A PROPOS DE LA PETITION :
HÔPITAUX-PRISONS : LE REMEDE SERA PIRE QUE LE MAL
Il n’est pas trop tard pour suspendre le projet de création des UHSA
Cet article comporte deux parties. Dans la première, vous trouverez le texte de la pétition qui resitue le contexte des UHSA et développe l’argumentaire des rédacteurs. La deuxième partie est constituée de l’analyse de Socapsyleg. Les réactions des lecteurs pourront être publiées dans les prochains numéros s’ils le souhaitent.
HÔPITAUX-PRISONS : LE REMÈDE SERA PIRE QUE LE MAL
Il n’est pas trop tard pour suspendre le projet de création des UHSA
En signant la pétition : http://gdubret.club.fr/psy/petition.html
Les services de psychiatrie générale sont en grande difficulté pour prendre en charge les malades difficiles et violents (fermeture des lits, baisse de la démographie médicale, réduction des effectifs). Faute de structures de soins adaptées, l’hôpital laisse à la rue ces sujets jusqu’à ce que leurs symptômes les fassent basculer dans la criminalité ou la délinquance et les amènent en prison. La prison, devint alors l’ultime institution, capable de les recevoir. Elle prend le relais de l’asile pour devenir le lieu de la relégation psychiatrique.
Un projet surdimensionné et coûteux
Face à cette arrivée massive de détenus souffrant de troubles psychiatriques, force est de constater que, malgré les efforts des équipes, les soins dispensés en prison par les SMPR [1] et les secteurs rattachés aux UCSA [2] sont notoirement insuffisants. Lorsque ces malades incarcérés présentent des épisodes de décompensation aigus, l’article D-398 du CPP précise qu’ils ne doivent pas être maintenus en milieu pénitentiaire. Mais les services de secteur ont les plus grandes difficultés pour assurer correctement les hospitalisations d’office de ces détenus. Leur dotation en personnel est insuffisante. Ils n’ont jamais été conçus pour prévenir les risques d’évasion. En l’absence de conditions de soins sécurisées, ces situations sont source de danger. Quant aux UMD [3], leurs capacités d’accueil totalement insuffisantes sont constamment saturées.
Pour répondre à ces problèmes, la loi Perben II, votée en septembre 2002, instaure des Unités Hospitalières Spécialement Aménagées (UHSA). Il s’agit d’implanter dans l’enceinte des hôpitaux de nouvelles structures de soins sécurisées par l’administration pénitentiaire et réservées à l’hospitalisation des détenus présentant des troubles psychiatriques.
Dans le contexte actuel de fermeture des lits de psychiatrie, ce projet qui prévoit la création à terme de 700 lits pour une population de 60 000 détenus, est largement surdimensionné puisque les normes habituelles de l’offre publique de soin, dans les secteurs de psychiatrie générale, ne dépassent pas 25 à 30 lits pour 70 000 habitants.
Son coût (50 M€ en investissement et 100 M€ par an en fonctionnement) va geler durablement toute possibilité de création nouvelle, alors même qu’il ne répond pas aux besoins de sécurité des services de psychiatrie de secteur face à la violence des patients « non détenus ».
Un projet ambigu au regard de l’éthique
L’ouverture des UHSA ne fera que favoriser et entretenir la confusion entre maladie mentale et criminalité. En renforçant la psychiatrisation des prisons et en transformant l’hôpital en lieu du soin carcéral, ces nouvelles structures instrumentalisent la psychiatrie à des fins répressives sans permettre à l’hôpital public d’améliorer ses missions de soin et de prévention pour l’ensemble de la population.
Un hôpital ne peut pas être une prison, pas plus qu’une prison ne peut être un hôpital. Pour la simple raison que les détenus purgent une peine à laquelle ils ont été condamnés et que les malades reçoivent les soins imposés par leur pathologie.
Lorsque les détenus sont malades, ils doivent pouvoir recevoir des soins dans des unités dont la sécurité procède du soin (comme cela se passe dans les UMD) et non d’une surveillance pénitentiaire.
Lorsque l’état dangereux est le symptôme d’une maladie mentale, le soin sous contrainte relève de la seule responsabilité médicale hospitalière qui ne doit pas dépendre d’une sécurité périphérique pénitentiaire.
Quant aux malades dangereux et violents, il est préférable qu’une réponse soignante sécurisée puisse être organisée dans des structures médicales adaptées, avant qu’un passage à l’acte dramatique ne risque de les amener en prison.
Un formidable effort dans la mauvaise direction
Le projet UHSA se présente donc comme un formidable effort dans la mauvaise direction. Des solutions moins coûteuses, plus pertinentes et plus éthiques existent, qui permettraient d’éviter en amont à l’incarcération des malades mentaux. À côté des unités d’hospitalisation psychiatrique classiques, il doit exister des unités intersectorielles de soins intensifs fermées, parfaitement sécurisées, bénéficiant d’une architecture adaptée et d’une dotation en personnel répondant aux normes des UMD.
Ainsi, l’important budget prévu pour les UHSA, convenablement redéployé, permettrait de suppléer aux 400 places d’UMD notoirement insuffisantes. Il suffirait que les unités prévues soient totalement indépendantes de l’administration pénitentiaire et qu’elles puissent recevoir dans de bonnes conditions de qualité, de sécurité et de proximité, tous les patients, détenus ou non, présentant un état dangereux et pour lesquels les services de secteur ne sont pas suffisamment contenants.
À l’inverse, l’ouverture de 700 lits d’UHSA réservés aux seuls détenus n’inscrira aucun lit sécurisé supplémentaire dans l’offre générale de soins de la psychiatrie publique. Elle maintiendra les psychiatres dans leur impossibilité à prendre en charge les états dangereux et la violence des malades difficiles. Ceux-là, à court ou moyen terme, se retrouveront en prison.
Le consensus affiché en faveur du projet UHSA est un consensus hétéroclite qui procède le plus souvent d’analyses divergentes qu’il conviendrait d’analyser. Il en est encore temps. Pour notre part, nous sommes convaincus que l’ouverture de ces hôpitaux prisons pervertira pour des décennies l’exercice des soins psychiatriques en milieu carcéral et, au-delà, l’équilibre fragile entre responsabilité et irresponsabilité pénale. C’est l’éthique des soins sans consentement et de la psychiatrie en milieu carcéral qui est menacée.
Nous vous proposons de nous rejoindre en alertant les pouvoirs publics, en diffusant cet argumentaire et... en signant la pétition :
Dr Gérard DUBRET (chef de service de Psychiatrie,Centre Hospitalier René Dubos, 95301 - Pontoise)
Dr Luc MASSARDIER (PH, SMPR Paris-La Santé)
Dr Philippe CARRIÈRE (PH, ancien chef de service SMPR)