2ème Chambre
Audience du 3 décembre 2002 à 14 h
Ref 2002/08684
A Mesdames Messieurs les Président et Conseillers composant la Chambre d’Instruction près la Cour d’Appel de Paris.
MEMOIRE
POUR : Monsieur Alain Solé, actuellement détenu à la Maison d’arrêt de
Nanterre
Isabelle COUTANT PEYRE,
Avocat à la Cour d’Appel de Paris
215 bis, Boulevard Saint Germain 75007 Paris
Tel. n° 01.42.22.84.95 - Fax n° 01.42.22.16.69
CONTRE : Ministère Public
1 - Demande d’audience publique
Monsieur Alain Solé comparant personnellement demande que les débats se déroulent en audience publique, en application de l’article 199 du Code de procédure pénale.
Aucune des exceptions énumérées par l’article 199, au principe du caractère public des débats, ne s’applique à l’occasion de l’appel examiné par la Chambre d’instruction.
L’audience publique constitue l’une des garanties essentielles de la défense et du caractère impartial et équitable des débats, en particulier lorsqu’il s’agit de procédures politiques comme c’est le cas de celle qui concerne Alain Solé.
Il sera donc fait droit à cette demande de publicité des débats, comme ce fut le cas lors de précédentes audiences ayant le même objet.
II - Sur le bien fondé de la demande de mise en liberté
Alain Solé est un prisonnier politique.
Il est emprisonné " provisoirement " depuis le 9 octobre 1999, soit depuis plus de trois ans, dans un cadre de responsabilité collective et par un contournement des textes légaux limitant la détention provisoire.
Il y a en effet application à son égard d’un responsabilité collective puisque lui sont opposés des faits survenus alors qu’il était en prison, notamment le 19 avril 2000 au moment d’une explosion à Quevert (Côtes-d’Armor), ayant entraîné la mort d’une personne.
L’accusation prétend en outre, sur la foi de témoignages de d’autres personnes poursuivies qui se sont rétractées ultérieurement, qu’il aurait participé à un vol d’explosifs qui s’est déroulé à Plevin (Côtes-d’Armor) le 28 septembre 1999.
Alain Solé, responsable de l’association culturelle bretonne Kevredigezh, fait l’objet d’une répression motivée par sa défense de la culture bretonne.
En outre, la détention abusive d’Alain Solé est de nature à mettre en péril sa vie même, comme le démontre le rapport de l’expertise médicale ordonnée par la Cour.
En effet, d’une part, comme l’attention de la Cour a déjà été attirée par le passé, Alain Solé souffre d’un diabète de type 3, nécessitant un traitement permanent d’insuline, et entraînant la dégradation progressive des fonctions essentielles, et notamment d’organes vitaux.
La Cour était passé outre à ces mises en garde de porter la responsabilité d’un accident médical vital d’Alain Solé, faute de soins et actes médicaux appropriés, rendus impossibles par le cadre pénitentiaire.
Il a fallu qu’une grave alerte survienne le 4 octobre 2002, entraînant son hospitalisation en urgence, pour qu’enfin soit ordonnée une expertise médicale.
Le rapport de l’expert désigné, le Professeur Jacques F. Azorin, établi le 25 novembre 2002, démontre que le maintien en détention d’Alain Solé entraînera obligatoirement des accidents vitaux, faute de structure de soins appropriées aux graves pathologies dont il souffre.
Ce rapport démontre d’ailleurs que l’évolution de ces pathologies vitales résulte du manque de traitement depuis son incarcération.
Le résumé des différents compte-rendu d’hospitalisation démontre que :
- faute de surveillance médicale, alors que l’administration pénitentiaire avait refusé l’extraction d’Alain Solé pour différents examens hospitaliers, le 4 octobre 2002, survenait un infarctus du myocarde, dans un cadre de cardiopathie ischémique.
- Les examens effectués à la suite de l’hospitalisation d’Alain Solé aux urgences, révélaient :
- " une sténose serrée de l’artère iliaque primitive associée à des plaques sur la bifurcation fémorale "
- " l’artère coronaire droite occluse à la fin du segment I, réopacifiée en distalité par la circulation collatérale homolatérale " entraînant " une nécrose dans le territoire inférieur "
Dans ses conclusions, l’expert relève :
" Surtout, il a été mis en évidence récemment premièrement sur le plan cardiaque, une insuffisance coronarienne avec un infarctus du myocarde au niveau du territoire inférieur, infarctus silencieux fréquent chez les diabétiques une sténose hostale à l’origine d’une marginale qui pourrait se décompenser ".
L’expert relève également au niveau des effets du diabète d’Alain Solé un risque d’occlusion brutale de l’artère iliaque interne gauche.
Or, si le médecin expert ne se prononce pas explicitement sur l’incompatibilité de l’état actuel d’Alain Solé avec la détention, car indique-t-il " Ne connaissant pas personnellement les conditions d’une détention ordinaire, il nous est difficile d’affirmer ", il relève :
- " comme facteur de risque, nous avons retenu un diabète insulino-dépendant qu’il n’est pas toujours facile d’équilibrer ", Or, note-t-il " Il est difficile de réaliser un régime particulier dans ces conditions de détention "
- la nécessité de procéder à des examens médicaux complexes " scintigraphie myocardique au Thallium Permantine ", " une angioplastie de l’artère iliaque gauche pour éviter une occlusion brutale pouvant entraîner une ischémie du membre inférieur gauche ", et une fois ces conditions requises "
- les moyens logistiques et médicaux nécessaires à l’équilibrage du diabète.
Il faut nécessairement déduire de ces constatations que l’administration pénitentiaire n’est pas en mesure de répondre à ces actes nécessaires pour empêcher l’aggravation de l’état de santé d’Alain Solé, mettant sa vie en péril.
Ainsi, s’ajoute encore à une détention provisoire inadmissible, une incarcération dans des conditions visant à le détruire physiquement.
L’infarctus dont a été victime Alain Solé le 4 octobre 2002, aurait pu être évité si l’administration pénitentiaire n’avait refusé dans la période précédente à ce qu’il soit procédé à des examens en milieu hospitalier, comme les médecins l’avaient demandé.
La Cour n’est pas maître de l’administration pénitentiaire et de ses déficiences, mais elle a la responsabilité de la détention, de sorte que l’aggravation de l’état de santé d’Alain Solé, et le risque d’un accident vital est de sa responsabilité, comme le Ministre de la justice de son côté, porte la responsabilité hiérarchique et politique sur le défaut de surveillance médicale et soins appropriés pour préserver l’état de santé d’Alain Solé.
Par ces motifs
En conséquence, vu le rapport du Professeur Jacques F. Azorin, Expert, il est demandé à la Cour de :
- se réunir en audience publique, conformément à l’article 199 du Code de procédure pénale.
Et, infirmant ladite ordonnance,
- Ordonner la mise en liberté de Monsieur Alain Solé, en application des articles 137, 145-1, 145-2 du Code de procédure pénale et de l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale.