Projet de loi constitutionnelle relatif à l’interdiction de la peine de mort
Intervention d’Alima Boumediene-Thiery
Sénat, le 7 février 2007
Monsieur le président, Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,
Nous nous retrouvons solennellement en vue de réaliser un acte d’une haute portée, à la fois symbolique et politique : inscrire dans notre constitution l’interdiction de la peine de mort.
Tout d’abord, permettez-moi d’exprimer tout l’honneur et le respect que m’inspire la présence de Robert Badinter en cette haute assemblée.
Il y a un peu plus d’un quart de siècle, alors ministre de la Justice et garde des sceaux, il défendait devant les représentants du peuple, avec le talent qu’on lui connaît, et obtenait l’abolition de la peine de mort en France.
À l’heure où un « populisme pénal » de plus en plus prononcé et une démocratie d’opinion semblent régner sans partage sur la vie politique, il est essentiel à noter que l’abolition de la peine représentait à cette époque, un acte courageux et un vote osé contre l’opinion publique et les sondages.
Car, rappelons-le, en 1981, l’opinion publique était largement favorable à la peine capitale, ce qui prouve bien que le peuple n’a pas toujours raison et que la démocratie d’opinion est parfois dangereuse !
Mais revenons-en à notre situation actuelle.
Pourquoi l’inscription de l’abolition dans notre constitution ?
Cette marche en faveur de l’humanité doit-elle s’arrêter à nos frontières ?
A la première question, on pourrait tenter de répondre, comme l’ont évoqué nombre de mes collègues avant moi, que ceci résulte directement de la volonté du Président de la république, et je lui en suis gré.
Mais, inscrire l’abolition de la peine de mort dans notre constitution ne relève pas seulement de l’acte symbolique, marquant la véritable évolution de notre société.
Il relève d’une haute portée juridique.
Tout d’abord, dans notre ordre juridique interne, ceci aura pour effet de placer l’abolition de la peine de mort au plus haut de la hiérarchie des normes.
Ainsi, elle se retrouvera hors de portée de toute velléité de retour en arrière législatif qui, malheureusement, ne relève pas de la simple hypothèse d’école.
Car n’oublions pas qu’il n’y a pas si longtemps, en 2004, 47 députés UMP, parmi lesquels les tristement célèbres, Christian Vanneste et Georges Mothron, ont déposé une proposition de loi tendant à rétablir la peine de mort.
Cette volonté d’inscrire son interdiction dans la constitution est, pour eux, un sévère revers politique qui les désavoue totalement, mais surtout les empêche de mettre en œuvre leur inacceptable projet.
Ensuite, cette inscription aura une portée internationale.
Ainsi, il ferme définitivement cette porte, que le protocole n° 6 à la Convention européenne, ratifié en 1985, laissait ouverte en maintenant la possibilité de prévoir la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre, et qui, lui, pouvait être dénoncé.
L’adoption de ce projet de loi, nous permettra de signer et de ratifier le deuxième Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, adopté à New York le 15 décembre 1989, qui, parce qu’il interdit toutes réserves et ne peut être dénoncé, fait obstacle au rétablissement de la peine capitale, y compris en cas de guerre ou de circonstances exceptionnelles.
Il nous permettra aussi de signer le protocole additionnel n°13 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme, adopté par le Conseil de l’Europe le 03 mai 2002 qui prévoit l’abolition en toutes circonstances.
Le pas que nous nous apprêtons à franchir tous ensemble, est un pas historique et fondamental, à portée internationale.
Ce que nous mettons en œuvre est essentiel, essentiel non seulement pour notre démocratie, mais également pour notre démocratie européenne.
Cependant ce pas, aussi significatif soit-il, est encore incomplet.
En inscrivant dans la constitution, l’abolition de la peine de mort, nous ne rendons pas complète, l’œuvre de la lutte contre l’inhumain et l’insoutenable.
En effet, deux champs, d’une importance primordiale, demeurent à conquérir.
Le premier champ est dans la lutte à mener pour l’abolition totale de la peine de mort, partout dans le monde.
Après Strasbourg en 2001 et Montréal en 2004, Paris a accueilli, du 1er au 3 février 2007, le troisième congrès mondial contre la peine de mort : « Paris 2007 » a rassemblé des abolitionnistes venus des 4 coins du Monde, juristes mais aussi décideurs et acteurs de l’abolition, citoyens et militants, qui sont venus débattre des stratégies en cours.
L’abolition universelle de la peine capitale doit être désormais notre objectif à tous et toutes.
C’est dans ce sens, que notre vote sera un encouragement pour celles et ceux qui, aujourd’hui encore, dans de trop nombreux pays, se mobilisent contre la mise à mort par l’État.
L’expression de ce vote, ainsi que les différentes positions internationales, dont la dernière résolution du Parlement Européen et la directive du Conseil de l’Europe, doivent se retrouver dans toutes les actions de notre diplomatie.
Ainsi, nous devons tout mettre en œuvre, notamment nos relations économiques et commerciales, pour influer afin que tous ces pays abandonnent cette pratique inhumaine.
Pays au premier rang desquels se trouvent les Etats-Unis d’Amérique. Les USA, non contents de dispenser des leçons de démocratie dans le monde à coups de balles et de missiles, sont incapables de faire respecter le plus essentiel des droits, celui du droit à la vie.
Mais l’ombre des USA ne doit pas occulter d’autres pas comme la Chine, l’Arabie Saoudite...
Qu’il s’agisse de la peine de mort ou encore de l’ensemble des droits humains, ceux-ci valent plus que tous les contrats commerciaux entre nos deux pays.
L’autre champ à conquérir relève du domaine pénal.
Certes la peine de mort directe, immédiate, n’est plus appliquée en France depuis 1981 ; et on ne pourra plus y revenir, notamment grâce à l’inscription de son abolition dans la constitution.
Toutefois, nous ne pouvons rester aveugles et sourds face à une autre peine de mort, lente et insidieuse, mais tout aussi implacable et inhumaine : celle que constituent les longues et très longues peines.
Je sais que mes propos peuvent paraître comme des sons discordants, en ce moment de consensus et d’autocongratulations.
Mais, nous ne pouvons pas, légitimement, nous contenter d’offrir, à chaque citoyenne et citoyen de France, la garantie que jamais plus, l’un d’eux se verra exécuter, et n’apporter aucune garantie à toutes ces femmes et tous ces hommes, qui se voient condamner à des très longues peines, voire condamner à perpétuité, parfois même des peines incompressibles.
Lorsque l’on condamne une personne au-delà de 15 ans, ou lorsque on le condamne à perpétuité, avec des peines de sûreté de 20 ou 30 ans, ceci n’est ni plus ni moins qu’une condamnation à mort, à mort lente !
Savez-vous ce qu’est une privation de liberté pendant 15 ou 20 ans ? Et même jusqu’à 42 ans, selon les dires de mon collègue Dreyfus Schmitt, c’est incroyable, inacceptable !
Il n’y a pas de lame de guillotine qui s’abat avec fracas, mais par contre, c’est bien la lame du temps, de la maladie, des troubles psychiques, souvent de la déchirure familiale, et de l’extinction sociale et morale, qui s’abat dans un silence complice, un silence de mort.
Je ne peux pas m’empêcher de vous lire, cet extrait d’une lettre de dix condamnés à vie de la Centrale de Clairvaux, l’une des prisons au régime carcéral le plus sévère de France :
« Dès lors, qu’on nous voue en réalité à une perpétuité réelle, sans aucune perspective effective de libération à l’issue de notre peine de sûreté, nous préférons encore en finir une bonne foi pour toute, que de nous crever à petit feu, sans espoir d’aucun lendemain après bien plus de 20 années de misères absolues. »
Rappelez-vous de votre réponse, Monsieur le Ministre :
« Si on les prenait au mot, combien se présenteraient ? ».
Comme je vous l’avais dit à l’époque, j’étais effrayée moi-même par vos propos, qui n’était pas digne de notre république !
Espérons au moins que, cette inscription dans notre constitution, empêchera désormais toute mauvaise plaisanterie.
Monsieur le Ministre, il existe des sujets sur lesquels on ne plaisante pas !
De nombreux rapports remettent profondément en cause, notre système carcéral. Le dernier en date étant celui de l’ancien commissaire européen aux Droits de l’Homme, Gil Alvaro Roblès.
L’esprit des avocats de l’abolition tels que Voltaire, Hugo, Gambetta, Clemenceau et Jaurès, qui ont tracé notre chemin, verrait leur lutte encore inachevée.
Une pleine abolition passe obligatoirement par une profonde modification de notre droit pénal.
Par cohérence pour les valeurs humanistes que nous défendons, il convient donc d’interdire toute condamnation à perpétuité, les longues peines et les périodes de sûreté.
Nous ne voulons pas de peines incompressibles parce qu’après la punition, le condamné amendé doit retrouver sa liberté !
Nous croyons en l’humain, nous savons qu’il peut changer, nous sommes convaincus qu’aucune raison valable ne peut le condamner pour la vie, le condamner à une mort lente.
Aujourd’hui, nous prenons rendez-vous avec l’histoire.
Nous avons fait une grande partie du chemin, ce qui a été accompli avec courage par des personnes d’honneur, doit être salué et inscrit dans le marbre de notre Constitution.
La part de chemin qui reste parcourir, la part de l’œuvre qui reste à compléter, exige de nous, personnes responsables, de faire preuve de la même bravoure !
Je vous remercie.