Laurent JACQUA
Maison Centrale de Poissy
17 Rue Abbaye
78300 POISSY
La nuit entre les rondes, on peut l’entendre passer le long des coursives allant d’une cellule à l’autre chargée de son fardeau d’idées noirs. Elle se déplace silencieusement, glissante comme une ombre furtive. Elle est à la recherche d’un orphelin du bonheur suffisamment affaiblit pour lui ravir son âme aisément.
Elle se promène ainsi librement en ces lieux de pierres et de fers tel un fantôme en quête d’apaisement, errant jusqu’au petit matin pour trouver un dernier gredin afin de lui soutirer son reliquat de vie et l’emporter dans son antre.
Il m’est déjà arrivé de la sentir passer tout prés de moi dans le silence et l’obscurité. Cette présence me faisait l’effet d’une brise glacée sur ma peau, je m’arrêtais soudain de respirer. Impression désagréable d’un frisson allant droit jusqu’à mon cœur effrayé par l’effleurement de cette sombre caresse. Sensation qui n’est qu’un redoutable « au revoir »...
La mort réclame chaque nuit sur sa liste un prétendant au suicide prêt à danser avec elle une dernière valse macabre, cadence tourbillonnante et enivrante permettant de passer en douceur de vie à trépas. Elle invite ainsi ses victimes abusées et ivres à un long sommeil dont on ne revient pas.
Au sein des prisons, elle s’incruste partout au creux des inconsciences comme une sangsue suçant la sève de l’espérance. Elle est patiente et attend son heure sans sommeil tel une sentinelle en veille. Traversant les portes et les murs comme un spectre maléfique, elle nous rend visite aussi séduisante qu’une mortelle andalouse aux yeux et cheveux noirs pour laquelle on succombe.
Elle suggère, elle murmure à l’oreille du prisonnier suicidaire
Que c’est le seul passage qui libère de toutes les souffrances amères
Elle le persuade que cela passe par elle, qu’il faut se laisser faire
Lui faire confiance pour être absout de cet enfer
Elle commande de s’endormir les yeux grands ouverts
Elle se charge du reste éteignant les lumières
Et refermant les paupières d’une main légère
C’est ce qu’on appelle « la deuxième porte », issue invisible qui se dessine sur l’un des mur de la cellule et que seul les candidats au grand départ arrivent à percevoir. L’ange de la mort les invite ensuite à emprunter ce passage vers l’autre monde comme un secours, comme un dernier recours, une amputation urgente de l’existence quand celle-ci se gangrène.
Quand cette porte apparaît, il est souvent trop tard. Elle s’ouvre dans un grincement sinistre que seul peuvent entendre les oiseaux nocturnes posés en rangs silencieux sur les branches de l’arbre aux pendus. Haie d’honneur sur le chemin des morts pour rien, des vies de chiens, des simples vauriens, c’est le chemin que prennent bon nombre de désespérés et de malandrins séduits par la morsure de cette belle veuve noire qui distille lentement le poison paralysant du suicide, que ces malheureux espèrent libérateur, mais qui ne débouche que sur une nouvelle sphère de l’enfer...
J’ai déjà pris, malgré moi et sûrement pas par hasard, la voie funeste de cette « deuxième porte » j’y ai été invité de mon vivant comme une initiation aux affres de la mort, mais, par je ne sais quelle force, j’en suis revenu après y avoir vu l’un des premiers cercle de ce qui me semblais être l’orée de la géhenne. Après cette expérience je suis revenu métamorphosé et avec le poids de deux présents que l’on m’a laissé en héritage.
Le premier, c’est une cicatrice en mon âme qui s’ouvre et qui saigne dés que je commence à oublier ce que j’ai vécu.
Le second, la tâche impossible de convaincre tous ceux à qui j’en parlerai autour de moi. Ainsi je ne peux expliquer par des mots ce que j’ai pu voir sur l’existence d’un univers parallèle que l’on ne soupçonne pas et qui pourtant est juste derrière le voile si fin, si fragile de la vie. Au début j’ai essayé de dire ce que j’avais vu, mais j’ai fini par comprendre que le prix de cette science était l’incrédulité du monde, car elle est trop puissante pour être dévoilée et comprise par les mortels.
Mais je m’éloigne du sujet en évoquant cette aventure mystique que, peut-être, je me déciderai à vous raconter un jour.
Revenons-en à cette mort qui rôde et qui parfois s’assoie silencieusement dans le coin d’une cellule, guettant le moment propice pour fondre sur le prisonnier dépressif et lui faire glisser doucement un nœud coulant autour de son cou, pendant que son instinct de survie s’endort.
Mes propos sont bien sombres aujourd’hui, mais c’est un sujet grave qu’on ne peut éviter car la prison ne fait pas qu’emprisonner, elle tue aussi plus d’une centaine de détenus par ans. Le suicide fait partie de la peine, il est inclus dans le paquetage de tout arrivants et pas seulement, comme on pourrait le croire, celui des plus faibles, des plus sensibles ou des primaires. Tout le monde est concerné car j’ai vu des gars vraiment solide se tuer et je sais donc que personne n’est à l’abri de cette soudaine volonté de mourir.
Chaque année on nous fait le décompte de ceux qui ont décidés d’en finir avec la souffrance institutionnalisée qui règne dans les détentions et c’est en constante augmentation. Pourtant on connaît tous les facteurs de risque, longueur des peines, isolement, mitard, conditions de détention, absence de soutien psy, maladie, dépression etc....
Mais que fait l’administration pénitentiaire pour lutter contre ce fléau ?
A part quelques mesures obsolètes de surveillances supplémentaires, il n’y a en réalité aucune volonté de faire changer les choses, pour la bonne et simple raison que cela remettrait en cause tout le fonctionnement coercitif du monde carcéral. Peine, pénitencier, pénitence tout est basé sur la racine et l’origine de ces mots désignant tourment et souffrance, c’est un vestige que nous a laissé l’inquisition du moyen âge. Rien ne changera parce que le « châtiment » demeure la pierre angulaire de notre système judiciaire judéo chrétien. Il est donc logique que la société entière tolère que les conditions de détention soient difficiles, que les peines soient beaucoup trop longues, que la souffrance des détenus soit légitime et érigée en vertu expiatoire. L’inhumanité carcérale est l’un des outils préférés de la répression et de la vengeance sociale.
« Le désespoir c’est la soumission, la soumission c’est l’ordre ! »
Lorsque l’on a compris cela on sait pourquoi le problème du suicide en prison ne sera jamais résolu, le désespoir est en fait entretenu, loué, vénéré comme le parquet ciré du grand couloir central de Fresnes menant tout droit au mitard.
Donc pas de chiffres ou de statistiques déshumanisantes sur les suicides en prison qui ne veulent plus rien dire, je préfère vous parler de ces hommes que j’ai côtoyés et qui ont perdus d’abord l’espoir, puis la vie.
Commençons par Simon qui était avec moi au quartier d’isolement de Metz en cette fin d’année 1996.
On l’appelait « le Robin des bois de l’est » car après chaque braquage il allait distribuer une partie de son butin à des familles en difficultés dans les cités de sa région. La soixantaine passée il n’avait connu que la prison et la délinquance. Après une tentative d’évasion avortée il s’était retrouvé au Q.I avec nous. Un jour il nous a dit qu’il ne comptait pas faire cette peine et qu’il voulait se supprimer. Je ne pense pas qu’il était dépressif car s’était un type vraiment dur au mal. Non il avait décidé froidement de mourir car il n’avait pas envie de se taper un autre « parcours » (c’est-à-dire une longue peine), il en avait marre de cette vie qui ne l’intéressait plus.
Un jour les matons l’ont découvert dans le coma, il avait essayé de « partir » avec un cocktail de médicaments. Hôpital, lavage d’estomac, il nous était revenu le soir même. On l’avait appelé pour essayer de le convaincre qu’il valait mieux vivre et combattre, mais il ne voulait qu’une chose, prendre la poudre d’escampette par « la deuxième porte » et en finir une bonne fois pour toute. Il faut croire qu’il était vraiment intime avec la grande faucheuse pour l’aimer à ce point.
On a demandé à la direction de le faire sortir de l’isolement, que sa vie en dépendait, mais peine perdue, Simon était DPS (détenu particulièrement surveillé) alors pas question de le remettre en détention normale. En prison la sécurité reste prioritaire sur tout autre chose même si la vie d’un homme est en jeu.
Un soir il a mis le feu à son matelas pour s’asphyxier, mais un surveillant a pu donner l’alerte et ils l’ont sortis in extremis de la cellule. A il en voulait le vieux Simon et pas moyen de le dissuader, la taule, les longues peines, l’isolement, le mitard, tout ça, il n’en voulait plus. Nous étions impuissant face à sa détermination et je rageais contre tout ce système carcéral qui était responsable de sa farouche volonté de mourir.
Lors d’une nuit suivante, j’ai entendu les pompiers qui tentaient de le réanimer dans le couloir, puis ils l’ont emmené. Il s’était pendu. Il décéda après quelques jours de coma à l’hôpital de Metz.
Voilà cette fois il ne s’était pas loupé, il s’en est allé main dans la main avec sa mortelle amie pour ne plus revenir.
Courant 2002 à Clairvaux.
Eric était « auxi » à mon étage, il distribuait la gamelle et entretenait la coursive. Il avait une petite copine qui venait le voir et il en était fou amoureux. Peut-être un peu trop à mon goût, mais s’était un gars hyper sensible qui visiblement avait souffert d’une grosse carence affective durant son enfance. Il n’avait connu que la prison depuis le plus jeune âge, ce qui n’est pas vraiment l’idéal pour l’épanouissement d’un équilibre affectif et sentimental.
Il avait fait la connaissance de cette fille par correspondance. Elle avait fini par lui rendre visite et quand il la vit pour la première fois il eut un véritable coup de foudre pour elle, ce qui ne fut pas forcement réciproque. Quand il nous parlait d’elle il le faisait comme un adolescent passionné vivant un premier amour, il voulait vivre avec, se marier et lui faire un « bébé parloir ». Bref il s’était construit tout seul une belle histoire d’amour pour deux et ce qui devait arriver arriva. Comme le dit la chanson : « Les histoires d’amour finissent toujours mal... »
Un jour, lors d’un parloir, je l’ai entendu sangloter. Je ne lui ais pas demandé ce qui se passait, je l’ai laissé tranquille. C’est lui qui est venu me parler un peu plus tard. Elle venait de lui annoncer que s’était fini entre eux et qu’elle vivait depuis quelques temps avec un autre homme. Pas facile pour moi de trouver les mots justes en la circonstance, il était vraiment assommé, effondré par la nouvelle. J’ai essayé de lui remonter le moral en lui disant qu’il était jeune et que même avec une peine de 25 ans, il trouverait sûrement une fille gentille qui l’aimerait sincèrement. Mais, même s’il essayait de le dissimuler, son chagrin était inconsolable. En fait, peut-être par manque de sensibilité, je ne m’étais pas rendu compte qu’il venait de tout perdre et que son cœur avait exploser comme une grenade à l’intérieur de sa poitrine. Avant de rentrer en cellule il m’avait dit qu’il ne l’appellerait pas ce soir, mais je croie que la phrase exacte était qu’il ne l’appellerait plus... je n’avais pas saisie la nuance...
Le lendemain matin les surveillants l’ont retrouvé inanimé, allongé sur le sol de sa cellule, il s’était étouffé dans son vomi après avoir absorbé une quantité importante de médicaments.
Eric s’est tué pour une fille qui n’en valait pas la peine, mais pour lui c’était son seul rayon de soleil dans sa vie de taulard et quand il l’a vu se tirer pour un autre, il ne l’a pas supporté. Il a préféré franchir lui aussi « la deuxième porte » consolé par une nouvelle compagne toute vêtue de noir...
2005 à Moulin Yzeure.
Vingt ans que Roland était dedans pour un meurtre qu’il avait commis un soir de beuverie, il était en fin de peine et sortait en permission tous les trois mois. Bientôt il allait bénéficier d’une conditionnelle et tout semblait aller dans le bon sens...
C’était vraiment un type gentil et j’aimais bien discuter avec lui, je voyais bien que la prison lui en avait mis un coup dans la tête et qu’il en avait bavé. Il y avait une sorte de fracture en lui, une sorte de mélancolie qu’il portait sur sa figure. Un jour il est revenu de permission et m’avait confié, avec ses yeux de cocker, que la prison lui avait vraiment fait mal et qu’il s’en était rendu compte seulement à l’extérieure. Il se sentait comme la pièce en trop d’un puzzle déjà terminé, il avait du mal à trouver sa place au sein de la société et même dans sa propre vie. Je lui avais dit que cette impression était une réaction normale après 20 piges de « conserve », mais que cela passerait une fois qu’il serait définitivement libre. En fait son retour progressif à la liberté ne se passait pas très bien. Le décalage trop important entre le monde carcéral et la vie de dehors lui avait psychologiquement mit une grande claque, ce qui l’avait profondément ébranlé. Il me faisait penser à ces grands chênes que l’on est obligé d’abattre parce que l’on découvre qu’ils sont rongés de l’intérieur. Je crois que la prison lui avait bouffé son âme.
Un jour il a eu une fouille de cellule et il s’est fait prendre avec un petit morceau de « shit », rien de bien grave car c’est monnaie courante en détention, mais cet incident anodin a servit de déclencheur. Le soir même, sans que personne ne s’y attende il a décidé de s’envoyer en l’air en prenant une forte dose de barbituriques. Je dois avouer que le lendemain matin nous étions tous sur le cul car il allait être libéré prochainement.
La prison a eut raison de lui comme tant d’autres, c’est dire ce qu’elle est capable de faire à l’esprit après des années d’enfermements. Oui la prison tue et tuera encore tant que l’on n’aura pas éliminé cette notion barbare du châtiment dans l’application des peines.
Je pourrais vous raconter encore des dizaines de cas de ces co-détenus que j’ai croisés et qui ont décidé de passer à l’acte en franchissant cette porte noir pour un voyage sans retour vers le néant, mais je risquerai de faire trop long et puis vous finiriez par vous habituer à la mort comme je m’y suis malheureusement habitué.
Il y a peut de temps un pote s’est tué, un autre détenu m’a fait la réflexion suivante :
- « Mais qu’est ce qui t’arrive, ça te fait plus rien ou quoi ? »
Je dois dire qu’après avoir entendu ces mots je me suis posé pas mal de questions sur moi-même et mon insensibilité grandissante au fil des années et cela m’a un peu perturbé.
En suis-je arrivé à ne plus rien ressentir ?
Chaque jour j’essaye de me persuader du contraire, mais je crois que mes séjours prolongés dans les immensités arides du désespoir m’ont un peu asséchés le cœur et l’âme.
Cependant je garde en mémoire le visage de tous ceux que j’ai connu et qui ont refermé derrière eux « la deuxième porte » sans un adieu...
A bientôt sur le BLOG pour la suite...
Laurent JACQUA,
"le blogueur de l’ombre..."