionnement et vous donner mon avis sur ce nouveau système « d’amour en cage... »
Actuellement nous n’avons droit qu’à quatre U.V.F par an à raison d’un par trimestre, cela nous est donc accordés au compte-gouttes. Mais comme les U.V.F sont en court d’essai, cela démarre doucement. Le temps est limité à 6h pour l’instant car, les travaux n’étant pas terminés, les familles ne peuvent rester dans l’enceinte de l’établissement durant la nuit pour des raisons de sécurité.
Pour y avoir droit, il faut tout d’abord qu’il y ait une petite enquête sur les rapports que vous entretenez avec votre famille, amie, concubine ou épouse. En effet il faut avoir eu quelques parloirs « normaux » pour obtenir un premier parloir U.V.F. C’est aussi une façon pour l’administration de voir si les personnes concernées ont des relations suivis et non conflictuelles. La personne qui vient rendre visite a un petit entretien avec le service social par téléphone et doit remplir une sorte de formulaire par courrier, elle est aussi informée de ce pourquoi le détenu est en prison afin que les choses soit bien clair.
Toutes ces précautions et démarches ont pour but de limiter les risques de dérapages éventuels, car l’U.V.F est un lieu ou les femmes et les familles se retrouvent seules avec le détenu en toute intimité, enfermés dans un lieu clos sans aucune surveillance directe de la part du personnel pénitentiaire.
Une fois que la demande manuscrite a été déposée par le détenu et la visiteuse, que l’enquête du service social est positive, une commission se réuni et, la décision finale est prise par le chef d’établissement.
Il est important de signaler quand même que ceux qui sortent en permission n’y ont pas droit, ce qui peut sembler logique, ce qui l’est moins par contre, est qu’on y a pas accès si le pécule est à zéro ou si l’on est indigent.
Cela reste donc un « privilège » réservé à ceux qui ont de l’argent puisqu’on est obligé de cantiner quelques denrées alimentaires et boissons.
Comment ça se passe ?
Quelques jours avant mon parloir U.V.F un surveillant est venu chercher les effets vestimentaires que je porterai lors du parloir, ainsi que le nécessaire de toilette.
Le jour dit, mon épouse s’est présentée à l’entrée de la centrale une heure avant l’horaire prévu c’est-à-dire 10 h pour 11h.
On est venu me chercher vers 10h pour passer à la fouille et me changer complètement avec les habits prévus à cet effet, j’ai récupéré aussi le nécessaire de toilette, puis j’ai été conduit dans l’un des trois appartements U.V.F. pour y faire l’inventaire avec les surveillants avant que ne commence mon parloir.
Six assiettes, six verres, couverts, casseroles, poêle, four micro-ondes, four électrique, plaque chauffante, frigo, ustensiles de cuisine, télé, ameublement, etc.... bref tout y passe. Il y a tout ce qu’il faut, c’est un véritable petit appartement tout équipé, salle de bain, deux chambres, cuisine, terrasse avec meuble de jardin etc....
Je dois dire que la première fois que j’y suis entré, j’ai été quand même surpris par la qualité du lieu. Moi qui n’ai connu bien souvent que prisons délabrées, quartiers d’isolement et cachots, cela m’a fait tout drôle de me retrouver dans un tel endroit...
Peu avant 11h, les deux surveillants m’ont laissé seul et sont allés chercher mon épouse qui est arrivée aussitôt, puis ils nous ont enfermés dans l’appartement pour six heures d’intimité totale.
Je dois avouer que cette parenthèse de paix dans l’univers brutal du monde carcéral fait un bien fou à la tête et pour ceux qui viennent nous rendre visite c’est encore mieux. Finis la promiscuité des parloirs, le bruit, l’attente, le stress, les tensions, bref c’est une pause où l’on se redécouvre intimement où l’on a un peu plus de temps pour se ressentir, se parler et même écouter le silence ensemble. Après des années de parloir dans toute sorte de prisons, c’est bien la première fois que j’ai apprécié ce moment avec autant d’intensité en oubliant presque le poids de la taule.
Tout les réflexes simples de la vie de couple que l’on croyait oubliés reviennent à la surface, le fait de prendre une douche à deux, de se retrouver dans un grand lit, sentir sa femme prés de soi peau contre peau.
La première fois c’est un peu perturbant, on est un peu déstabilisé, un peu hésitant, après des années de privations cela n’a rien d’évident de faire comme si de rien était, alors on est un peu maladroit, les gestes tendres sont un peu difficiles à retrouver puis on finit par se détendre, se sentir bien et être en confiance. Finalement, après ce passage à l’U.V.F, je suis heureux de constater que je n’ai pas tout oublié de la tendresse et de l’amour, malgré 20 ans de parcours carcéral.
Sur les coups de midi, les surveillants nous ont prévenus par un interphone qu’ils passeraient pour donner le pain, en fait ils viennent surtout pour contrôler si tout ce passe bien, d’ailleurs mon épouse n’étant pas visible, ils ont lancé un « tout se passe bien Madame » et ce n’est qu’après une réponse de sa part qu’ils sont partis, sans doute rassurés de savoir que je ne l’avais pas trucider... cela doit faire partie d’une procédure de sécurité.
Manger ensemble, regarder les infos, faire une petite sieste amoureuse, y a de quoi être grisé. Malgré le temps qui passe trop vite, c’est un extrait de vie et on y croirait presque. On peut facilement se prendre au jeu tellement c’est doux et agréable. Surtout que la prochaine fois, puisque les travaux seront terminés, nous aurons 24 h puis 48 h et enfin 72 h, de quoi vraiment profiter de cet instant particulier avec son épouse, ses enfants ou sa famille.
Vers 17h, l’interphone a résonné pour annoncer la venu des surveillants, mon Epouse a été raccompagnée puis nous avons refait l’inventaire et j’ai été ramené en détention après être passé par la fouille pour me changer.
Voilà l’U.V.F du mois de mai est terminé et je suis partagé par des sentiments contradictoires. Oui je suis conscient d’avoir vécu un moment privilégié, mais en même temps je ne peux m’empêcher de penser que tout cela est bien artificiel et qu’il me faut garder les pieds sur terre et rester lucide face au contexte.
C’est vrai, pour une fois, le ministère de la Justice a fait un effort, mais ce n’est qu’une goutte d’eau comparée au besoin de rénovation du parc pénitencier français. Non seulement ils ont mit un temps fou à mettre en place ces U.V.F, mais rappelons qu’ils n’existent que dans seulement trois prisons sur les 190 que compte le territoire.
De plus tout cela n’est, pour le moment, qu’au stade de l’expérimentation. Avant que cela ne se généralise à toutes les centrales et centres de détention on en a pour des années, surtout que les moyens financiers ne suivent pas.
Il ne faut pas non plus que ces trois prisons pilotes deviennent une vitrine « cache misère » que l’on ferait visiter aux élus ou au publique en leur faisant croire que cela reflète la réalité du monde carcéral. On est vraiment loin du compte en ce qui concerne les améliorations des conditions humaines et de détention en France.
Même si j’ai vraiment bien apprécié l’expérience, je reste sur la réserve et j’essaye de garder un esprit critique. Il ne faut pas oublier qu’une prison reste une prison même si on y aménage ce genre de dispositif. La privation de liberté demeure et les souffrances qui en découlent aussi.
De plus, je pense que ce genre de système risque, à long terme, de remplacer les permissions et les aménagements de peines. Il s’agit à mes yeux d’une sorte de test conduisant à mieux faire supporter et accepter l’enfermement par les détenus. Ce qui risque dans l’avenir, si cela se révèle concluant, de pousser les institutions à faire le choix d’installer confortablement les prisonniers au sein du monde carcéral plutôt que de les réinsérer dans la société et ce n’est vraiment pas la bonne direction à prendre.
Je ne suis donc pas dupe, rien ne peut remplacer la liberté et il faut absolument ne pas être éblouis par ce genre de « progrès » qui peut se révéler être un cadeau empoisonné ou un piège qui à terme justifierait l’instauration de la perpétuité réelle et de l’augmentation de la durée des peines de sûreté.
C’est vrai, pour le moment j’ai la chance de profiter des U.V.F, mais je ne suis pas prêt à me soumettre, faire taire mon esprit critique ou vendre ma liberté pour y avoir accès et si jamais on m’en prive et que je suis transféré ce n’est pas grave, je continuerai à me battre pour nos droits comme je l’ai toujours fait...
Je préfère rester méfiant quant au développement de ces programmes, car cela peut cacher une politique répressive qui consisterait à ne plus prendre de risque en nous faisant sortir en conditionnelle et faire admettre l’idée qu’il est maintenant possible de nous faire purger nos peines dans leurs intégralités. Je n’ai pas envie que l’on construise pour nous, longues peines, un nouveau monde carcéral style « 1984 » de G. ORWELL afin de nous bannir à jamais du monde libre.
La priorité c’est les aménagements de peines et sortir dans les meilleures conditions pour ne pas être détruit par trop d’années de prison.
Ma première incarcération date de 1984, je ne savais pas à l’époque que cette date était aussi le titre du livre d’ ORWELL, je n’imaginais pas non plus que ma vie ressemblerait à celle d’un Winston SMITH luttant dans un univers oppressif et répressif, étrange coïncidence, non ?...
A bientôt sur le « BLOG »pour la suite.
Laurent JACQUA, « Le blogueur de l’ombre », mai 2006