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Date : 9-04-2008

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(2007) Saisine n°2007-8 sur les conditions de mise à l’isolement de M. P.H

Mise en ligne : 17 avril 2008

Texte de l'article :

Saisine n°2007-8

AVIS ET RECOMMANDATIONS
de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité

à la suite de sa saisine, le 26 janvier 2007,
par M. Robert BADINTER, sénateur des Hauts-de-Seine

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 26 janvier 2007, par M. Robert BADINTER, sénateur des Hauts-de-Seine, des conditions dans lesquelles M. P.H., détenu à la maison centrale de Saint-Maur, a été mis à l’isolement, en juillet 2006.
La Commission a demandé à Mme le Garde des Sceaux une enquête de l’Inspection des services pénitentiaires.
La Commission a entendu M. P.H., détenu ; M. M.C., premier surveillant, M. D.K., directeur adjoint de la maison centrale de Saint-Maur ; et le Dr D.M., en fonction à l’UCSA de Saint-Maur.

> LES FAITS
M. P.H. a été condamné le 24 octobre 1986 à une peine de réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de 18 ans, expirée en 2001. Il est incarcéré à la maison centrale de Saint-Maur depuis août 2003. Reconnu handicapé à 80 % par la COTOREP, il est atteint de poly-pathologies notamment d’ordre cardiaque et diabétique.
Le dimanche 16 juillet 2006, il a demandé à l’agent d’étage l’intervention d’un médecin de garde car, après avoir subi des soins dentaires quelques jours auparavant, il souffrait de douleurs musculaires et des dents. Prévenu, M. M.C., premier surveillant, a appelé le SAMU (15) à 11h22, car s’agissant d’un week-end prolongé, il n’y avait plus de permanence médicale à la maison centrale, hors distribution des médicaments par une infirmière, le samedi matin. Le SAMU n’étant pas en mesure d’envoyer un médecin, il a proposé, si l’état du détenu s’aggravait, une extraction hospitalière.
Vers 12h00, M. M.C. a proposé cette mesure à M. P.H., qui, « connaissant les lenteurs d’une extraction », l’a refusée, en demandant à nouveau l’intervention d’un médecin pour lui procurer les calmants compatibles avec son état de santé et ses allergies. Toujours sujet à de violentes douleurs malgré les calmants oraux qu’il avait pris, il a rappelé le premier surveillant M.C., qui a contacté le SAMU une seconde fois à 15h46, en décrivant les douleurs dont se plaignait M. P.H. et son souhait de s’injecter un médicament en intramusculaire. Le SAMU a proposé à nouveau une extraction, refusée pour la seconde fois par M. P.H.
De la cabine intra-muros, M. P.H. a téléphoné alors à Mlle M.L., une amie infirmière qui fait partie de sa famille d’accueil (pour préparer sa réinsertion), et lui a demandé de téléphoner au SAMU, afin de vérifier sa situation. La rappelant quelques minutes plus tard, il a appris que le SAMU avait refusé toute information, lui suggérant de s’adresser directement à la centrale de Saint-Maur. M. P.H. a indiqué à la Commission qu’il avait averti M. M.C de son initiative et des réponses entre 19h30 et 19h40. Puis, étant auxiliaire d’étage, il a terminé son travail et réintégré sa cellule.
Le premier surveillant a de son côté quitté la maison centrale à 20h00, après avoir rédigé un rapport sur l’état de santé de M. P.H., ses propres interventions auprès du SAMU et les refus de M. P.H. d’être extrait. Ce document a été déposé dans le registre de permanence du week-end. Le capitaine de permanence, qui avait été oralement tenu informé de ces interventions au fil de l’eau en a pris connaissance dans la soirée, et il a de nouveau été évoqué au cours du briefing du lundi matin, a-t-il précisé devant la Commission.
M. P.H. ayant fait une syncope au cours de son repas en cellule, il a été rapidement secouru.
Appelé à 21h36, le SAMU a demandé l’extraction du détenu. Avec son accord, M. P.H. a été transporté aux urgences de l’hôpital de Châteauroux, où il a été admis à 22h33. Après avoir été soigné, le détenu a signé une décharge car, « en raison des conditions d’hospitalisation », il préférait retourner à la maison centrale.
Le lendemain, le lieutenant A. a signifié à M. P.H. sa mise à l’isolement, pour « avoir tenté, via sa famille, une extraction hospitalière, en vue de fomenter des troubles ».
Informé des évènements de la veille et ayant pris connaissance du rapport de l’hôpital, le Dr D.M. a rencontré M. P.H à l’infirmerie et a appris par lui qu’il avait été mis à l’isolement dès son retour de l’hôpital, sans son paquetage ni ses draps, ni son frigo qui lui permet de conserver ses médicaments. Compte tenu de la pathologie importante de M. P.H. et des conditions de détention à l’isolement - notamment l’absence de réfrigérateur permettant de conserver les médicaments dont il avait besoin -, le médecin a estimé devoir rédiger aussitôt un certificat médical indiquant : « L’état de santé de M. P.H. nécessite sa sortie de l’isolement ».
Dans la matinée du mercredi 19 juillet, M. P.H., assisté de son conseil, a comparu devant M. D.K., directeur adjoint de la maison centrale, pour le débat préalable à la mise à l’isolement prévu par l’article 24 de la loi du 12 avril 2000. Le directeur adjoint était en possession du certificat médical établi par le médecin et du rapport de M. M.C., premier surveillant.
M. D.K. a indiqué à la Commission que dès le 17 juillet, il avait fait part à la direction régionale de son souhait de voir M. P.H. transféré dans un autre établissement pour mesure d’ordre, « compte tenu du fait que l’on était arrivé au bout de toute discussion et solution avec lui ».
Depuis le 24 juillet 2006, M. P.H. est détenu à Fresnes.

> AVIS
Sur l’accès aux soins du détenu P.H.
M. P.H présente une polypathologie très complexe nécessitant une surveillance médicale régulière et la prise journalière de nombreux médicaments (cf. certificat médical UCSA Lannemezan daté de 2003). Il est reconnu handicapé à 80 % par la COTOREP.
Le dimanche 16 juillet 2006, lorsque le premier surveillant M.C. a appris, par l’agent d’étage, que M. P.H. se plaignait de douleurs musculaires et des dents, il s’est déplacé et a vu le détenu. Il a appelé le SAMU, qui lui a demandé de poser un certain nombre de questions à M. P.H., et des le rappeler en ayant ses réponses, le SAMU lui ayant précisé « qu’on ne pouvait pas envoyer une équipe sur place et qu’il faudrait l’extraire s’il n’allait pas mieux ».
M. M.C. a rendu compte au capitaine de permanence après avoir appelé le SAMU.
Vers 12h00, une extraction médicale a été proposée par M. M.C. à M. P.H. Celui-ci l’a refusée, en raison « de la lenteur de l’organisation des extractions », soulevant devant la Commission le problème de l’organisation des escortes nécessaires aux extractions.
Dans l’après-midi, M. M.C. a rappelé à nouveau le SAMU pour leur dire que M. P.H. se plaignait à nouveau et qu’il voulait un médicament à s’injecter lui-même. Il a une nouvelle fois proposé une extraction au détenu, qui l’a refusée.
Lorsqu’au cours de son dîner dans sa cellule, M. P.H. a fait un malaise, l’intervention des personnels a été rapide, le SAMU a été apellé à 21h36 et M. P.H. a été transporté aux urgences de l’hôpital de Châteauroux, où il a été admis à 22h33. C’est à sa demande qu’il a été reconduit à la maison centrale dans la nuit, après avoir signé une décharge.
La Commission estime que le premier surveillant M. M.C., qui s’est montré attentif aux plaintes de M. P.H. et lui a proposé, après deux contacts avec le SAMU, à deux reprises une extraction vers l’hôpital, a exercé son métier avec humanité et professionnalisme.
Sur la mise en isolement de M. P.H.
Le 17 juillet 2006, après sa courte hospitalisation dans la nuit, M. P.H. a appris par le lieutenant A. sa mise à l’isolement.
Entendu par la Commission, M. D.K., directeur adjoint, a d’abord souligné l’existence d’un contexte difficile dans la détention, antérieur au 16 juillet, du fait de la création d’un groupe de pression à caractère islamiste et d’incidents datant de juin 2006 auxquels M. P.H. avait pris part en prenant fait et cause pour un détenu musulman ou en laissant entendre à un enseignant qu’il valait mieux ne pas faire cours le lendemain en raison de tensions prévisibles dans la détention. Il a précisé qu’il avait été informé le 17 juillet au matin des incidents qui avaient eu lieu le 16, et notamment « des interventions de la famille pour obtenir l’extraction de M. P.H. ».
Remettant à la Commission le rapport rédigé par M. D., capitaine de permanence, rapport dans lequel l’officier notait : « Appel des urgences, la famille d’H. les aurait contactés pour s’assurer de son extraction », il a précisé que ces renseignements l’avaient amené à mettre M. P.H. à l’isolement, son expérience l’ayant rendu très sensible aux interventions faites par des tiers au moment des extractions hospitalières et qui « peuvent être à l’origine de projets d’évasion ». Il a cependant admis qu’il disposait du rapport du premier surveillant, M. M.C., lorsqu’il a pris cette décision.
Sans porter de jugement sur l’état de la détention et sur les incidents dont M. P.H. aurait pris l’initiative, la Commission rejette l’analyse du directeur adjoint lorsqu’il invoque, comme motif à la mise en isolement, l’intervention de la famille du détenu pour obtenir son extraction. En effet, le témoignage du premier surveillant M.C. est, en ce point, conforme à celui du détenu : par deux fois, le 16 juillet, celui-ci a refusé une extraction médicale. Le rapport rédigé par le capitaine D. de permanence confirme d’ailleurs ce double refus, précisant que M. P.H. avait au contraire insisté pour faire venir un médecin en détention.
L’ambiguïté de la phrase contenue dans ce rapport et indiquant que la famille aurait appelé le SAMU dans l’après-midi du 16 juillet « pour s’assurer de son extraction » aurait pu être levée en constatant que le sens qui lui était prêté, en termes de projet éventuel d’évasion, était contredit par l’attitude même du détenu refusant toute extraction puis signant une décharge pour revenir le plus tôt possible en détention.
La circulaire du 24 mai 2006, prise en application du décret n°2006-338 du 21 mars 2006, rappelle que « (...) la décision [d’isolement] doit procéder de raisons sérieuses et d’éléments objectifs et concordants permettant de redouter des incidents graves de la part du détenu ou dirigés contre lui ».
Si la réalité des incidents antérieurs imputés à M. P.H. ne peut être contestée, reste qu’ils n’ont pas paru suffisants par eux-mêmes pour justifier une mise à l’isolement. Dès lors que la décision initiale de prise d’une telle mesure reprochait de plus à M. P.H. d’avoir, « le 16 juillet 2006, obtenu une extraction médicale après que [sa] famille ait contacté le service des urgences, ce qui fait craindre un trouble à l’ordre public dans les locaux de l’hôpital », celle-ci était en réalité fondée sur un motif manifestement erroné.
La Commission note en outre que cette erreur initiale n’a pas été corrigée, alors qu’elle aurait pu l’être par un examen attentif des pièces produites, lors de l’instruction du recours hiérarchique par la direction régionale des services pénitentiaires de Paris.
Sur le respect du contradictoire lors du débat préalable à la mise à l’isolement de M. P.H. le 19 juillet 2006
M. P.H. a comparu devant M. D.K. et un observateur de la direction régionale, assisté de son conseil, Maître L., avocat commis d’office. Selon M. P.H., son conseil n’a pas été informé :
- de l’existence du certificat médical du 17 juillet du Dr D.M. ;
- du rapport du premier surveillant M.C.
Le directeur adjoint a indiqué à la Commission être certain que le certificat du Dr D.M. était en possession de M. P.H. En ce qui concerne le rapport de M. M.C., il n’avait pas estimé, compte tenu de la motivation de la mise en isolement, devoir le transmettre à l’avocat.
La Commission rappelle que, selon l’article R. 57-9-9 du Code de procédure pénale, « le détenu est en mesure de consulter les éléments de la procédure, en présence de son avocat (...) », et que, si l’administration pénitentiaire peut décider de ne pas communiquer au détenu, à son avocat ou au mandataire agréé les informations ou documents en sa possession, ce n’est que « lorsqu’ils contiennent des éléments pouvant porter atteinte à la sécurité des établissements pénitentiaires ou des personnes ».
La Commission estime que le certificat médical et le rapport du premier surveillant auraient dû être portés à la connaissance du détenu et de son conseil, et qu’en l’espèce ni le caractère contradictoire de la procédure, ni les droits de la défense n’ont été respectés.
Sur la prise compte d’un certificat médical lors d’une mise à l’isolement
Le Directeur adjoint a rappelé à la Commission que la mise à l’isolement n’est pas une mesure de sanction, à la différence de la mise en prévention au quartier disciplinaire, et qu’il n’est pas tenu, s’agissant d’une mise à l’isolement, de suivre l’avis du médecin. Il a estimé que la mesure ne pouvait porter préjudice au détenu, car compte tenu de son état de santé, M. P.H. faisait l’objet d’une attention soutenue. Il a précisé également qu’il n’avait pas connaissance du dossier médical de M. P.H., sachant seulement, de manière informelle, que celui-ci avait des problèmes cardiaques.
Questionné par la Commission sur l’absence de paquetage et surtout l’absence de réfrigérateur permettant de conserver des médicaments dans la cellule de M. P.H lorsqu’il fut mis à l’isolement, M. D.K. a répondu « Je suppose que cela a été réparé dans les heures qui ont suivi. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y avait pas de la part de qui que ce soit volonté de lui porter préjudice ».
Si l’administration n’est pas liée par l’avis médical, « elle doit cependant en tenir compte et rechercher d’éventuelles solutions d’aménagement de la mesure », selon les termes de la circulaire du 24 mai 2006. Cette prise en compte immédiate s’impose tout particulièrement pour les détenus présentant de lourdes pathologies, et il appartient à l’autorité ayant pris la décision d’isolement, d’y veiller personnellement.

> RECOMMANDATIONS
Comme lors de ses précédentes recommandations dans les saisines n°2005-61 en 2006 et 2006-66 en 2007, la Commission estime que les prescriptions médicales en matière de placement et de prolongation de l’isolement doivent être rigoureusement respectées par les chefs d’établissements.
La Commission demande à Mme le Garde des Sceaux de rappeler à la direction de la maison centrale de Saint-Maur ses obligations lors du débat contradictoire précédant une mise à l’isolement, l’ensemble des pièces devant, sauf exceptions prévues par les textes en vigueur, être porté à la connaissance du détenu et de son conseil.
Elle recommande enfin une plus grande attention portée à l’examen et à l’instruction des recours présentés par les détenus contre des décisions leur faisant grief.

Adopté le 5 novembre 2007

Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé cet avis au garde des Sceaux, ministre de la Justice, dont la réponse a été la suivante :