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(2006) Saisine n°2006-112 sur abus dans le suivi de sa correspondance, refus de parloirs de M. M

Mise en ligne : 15 avril 2008

Texte de l'article :

Saisine n°2006-112

AVIS ET RECOMMANDATIONS
de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité

à la suite de sa saisine, le 19 octobre 2006, par M. Hubert HAENEL, sénateur du Haut-Rhin

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 19 octobre 2006, par M. Hubert HAENEL, sénateur du Haut-Rhin, de différents griefs soulevés par M. M. - abus dans le suivi de sa correspondance, refus de parloirs - au centre de détention de Toul, et de la décision de transfert du centre de détention de Toul vers la maison centrale d’Ensisheim, le 23 août 2006.
La Commission a demandé à M. le Garde des Sceaux une enquête de l’Inspection, dont les conclusions lui ont été transmises le 29 novembre 2006.
La Commission a entendu M. M. et M. L., directeur par intérim du centre de détention de Toul au moment du transfert de M. M.

> LES FAITS
Le 7 décembre 2004, M. M. était affecté au centre de détention (CD) de Toul. Avant d’être transféré à la maison centrale d’Ensisheim pour des raisons de sécurité le 23 août 2006, il aurait rencontré plusieurs difficultés, objets de la présente saisine.
Concernant sa correspondance
M. M. se plaint que de nombreux courriers qu’il avait adressés à des maisons d’édition ne seraient jamais arrivés à leur destinataire.
Plusieurs courriers qui lui avaient été adressés auraient circulé, décachetés, dans d’autres bâtiments. Ils auraient ainsi pu être lus par les personnes qui les avaient eus en main.
Concernant l’accès au parloir
Dès son arrivé à Toul, M. M. aurait fait une demande au service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) et écrit à M. F., visiteur de prison, afin de pouvoir le rencontrer. Pendant plusieurs mois, il n’aurait eu aucun retour. Alors qu’il avait croisé M. F. par hasard, en se rendant à l’infirmerie, ce dernier l’aurait informé qu’il était venu à plusieurs reprises et avait été très étonné d’apprendre par le personnel qu’il refusait de le rencontrer. M. M. aurait demandé des explications à la direction, qui ne lui aurait jamais répondu.
Les demandes de permis de visite pour une autre personne, M. D., avec lequel M. M. entretenait des relations professionnelles auraient été refusées, au motif qu’il était interdit de visite.
Concernant les revendications de M. M. auprès de la direction
M. M. s’était adressé à plusieurs reprises à la direction dans le but de faire part de ses revendications concernant principalement le prix des cantines et l’absence de promotions, les commandes de livres spécialisés, les délais d’acheminent des commandes, la disponibilité du pécule et le manque d’écoute de la part de la direction.
Le 23 août 2006, vers 8h30, M. M. avait été transféré du centre de détention de Toul à la maison centrale d’Ensisheim pour raisons d’ordre et de sécurité.
A son départ de Toul, toutes ses affaires avaient été réunies à la fouille. A son arrivée à Ensisheim, certaines de ses affaires personnelles auraient disparu.

> AVIS
Concernant la correspondance de M. M.
Aucun élément objectif et précis n’a été produit par M. M. à l’appui des griefs concernant ses courriers qui ne seraient jamais parvenus à leur destinataire.
L’article D.416 du Code de procédure pénal prévoit que « les lettres de tous les détenus, tant à l’arrivée qu’au départ, peuvent être lues aux fins de contrôle ». Il est cependant regrettable que des courriers décachetés puissent circuler au sein d’un établissement pénitentiaire, situation susceptible de porter atteinte à l’intimité des personnes détenues. Par une note du 9 août 2006, adressée au vaguemestre, le directeur par intérim, M. L., indiquait : « Dans un souci de respect de la vie privée des détenus, que les enveloppes des courriers lus et contrôlés soient agrafés ».
Concernant l’accès au parloir
Lors de son audition, M. L., directeur du CD de Toul par intérim, précisait que cette revendication n’apparaissait pas dans la liste que M. M. avait adressée à la direction. M. L. contestait les allégations de M. M. selon lesquelles il n’aurait pu rencontrer le visiteur de prison : M. F. et M. M. s’étaient rencontrés à plusieurs reprises. Il ajoutait que M. F., président d’une association d’aide à la réinsertion, n’avait jamais fait part d’entraves lors des parloirs qu’il avaient eus avec M. M. Il semble qu’aucune demande de permis de visite n’avait été formulée par M. D.
La Commission n’a pas constaté d’entraves dans l’accès aux parloirs.
Concernant le transfert de M. M.
Lors de son audition, M. L. indiquait que les revendications de M M., qu’il aurait présentées comme étant celles des « longues peines », avaient des effets néfastes au sein de l’établissement, créant des débuts de rumeur. M. M. se serait très rapidement positionné dans un rapport de force avec les membres du personnel. Il apparaissait comme un élément catalyseur. M. L. mettait également en avant le contexte particulier engendré par la disparition de la distinction entre centre de détention national et centre de détention régional, intervenue en septembre 2002, dont les effets - liés à la modification de la population prise en charge - étaient particulièrement ressentis en 2005-2006. De plus, la capacité théorique de l’établissement passait à cette époque de 380 places à 429 places. M. L. admettait cependant qu’il était difficile de présumer des suites qu’aurait pu engendrer la présence de M. M. à Toul et pensait qu’il ne ressentirait pas son transfert en maison centrale comme vexatoire.
Malgré les griefs de M. L. à l’encontre de M. M., ce dernier est décrit comme une personne calme entretenant des relations correctes avec les membres du personnel et avec ses codétenus. Il n’a jamais fait l’objet de sanctions disciplinaires depuis le début de son incarcération en mars 2001. M. M. a présenté plusieurs revendications sur un document écrit qui n’a été signé par aucun de ses codétenus, sans qu’apparaisse sur ce document l’éventualité d’un mouvement collectif. M. L. estimait cependant que M. M. présentait cette liste au nom des autres détenus condamnés à de longues peines. S’il est plausible que les revendications de M. M. soient reprises par ses codétenus, aucun élément ne permet de conclure qu’il était l’instigateur d’un mouvement collectif.
Au regard de la personnalité de M. M. et de son comportement en détention, la demande de transfert d’un centre de détention vers une maison centrale, pour des raisons d’ordre et de sécurité, n’était pas justifiée.
Le transfert de M. M. l’a éloigné du lieu d’habitation de ses deux filles, avec lesquelles il souhaite renouer un contact. Au CD de Toul, il travaillait à l’atelier de menuiserie ; depuis qu’il est à Ensisheim, il est demandeur d’emploi. A Toul, il occupait une cellule de 19 m2, avec eau chaude et sanitaire cloisonné ; à Ensisheim, il occupe une cellule de 8,85 m2, sans eau chaude et sans cloisonnement des sanitaires. En raison de son bon comportement à Toul, il était affecté dans une unité de vie dont les portes des cellules étaient ouvertes une grande partie de la journée, ce qui n’est pas le cas à Ensisheim. Enfin, son transfert l’a privé de certains aménagements de peines inhérents au régime des centres de détention, prévus à l’article D.97 du Code de procédure pénale.
Les maisons centrales et les centres de détention sont des établissements pour peines. Les maisons centrales et les quartiers maison centrale comportent une organisation et un régime de sécurité renforcé, dont les modalités internes permettent également de préserver et de développer les possibilités de réinsertion sociale des condamnés (article D.71 du Code de procédure pénale). Les centres de détention comportent un régime principalement orienté vers la réinsertion sociale et, le cas échéant, la préparation à la sortie des condamnés (article D.72 du Code de procédure pénale).
Le transfert de M. M. du centre de détention de Toul vers la maison centrale d’Ensisheim a entraîné une modification substantielle de son régime de détention.
Il est regrettable que les observations de M. M. n’aient pas été recueillies avant de décider de son transfert, alors qu’il ne représentait pas un risque imminent pour la sécurité du CD de Toul.
La Commission a pris connaissance des conclusions de l’Inspection des services pénitentiaires, selon lesquelles le directeur régional des services pénitentiaires de Strasbourg, sur la base des éléments recueillis par l’Inspection, et notamment les observations de M. M., accepte de reconsidérer sa situation, afin qu’il puisse être réaffecté dans un centre de détention.

> RECOMMANDATIONS
La Commission recommande qu’une circulaire soit adressée aux vaguemestres leur demandant de refermer les courriers contrôlés sur la base de l’article D.416 du Code de procédure pénale, pour des raisons de sécurité.
La Commission rappelle la règle 17.2, issue des Règles pénitentiaires européennes adoptées par le Conseil de l’Europe le 11 janvier 2006 : « La répartition doit aussi prendre en considération les exigences relatives à la poursuite et aux enquêtes pénales, à la sécurité et à la sûreté, ainsi que la nécessité d’offrir des régimes appropriés à tous les détenus. »
D’une manière générale, les décisions en ce domaine doivent être prises de façon à éviter toute contrainte inutile pour les détenus et leurs familles. Il importe particulièrement, lorsqu’il est fait usage de niveaux de sécurité dans le placement des détenus, d’utiliser les niveaux les moins restrictifs, car la détention dans les quartiers de haute sécurité se traduit souvent en pratique par des épreuves supplémentaires pour les détenus.
L’application de la règle 17.3 permettrait une affectation des personnes détenues dans des établissements appropriés à leur situation et à leur comportement : « Dans la mesure du possible les détenus doivent être consultés concernant leur répartition initiale et concernant chaque transfèrement ultérieur d’une prison à une autre. »
La Commission recommande que cette consultation ait lieu avant le placement ou le transfèrement des détenus. Si, par exception, des considérations de sûreté et de sécurité obligent à effectuer l’affectation ou le transfert avant la consultation des détenus, celle-ci doit avoir lieu ultérieurement, afin d’examiner la possibilité de revenir sur cette décision.

Adopté le 26 novembre 2007

Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé cet avis au garde des Sceaux, ministre de la Justice, dont la réponse n’est pas encore parvenue à la CNDS à la date d’édition du rapport.