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(2008) Demontès Christiane sénatrice : Situation dans les établissements pénitentiaires pour mineurs

Mise en ligne : 18 avril 2008

Texte de l'article :

Compte rendu de la séance du mardi 25 mars 2008
Intervention de Mme Christiane DEMONTES- Sénatrice du Rhône

Madame la ministre,

Notre pays compte cinq établissements pénitentiaires pour mineurs, ou EPM, dans lesquels se trouvent 170 des quelque 800 mineurs actuellement incarcérés. Avec la nouvelle loi pénitentiaire, trois nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs devraient voir le jour, dont celui de Porcheville qui ouvrira ses portes le 20 avril prochain. Or, un événement dramatique est survenu voilà quelques semaines : un jeune homme âgé de seize ans, incarcéré à l’EPM de Meyzieu, dans le Rhône, a mis fin à ses jours ; il avait déjà tenté de se suicider quelque temps auparavant.
Face à ce drame, vous avez déclaré ceci, madame la ministre : « Cela ne remet pas en cause ces établissements. » Parlant ainsi, vous vous placez dans la droite ligne de vos prédécesseurs qui, tout comme vous, ont vanté la création de ces établissements.
Aux dires de votre majorité, les EPM, dotés d’un nombre important de personnels éducatifs et pénitentiaires, offrant des activités permanentes et obligatoires, disposant de locaux modernes et d’une organisation de vie collective calquée sur celle qui se mène dans les foyers éducatifs, devaient quasiment faire oublier aux jeunes la réalité de leur incarcération. Or, il n’en est rien.
Différentes alertes vous ont été adressées par les personnels de ces établissements. Elles concernent, d’abord, les manques d’effectifs en personnels, tant en personnel pénitentiaire qu’en personnel de la protection judiciaire de la jeunesse, ensuite, l’écart constaté entre, d’une part, vos discours et ceux de vos prédécesseurs et, d’autre part, la réalité à laquelle les personnels sont confrontés au quotidien, enfin, les ambiguïtés ou les paradoxes qu’il serait temps de prendre en compte.
Contrairement aux dires de votre prédécesseur, M. Pascal Clément, les EPM ne sont pas des lycées entourés de murs. Non, les EPM ne sont ni des foyers ni de simples classes de lycées entourés de murs ! Loin d’être des lieux a priori adaptés aux nouvelles formes de délinquance, ce sont des lieux d’enfermement, des prisons pour mineurs, avec tout ce que cela peut produire ou amplifier dans le comportement de ces derniers.
Ainsi, comment ne pas évoquer la déjà trop longue liste d’incidents qui vont des insultes aux actes de violence, en passant par les tentatives d’incendie et les évasions ? Cette réalité, dégradée par des moyens et des effectifs notoirement insuffisants, a découragé nombre de personnels. Certains ont déjà démissionné, d’autres souhaitent être mutés.
Bien évidemment, nous sommes convaincus que chaque acte de délinquance doit recevoir une réponse adaptée et proportionnée, qui ne peut être la systématisation de l’enfermement. La prison - c’est bien ainsi qu’il convient d’appeler les EPM - ne saurait constituer la seule réponse éducative à donner à des adolescents qui, lorsqu’ils commettent des actes de délinquance, se mettent eux-mêmes en danger, comme ils peuvent mettre en danger chacun d’entre nous.
La prison, nous le savons tous, est une réponse tragiquement inadaptée pour les mineurs. Elle ne permet pas à elle seule la mise en oeuvre de mesures éducatives. De plus, l’enfermement peut accentuer de manière dramatique les troubles du comportement et ne constitue en aucun cas un remède efficace contre la récidive.
Forte de ce constat et considérant que tout détenu est voué à retrouver la société des femmes et des hommes libres, je vous demande quelles dispositions vous comptez prendre pour qu’une véritable réflexion sur les EPM, leur finalité, leur fonctionnement et leur devenir soit rapidement menée.

M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.

Madame le sénateur,

Le suicide d’un adolescent de seize ans est un drame qui ne laisse personne indifférent. C’est la raison pour laquelle je me suis rendue à Meyzieu dès le lendemain, 9 février, où j’ai immédiatement convenu de mesures d’accompagnement des jeunes détenus de l’établissement avec l’aide de psychologues. C’est la première mesure que j’ai prise.

Comme vous le savez, cet établissement, ouvert depuis juin 2007, doit apporter une réponse adaptée à un certain type de délinquance. Les établissements pour mineurs, conçus pour accueillir jusqu’à soixante jeunes de treize à dix-huit ans, sont organisés en pôles éducatifs, sportifs et de santé et en unités d’hébergement de petite taille pour favoriser la vie en collectivité.

Le concept des EPM respecte les préconisations des règles pénitentiaires européennes adoptées par la France en janvier 2006. Les EPM répondent au principe de séparation stricte des adultes et des mineurs détenus. Ils permettent une véritable priorité de l’éducatif dans la prise en charge de ses mineurs.

Dans ce contexte, les jeunes détenus sont encadrés par une équipe pluridisciplinaire, spécialement formée, composée de personnels de l’administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la santé.

En plein régime, chaque établissement s’appuiera sur une équipe de 120 personnes.

L’emploi du temps des jeunes détenus est personnalisé pour tenir compte de leurs besoins et de leurs difficultés particulières. Ils suivent chaque semaine des heures d’enseignement général et technique, ainsi que des activités socioculturelles et sportives.

Après ce drame, il est indispensable de prendre le recul nécessaire, d’échanger avec les différents acteurs dans un climat apaisé et de soutenir l’ensemble des personnels de l’établissement.

Je ne souhaite pas remettre en cause, comme vous l’avez dit, madame le sénateur, les nouvelles structures, non plus que le travail considérable accompli par les intervenants. La situation des personnels a été prise en compte.

Dès ce mois de mars, six éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse ont intégré ces structures, lesquelles seront renforcées en avril par l’arrivée de personnels pénitentiaires.

Au niveau central, la direction de l’administration pénitentiaire et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse ont mis en place un dispositif d’appui et de conseil pour suivre l’ouverture des structures et pour proposer les ajustements nécessaires afin d’optimiser la prise en charge des mineurs détenus.

Je pense que ce dispositif sera à même de pallier les difficultés qui ont pu se présenter.

Enfin, je vous assure que je suis personnellement les enquêtes judiciaires et administratives en cours qui doivent déterminer les circonstances du décès de ce jeune détenu.

M. le président.
La parole est à Mme Christiane Demontès.

Mme Christiane Demontès.

Il faut bien sûr savoir prendre du recul par rapport à ce type de drame.
Au-delà, l’ouverture des EPM doit se faire progressivement et de manière à permettre aux différents acteurs de travailler ensemble. À cet égard, l’une des difficultés rencontrées actuellement par ces établissements me paraît tenir à une nouveauté, à savoir la collaboration obligatoire entre les personnels de l’administration pénitentiaire et ceux de la protection judiciaire de la jeunesse.

J’ai bien entendu, madame la ministre, vos propos sur l’extrême importance de cet accompagnement. Néanmoins, je voudrais insister aussi sur le problème budgétaire auquel est confrontée la protection judiciaire de la jeunesse du fait de la diminution de 30 % des crédits éducatifs. Or, comment mettre en oeuvre le volet éducatif sans les moyens nécessaires ?

Peut-être aurons-nous l’occasion d’en reparler plus tard, mais je voudrais dès aujourd’hui attirer votre attention sur les dangers des vases communicants : il ne faudrait pas que les moyens supplémentaires consacrés à ces établissements viennent en déduction des moyens finançant les autres objectifs de la protection judiciaire de la jeunesse, tout particulièrement la prévention de la délinquance par un suivi et un accompagnement des jeunes.