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KAMO Société Caraïbéenne de Psychiatrie et de Psychologie Légales

2007 N°4 KAMO : Les commissions pluridisciplinaires des mesures de sûreté

Mise en ligne : 1er août 2007

Dernière modification : 6 avril 2008

Texte de l'article :

LES COMMISSIONS PLURIDISCIPLINAIRES
DES MESURES DE SÛRETE

La commission spéciale ou le comité d’experts dans le débat

Dans la partie du débat relative à la délinquance, Ségolène Royal (SR) a évoqué une commission spéciale à propos de la délinquance sexuelle en ces termes : « Sur la question de l délinquance sexuelle, qui vous en conviendrez avec moi n’a rien de génétique, je crois qu’il faut aller plus loin. Il faut aller plus loin. Je demande que les pédophiles, en particulier, ne soient pas relâchés tant que la commission spéciale qui aurait dû être mise en place dans les prisons n’a pas formellement dit par expertise qu’ils sont désormais non nocifs. Aujourd’hui, il y a des délinquants sexuels qui sont relâchés parce qu’ils n’ont pas eu les soins en prison, les soins que pourtant la loi prévoit. Donc, je crois que l’urgence dans ce domaine, c’est que les soins soient donnés dans la prison. C’est ensuite que ces délinquants ne soient relâchés que lorsque la garantie qu’ils ne peuvent pas recommencer est donnée par le comité d’experts qui doit siéger dans les prisons... ». La suite du discours de la candidate concerne les multirécidivistes et la délinquance des mineurs mais le propos consiste ici à se cantonner à la dite commission. Ce bref passage aborde plusieurs problématiques essentielles qui nécessiteraient à elles seules de longs développement, notamment les particularités des soins en prison et la croyance implicite en la guérison d’une présupposée maladie sexuelle. Quel que soit le caractère répréhensible des actes des délinquants sexuels, remarquons également un choix non anodin des mots employés « relâchés ». Tout délinquant ou criminel sexuels soient-ils, ils n’en restent pas moins des êtres humains et non des bêtes fauves. On libère des personnes détenues, on ne les relâche pas. Le pronostic et le savoir des experts sont également deux sujets essentiels qui concernent directement les missions de la commission évoquée qu’il convient maintenant d’exposer.

Quid de cette commission ?

La dénomination de la commission est restée floue dans les propos de SR : commission spéciale d’abord, puis comité d’experts ensuite et qui siègeraient dans les prisons. SR fait allusion aux « commissions pluridisciplinaires des mesures de sûreté » créés par la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales élaborée et voulue par NS mais dont le fonctionment devait être précisé par décret, non paru au moment du débat.
Pour comprendre l’objectif de ces commissions que l’on peut subodorer, il faut s’appuyer sur différents travaux, dont notamment le rapport Garraud, paru en 2006, qui propose même des réformes de ces commissions avant même leur installation (Préconisation n° 15, cf. Tableau cidessous).

Préconisation n°15 : Créer des « commissions pluridisciplinaires d’évaluation de la dangerosité » chargées, sur réquisitions judiciaires, de donner un avis sur la dangerosité d’un mis en examen ou d’un condamné. Ces structures pourraient intervenir, soit de manière obligatoire, soit de manière facultative, selon la gravité des faits, aussi bien au stade de l’instruction du dossier, qu’au stade de l’exécution de la peine.

La genèse du concept de ces commissions est intéressante à reprendre car elle illustre le tâtonnement des pouvoirs publics qui semblent gouverner par empilage, par passages à l’acte successifs sans élaboration sur le long terme (Le texte qui suit est issu d’une communication aux 18èmes journées nationales des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire et Unités pour Malades Difficiles, La Rochelle, novembre 2006, intitulée : « Vingt après : vers un changement de paradigme des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire confrontés à l’emprise sécuritaire », M. David et B. Parra).

Un drame en trois actes (pour l’instant)

1. Premier acte  : Les équipes de ressources interrégionales d’évaluation de la dangerosité (Commission Santé-Justice, dite Burgelin juillet 2005)
La commission santé-justice suggère la création d’équipes ressources interrégionales (proposition n°11).

Objectifs :
1) Evaluation de la dangerosité de manière pluridisciplinaire afin « de prévenir la réitération et la récidive par la mise en commun des savoirs ».
2) Initier et développer la recherche et la formation pluridisciplinaires en matière d’évaluation de la dangerosité en lien avec les universités, l’INSERM etc.

Saisine : Par l’autorité judiciaire pour évaluer la dangerosité d’auteurs d’infractions pénales

Composition :
1) Experts sanitaires
2) Experts sociaux
3) Experts administratifs
4) Magistrats
5) Membres de l’administration pénitentiaire

Fonctionnement : Les membres de la commission ne devront jamais évaluer une personne dont ils ont eu à connaître la situation dans leurs fonctions usuelles.

2. Deuxième acte : La commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté (Loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales)
La commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté apparaît à l’article 13 de la loi du 12 décembre 2005 pour être insérée à l’article 723-32 du Code de procédure pénale afin de donner un avis nécessaire au juge d’application des peines pour qu’il puisse prendre une décision de placement sous surveillance électronique mobile tout en considérant la dangerosité de l’intéressé.
Les références à cette commission pour le moins succinctes dans la loi ne permettent guère d’en comprendre le fonctionnement dans le détail si ce n’est de complexifier une procédure. En effet, le JAP doit demander un an au moins avant la date prévue de libération d’une personne condamnée au placement sous surveillance électronique mobile un « examen destiné à évaluer sa dangerosité et à mesurer le risque de commission d’une nouvelle infraction ». Cet examen est mis en oeuvre par le JAP après avis de ladite commission (article 763-10 CPP).
La composition de la commission n’est pas prévue dans la loi. Le Garde des sceaux avait souhaité que sa composition soit fixée par décret, car relevant de la compétence du pouvoir réglementaire.
Ce n’est que dans la proposition de loi qu’on trouve une suggestion de composition :
1) Un juge du siège désigné par le premier président de la Cour d’appel faisant fonction de président de la commission ;
2) Le préfet de région, préfet de la zone de défense ou de son représentant ;
3) Le commandant de la région de gendarmerie ou de son représentant :
4) Le directeur régional de l’administration pénitentiaire ;
5) Le directeur de service d’insertion et de probation ;
6) Un médecin coordonnateur ;
7) Un psychologue titulaire d’un D.E.S.S. de psychologie ;
8) Un responsable des associations nationales d’aide aux victimes.

L’ensemble de ces intervenants devrait agir de concert pour faire l’évaluation conjointe de la dangerosité éventuelle d’un condamné tout en répondant à trois exigences (selon le rapport Garraud) :
1) Réunir des « experts » ou des « sachants » ayant une expérience dans le domaine de l’évaluation de la dangerosité ou, à tout le moins, dans le suivi et la prise en charge des individus présentant une dangerosité criminologique ;
2) Rendre possible des échanges pluridisciplinaires ;
3) Permettre une évaluation la plus impartiale possible de la dangerosité de la personne.

Le détail du fonctionnement de la commission n’est pas explicité. Si on réfléchit avec un esprit concret, de nombreuses questions apparaissent. Dans la proposition plus précise d’extension de ces commissions par le rapport Garraud, ces détails et difficultés apparaîtront clairement. On notera toutefois que les médecins coordonnateurs (probablement ceux de la loi de 1998) se trouvaient enrôlés dans de nouvelles fonctions.

3. Troisième acte : Les commissions pluridisciplinaires d’évaluation de la dangerosité (Rapport Garraud « Réponses à la dangerosité », octobre 2006)
Le rapport Garraud propose de créer des commissions pluridisciplinaires d’évaluation de la dangerosité qui regrouperait les missions des équipes de ressources interrégionales proposées par la commission Burgelin et celles de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.

Objectifs :
1) Objectif essentiel : Poser un diagnostic sur l’état dangereux des criminels et sur l’évaluation de leur dangerosité potentielle
2) Objectif secondaire : Promouvoir le rôle et la place des experts et en recruter.

Saisine :
1) Sur réquisition judiciaire par le juge d’instruction, le juge d’application des peines ou le tribunal d’application des peines.
2) Uniquement après réalisation des expertises habituelles
3) Sur proposition des experts
4) Deuxième avis possible demandée à une autre commission par le magistrat, à son initiative ou à celle des parties
5) Saisine obligatoire dans les cas suivants :
a. Préalablement à une mesure de placement sous surveillance électronique mobile (cas prévus par la loi du 12 décembre 2005, précitée)
b. Préalablement à l’adoption d’une mesure d’aménagement de peine prononcée dans les cas suivants :
i. en cas de récidive prévue et réprimée par les articles 132-8 et 132-9, alinéa 1, du code pénal
ii. en matière de crime contre des mineurs
iii. en matière d’homicide volontaire aggravé au sens de l’article 221-4 du
code pénal
iv. en matière d’actes de torture et de barbarie (article 222-1 et suivants du code pénal)
v. lorsque la peine aménagée serait une peine de réclusion criminelle à perpétuité
c. Préalablement à l’adoption d’une mesure d’aménagement de peine, lorsque le rapport remis par l’équipe ressource saisie au cours de l’instruction aura fait mention de la nécessité d’un nouvel avis avant une remise en liberté éventuelle.
d. Préalablement au prononcé d’une mesure de « suivi de protection sociale » ou d’une mesure de sûreté en milieu fermé.
6) Saisine facultative :
a. En cas d’aménagements des autres peines de nature criminelle ou des détentions à temps de dix années.

Composition :
1) un expert psychiatre assurant la présidence de l’équipe
2) un expert psychologue ayant suivi une formation universitaire dans le domaine de la criminologie
3) un cadre de l’administration pénitentiaire
4) un magistrat honoraire ayant acquis une expérience particulière dans le domaine pénal
5) un agent des services pénitentiaires d’insertion et de probation
6) un représentant d’une association nationale d’aide aux victimes
7) un avocat, membre d’un conseil de l’Ordre

Pour être membres de la commission, il faudra être inscrit sur une liste nationale d’habilitation à partir de laquelle chaque cour d’appel y choisira ses membres pour trois ans renouvelables.

Mission :
1) Décrire l’état actuel et la dangerosité du condamné, compris principalement comme le risque d’un nouveau passage à l’acte criminel ou délictueux
2) Evaluation, autant qu’il soit possible, de l’évolution vraisemblable de cette dangerosité
3) Indiquer les mesures de nature judiciaire, médicale ou d’ordre psychologique qui pourraient permettre de limiter cette dangerosité

Fonctionnement :
1) Chaque commission ne peut étudier le cas d’un condamné que s’il a été jugé dans une autre cour d’appel. Aucun membre ne peut examiner une situation qu’il a eu à connaître dans ses fonctions usuelles
2) Possibilité d’auditionner la personne concernée et toutes autres personnes utiles
3) Audition systématique des personnes suivantes :
a. Experts psychiatres et psychologues ayant examiné la personne
b. Chef d’établissement pénitentiaire
c. Médecin responsable de l’établissement
4) Délai de trois mois pour rendre le rapport
5) Adoption des conclusions à la majorité avec voix prépondérante du président (l’expert psychiatre) en cas de partage.
6) Possibilité de consigner les opinions minoritaires dans le rapport (comme dans les cas de conclusions divergentes des rapports collégiaux d’expertise)
7) Matériellement, la commission dispose d’un secrétariat et ses membres doivent être indemnisés de manière satisfaisante.
8) Prévoir formation initiale et continue par les ministères de la justice et de la santé

Commentaires sur les objectifs et le fonctionnement de cette commission :
1) Utilisation d’une terminologie médicale concernant l’objectif essentiel : poser un diagnostic sur l’état dangereux
2) La commission doit se prononcer sur un sujet complexe non consensuel comme le note la première préconisation du rapport Garraud : « Développer une activité de recherche scientifiKamo que afin de définir les critères objectifs de dangerosité en distinguant la dangerosité criminologique de la dangerosité psychiatrique »
3) Encore une nouvelle loi comme le précise le rapport Garraud : « Cette évolution nécessiterait l’adoption d’une nouvelle loi, mais elle permettrait d’éviter que soient accumulées des structures similaires dans leur nature et dans leurs finalités » (en attendant une autre proposition qui ne manquerait pas d’annuler, reprendre, modifier, compléter, complexifier etc. la précédente)
4) Probables difficultés de fonctionnement pour réunir des professionnels déjà probablement surchargés
5) Comment organiser les diverses auditions en tenant compte des contraintes des uns et des autres
6) L’expert psychiatre, espèce déjà rare et surbooké, se voit confier la présidence d’une lourde commission
7) Probables organisations difficiles et conflictuelles pour les auditions des condamnés (le problème des escortes) et sur des régions autres que celles ou peut résider le condamné (et ne parlons pas du problème des DOM-ROM...)
8) Le peu de fiabilité des connaissances est bien exprimé par des conclusions soumises à un vote avec en plus la possibilité de consigner des opinions minoritaires. Cela permettra à certains ministres de repérer ceux qui ont fait le mauvais choix en cas de récidives....
Hormis ce point, on remarque la nécessité de cadrer au maximum une décision pour éviter les réactions (instrumentalisées) de l’opinion publique. La perplexité est grande sur la manière dont seront abordées et discutées ces situations dans ces commissions avec des professionnels d’horizons très divers (la pluriconfessionnalité a ses limites quand elle n’est pas élaborée en profondeur)
9) Le parapluie est ouvert aussi pour les experts qui peuvent proposer la saisine de la commission aux magistrats
10) Mépris du secret professionnel avec la demande d’audition du médecin de l’établissement. Ce point rencontrera probablement une très forte opposition des médecins exerçant en milieu carcéral
11) Grande lourdeur de la procédure. On peut s’attendre à des difficultés pour rendre les missions dans un délai de trois mois. Et le magistrat peut demander l’avis d’une deuxième commission (on n’en finit pas...)
12) Augmentation des frais de justice et de l’utilisation du temps des professionnels pour une mission discutable et à l’efficacité incertaine (sans compter qu’il faudra consacrer du temps aux formations dont les modalités de financements n’ont pas fini d’ouvrir à d’interminables discussions entre les ministères. Le financement de la formation des experts prévus par les réformes de 2004 n’est pas prévu, sans parler de la tarification des expertises)

Ces commissions sont des nouvelles usines à gaz, qui ont pour objet de prendre des décisions sur un sujet méconnu et qui ne semblent que satisfaire la présumée incapacité de l’opinion publique à accepter les aléas dramatiques et rares de l’existence humaine. N’oublions pas qu’il y a plus de morts par accidents de la voie publique, accidents domestiques, suicides, conduites addictives etc. que par l’action de quelques criminels dangereux. Quant au centre fermé de protection sociale, il suscite réprobation chez les soignants exerçant en prison.
Un mot quand même sur la mesure de protection sociale qui devrait être une mesure temporaire pour cadrer des situations de dangerosité qui ne pourraient l’être dans des cas particuliers que nous laissons l’assistance découvrir dans le rapport. Ce qui est remarquable dans le rapport. Ce qui est remarquable dans ce rapport, c’est l’argumentation avancée pour justifier la création de cette mesure : « Tel pourrait être notamment le cas d’une personne dont la dangerosité - à raison, par exemple, d’une réaction consécutive à l’enfermement - serait apparue ou se serait développée au cours de l’incarcération et qui, en raison du comportement découlant de cette dangerosité, se serait vu retirer le bénéfice des réductions de peine » (p. XXXV). Quel cynisme : un détenu réagit vivement à ses conditions d’incarcération, il fait l’objet de rapports d’incidents, se voit retirer ses crédits de réduction de peine et on lui inflige une mesure de surveillance post-pénale. Aveu sans retenue, impudique (cela en est même étonnant, déconcertant) de l’effet néfaste de la prison et de l’escalade infernale des mesures correctives, disciplinaires, de contrôle infini. Michel Foucault est toujours d’actualité.

En conclusion

Manifestement, la candidate de la gauche paraît en phase avec le candidat de la droite, regrettant que les mesures répressives prévues dans la loi du 12 décembre 2005 ne soit pas encore appliquées.
Il existe manifestement parmi la classe politique une profonde méconnaissance des soins en prison avec la conviction que tous les délinquants sexuels sont des malades qui relèvent de soins. Peut-être n’est qu’une conviction superficielle et qu’il se cache derrière ces annonces de réforme une autre conviction : le caractère foncièrement immuable d’un délinquant sexuel (ce que NS indique quand il parle de génétique). Etant donné que les professionnels seront de moins en moins enclins à prendre de risque, il convient de mettre en place une complexe procédure qui ne que pourra retarder le « relâchement » des intéressés. On trouve actuellement dans des expertises psychiatriques une formulation très sibylline pour exprimer l’embarras des professionnels sur la question de la récidive : « Le risque de récidive dans des circonstances semblables ne peut être écarté. Il n’existe toutefois pas de risque avéré de récidive ». On imagine que ces tournures alambiquées ne vont pas faciliter la tâche des juges d’application des peines.

La courte allusion dans le rapport Garraud à la présence au sein de la commission du « médecin responsable de l’établissement pénitentiaire », outre sa formulation étrange et imprécise, fait courir les plus grands risques pour le secret professionnel et l’efficacité des soins en prison (la méfiance des détenus est déjà la règle envers des soignants qui à force d’affirmer qu’ils sont indépendants de l’institution pénitentiaire et de la justice, ne peuvent qu’être considérés comme peu fiables). Cette proposition sans ambiguïtés confirme les tendances en cours au niveau des établissements pénitentiaires d’encourager un partenariat qui se veut loyal mais....
En fait, la construction de cet ensemble institutionnel est parfaitement cohérent, notamment sur le plan théorique, mais outre les critiques sur le fond, on a vu que le fonctionnement de ces commissions s’annonce extrêmement lourd avec un aboutissement ultime : les centres fermés de protection sociale, où l’on retiendra à vie si besoin, des sujets qui auront purgé leur peine mais pour lesquels les psychiatres, au savoir pourtant bien incertain, auront pronostiqué une récidive très probable.
Inquiétant. MD.