Laurent JACQUA
Maison Centrale de Poissy
17 Rue Abbaye
78300 POISSY
La guillotine carcérale. silence on meurt...
Épisode 3
Retour à la case prison
Fin août 1990...
Ce matin-là, je me réveillai tard et après m’être préparé sommairement, je me décidai à aller chercher une baguette.
En cette période d’été, j’étais au "chômage technique". Presque tous mes potes étaient en vacances. J’attendais septembre, pour remettre quelques affaires en route.
Cette inactivité passagère me sauva...
En effet, cela faisait une dizaine de jours qu’ "ils "étaient là à épier mes moindres faits et gestes. Ils attendaient un "flag "ou une belle association de malfaiteurs.
Après une surveillance infructueuse, ils décidèrent mon arrestation.
J’avais pris l’ascenseur, comme à mon habitude. J’adressai un sourire poli à ma concierge pour qui j’étais quelqu’un de sérieux. Il faut dire que, le plus souvent, j’étais habillé en costume et que mes horaires correspondaient à ceux des bureaux.
En arrivant sur la place, au bas de l’immeuble, je constatai la tranquillité du lieu et m’en étonnai un peu : d’habitude c’était bondé.
Ce jour-là, il n’y avait qu’un drôle de type à l’arrêt du bus, avec un boléro en cuir, puis un autre, un peu plus loin et... soudain, une angoisse monta en moi.
Celui au boléro avait tourné la tête dans ma direction. Les détecteurs étaient à présent en alerte rouge, cela sentait le traquenard. Il fallait se tirer.
Police = prison. L’équation était implacable.
Sans courir, mais d’un pas décidé, je changeai subitement de direction, tentant de foncer vers une galerie marchande où j’espérais échapper à mes poursuivants. C’est en arrivant à l’angle d’une boutique qu’un gros flic planqué se jeta sur moi, en criant "police".
Il me ceintura et me fit tomber avec lui. Ayant les mains libres, je lui assenai des coups afin de me dégager. Mais ils furent bientôt sept ou huit à me maîtriser.
L’un deux me mit un coup de crosse. C’était fini. Je me retrouvai allongé, menotté, à terre, la tête enflée.
Durant la perquisition, ils trouvèrent diverses choses : un fusil à pompe, une mallette avec une fausse bombe, de faux papiers, etc.
Ma garde à vue ne dura pas très longtemps. Malgré leur bluff, je m’étais vite rendu compte qu’ils n’avaient pas beaucoup d’éléments pour m’accrocher sérieusement. Ce qui renforça mon silence.
Cela ne les empêcha pas de me reprocher un vol avec arme, qui était sans importance.
Au terme de la garde à vue, je fus emmené au dépôt de la Cité, à Paris, où je subis le circuit infernal de l’identité judiciaire, photos, empreintes, etc.
Puis je fus présenté à un juge qui m’inculpa de vol à main armée, avec un mandat de dépôt criminel.
J’étais quand même inquiet malgré l’ignorance des autorités sur mes activités réelles car, une fois au "piège", les commissions rogatoires peuvent, avec les enquêtes qu’elles suscitent, déboucher sur des complicités ou affaires.
Le silence était de rigueur.
Le retour à la case prison m’avait mis un sale coup au moral. Comment m’avaient-ils retrouvé ?
Je l’ai su plus tard ! C’était un toxicomane qui avait donné l’information. Un type que j’avais rencontré par hasard près de chez moi et que j’avais connu en détention.
Il me savait dans les affaires et lors d’un contrôle, il s’était fait choper avec de l’héroïne, pour s’en sortir il m’avait donné aux flics en racontant que j’étais un braqueur.
Je fus incarcéré à la prison de Fresnes. Départ d’une nouvelle aventure carcérale.
À mon arrivée, on m’emmena directement au mitard, pour une période de 45 jours : sanction disciplinaire pour les faits d’évasion.
L’heure de l’addition avait sonné. On ne provoque pas l’autorité impunément !
Fresnes, prison d’un autre âge. L’une des plus dures sur le plan disciplinaire. Je me retrouvais au mitard, en quelque sorte la prison de la prison. Un cachot immonde, royaume du silence et de la pénitence. Gare aux troublions, les coups y sont aisément distribués. Et si cela ne suffit pas, c’est à poil, arrosé à la lance d’incendie, que l’on est calmé. Une fois qu’ils y ont goûté, les candidats à la récidive ne sont plus nombreux.
C’est au sein de ces geôles que l’on apprend à endurer la dure réalité du "non droit". C’est le royaume de l’arbitraire, où vos droits ne sont tolérés qu’au minimum, voire pas du tout. Cela au bon vouloir d’une administration pénitentiaire souveraine et omnipotente.
Citoyens à la conscience endormie, philosophes de la libre pensée, intellectuels et débatteurs de salon, peuple naïf dont la candeur m’étonnera toujours, venez goûter à vos prisons, à vos cachots, comme instruction civique !
Venez-y passer seulement vingt-quatre heures et méditez sur les mensonges dont on vous abreuve. Vos principes, vos idéaux s’écrouleront d’eux-mêmes et que vous restera-t-il ?
Un mois et demi sans voir le jour. Plus de vingt-trois heures de cellule avec seulement une demi-heure de promenade par jour.
Je venais d’arriver, donc je ne possédais que les vêtements que je portais lors de mon arrestation : un tee-shirt, un jean, des sous-vêtements et une paire de baskets étaient mes seules richesses. Je subissais la punition du cachot, dans le dénuement le plus complet. Pas d’argent donc pas de cantine, pas de papier à écrire, d’enveloppe ni de timbres pour prévenir quelqu’un, pas de cigarettes, pas même un stylo.
Si l’on ajoute à cela les conditions de détention, c’est l’enfer. Pas de montre, pas le droit de s’allonger durant la journée. De toute manière, le matelas et le couchage nous étaient retirés le matin. Lever à six heures. Isolement total.
Une seule douche par semaine. Absence totale de nouvelles de l’extérieur. Même les miroirs sont interdits. Au bout de quelques temps, on finit par oublier le visage que l’on a. On est placé dans une oubliette vétuste. Nourri au minimum. Sans repères. Coupé du monde, dans une cellule, silencieuse et nue.
Le désespoir venait de temps en temps m’assaillir dans cette solitude extrême, mais je devais tenir, ne pas céder, ne pas faillir. Il fallait à nouveau se redresser et combattre. Ce n’était pas facile dans de telles conditions de vie, mais je n’avais pas d’autre choix.
Au terme de cette épreuve, j’avais perdu huit kilos. J’étais affaibli à cause des carences alimentaires.
C’était, là encore, des méthodes pour casser le détenu. Tortures exercées sans vergogne !
Je devais remonter la pente, avec ma volonté et une haine plus tenace encore.
Au terme des 45 jours de cachot, je pus rejoindre la détention, et quelle ne fut pas ma surprise en y retrouvant l’ami qui m’avait si bien parrainé.
Il s’était fait "cravater "pour le hold-up d’un diamantaire et avait été incarcéré à Fresnes, un mois après ma propre arrestation.
On décida, bien entendu, de se mettre ensemble en cellule, histoire de se la faire un peu mieux.
Être en cellule avec quelqu’un que l’on connaît rend la détention un peu plus supportable.
C’est ainsi qu’en ce début d’année 1991, on pu se faire à la télé la guerre du Golfe en direct. Une nouvelle guerre mondiale sur petit écran à la limite du jeu vidéo.
Parfois le poste de télévision restait allumé en permanence. On passait des nuits blanches à suivre les événements et à se demander : à quand un Skud tombant sur les murs de notre prison...
C’était une drôle d’ambiance électrique. Avec un arrière goût d’apocalypse cathodique.
Au bout de sept mois, les commissions rogatoires étant revenues sans résultat probant, mon affaire descendit en correctionnelle. L’on ne me reprochait plus qu’un vol avec violence et la cavale.
Je passai en jugement en juin 1991 pour le vol avec violence. Le procureur demanda cinq années d’emprisonnement.
C’était, là encore, une peine disproportionnée. Après mes explications et un délibéré assez rapide, on m’infligea une peine de dix-huit mois. J’étais plus ou moins soulagé.
En septembre, je passais pour le non retour de permission, je fus condamné à une peine d’un an. J’avais écopé de deux ans et demi au total. Cela, ajouté à un reliquat de peine d’une trentaine de mois, cela arrondissait ma peine à environ cinq ans fermes. Une durée non négligeable compte tenu de mon état de santé.
Il me fallait une fois de plus résister aux années !
Je repris le sport d’endurance pour affronter cette nouvelle épreuve en espérant ne pas y rester comme un rat pris au piège.
Mouvements
Cela faisait dix-huit mois que j’étais incarcéré à Fresnes. Niveau santé, ça pouvait aller, mais moralement, ça allait moins fort car j’en avais assez de cette maison d’arrêt d’un autre age. J’étais condamné définitif depuis assez longtemps pour pouvoir être transféré en C.D. Mais il y avait une véritable mauvaise volonté de la part de l’administration pénitentiaire pour me constituer un dossier de transfert vers un établissement mieux adapté.
À plusieurs reprises, je demandai une audience à ce propos avec le directeur de ma division, mais rien n’y faisait. Il semblait clair que je devais subir le régime maison d’arrêt. Façon de me punir, encore et toujours.
Mon associé et collègue de cellule quant à lui avait été transféré dans une autre prison.
À l’époque, nous étions à trois en cellule et il me fallait en constituer une nouvelle avec des codétenus ayant des atomes crochus avec moi.
Après quelques semaines de galère, je réussis à constituer une ambiance acceptable. La détention devenait un peu moins pénible. Mais franchement, le cœur n’y était plus.
Fresnes me ressortait par les yeux et l’idée d’y terminer ma peine m’était de plus en plus insupportable.
Je décidai donc d’agir en montant une action ayant pour but mon transfert disciplinaire.
L’occasion se présenta en ce mois de mars 1992.
Le prétexte fut l’envoi abusif d’un codétenu au mitard.
Suite à cela, avec quelques autres, on organisa un mouvement de protestation. Il nous fallait débattre de la nature de ce mouvement. Fallait-il qu’il soit pacifique ou non ? La majorité opta pour une action pacifique.
Personnellement, je n’y étais pas favorable. Je préférais que cela soit plus dur, considérant que de toute façon, niveau répression, le tarif serait le même.
Parfois les mots et le dialogue ne suffisent plus pour dénoncer nos conditions de détention ou l’abus des sanctions.
C’est pourquoi j’ai toujours prôné l’action dure et militante.
En plus, secrètement, j’espérais être transféré et quitter Fresnes pour n’importe quelle autre maison d’arrêt.
C’est donc à l’issue d’une séance de sport que l’on informa le moniteur de notre intention de ne pas regagner nos cellules. Parmi nous, certains n’étaient pas très chauds et décidèrent de rentrer. Si bien que nous n’étions plus que 27 sur le terrain de sport, attendant la smala pénitentiaire.
Gradés et directeurs furent présents au bout de dix minutes.
Le dispositif de sécurité au sein de la détention était déclenché : blocage des mouvements, évacuation des civils, fermeture des cellules et surveillants en état d’alerte.
Le directeur, visiblement tendu, nous demanda de bien vouloir nous expliquer sur l’origine de ce mouvement. Plusieurs d’entre nous avaient pris la parole, en expliquant nos motivations et nos doléances. Moi, je me tenais à l’écart et écoutais. Bien entendu, le directeur nous fit comprendre qu’il ne céderait jamais aux pressions et que la seule solution pour un éventuel examen de nos demandes était la réintégration des cellules et l’arrêt immédiat de tout mouvement de protestation.
Il quitta le terrain, suivi de ses gradés, nous laissant un ultimatum de dix minutes de réflexion.
Parmi nous, une majorité commençait à pencher pour un arrêt du mouvement, prétextant que l’action était suffisante.
Je ne voyais pas la chose sous cet angle et la discussion était vive. L’ultimatum était une vieille astuce de l’administration pour briser l’élan d’un mouvement ou diviser les meneurs.
Déjà, j’avais décidé d’intervenir et d’agir en conséquence. C’est au bout d’un quart d’heure qu’on les vit réapparaître.
- Alors, qu’avez-vous décidé ?
Je fendis le groupe et tentai d’attraper par sa cravate le directeur qui, effrayé, eut juste le temps de reculer.
Mon geste sema la panique dans la délégation pénitentiaire.
- Tu peux les appeler, tes mobiles, on ne remonte pas. Tirez-vous !
Le moins que l’on puisse dire, c’est que j’avais cassé l’ambiance des négociations, mais au moins, plus personne ne pouvait faire machine arrière.
La majorité d’indécis n’avait plus le choix. Les autorités avaient déserté le terrain de sport, comme une volée de moineaux.
On me fit remarquer que mon intervention avait été un peu brutale. Je m’expliquai, estimant que de toute façon il y aurait eu sanction. Alors, autant faire durer le mouvement le plus longtemps possible. On finit par m’approuver. Nous décidâmes de faire un "sit-in "en attendant l’arrivée des gardes mobiles.
C’est au bout d’une heure ou deux qu’ils firent leur apparition. Je demandai autour de moi si l’on pouvait poursuivre en montant sur les toits. On me lança quelques observations d’après lesquelles j’exagérais. Cela signifiait la fin du mouvement.
À la majorité, on décida de négocier une remontée sans violence. Cela fut accordé. Nous devions remonter en file indienne. Les couloirs et coursives étaient bondés d’uniformes, c’en était impressionnant. Le moindre geste inconsidéré et c’était le lynchage. Au lieu de nous diriger vers nos cellules respectives, on nous plaça en cellule d’attente. Je ne me faisais pas d’illusions quant à mon sort. J’allais payer pour avoir défié le directeur. J’avais de bonnes raisons de penser que mon séjour au mitard était largement envisagé par celui-ci.
Comme prévu, je fis partie des sept meneurs amenés manu militari aux cachots.
Après un passage symbolique au prétoire où je ne vis pas l’intérêt de m’expliquer, j’écopai de 45 jours. Même tarif pour mes compagnons d’infortune. Mais à ma grande satisfaction, nous étions tous transférés le soir même dans différentes prisons de la région parisienne.
C’est ainsi que je pris la direction de Bois-d’Arcy.
Mon plan avait fonctionné.
La différence est telle entre Fresnes et Bois-d’Arcy que cela en devient perceptible même au mitard. Car, bien entendu, mon transfert ne changeait rien à la sentence prononcée de 45 jours de cachot.
Le mitard est toujours une épreuve, mais j’avoue que cela fut moins éprouvant qu’à Fresnes.
Après ma sortie, avec quelques kilos en moins, on me plaça à l’isolement où j’entamai une lutte incessante pour être transféré au plus tôt dans un établissement pour peine.
Après moult tracasseries et freins de l’administration, j’obtins, grâce à ma persévérance, mon départ, début juillet 1992, pour le centre de détention de Châteaudun.
Cela faisait pas mal d’années que je n’avais pas eu de remise de peine pour bonne conduite, et pour cause, je n’avais pas cessé de militer et d’être de toutes les actions afin d’améliorer nos conditions de vie, nos dignités, et peut-être aussi pour montrer que j’étais encore vivant face à un système qui désespérait de ne pas me voir mort ou en passe de l’être.
Ma fin de peine se rapprochait. Sur le papier (au greffe), il me restait deux années à faire, mais en jouant avec les grâces présidentielles du 14 juillet, je pouvais espérer une sortie courant 1993.
Ma santé était plutôt bonne et rien ne m’empêcherait de sortir. L’espoir renaissait. J’avais encore la force de tenir la distance. J’étais dans ma septième année de détention et j’avais tenu malgré les conditions difficiles et parfois inhumaines.
C.D de Châteaudun
Châteaudun fait partie de ces prisons dites "du plan 13 000", construites à la fin des années 1980 pour atténuer la surpopulation pénale.
Prison de la parano sécuritaire. Totalement informatisée. Surveillance et sécurité électronique. Gérée par ordinateurs, détecteurs au sol, caméras vidéos omniprésentes, etc.
À notre arrivée, nous était distribuée une carte magnétique, permettant les mouvements en détention. Il suffisait de la passer dans un boîtier pour obtenir l’ouverture d’une grille. Mais cela donnait aussi instantanément notre position géographique, au sein de la prison. Malgré l’inhumanité du lieu, on y était mieux qu’en maison d’arrêt.
Nous pouvions bénéficier du régime de centre de détention : c’est-à-dire portes des cellules ouvertes durant la journée, avec accès libre à différentes activités sportives et culturelles, téléphone, promenades un peu plus longues.
Je profitais de ces conditions de détention plus douces pour entamer des démarches afin de tenter une nouvelle conditionnelle et des permissions. J’avais décidé de préparer ma sortie mais les choses allaient en être autrement...
Durant cet été 1992, j’eus une petite altercation avec un surveillant, ce qui me valut 20 jours de mitard. Sanction disproportionnée par rapport aux faits. J’y voyais là une véritable intention de mettre à mal mes projets de réinsertion. Puis peu de temps après cet incident, il y eut une grève des surveillants.
Toutes nos occupations étaient stoppées jusqu’à nouvel ordre. Nous étions tous cantonnés dans nos cellules et sans promenade.
Un jour passa, puis deux... On commençait sérieusement à s’agiter. Réclamant promenades et parloirs. C’était au moins le minimum ! Mais la grève semblait s’éterniser et rien ne nous laissait penser que cela allait s’arranger.
Nos conditions devenaient intenables, enfermés depuis quatre jours, sans sortir et en plus avec la chaleur la situation était de plus en plus invivable. La tension monta de plus en plus.
En s’appelant au travers des portes, avec quelques détenus, on décida de monter un mouvement de protestation en entamant une grève de la faim. On réussit à bloquer nos portes de cellules grâce à des brosses à dents, faisant office de cales, bien placées près de la serrure. Cela interdisait toute ouverture par les surveillants. En plus, on obstrua les œilletons. Ils ne pouvaient ni ouvrir, ni nous voir. C’était notre façon de lutter, de protester.
L’action se généralisa à toute la détention, comme une traînée de poudre.
Après une semaine, toujours otages de la grève, on saccagea totalement nos cellules. Les dégâts furent importants et la tension était à son paroxysme.
Le mouvement des surveillants finit par s’essouffler et on nous informa que notre situation allait s’améliorer.
Notre action de blocage des portes, obstruction des œilletons, grève de la faim, durait depuis plus de dix jours et ne prendrait fin qu’après un retour à la normale de nos conditions de détention.
Un matin, mon attention fut attirée par un bruit inhabituel, il se passait quelque chose d’anormal dans le couloir.
Des bruits de machines-outils se faisaient entendre, puis d’ouverture de portes de cellules, de bousculades violentes... Soudain, une gerbe d’étincelles jaillit au niveau de ma serrure. Ils sciaient le pêne à la meule...
La porte s’ouvrit violemment et quatre mobiles, matraque à la main, firent irruptions dans ma cellule.
Après m’avoir maîtrisé avec quelques coups de bâton, ils m’entravèrent les pieds et les mains avec des chaînes.
Avec une dizaine d’autres ainsi ligotés, je fus emmené dans un fourgon cellulaire, direction... Fresnes !
Je revenais au point de départ, tel un arrivant, démuni de tout. Je n’avais même pas un slip de rechange ou un savon. Je faisais une fois de plus partie des fortes têtes, qu’il fallait briser.
Fresnes ! Après le souvenir que j’y avais laissé, je n’espérais pas être accueilli avec les honneurs. Le directeur, dont la cravate m’avait un temps intéressé, me réceptionna personnellement dans son bureau, le sourire aux lèvres :
- Maintenant que vous êtes à nouveau parmi nous, on va vous soigner !
Le message était clair ! Ils n’allaient pas me faire de cadeaux ! On me plaça dans une cellule détériorée et infecte. Mes affaires personnelles mirent un temps fou à me parvenir.
C’était une façon de me pourrir la vie...
Je devais à tout prix être transféré, car mes conditions de détention ne s’amélioreraient pas.
Je décidai d’entamer une série d’actions ainsi que d’envoyer de nombreux courriers à la direction régionale et au ministère afin de quitter Fresnes, et de demander un rapprochement familial sur la prison d’Osny, dans le Val d’Oise.
Grâce à mon insistance incessante, je finis par être transféré au bout de deux mois de calvaire...
Les petits murs de Berlin
La maison d’arrêt d’Osny est aussi une prison du type "plan 13 000". Peu de temps après mon arrivé, je fus le témoin d’un drame qui me marqua profondément.
Un matin alors que je n’étais pas descendu en promenade, je me mis à la fenêtre, buvant un café et fumant une cigarette.
La vue donnait sur les cours de promenades et plus loin sur le mur d’enceinte. Il était environ 10 h30 lorsque tout à coup je vis un groupe de cinq détenus courir dans le chemin de ronde, transportant une échelle de fabrication artisanale (ils s’étaient servi des montants de lit qu’ils avaient démontés et assemblés les uns aux autres) et une corde de draps noués munie d’un grappin. C’était une tentative d’évasion.
Les gars avaient, à l’aide d’outils, pu passer les barbelés des promenades. Un complice leur avait fait descendre l’échelle par une fenêtre.
J’agrippai les barreaux à deux mains espérant qu’ils réussissent à passer.
Ils placèrent l’échelle contre le mur puis lancèrent le grappin qui s’accrocha du premier coup.
Dans la promenade, un attroupement de détenus criait des encouragements. Un coup de feu retentit, c’était les miradors.
Un premier gars monta sur l’échelle et réussi à atteindre le haut du mur. Il sauta de l’autre côté en un éclair.
Le deuxième et le troisième réussirent aussi avec succès ce saut vers la liberté. Les miradors faisaient feu plus intensément. Je vis le quatrième monter sur les premiers barreaux de l’échelle, mais arrivé à mi-hauteur, il se plia violemment et tomba à terre. Il venait d’être touché par une balle... Il était allongé se tenant le ventre.
Le cinquième détenu candidat à l’évasion s’approcha de lui, tentant de le tirer dans un angle mort à l’abri des balles. Celui qui était blessé lui indiqua par des signes de tenter sa chance. Il se releva, laissant son compagnon agoniser. Après une dernière poignée de main fraternelle, il grimpa sur l’échelle.
Je pouvais voir les impacts des tirs taper dans le mur, tout autour de lui. À un moment, il s’arrêta, tétanisé sans doute par la peur et le stress. Puis il reprit son ascension péniblement.
Des surveillants arrivèrent en courant et c’est au moment où il était presque parvenu au sommet du mur qu’un surveillant fit tomber l’échelle d’un coup de pied, ce qui entraîna la chute du détenu qui fut aussitôt maîtrisé par les matons.
Quelques minutes plus tard, des infirmiers arrivèrent sur place munis d’un brancard pour emmener le blessé...
Sur cinq, trois avaient réussi leur évasion.
Plus tard, on apprit la mort de celui qui avait été touché, juste avant son arrivé à l’hôpital.
Je restai consterné face au drame qui venait d’avoir lieu sous mes yeux. Comment pouvait-on tirer ainsi sur des hommes désarmés ?
Oui, ils tentaient de s’évader et alors !?
Est-ce une raison suffisante ?
A-t-on le droit de condamner un homme à mort parce qu’il lutte pour sa liberté ?
Je songe à ceux tués pour avoir tenté de franchir le mur de Berlin. On en a fait des héros ! Des martyrs de la Liberté !
Est-ce là la grandeur d’une démocratie celle du pays des droits de l’homme, quand on sait qu’autour de chaque prison française, il existe ces petits "murs de Berlin "où des détenus périssent abattus comme des chiens ?
On nous dit que c’est au nom des lois, du droit.
Rien ne justifie la mort d’un homme qui fuit l’oppression.
Que l’on médite sur la mort de cet homme assassiné pour avoir voulu être libre.
Nous arrivions à la fin de cette éprouvante année 1992... J’avais hâte d’attaquer l’année 1993, celle qui verrait ma libération.
À cette époque, je ne savais quelle direction allait prendre ma vie. J’avais pas mal souffert durant ces dernières années et cela m’avait un peu usé.
Me replonger dans les affaires louches n’était pas dans mes intentions. Je voulais faire le point, souffler un peu, me reposer de ces huit années de détention.
Je devais calmer l’incendie de ma vie et maîtriser un peu mon destin. Je me devais de réussir cette nouvelle entrée dans la société. Je pensais sincèrement trouver un moyen de me réinsérer, de trouver un équilibre...
Laurent JACQUA
"Le blogueur de l’ombre"
ljacqua@yahoo.fr