Laurent JACQUA
Maison Centrale de Poissy
17 Rue Abbaye
78300 POISSY
Un jour, lors d’une cavale, je suis entré dans un magasin animalier, je me suis dirigé vers les rayons réservés aux oiseaux et j’ai ouvert toutes les cages.
Le commerçant paniqué criait :
- Arrêtez ! Arrêtez ! Vous êtes fou ! J’appelle la police... »
Je ne l’écoutais pas et je me régalais de voir tous ces piafs colorés envahir le plafond du magasin sous les yeux ébahis de quelques clients. J’ai ouvert en grand la porte d’entrée et une nuée d’oiseaux s’est ruée à l’extérieur en se dirigeant droit vers le ciel et la liberté retrouvée...je souriais en les regardant s’éloigner, je ne me suis pas attardé et j’ai replongé dans la nuit de ma clandestinité...
Cet acte peut vous paraître fou, mais avez-vous goûtez une seule fois dans votre vie au véritable « élixir » de la liberté ?
Ce breuvage magique est tellement grisant, tellement puissant que cela vous enivre complètement au point d’avoir l’impression de survoler le monde comme un aigle puissant et magnifique. Malheureusement ses effets sont de courtes durées et après l’ivresse d’un vol, d’une aventure, d’un voyage, on se rend compte que nous ne sommes que de misérables oiseaux blessés, aux ailes fracassées par les chasseurs de l’ordre et nos vies finissent bien souvent dans des cages trop petites pour contenir nos rêves de cieux infinis...
La liberté c’est comme les battements d’un cœur,
Le jour où cela s’arrête,
C’est le monde entier qui meurt...
La liberté c’est comme le battement des ailes,
Le jour où cela s’arrête,
C’est tous les oiseaux qui tombent du ciel...
Vous les femmes et les hommes qui vivez l’oppression, vous qui subissez la répression, résistants résistantes, militants militantes, prisonniers prisonnières, clandestins clandestines, soumis et dominés, exploités et esclaves, bannis et expulsés, exclus et sans papier, immigrés et mal logés, réfugiés et étrangers, persécutés et fugitifs, à vous, tous les damnés de la terre que l’on écrase d’injustice, je tiens à vous dire que je vous respecte profondément et je vous dit ô combien je comprends maintenant vos combats et vos sacrifices. J’ai, grâce à vos exemples, appris qu’il existait une donnée naturelle et intangible concernant toutes les époques de l’humanité, c’est que le camp des opprimés est toujours celui des justes ...
Je ne regrette pas d’avoir autant souffert pour connaître ce qu’ont ressentis ceux qui ont portés les chaînes et dont la chair a été meurtrie par les fers, cela m’a appris l’humilité du pauvre, la tolérance du sage et la compassion pour mes frères humains.
Aujourd’hui je comprend mieux pourquoi dans l’Histoire tant d’hommes et de femmes ont sacrifiés leurs vies pour cette liberté, si souvent menacée, si fragile, si rare.
Un jour ils ont décidés, au péril de leurs vies, de dire NON à la dictature ou à l’enfermement de leurs idées ou de leurs corps. Cette « ivresse » de la liberté est, je crois, un besoin irrépressible et universel pour tous les hommes, comme l’oiseau s’enfuyant par instinct pour rester toujours libre...
Une nuit je me suis évadé d’un centre de détention et je me suis retrouvé dehors en pleine chasse à l’homme. Il m’a fallu affronter beaucoup d’épreuves pour rester libre et échapper à des hordes d’hommes en uniforme prêt à m’encager ou me tuer. Mais ce dont je me souviens le plus c’est ma première nuit passée à la belle étoile. Je ne peux vous décrire par des mots ce que j’ai pu ressentir en redécouvrant la beauté de la voie lactée et des constellations que j’avais oublié. C’était fabuleux, un moment magique suspendu dans la fureur de ma vie, une parenthèse de paix comme dans l’œil d’un cyclone. C’était un bout d’éternité que l’on croit saisir, mais qui vous échappe, comme un rêve merveilleux, dont on essaye de se souvenir au réveil sans y parvenir...
Je suis resté un bon moment en contemplation face à l’immensité puis j’ai poursuivi ma cavale pour fuir mes oppresseurs étatiques. J’ai vécu la liberté sauvage, la liberté interdite, la liberté primaire, celle que vous n’avez jamais connue, celle qui ne ressemble à aucune autre, comme une trop forte dose d’endorphines. C’est ainsi, par la force des choses, que je suis devenu un homme trop libre, donc un homme dangereux aux yeux de l’état qui n’aime que les masses serviles et sages. En fait j’avais simplement croqué le fruit défendu et goûté à cet élixir qui vous pousse irrésistiblement, comme un loup, à courir sur les plaines immenses et vierges seulement accompagnées par les vents...
Cette liberté volée je la paye chèrement puisque j’ai été condamné à 30 ans de réclusion criminelle. Cependant j’ai eu le privilège de vivre l’expérience d’une liberté qui n’existe plus dans nos sociétés et que nous sommes très peu à avoir connue et vécue aussi intensément. Je ne suis pas là pour me plaindre ou faire l’apologie de mes actes, j’ai simplement voulu vous faire part de ce que j’ai pu vivre lorsque l’on a voulu me laisser mourir au fond d’une cage, comme un rat que l’on noie.
Humainement j’ai ressenti et humainement j’ai réagi, mon instinct me disait de ne pas accepter cette peine de mort, alors je me suis évadé comme un désir de vivre.
Je considère que l’évasion reste un droit inaliénable si l’on ne propose à l’opprimé ou au prisonnier qu’une vie à genou ou une mort en cage.
Aujourd’hui je m’évade autrement et me libère par l’écrit, et lorsque la plume caresses les mots je ressent une sorte d’exaltation en sachant que ces textes et ces dessins s’envolent, tels une nuée d’oiseaux exotiques, dans toute les directions traversant les murs de pierres et les barreaux d’acier pour atteindre d’autres esprits, d’autres consciences, ainsi je mets en évidence la formule suivante : « l’esprit est bien plus fort que la matière »...
Pour finir je vous laisse avec les mots du poète qui résume avec talent la pensée que j’ai si maladroitement voulu exprimer dans ce texte... :
Ne serait-ce qu’une fois, si tu parlas de liberté,
Tes lèvres, pour l’avoir connue, en ont gardé le goût du sel,
Je t’en prie,
Par tous les mots qui ont approché l’espoir et qui tressaillent,
Sois celui qui marche sur la mer.
Donne-nous l’orage de demain.
Les hommes meurent sans connaître la joie.
Les pierres au gré des routes attendent la lévitation.
Si le bonheur n’est pas au monde nous partirons à sa rencontre.
Nous avons pour l’apprivoiser les merveilleux manteaux de l’incendie.
Si ta vie s’endort,
Risque-la !
Jean MALRIEU
À bientôt sur le "blog" pour la suite...
Laurent Jacqua, "Le blogueur de l’ombre"