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Date : 8-04-2008

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(2006) Saisine n°2006-58 sur des faits de violences à l’encontre de plusieurs détenus, dont MM. J.B. et S.G.

Mise en ligne : 18 avril 2008

Texte de l'article :

Saisine n°2006-58

AVIS ET RECOMMANDATIONS
de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité

à la suite de sa saisine, le 20 juin 2006,
par M. Maxime GREMETZ, député de la Somme

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 20 juin 2006, par M. Maxime GREMETZ, député de la Somme, sur des faits de violences qui auraient été commises en août 2005 à la maison d’arrêt d’Amiens à l’encontre de plusieurs détenus, dont MM. J.B. et S.G., à la suite d’un refus de remonter de promenade.
La Commission a demandé le 28 juin 2006 au garde des Sceaux de faire diligenter une enquête par l’Inspection des services pénitentiaires, enquête dont le résultat lui a été communiqué le 6 septembre 2006. Elle a visionné l’enregistrement audiovisuel de l’intervention des ERIS lors du mouvement collectif à la maison d’arrêt d’Amiens le 2 août 2005.
Elle a entendu les détenus ou anciens détenus : MM. S.G., J.B. et T.M., M. S.S. directeur régional des services pénitentiaires, M. C., premier surveillant, M. D.D., surveillant principal, M. M., lieutenant.

> LES FAITS
Le 2 août 2005, à la suite du décès après pendaison d’un jeune détenu de la maison d’arrêt d’Amiens, les quatre-vingt-seize détenus de l’établissement réunis lors du deuxième tour de promenade refusaient de remonter de la cour à 15h30. Trois d’entre eux, parmi lesquels se trouvait M. S.G., parlementaient avec des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire pour obtenir qu’une collecte soit organisée en faveur de la famille de la victime. Ayant obtenu satisfaction, les détenus réintégraient leurs cellules, M. S.G. quittant la cour le dernier, vers 16h45.
En raison de l’agitation des autres détenus, la directrice de l’établissement estimait ne pas devoir supprimer le troisième tour de promenade, qui débutait à 17h00 pour se terminer en principe à 18h00. A l’heure dite, quarante-huit détenus refusaient de quitter la cour et, malgré des tentatives de négociation, se regroupaient et se saisissaient d’armes par destination (morceaux de béton présents dans la cour en restructuration, manches à balais et fourchettes jetés par les co-détenus).
Il était alors fait appel aux forces de police et aux ERIS, qui intervenaient vers 21h30. Malgré une pluie de projectiles lancés depuis les fenêtres, ils parvenaient à regrouper les détenus dans un coin de la cour, puis les évacuaient un par un après les avoir entravés et fouillés. Le personnel de l’établissement était chargé d’accompagner les réintégrations dans les cellules.
Deux incidents devaient suivre ce mouvement collectif.
Le premier concernait M. J.B., détenu à la cellule 220 C en compagnie de M. T.M. Victime de maux de tête, il frappait à la porte vers minuit pour obtenir un calmant. M. D.D., surveillant principal, qui était en train d’assurer la ronde de contrôle de fermeture, se présentait à l’œilleton et, constatant qu’une housse de matelas masquait la fenêtre, lui demandait de l’enlever. Si M. J.B. a affirmé à la Commission qu’il a immédiatement obtempéré, MM. D.D. et C. ont indiqué que M. D.D. avait dû pénétrer dans la cellule, ouverte par le premier surveillant C., pour l’enlever. Toujours est-il qu’au moment où M. D.D. s’apprêtait à sortir, M. J.B., qui, selon ses dires, avait perçu une forte odeur d’alcool lors de l’entrée du
surveillant dans sa cellule, l’interpellait en des termes arrogants, lui reprochant d’avoir bu.
M. D.D. se retournait et lui portait des coups, cinq ou six coups de poing selon M. J.B. et M. T.M. témoin des faits, deux gifles selon les deux surveillants présents. Ces faits n’étaient pas signalés à la hiérarchie.
Le second incident concernait M. S.G. Transféré le 4 août 2005 au centre pénitentiaire de Longuenesse, il comparaissait le 12 août devant la commission de discipline de cet établissement pour participation à une action collective de nature à compromettre gravement la sécurité de l’établissement. Sur la base d’un rapport d’incident dressé par le personnel pénitentiaire de la maison d’arrêt d’Amiens, il lui était plus précisément reproché d’avoir « volontairement participé à un mouvement collectif en refusant de réintégrer [sa] cellule de la cour de promenade où [il] se trouvait, l’intervention des ERIS et de l’ensemble de personnels de l’établissement [ayant] été nécessaire à [sa] réintégration vers 22h00 ». Bien qu’il ait précisé à l’audience qu’il faisait partie du deuxième tour de promenade et non du troisième, M. S.G. se voyait infliger une peine de cellule disciplinaire pendant trente jours, dont quinze jours avec sursis. Son recours hiérarchique était ensuite rejeté.

> AVIS
Sur l’intervention des ERIS et des forces de l’ordre
La Commission a visionné l’enregistrement audiovisuel effectué lors de l’intervention des ERIS et des forces de l’ordre pour mettre fin au refus de réintégration des détenus dans la cour de la maison d’arrêt d’Amiens.
Les images prises attestent du respect par les forces de sécurité, agissant sous les insultes et sous une pluie continue de projectiles jetés depuis les fenêtres, des dispositions de l’article D.283-5 alinéa 2 du Code de procédure pénale. Aucune violence, aucun traitement dégradant ou atteinte à la dignité inutile n’apparaît avoir été commis lorsque les détenus récalcitrants ont été séparés, entravés, palpés, puis reconduits vers l’intérieur de l’établissement.
Sur les coups portés à M. J.B.
Tout en les minimisant, M. D.D. a reconnu les violences illégitimes commises sur M. J.B.
Etant de service de 6h45 à 13h00, puis en principe de 18h45 au lendemain matin, il avait dû rejoindre son service dès 15h45, à la suite du refus des détenus de remonter dans le calme dans leurs cellules. Il a expliqué son comportement par la fatigue accumulée ce jour-là. En l’absence de toute situation de légitime défense, son geste n’est pas admissible et il aurait dû réagir aux propos outrageants du détenu par un signalement à la direction.
Quant à M. C., premier surveillant, il a également reconnu devant la Commission qu’il aurait dû établir immédiatement un rapport d’incident à l’attention de sa hiérarchie.
La Commission note avec satisfaction qu’à la suite de l’enquête de l’Inspection technique de l’administration pénitentiaire, diligentée à sa demande, les deux surveillants ont été légitimement poursuivis puis sanctionnés disciplinairement.
Sur le déroulement de la procédure disciplinaire visant M. S.G.
La Commission relève que de nombreux dysfonctionnements ont émaillé la procédure disciplinaire ouverte contre M. S.G.
En premier lieu, le compte-rendu d’incident initial, dont les termes ont été reproduits plus haut, contient à l’évidence de nombreuses erreurs qui témoignent d’une inattention regrettable portée à chacun de ses termes :
- il évoque tout d’abord un « incident survenu le 4 août 2005 à 17h38 », ce qui ne correspond nullement à la date et à l’heure des faits relatés ;
- il est d’ailleurs transmis par fax au centre pénitentiaire le 4 août 2005, mais à 17h11, ce qui rend encore plus surprenante la mention horaire susvisée ;
- il contient ensuite des reproches factuels erronés : s’il est vrai que M. S.G. a refusé dans un premier temps de réintégrer sa cellule, en compagnie de plusieurs autres détenus, participant ainsi effectivement à une manifestation collective troublant l’ordre et la sécurité de l’établissement qui pouvait être sanctionnée disciplinairement, son refus d’obtempérer a cessé spontanément vers 16h45 et non 22h00, sans que l’intervention des ERIS ne soit nécessaire à cet instant ;
- enfin, le rapport indique avoir été rédigé par M. M., ce qui est également faux. La Commission a entendu le lieutenant M., qui, s’il se trouvait présent ce jour-là dans l’établissement, était affecté à d’autres tâches. Il n’a à aucun moment été confronté au détenu S.G., et n’a donc pas rédigé ce rapport, précisant à la Commission que le logiciel utilisé pour la rédaction de semblables comptes-rendus permettait de porter n’importe quel nom dans la case réservée à l’identification de l’auteur du rapport.
Lorsqu’à l’audience disciplinaire, M. S.G. a contesté avoir fait partie du troisième tour de promenade, aucune vérification n’a été opérée par le directeur adjoint du centre pénitentiaire de Longuenesse, président de la commission de discipline. Un appel téléphonique à la maison d’arrêt d’Amiens aurait permis de vérifier le numéro de cellule du détenu poursuivi et, partant, sa participation ou non aux faits qui lui étaient précisément reprochés.
Enfin, l’instruction du recours hiérarchique formulé par M. S.G., avec indication de son numéro de cellule, n’a pas non plus abouti à corriger la relation erronée des faits ayant servi de support à la sanction disciplinaire. Entendu par la Commission, M. S.S, à l’époque directeur régional des services pénitentiaires de Lille, a expliqué que les recours hiérarchiques sont reçus et instruits par l’unité de droit pénitentiaire du département sécurité et détention de la direction régionale, qui communique à l’établissement pénitentiaire l’objet de la contestation et reçoit ses observations en retour. Ce service rédige ensuite le projet de décision d’admission ou de rejet du recours qu’il soumet à la signature du directeur régional, lequel ne consulte les pièces du dossier que lorsqu’il doute de la solution proposée.
En l’espèce, si une télécopie a bien été envoyée à la maison d’arrêt d’Amiens au vu de la contestation émise par M. S.G. sur sa présence dans la cour de promenade lors de l’intervention des ERIS, la maison d’arrêt d’Amiens a simplement confirmé par téléphone que ce détenu se trouvait bien dans la liste des personnes ayant refusé de réintégrer leur cellule, ce qui ne répondait pas à la question précisément posée par le recours.

> RECOMMANDATIONS
C’est pourquoi la Commission souhaite que l’attention des directeurs et directeurs régionaux des services pénitentiaires soit appelée sur l’importance que peut revêtir une sanction disciplinaire injustifiée prononcée contre un détenu et susceptible d’entraîner un retrait de réduction de peine.
Il leur appartient notamment de rappeler aux personnels placés sous leurs ordres l’importance de la précision et de l’exactitude factuelle des comptes-rendus d’incident, qui doivent être rédigés et signés par les fonctionnaires qui ont personnellement procédé aux constatations.
En qualité de président de la commission de discipline ou d’autorité hiérarchique, ils doivent veiller à ce que le caractère probant des contestations présentées soit vérifié, tout particulièrement lorsque le détenu a été transféré entre-temps dans un autre établissement.
En présence d’une contestation factuelle aisément vérifiable, il paraîtrait également opportun que l’instruction préparatoire des audiences disciplinaires et des décisions d’admission ou de rejet des recours donne systématiquement lieu à des échanges écrits conservés au dossier.

Adopté le 5 novembre 2007

Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé cet avis à au garde des Sceaux, ministre de la Justice, dont la réponse a été la suivante :