Numerus clausus dans les prisons
12 ème législature
Question orale sans débat n° 0924S de Mme Christiane Demontès (Rhône - SOC)
publiée dans le JO Sénat du 02/02/2006 - page 241
Mme Christiane Demontès attire l’attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la surpopulation qui affecte l’ensemble des établissements pénitentiaires de notre pays. D’après une étude du CNRS, la densité carcérale en France au 1er décembre 2005 est de 59 241 prisonniers pour 51 195 places opérationnelles. Face à cette situation qui crée le désespoir des détenus et de leurs familles, et à l’initiative du fondateur de l’Observatoire international des prisons, une campagne intitulée « Trop c’est trop » a été récemment lancée. Elle vise à ce que le principe du numerus clausus en prison, d’une place pour un détenu, soit respecté. Aussi, elle lui demande quelle lecture et quelle analyse il fait du principe de numerus clausus et quelles dispositions il entend prendre pour maintenir la dignité des détenus.
Réponse du Ministère de la coopération, du développement et de la francophonie
publiée dans le JO Sénat du 22/02/2006 - page 700
Mme Christiane Demontès. D’après Pierre-Victor Tournier, directeur de recherche au CNRS, la « densité carcérale » en France au 1er février 2006 est de 59 248 prisonniers, dont plus de 20 000 en détention provisoire, pour un peu plus de 51 000 places opérationnelles. Le taux d’occupation moyen est donc de 115,8 %.
Cette surpopulation carcérale est sans précédent et concerne l’ensemble des établissements pénitentiaires de notre pays.
À Lyon, par exemple, la prison Saint-Paul-Saint-Joseph, appelée la « marmite du diable », compte à ce jour 838 détenus pour 364 places. Le récent rapport de M. Gil-Robles, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, est à cet égard on ne peut plus explicite. Le commissaire y dénonce « une surpopulation inhumaine et dégradante », relate avoir observé « des scènes choquantes », notamment à la prison de La Santé et aux Baumettes, qu’il n’a pas hésité à comparer aux prisons moldaves, et dresse « un douloureux constat » en raison d’une « surpopulation chronique qui prive un grand nombre de détenus de leurs droits élémentaires ».
Lors de la parution de ce rapport, la Ligue des droits de l’homme évoquait un « jour de honte », tandis que l’Observatoire international des prisons parlait d’« une claque pour le ministre de la justice ».
Face à une situation qui crée le désespoir des détenus et de leurs familles, et sur l’initiative du fondateur de l’Observatoire international des prisons, Bernard Bolze, une campagne intitulée « Trop, c’est trop » a été récemment lancée. Elle vise à ce que le principe du numerus clausus soit respecté en prison, soit une place pour un détenu. Des associations, la Ligue des droits de l’homme, ATD Quart Monde, la Cimade, le MRAP ou SOS-Racisme et de nombreux parlementaires de différentes familles politiques soutiennent cette campagne.
La politique menée par la majorité, notamment par l’actuel ministre de l’intérieur, est à l’origine d’une surpopulation carcérale aux conséquences inhumaines et indignes. Condamner ceux qui ont commis des délits est une obligation ; leur faire purger leur peine est également une obligation. Mais il faut donner à la prison les moyens de jouer aussi son rôle de réinsertion, envisager des peines alternatives à l’enfermement et les mises en liberté conditionnelle, réduire les durées de l’incarcération préventive.
Il faut aujourd’hui couper court aux faux procès. La promiscuité en prison ne concerne pas les grands criminels : la situation la plus intolérable est celle que vivent de petits délinquants qui s’entassent dans les maisons d’arrêt, où manquent aujourd’hui près de 8 000 places. Ce sont ceux qui sont les plus à même de se réinsérer qui sont les plus touchés par la surpopulation carcérale.
Caricaturer le numerus clausus, comme l’a fait le ministre de la justice, en se demandant s’il faut laisser dehors les responsables de crimes ou de délits, c’est afficher son mépris pour l’ensemble des détenus, les personnels pénitentiaires et tous ceux qui, bénévolement ou avec très peu - trop peu - de moyens, oeuvrent pour qu’un détenu reste un être humain.
Je souhaite savoir quelle lecture et quelle analyse fait M. le ministre de la justice du principe du numerus clausus et quelle réponse il compte apporter pour maintenir la dignité des détenus.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie. Madame la sénatrice, vous avez appelé l’attention du garde des sceaux sur la surpopulation qui affecte l’ensemble des établissements pénitentiaires de notre pays.
Il convient tout d’abord de rappeler que, contrairement à ce que l’on entend souvent, le nombre de détenus en France est comparable, parfois même inférieur, à celui d’autres pays européens tels la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne ou le Portugal.
La réponse au surencombrement et à la vétusté des établissements pénitentiaires passe par la construction de prisons modernes respectant la dignité des personnes et garantissant leur sécurité.
C’est regrettable pour vous, madame, mais on se doit de constater que seuls les gouvernements appartenant à l’actuelle majorité ont eu le courage de conduire une politique ambitieuse en ce domaine : je rappelle les programmes Chalandon - 13 000 places en 1986-, Méhaignerie - 4 000 places en 1994- et Perben - 13 200 places actuellement. Cette absence de continuité dans l’effort explique la situation que vous dénoncez.
Certains prétendent que le numerus clausus - qui interdirait, en cas de dépassement de la capacité des établissements pénitentiaires, d’incarcérer un délinquant placé en détention en application d’une décision de justice -, constitue une solution alternative crédible.
Comme tous les prédécesseurs de Pascal Clément, y compris ceux qui n’appartenaient pas à l’actuelle majorité - je pense notamment à Robert Badinter et à Élisabeth Guigou, qui se sont publiquement exprimés sur cette question -, on ne peut que douter de la pertinence d’une telle proposition. On constate d’ailleurs que ceux qui réclament l’instauration du numerus clausus, sans expliquer vraiment à nos concitoyens comment il pourrait fonctionner concrètement, ne l’ont pas institué lorsqu’ils étaient au pouvoir : s’ils ne l’ont pas fait, c’est que, ainsi que l’a souligné Robert Badinter, il restreint la liberté d’appréciation des magistrats.
Enfin, quelle serait cette conception du principe d’égalité qui permettrait que l’on incarcère en Bretagne et qu’on libère en Alsace, en fonction des places de détention disponibles, des personnes condamnées pour des faits similaires à la même peine d’emprisonnement ?
Développer des peines alternatives à l’incarcération et accroître des aménagements de peine prononcés de façon individualisée par les magistrats est nettement préférable à l’application d’un principe dont le caractère systématique et brutal ne pourrait que heurter nos concitoyens et nourrir leur incompréhension de la justice.
Le garde des sceaux souhaite rappeler à cet égard que les aménagements de peine prononcés par les magistrats de l’application des peines ont sensiblement augmenté puisqu’ils approchent les 20 000 en 2005, alors qu’ils stagnaient autour de 15 000 depuis dix ans.
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.
Mme Christiane Demontès. Madame la ministre déléguée, je ne vous ferai pas l’injure d’expliquer ici ce qu’est le numerus clausus : il ne s’agit bien évidemment pas, et je l’ai rappelé en formulant ma question, de faire en sorte que des personnes condamnées ne purgent pas leur peine et ne soient pas incarcérées ; il s’agit de libérer des places grâce aux réductions de peine. Si la sortie d’un détenu est prévue pour un lundi, est-il vraiment très grave qu’elle soit avancée au vendredi ?
Quant aux peines alternatives, je voudrais indiquer que les élus de l’agglomération lyonnaise ont écrit au procureur de la République pour l’informer que les places de travaux d’intérêt général qu’ils avaient proposées restaient inutilisées : tout le monde se mobilise, mais les juges de l’application des peines, par manque de moyens ou, oserai-je le penser, par indifférence, n’imaginent pas de quelle façon nous, élus, pouvons travailler sur l’alternative à l’incarcération et sur la libération conditionnelle.