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Date : 23-08-2006

(2006) Blog 11 « L’école, le coin et la prison »

Mise en ligne : 27 août 2006

Texte de l'article :

Laurent JACQUA
Maison Centrale de Poissy
17 Rue Abbaye
78300 POISSY

L’école, le coin et la prison...

Il y a quelques semaines j’ai reçu un courrier de la part d’un professeur enseignant dans un collège situé à Lunel. Dans sa lettre il me proposait d’utiliser l’un de mes textes pour faire bosser les élèves d’une classe en difficulté et d’établir entre eux et moi une correspondance sous forme de devoir. J’ai trouvé l’idée intéressante et j’ai répondu favorablement à sa proposition.
Au fond cette démarche très positive et insolite prouve bien qu’il y a des esprits ouverts et constructifs, la vision et la méthode de ce prof m’ont plu. C’est pourquoi j’ai accepté en espérant que cela nous permettrait de nous enrichir d’un côté comme de l’autre, de faire évoluer les mentalités et en quelque sorte ouvrir la prison et ses prisonniers au monde extérieur de façon intelligente.
Ironie du sort qui veut que cela soit un type comme moi qui prodigue des conseils à des jeunes en leur disant d’être assidu dans leurs études. Je n’ai pourtant pas vraiment le profil d’un pédagogue, d’autant plus que je n’ai pas un très bon souvenir de l’école.
En effet, pour moi c’était une véritable épreuve que d’y aller et s’il y a bien une chose que j’ai retenue et qui m’a profondément marqué c’est la punition du « coin ».
Je n’étais pas vraiment un cancre, mais l’école, dés le plus jeune âge, m’ennuyait terriblement et comme j’étais un enfant plutôt dissipé, j’étais la cible privilégiée de mon maître d’école primaire.
J’avais environ 8 ans et je connaissais déjà l’envers du décor et le goût de la punition. La seule image précise qu’il me reste de cette période c’est en effet cette mise au « coin » systématique. Il s’agissait, en fait, d’un tableau noir coulissant derrière lequel le maître nous plaçait en guise de sanction. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, je me souviens de l’envers de ce tableau coulissant dont j’observais le mécanisme durant de longs moments, il y avait aussi des cartes géographiques entassées que j’essayais de parcourir des yeux, cela me faisait voyager en des contrées lointaines. Mon imaginaire d’enfant prenait souvent le dessus et cela me permettait de supporter le temps de ces punitions tout en rêvassant. Enfin lorsque le maître me faisait rejoindre ma place dans la classe, j’étais toujours un peu ailleurs. Depuis tout petit, je ne sais pourquoi, je me sentais différent des autres, au fond j’avais déjà un univers et une vie intérieure très intense.
Ce maître ne m’aimait pas beaucoup et je supportais les sanctions qu’il m’infligeait sans broncher, en fait il voyait bien que j’étais imperméable à son enseignement autoritaire.
Sentait-il que j’étais déjà un enfant rebelle ?
En tous cas il était du genre a nous faire chanter « le chant des partisans » tous les matins avant de commencer la classe, c’est dire le genre d’enseignant qu’il était.

Aujourd’hui quand je compare ma vie à cet épisode de mon enfance j’y trouve une certaine similitude voir une symétrie troublante. La rébellion, la punition, la prison...il y a sans doute une relation entre ces mises au « coin » et ma vie de prisonnier. Je ne crois ni à la prédestination, ni à la prédisposition, mais je dois avouer qu’il y a là certainement un rapport qu’il faudrait explorer pour essayer de comprendre ce qui a pu me mener sur les voies de la délinquance, car cela n’est pas seulement dû aux hasards, aux circonstances ou aux aléas de la vie.
Comme l’illustre le dessin que j’ai fait pour accompagner ce texte, quand on est mit au « coin » un peu trop souvent, celui-ci se met à sourire, déjà satisfait d’avoir une nouvelle proie dont il prépare les chaînes pour son avenir.
Le « coin » est-il l’anti-chambre de la délinquance ?
Peut-être !
Et si c’est le cas cela veut bien dire qu’il faut vraiment tout miser sur l’enseignement et l’éducation au lieu de punir. Donner plus de moyens, plus de liberté quant aux méthodes d’enseignement adaptées, multiplier les initiatives, rendre l’école intéressante, attractive aux jeunes en difficultés, bref agir avant de sanctionner. Agir tôt et en amont pour ne pas construire encore plus de places de prison...
L’initiative de ce prof va dans ce sens et cela me donne le sentiment de lutter, d’une certaine façon, contre le tout répressif.
Je suis sûr que nous pouvons nous apporter beaucoup entre intérieur et extérieur en construisant des ponts tel que celui là, c’est toujours grâce aux différences que nous nous enrichissons.
Je n’ai pas de leçon à donner, mais je sais une chose, je ne souhaite à personne le parcours qui est le mien et si je peux éclairer la lanterne de quelques jeunes pour leur éviter la « cage » alors je n’hésiterai pas.
Je sais qu’en faisant cela je prive la « mangeuse d’homme » d’en broyer quelques uns. Evidement je n’ai rien d’un éducateur mais en matière de prison, de délinquance, de dérive qui mieux que moi peut en parler ?
Alors me voilà donc investi d’une mission plutôt positive non ?
Vous voyez, cela prouve que l’on peut faire des choses bien même avec des individus comme moi, il faut simplement leur donner l’occasion de réaliser ce genre de projets.
Je vous laisse donc avec la lecture du premier courrier que j’adresse aux élèves de ce collège de Lunel.

A très bientôt sur le « BLOG » pour la suite...

Laurent JACQUA, "Le blogueur de l’ombre"