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3 La sortie de prison doit être mieux préparée et plus encadrée

Mise en ligne : 27 février 2006

Texte de l'article :

CHAPITRE III :
LA SORTIE DE PRISON DOIT ÊTRE MIEUX PRÉPARÉE ET PLUS ENCADRÉE

La sortie de prison constitue l’un des principaux maillons faibles de la réinsertion socioprofessionnelle des détenus. Afin de maximiser les chances de réinsertion des personnes condamnées, il importe d’abord d’attacher une attention particulière à la qualité des actions et dispositifs de préparation à la sortie (I). Ensuite, la sortie de prison doit être mieux encadrée grâce à un accompagnement et à un suivi adaptés (II).

I - UNE SORTIE DE DÉTENTION MIEUX PRÉPARÉE
Malgré les dispositions de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, force est de constater que les mesures d’aménagement de peine demeurent encore peu utilisées (A). De même, les partenariats mis en place par l’administration pénitentiaire en vue de préparer la sortie de prison restent à développer (B).

A - DES MESURES D’AMÉNAGEMENT DE PEINE ENCORE PEU UTILISÉES
La peine ferme privative de liberté doit, en théorie, être exécutée dans sa totalité en détention, mais c’est rarement le cas. La date de fin de peine prévue peut être avancée par l’octroi d’un aménagement de peine (1). Sans que la date de fin de peine soit avancée, le condamné peut aussi bénéficier d’une libération anticipée, avec levée d’écrou, dans le cadre d’une libération conditionnelle (2).

1. Les mesures d’aménagement de peines sans levée d’écrou
Les aménagements de peine tendent à préserver la situation socioprofessionnelle du condamné en évitant les effets désocialisants de la détention et/ou à favoriser une réadaptation progressive du condamné à la vie libre.

1.1. Eviter les sorties « sèches » afin de prévenir la récidive

Parce qu’elle est privative de liberté, la prison a également pour effet d’anémier la capacité du détenu à se prendre en charge. Préparer la sortie, c’est donc, avant tout, réapprendre les gestes de l’autonomie et donc lutter contre la récidive. Comme l’a écrit le député Jean-Luc Warsmann dans son rapport au garde des Sceaux (2003), « la sortie de prison, quelle que soit la durée de la peine purgée, est un moment difficile à vivre. La personne libérée sans préparation ni accompagnement risque de se retrouver à nouveau dans un environnement familial ou social néfaste, voire criminogène, ou bien au contraire dans un isolement total, alors qu’elle aurait besoin de soutien pour se réadapter à la vie libre. Tout ceci peut l’amener à la récidive ».

Sous certaines conditions, les détenus peuvent se trouver « hors les murs », sans levée d’écrou, ce sont les bénéficiaires d’une permission de sortir, d’un placement à l’extérieur, d’une semi-liberté ou, depuis peu, d’un placement sous surveillance électronique (PSE).

Encadré 14 : Les mesures d’aménagements de peine
- Les permissions de sortir ont pour objet, soit de préparer la réinsertion professionnelle ou sociale du condamné, soit de maintenir ses liens familiaux, soit de lui permettre d’accomplir une obligation exigeant sa présence : entretien avec un éventuel employeur, contact pour une place dans un CHRS, passer des tests AFPA.
- Le placement à l’extérieur permet au condamné d’être employé en dehors d’un établissement pénitentiaire à des travaux contrôlés par l’administration avec ou sans surveillance du personnel pénitentiaire. Ces travaux peuvent être exécutés pour le compte d’une administration, d’une collectivité publique, d’une personne physique ou morale.
- La semi-liberté peut être prononcée par la juridiction de jugement quand elle condamne un individu à une peine égale ou inférieure à un an d’emprisonnement. La décision peut être prise aussi par le JAP, pour le même type de peine, au moment de la mise à exécution. Elle peut aussi être décidée pour les condamnés incarcérés quand ceux-ci n’ont plus à subir qu’un temps de détention inférieur ou égal à un an.
- Le placement sous surveillance électronique (PSE) comme modalité d’exécution des peines privatives de liberté a été consacré par la loi du 19 décembre 1997. En cas de condamnation d’un an ou moins, ou lorsqu’il reste à subir par le condamné un an ou moins, le JAP peut décider que la peine s’exécutera sous le régime du PSE. Il peut également être décidé à titre probatoire de la liberté conditionnelle pour une durée d’un an ou moins.
- La libération conditionnelle est une mise en liberté anticipée ordonnée par la tribunal de l’application des peines ou le juge de l’application des peines, contrôlée par ce dernier, au bénéfice d’une personne condamnée à une peine d’emprisonnement, qui a purgé une partie de cette peine et manifesté des efforts sérieux de réadaptation sociale.

Alors même que la nocivité des sorties sèches est désormais clairement établie, force est de constater le faible recours aux dispositifs progressifs de préparation à la sortie. En effet, le nombre des libérations conditionnelles va décroissant (5 680 en 2001 contre 5 286 en 2003), les ordonnances de placement à l’extérieur diminuent fortement (3 339 en 2000 contre 2 733 en 2003), les mesures de semi-liberté régressent substantiellement (6 757 en 2000 à 6 261 en 2003).

Malgré une montée en charge progressive depuis 2000, le PSE reste peu
utilisé. Au 31 décembre 2004, le nombre de PSE accordé depuis le début de l’expérimentation s’élèverait à environ 4 360 sur l’ensemble du territoire national. Une étude [1] réalisée par le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP 2003) a montré que le PSE s’adressait à un public bien spécifique, disposant d’un logement et en mesure de prendre en charge ses frais de téléphone. Ces exigences peuvent conduire à exclure de ce dispositif une part importante de la population pénale car les condamnés connaissent souvent une grande précarité socioprofessionnelle.

Certaines associations s’interrogent sur le point de savoir si la mesure de
placement sous surveillance électronique (PSE) ne viendrait pas en partie
concurrencer, voire supplanter dans certaines régions, d’autres mesures
d’aménagement de peine notamment le placement extérieur. [2] Elles considèrent également que le PSE devrait être assorti, le plus souvent possible, d’un accompagnement social individualisé. En mars 2005, sept associations spécialisées dans le placement extérieur ont alerté le Ministère de la Justice sur « l’érosion » de cette mesure, pourtant adaptée à l’accompagnement sous contrainte des publics en situation d’exclusion.

En définitive, selon le CESDIP, 82 % des condamnés libérés en 2004 sont sortis en fin de peine sans avoir bénéficié ni d’un placement extérieur, ni d’une semi-liberté, ni d’une libération conditionnelle. Or, ces mesures présentent l’avantage d’être beaucoup moins onéreuses pour l’Etat que les peines d’emprisonnement. En effet, le prix de revient journalier d’un détenu s’élève à 65 €, à 22 € pour un placement sous surveillance électronique et de 12 à 18 € pour un chantier extérieur. Surtout, il est désormais établi que les mesures d’aménagement de peine contribuent à limiter la récidive.

1.2. Les nouvelles dispositions de la loi du 9 mars 2004 n’ont pas encore produit tous les effets escomptés

La loi du 9 mars 2004 réforme de façon substantielle le droit relatif à
l’exécution et à l’application des peines en mettant en œuvre la majeure partie des propositions du rapport au garde des Sceaux sur l’exécution des courtes peines d’emprisonnement et sur les alternatives du député Jean-Luc Warsmann.

L’objectif poursuivi par cette réforme est clairement affirmé à l’article 707
nouveau du code de procédure pénale qui dispose que les peines prononcées sont « sauf circonstances insurmontables, mises à exécution de façon effective et dans les meilleurs délais. L’exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive ».

a) La création d’un « sas de sortie
 »
La loi du 9 mars 2004 a introduit le « sas de sortie » ou de « nouvelle procédure d’aménagement de peine » (NPAP) qui organise la libération progressive et accompagnée du condamné. Ainsi, en application des dispositions des articles 723-20 à 723-28 nouveaux du code de procédure pénale, les condamnés détenus pour lesquels il reste trois mois d’emprisonnement à subir (si la peine d’emprisonnement prononcée est inférieure à deux ans) ou six mois de détention à subir (si la peine prononcée est supérieure à deux ans d’emprisonnement et inférieure à cinq ans) doivent bénéficier, « dans la mesure du possible », du régime de la semi-liberté, du placement à l’extérieur ou sous surveillance électronique. Il appartient au directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation (DSPIP) d’examiner le dossier du condamné afin de déterminer la mesure adéquate. Sauf refus du condamné, le DSPIP saisit ensuite par requête le JAP d’une proposition d’aménagement de peine. S’il choisit de ne pas saisir le JAP, le DSPIP en informe le condamné.

Le JAP dispose alors d’un délai de trois semaines pour, après avis du procureur de la République, décider par ordonnance d’homologuer ou non la proposition. A défaut de réponse du JAP dans le délai de trois semaines, le DSPIP peut décider de mettre en œuvre la mesure d’aménagement de peine. Ce dispositif innovant de remise en liberté progressive et individualisée des condamnés confère aux services pénitentiaires d’insertion et de probation une nouvelle mission délicate mais déterminante en matière de réinsertion et de lutte contre la récidive, ce qui plaide une nouvelle fois pour le renforcement de leurs moyens.

Outre la création d’un « sas » de sortie, et sans qu’il soit ici nécessaire de présenter l’ensemble des nouvelles dispositions, il convient de rappeler brièvement que la loi du 9 mars 2004 prévoit notamment :
- le renforcement des pouvoirs du juge de l’application des peines (JAP) qui peut désormais substituer une mesure d’aménagement de peine à une autre si la personnalité du condamné le justifie, ce qui est un gage de la personnalisation des mesures et, partant, de l’exécution de la sanction. En outre, le JAP peut révoquer un sursis avec mise à l’épreuve, cette compétence appartenant auparavant à la seule juridiction de jugement, mais également convertir les peines d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à 6 mois en travail d’intérêt général ou en jour-amende ;
- le parachèvement de la juridictionnalisation de l’application des peines puisque toutes les décisions du juge de l’application des peines (JAP) sont désormais susceptibles d’appel ;
- la création d’une nouvelle architecture juridictionnelle, davantage conforme aux règles de droit commun et composée, en premier ressort, du JAP et du tribunal de l’application des peines (TAP) dont les décisions sont susceptibles d’appel devant la chambre de l’application des peines de la cour d’appel ou devant son président ;
- l’amélioration des droits des victimes, le JAP devant prendre en considération leurs intérêts au regard des conséquences de toute décision « entraînant la cessation temporaire ou définitive de l’incarcération » avant la date d’échéance de la peine privative de liberté. En outre, ce juge peut désormais interdire à l’auteur des faits de rencontrer les victimes ;
- la transformation des réductions de peines ordinaires en crédit de peine accordé dès le début de la peine, ce qui permet de mieux préparer la sortie du condamné et sa réinsertion grâce au caractère prévisible de sa date de sortie qui faisait défaut auparavant. Toutefois, ce crédit de réduction de peine peut être retiré par le JAP en cas de mauvaise conduite du condamné ;
- la possibilité pour les juridictions d’ordonner ab initio le placement sous surveillance électronique ou à l’extérieur.

b) Les obstacles à la mise en œuvre des aménagements de peine
Un rapport d’information de l’Assemblée nationale (2005) dresse un premier bilan de la loi du 9 mars 2004 [3]. Il semblerait que la procédure de « sas » soit parfois écartée au bénéfice de l’aménagement judiciaire traditionnel ordonné et contrôlé exclusivement par le JAP. Ainsi, au niveau national et au cours de la période allant du mois de novembre 2004 à celui de mars 2005, sur les 5 500 détenus éligibles à un aménagement de peine en application des articles 723-20 et suivants du code de procédure pénale, seuls 450 d’entre eux ont fait l’objet d’une requête à cette fin présentée par les DSPIP aux JAP qui ont prononcé 146 mesures. Ces aménagements de peine se sont répartis de la façon suivante : 74 mesures de semi-liberté ; 23 placements sous surveillance électronique ; 49 placements extérieurs.

D’une manière plus générale, le rapport précité recense trois types d’obstacles à la mise en œuvre des mesures d’aménagement de peine.
 ? Les refus d’aménagement de peine provenant des condamnés
Un nombre important de condamnés refusent toute mesure d’aménagement de peine, quel que soit son fondement juridique, et préfèrent demeurer plus longtemps en détention plutôt que de se soumettre à des obligations et à un contrôle en milieu ouvert. Dans ces conditions, le résultat quantitatif du « sas » doit être analysé avec circonspection puisqu’il est confronté à une double difficulté, celle tenant à l’habitude des JAP de recourir à d’autres procédures, et celle tenant au profil des condamnés refusant toute mesure de contrôle une fois sortis de détention. Probablement qu’une part non négligeable de ces refus résulte d’un manque d’informations sur les avantages d’une sortie avec aménagement de peine.

 ? L’absence de structures d’hébergement
Au-delà de l’absence de volonté des condamnés ou du choix des juges de recourir à des mesures d’aménagement de peine sur un autre fondement légal, le rapport d’information souligne que l’absence de structures d’hébergement représente un obstacle sérieux à la mise en œuvre d’aménagements de peine. L’évolution du prix de l’immobilier en Île-de-France accroît cette difficulté, les quelques rares structures d’accueil disponibles, souvent par l’intermédiaire du SAMU social, ayant recours à des prestations hôtelières assurant un hébergement de très courte durée et donc inadapté à la mise en place de mesures de sorties de détention qui requièrent une stabilité des structures. En outre, une sortie de détention réussie suppose également qu’une préparation au retour à l’emploi ou, à tout le moins, qu’une action de formation professionnelle soit mise en œuvre. Or, là encore, « les SPIP souffrent du faible nombre des partenaires à leur disposition, qu’il s’agisse des associations œuvrant dans le domaine de l’insertion ou de celles intervenant en matière de formation professionnelle. »

 ? Des moyens notoirement insuffisants
Dans ce même rapport consacré à la mise en application de la loi du 9 mars 2004, il est indiqué que « les moyens consacrés à l’exécution et à l’application des peines sont notoirement insuffisants. » Il convient de rappeler que l’exécution et l’application des peines font intervenir différents acteurs de la chaîne pénale : les magistrats du ministère public qui sont chargés de l’exécution des peines ; les services du greffe qui interviennent à l’audience pour mettre en forme la condamnation ; les JAP ainsi que les travailleurs sociaux et les SPIP en particulier.

Les effectifs des magistrats dédiés à l’application des peines, d’une part, ceux des greffes et des SPIP affectés à cette mission, d’autre part, demeurent en nombre très insuffisant. Ainsi, sur les 8 779 emplois de magistrats comptabilisés en 2004, les juges de l’application des peines n’étaient que 295 à la fin 2004, soit 3,5 % de l’ensemble du corps des magistrats alors même que leurs missions sont considérablement étendues par la loi du 9 mars 2004.

Le manque de moyens a été récemment dénoncé par les travailleurs sociaux de l’administration pénitentiaire lors d’un mouvement national et inter-syndical, le 29 novembre 2005. Ceux-ci déclaraient dans la presse : « nous n’avons pas le temps d’aller voir les détenus qui ne se manifestent pas à nous. La plupart des personnes qui sortent de maison d’arrêt n’ont pas bénéficié de la préparation nécessaire...Le manque de moyens génère la récidive ».

Dans le droit fil des précédentes préconisations figurant dans le rapport de la mission parlementaire confiée au député Jean-Luc Warsmann (2003), le rapport préconise également un renforcement significatif des moyens des SPIP. D’autant que, « si les SPIP bénéficiaient de 500 emplois-jeunes, ces derniers sont amenés à disparaître (...) entraînant, de ce fait certaines difficultés. »

Dans son précédent rapport (2003), le député Jean-Luc Warsmann proposait déjà le renforcement massif des SPIP par la création d’une nouvelle fonction d’agent de probation. Ainsi, « La création d’une fonction d’agent de probation, agissant au sein du service pénitentiaire d’insertion et de probation, permettrait d’adapter les effectifs du service aux besoins avec la souplesse nécessaire. En matière d’enquête par exemple, cette souplesse est indispensable pour une bonne réactivité. » Ainsi, les fonctions de conseiller d’insertion et de probation pourraient évoluer, afin de leur réserver les tâches de conception du suivi, d’orientation et de supervision, tandis que les agents de probation « agissant sous leur contrôle assureraient notamment les visites à domicile, les contrôles téléphoniques, les envois de courriers, veilleraient dans certains cas au respect des échéanciers définis par les conseillers d’insertion et de probation, en vue du remboursement des victimes, etc.... » (proposition n° 82 du rapport).

Cette évolution statutaire mérite réflexion. Malgré ses avantages évidents, une telle mesure pourrait avoir pour effet d’éloigner les CIP de leur action de terrain au contact direct des détenus. Les pouvoirs publics pourraient être tentés d’utiliser ce nouveau corps d’agents de probation, moins qualifié, pour compenser ainsi à moindre coût la faiblesse numérique du corps des CIP.

2. Les mesures de libération conditionnelle
Le dispositif juridique qui régit les libérations conditionnelles a été réformé à plusieurs reprises au cours des dernières années (2.1.). Sur une longue période, on observe une diminution du nombre des libérations conditionnelles en France comme dans plusieurs pays européens (2.2.). Une récente étude [4] du Sénat dresse des comparaisons entre pays particulièrement éclairantes sur ce sujet (2.3.).

2.1. Les réformes récentes de la libération conditionnelle
Les dispositions françaises relatives à la libération conditionnelle ont été récemment réformées par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, ainsi que par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Ces deux textes ont assorti les décisions ayant trait à l’exécution des peines de garanties juridictionnelles. La loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales apporte de nouvelles modifications. Celles-ci visent notamment à allonger la partie minimale de la peine qui doit être exécutée avant qu’une décision de libération conditionnelle puisse être prise.

Actuellement, en application de l’article 729 du code de procédure pénale, la libération conditionnelle peut être accordée aux condamnés qui ont accompli au moins la moitié de leur peine. Les récidivistes, quant à eux, ne peuvent être libérés que s’ils ont effectué au moins les deux tiers de leur peine. En revanche, les personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité ne peuvent prétendre à une libération conditionnelle qu’au terme de quinze années de détention, tandis que les condamnés à une peine privative de liberté assortie d’une période de sûreté doivent attendre l’expiration de celle-ci - dix-huit ans le plus souvent - pour demander leur libération conditionnelle.

L’article 729 du code de procédure pénale prévoit également que les condamnés ne peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle que « s’ils manifestent un effort sérieux de réadaptation sociale, notamment lorsqu’ils justifient soit de l’exercice d’une activité professionnelle, soit de l’assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle ou encore d’un stage ou d’un emploi temporaire en vue de l’insertion sociale, soit de leur participation essentielle à la vie de famille, soit de la nécessité de subir un traitement, soit de leurs efforts en vue d’indemniser leurs victimes ».

Par ailleurs, l’octroi de la libération conditionnelle est subordonné à l’accord de l’intéressé. Selon les cas, l’octroi de la libération conditionnelle est décidé par le juge de l’application des peines ou par le tribunal de l’application des peines. Le juge de l’application des peines est compétent si la durée de la peine prononcée n’excède pas dix ans ou si la peine restant à purger est inférieure ou égale à trois ans. Dans les autres cas, la libération conditionnelle est accordée par le tribunal de l’application des peines.

Conformément au code pénal, la libération conditionnelle est assortie de mesures de contrôle, dont le respect est obligatoire pendant le délai d’épreuve : les unes, de droit commun, s’appliquent à tous les bénéficiaires de la libération conditionnelle, tandis que les autres dépendent de la situation spécifique du condamné. Les mesures de contrôle de droit commun visent à faciliter la surveillance de l’intéressé et à vérifier son reclassement par le service pénitentiaire d’insertion et de probation. Elles portent notamment sur l’emploi, la résidence et les déplacements.

En outre, le condamné peut être obligé de résider en un lieu déterminé, d’exercer une activité professionnelle ou de suivre une formation, de se soumettre à des examens médicaux, des traitements ou des soins, y compris dans la cadre d’une hospitalisation, de contribuer aux charges familiales ou de payer les pensions alimentaires, de réparer les dommages causés, etc. Le juge peut également lui interdire de conduire certains véhicules, de fréquenter certains lieux, d’entrer en relation avec certaines personnes - notamment la victime -, d’engager des paris, ainsi que de détenir ou de porter une arme.

2.2. Une diminution du nombre des libérations conditionnelles

En 2004, 5 866 libérations conditionnelles ont été prononcées. Cependant, le nombre des libérations conditionnelles n’a cessé de diminuer en France depuis 30 ans [5].

Or, les articles 23 et 24 de la recommandation du Conseil de l’Europe, adoptée le 30 septembre 1999 invitent les Etats à « favoriser le développement des mesures permettant de réduire la durée effective de la peine purgée, en préférant les mesures individualisées, telles la libération conditionnelle, aux mesures collectives (grâces collectives, amnisties) de gestion du surpeuplement carcéral » (Art. 23). De même l’article 24 précise que « La libération conditionnelle devrait être considérée comme une des mesures les plus efficaces et les plus constructives qui, non seulement, réduit la durée de la détention mais contribue aussi de manière non négligeable à la réintégration planifiée du délinquant dans la communauté ».

De nombreux pays européens sont confrontés, depuis un certain nombre
d’années, à une baisse de l’octroi de la libération conditionnelle dont les raisons ont été analysées lors de la recommandation du Conseil de l’Europe sur le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale. Ces raisons sont multiples parmi lesquelles :
« - Le contexte socio-économique : les conditions d’octroi de la libération conditionnelle sont souvent inaccessibles à une population qui est de plus en plus marginalisée. A cela s’ajoute la difficulté à trouver, à la sortie, un hébergement à peu près stable et surtout un emploi.
- La transformation de la structure des populations carcérales selon la nature de l’infraction poursuivie ou sanctionnée ; le nombre grandissant, dans beaucoup de pays, de personnes détenues pour violences sexuelles ou trafics de stupéfiants ne favorise pas la fréquence des libérations anticipées car la décision à prendre peut être lourde de conséquences si on pense en terme de récidive. »

Pourtant, comme l’indique une étude de mai 2005, « les taux de retour sous écrou des condamnés ayant bénéficié d’une libération conditionnelle sont, dans toutes les cohortes étudiées, plus faibles que les taux des libérés en fin de peine » [6]. La libération conditionnelle n’est pas seulement un outil essentiel contre la récidive. Elle constitue aussi un moyen de lutter contre le surpeuplement carcéral.

Une autre raison qui peut expliquer le faible nombre de libérations
conditionnelles tient à la difficulté d’apprécier la dangerosité du détenu
susceptible de bénéficier d’une telle mesure. La notion de dangerosité, absente du code pénal, demeure mal étayée au plan scientifique. Les expertises psychiatriques fournissent des informations précieuses mais elles peuvent aussi se révéler contradictoires, ou tout simplement imprécises lorsqu’elles sont rédigées en des termes trop prudents ou balancés empêchant de trancher sur la dangerosité du détenu en question. Considérant que la psychiatrie n’est pas une science exacte, « c’est le suivi du détenu libéré qu’il faut mieux organiser et contrôler » selon Monique Pelletier, ancienne ministre et avocate. [7] Elle propose de créer « dans le ressort de chaque cour d’appel, un centre d’évaluation et d’expertise criminologique qui aurait notamment pour mission, en liaison avec les juges de l’application des peines, d’examiner régulièrement le détenu en liberté conditionnelle et d’évaluer sa conduite, permettant ainsi d’anticiper sur la survenance d’accidents. »

2.3. Des comparaisons européennes
Une étude [8] du criminologue Pierre-Victor Tournier (2004) s’appuyant sur les travaux préparatoires à la recommandation du Conseil de l’Europe, adoptée le 24 septembre 2003 sur la libération conditionnelle, a mis en évidence l’existence de trois modèles de libération conditionnelle au sein des Etats membres : le « système de libération discrétionnaire » (cas de la France), majoritaire sur le continent, le « système de libération d’office », développé en Suède et, entre les deux, le « système mixte » mis en place en Angleterre et au Pays de Galles, par exemple. Reposant sur une démarche pragmatique, ce dernier modèle combine des procédures de libération automatique pour les condamnés aux courtes peines, à une démarche personnalisée pour les plus longues peines.

En France, les débats suscités par certaines décisions de libération conditionnelle ont conduit le Sénat à réaliser une étude (2005) visant à examiner les principales règles qui régissent les dispositifs équivalents dans divers pays européens, l’Allemagne, l’Angleterre et le pays de Galles, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, l’Italie et les Pays-Bas. Cette étude comparative a fait apparaître, d’une part, l’individualisation croissante des décisions de libération conditionnelle et, d’autre part, la généralisation du délai d’épreuve et une meilleure prise en compte de la situation des victimes.

a) L’individualisation croissante des décisions de libération conditionnelle

La libération conditionnelle est toujours subordonnée à l’exécution d’une partie minimale de la peine, exprimée en pourcentage de la peine prononcée pour les détenus qui purgent des peines temporaires et en durée pour les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. En règle générale, la décision de libération conditionnelle résulte également de l’appréciation de la situation de l’intéressé. Elle est en effet prise en fonction de chaque cas particulier, et les conditions dont elle est assortie dépendent également de chaque détenu : la conduite en prison, le passé judiciaire, les circonstances de l’infraction qui ont motivé la détention, la sincérité du repentir, la probabilité de récidive, etc. constituent autant d’éléments dont il est tenu compte.

Quelques pays font exception à cette règle et accordent la libération conditionnelle de façon automatique : les Pays-Bas, ainsi que l’Angleterre et le pays de Galles. Tous les condamnés bénéficient de la libération conditionnelle automatique aux Pays-Bas, tandis que seuls les détenus a priori considérés comme les moins dangereux en bénéficient en Angleterre et au pays de Galles. Aux Pays-Bas, aucune condition n’est requise de la part du détenu, dont la libération à mi-peine est automatique, sauf dans certains cas particuliers. En Angleterre et au pays de Galles, le Conseil de la libération conditionnelle ne se livre à une appréciation des risques qu’une libération ferait courir à la société que pour certains détenus : d’une part, ceux qui ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité et, d’autre part, ceux qui ont commis une infraction sexuelle ou une autre infraction violente et que le tribunal considère comme récidivistes potentiels.

b) La généralisation du délai d’épreuve
La libération conditionnelle est en principe assortie d’un délai d’épreuve, pendant lequel l’intéressé doit se plier à certaines obligations, faute de quoi il court le risque d’être réincarcéré. Seuls quelques pays qui accordent la libération conditionnelle de façon automatique font également exception à cette règle du délai d’épreuve. Ainsi, l’Angleterre et le pays de Galles, où les condamnés à une peine de prison de moins d’un an ne sont pas astreints à un délai d’épreuve, et les Pays-Bas, où la libération anticipée constitue depuis le début de l’année 1987 un droit qui n’est assorti d’aucun délai d’épreuve. Dans les deux cas, la situation devrait changer prochainement compte tenu des évolutions législatives en cours dans ces deux pays.

c) La prise en compte de la situation des victimes
Une autre tendance observée au niveau européen est celle d’une meilleure prise en compte de la situation des victimes dans plusieurs pays tels l’Espagne et surtout la Belgique, où le régime de la libération conditionnelle qui a été adopté en 1998 accorde une place explicite à la victime. Depuis la réforme de 2003, le code pénal espagnol subordonne en effet la libération conditionnelle au fait que le condamné s’est acquitté de ses obligations d’ordre civil consécutives à l’infraction (restitution des biens volés, réparation du dommage, etc.).

En Belgique, les commissions ad hoc qui prennent actuellement les
décisions de libération conditionnelle entendent la victime si celle-ci le demande. Cette audition n’est toutefois pas possible dans tous les cas, car elle est essentiellement prévue lorsque le détenu a été condamné pour certaines infractions (prises d’otages, homicides, coups et blessures aggravés, infractions sexuelles, etc.). La réforme des dispositions régissant la libération conditionnelle en cours d’élaboration prévoit donc de renforcer les droits des victimes : les deux projets de loi dont le Parlement a été saisi en avril 2005 énoncent que les futurs tribunaux de l’application des peines devront entendre toutes les victimes qui le souhaitent, quelle que soit la nature de l’infraction.

B - DES PARTENARIATS QUI RESTENT À DÉVELOPPER
En juillet 2000, la commission d’enquête du Sénat dressait déjà un bilan inquiétant de la précarité des sortants de prison. « un sortant sur huit n’est pas sûr de disposer d’un hébergement au moment de la levée d’écrou. 20 % des détenus sortent de prison avec moins de cinquante francs en poche ». Devant ce constat, la circulaire du 20 juillet 200l relative à la lutte contre l’indigence pose comme objectif de « mobiliser les aides » à la sortie de prison.

Si une personne incarcérée n’est pas impliquée dans une démarche personnelle d’insertion, si elle n’a pas préparée sa sortie, le rétablissement des droits sociaux risque de prendre des mois et laisse la personne sans ressource, alors tous les facteurs de récidive sont réunis. C’est la raison pour laquelle, il importe que les conditions du rétablissement des droits sociaux soient réalisées avant la sortie de prison. Pour cela, une logique de partenariat a été mise en place par l’administration pénitentiaire tant en interne (1) qu’en externe (2).

1. Un partenariat organisé en interne
1.1. Le rôle de pilotage confié aux SPIP

L’article D 478 du code de procédure pénale demande au service public pénitentiaire de « permettre au détenu de préparer sa libération » et l’article D 460 désigne plus précisément le SPIP pour aider les personnes détenues à préparer leur réinsertion sociale et professionnelle. La circulaire du 15 octobre 1999 sur les missions des SPIP les désigne comme pilotes de la préparation à la sortie et en précise les modalités. Les SPIP ont un rôle pivot d’animation et de coordination dans la préparation à la sortie, avec un souci de repérage exhaustif et de propositions systématiques à la population carcérale. Le directeur du SPIP (DSPIP) doit établir avec le chef d’établissement les priorités d’action en matière de dispositif de préparation à la sortie et rechercher les partenariats appropriés pour organiser les relais nécessaires aux personnes à leur sortie.

Tout le travail portant sur la préparation à la sortie nécessite une forte transversalité, tant au niveau des services que des différents corps de métier au sein de l’administration pénitentiaire. Toutes les catégories de personnels sont concernées, chacune dans son champ de compétence :
- le surveillant a un regard quotidien sur la personne détenue ; à ce titre il peut fournir des informations essentielles, dans le respect des règles de confidentialité et du secret professionnel, sur le comportement de la personne, ses projets, ses souhaits, ses liens avec l’extérieur notamment ;
- le service du greffe assure le suivi de l’exécution administrative de la peine (dates de la condamnation, du transfert, de l’accessibilité aux aménagements de peine, de la libération) et facilite l’obtention de documents tels que les papiers d’identité et la carte vitale ;
- le comptable vérifie si les personnes sont en situation d’indigence, gère les comptes nominatifs et le paiement des amendes et dommages et intérêts dus par la personne ;
- la direction s’assure qu’en interne, le processus de préparation à la sortie se déroule dans les meilleures conditions possibles.

Le partenariat interne comprend également le groupement privé lorsque l’établissement est à gestion mixte ainsi que les services de santé dans tous les établissements pénitentiaires.

1.2. Une préparation à la sortie tout au long du parcours de détention
La préparation à la sortie doit s’envisager comme un processus long qui débute à l’arrivée de la personne incarcérée, et se poursuit pendant la détention à travers l’ensemble des actions et activités proposées. La préparation à la sortie doit s’intensifier dans les trois mois au moins qui précèdent la sortie de la personne détenue. Son objectif est de donner les moyens à la personne détenue d’acquérir des connaissances et des compétences, de développer son sens des responsabilités et d’accéder à une autonomie suffisante afin de pouvoir bénéficier des dispositifs de droit commun et d’être en mesure de reprendre sa place de citoyen dans la société.

Plus concrètement, cette préparation se traduit par la possibilité d’entretiens avec les partenaires externes faisant partie des services publics de l’emploi (ANPE, Assedic par exemple) et des organismes sociaux, par le suivi des dossiers de sortie (documents d’identité, RMI, APL par exemple) et par la tenue d’un entretien dit de fin d’incarcération. Ce dernier est l’occasion, pour le travailleur social pénitentiaire référent, de faire un bilan de fin de détention avec les personnes sortantes.

Dans le cadre de la préparation à la sortie, la personne détenue devrait pouvoir sortir, dans tous les cas de figure, avec a minima : un justificatif d’identité ; une attestation de couverture sociale ; un bilan de sa situation pénale et sociale ; des dossiers pré-instruits selon les cas (RMI, Assedic, APL par exemple) ; un guide d’informations sur les droits sociaux et démarches administratives, un « kit sortant », ainsi que cela est prévu dans la circulaire relative à la lutte contre l’indigence, pour les personnes indigentes. Sur ce dernier point, la commission d’indigence de chaque établissement décide, selon les cas, de l’attribution de vêtements ou d’un « kit sortant » comprenant au minimum des titres de transport, une carte téléphonique et des chèques multiservices.

2. Un partenariat à développer en externe
Vis-à-vis de l’extérieur, ce partenariat est mis en œuvre, à des degrés
divers, avec les services sociaux, les entreprises et les chambres consulaires et, enfin, avec les associations.

2.1. La mise en réseau avec les services administratifs et sociaux extérieurs

Dès 1970, la préparation à la sortie était une des préoccupations de l’administration pénitentiaire. Pour répondre à ce souci, des « prospecteurs placiers » intervenaient dans les établissements pour aider les détenus à rechercher un emploi. En 1996, la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) a réaffirmé sa volonté d’améliorer cette action et a fait de la préparation à la sortie des personnes incarcérées, une de ses priorités. Les dispositifs mis en place reposent d’abord sur la création d’un plateau technique et administratif en détention, plateau qui favorise une rencontre directe entre les personnes détenues et les intervenants extérieurs. Il s’agit, par la mise en place des dispositifs de préparation à la sortie, de « regrouper dans un seul lieu des opérateurs publics et privés concernés par la réinsertion sociale et professionnelle des personnes en difficulté ». Cela permet aux détenus un accès à l’information voire à une prise en charge. Ces plates-formes peuvent regrouper l’ANPE, l’Assedic, la Mission locale, des centres d’hébergement et de réadaptation sociale (CHRS), des associations de suivi des consommateurs de substances psycho-actives par exemple.

Ces dispositifs sont encadrés par diverses circulaires et conventions parmi lesquelles, on peut citer :
- la convention du 1er juillet 1999 entre l’ANPE et l’administration pénitentiaire, renouvelable tous les trois ans. L’administration pénitentiaire est favorable à une augmentation du nombre d’agents ANPE intervenant en milieu pénitentiaire, notamment pour répondre aux besoins suscités par la nouvelle procédure d’aménagement de peine dans le cadre de la loi Perben 2. En Ile-de-France, une agence spécialisée de l’ANPE dénommée « Espace liberté emploi » [9] a même été créée afin d’améliorer la réinsertion professionnelle des sortants de prison.
- la convention du 21 février 2000 entre l’Assedic et l’administration pénitentiaire. Elle permet l’intervention d’un agent de l’Assedic dans chaque établissement pour vérifier si le détenu a des droits aux allocations chômage auxquelles il pourrait prétendre à sa sortie mais, si trois conventions régionales ont déjà été signées, elle reste à étendre à l’ensemble du territoire.

En outre, les liens se développent avec les caisses d’allocations familiales (CAF) concernant le Revenu minimum d’insertion (RMI). Certains sites, par le biais d’une association agréée par la CAF, permettent à des détenus de bénéficier d’une avance sur leur droit supposé au RMI au moment de leur sortie. Le dispositif d’avance sur droit supposé n’est malheureusement pas appliqué dans tous les centres CAF. Le partenariat avec les CPAM s’accroît lui aussi, notamment autour de la CMU (couverture maladie universelle), de la CMU complémentaire et de l’aide médicale d’Etat.

Ces dispositifs se sont mis en place dans la plupart des établissements pénitentiaires mais les efforts consentis et les résultats obtenus ne sont pas toujours à la hauteur des besoins des sortants de prison. Selon l’OIP « le faible niveau d’intervention de l’ANPE en prison (...) est caractéristique de l’engagement insuffisant de l’Etat en matière d’aide aux sortants. En 2003, l’Agence disposait de 63 équivalents temps plein pour l’ensemble des prisons françaises. » [10] Ce dernier chiffre doit être rapproché du nombre d’établissements pénitentiaires, soit 188.

L’enquête sur les sortants de prison conduite par l’administration pénitentiaire (1997) montrait que les personnes libérées ont peu recours aux organismes d’aide à l’emploi, malgré une proportion de chômeurs importante (60 %). Moins du quart des sans-emploi sont inscrits à l’ANPE, moins de 20 % aux Assedic (pour obtenir l’allocation d’insertion). Le RMI a été sollicité par à peine 14 % des personnes sans-emploi pouvant y prétendre. « Il semblerait que ceci soit dû à un manque d’information » selon cette étude.

2.2. Le renforcement des liens avec les entreprises et les chambres
consulaires

Plusieurs expériences témoignent de cette volonté de renforcer les liens avec les entreprises et les chambres consulaires. Elles peuvent revêtir différentes formes.
 ? Dispositifs de coopération entre établissements et entreprises
A la maison d’arrêt de Pau (quartier femme), une formation de stylisme pour la haute couture a été mise en place et la réalisation des modèles s’effectue en entreprise. L’entreprise partenaire réserve des emplois aux détenues une fois libérées. Dans le secteur de la métallerie et de l’industrie, on peut citer l’exemple du centre de détention d’Oenningen où un atelier de soudure métallerie a été créé à la fois par l’établissement et par la société locale LUTRAC. Les détenus y sont formés à différentes techniques de soudure. Certains d’entre eux ont ensuite pu bénéficier d’un complément de formation dans les ateliers de la société elle-même. D’autres ont été directement embauchés par l’entreprise elle même ou par des entreprises partenaires.

 ? Tutorat-parrainage
Il s’agit d’un dispositif expérimental de suivi de certains détenus par un référent interne à l’établissement (personnel de surveillance, personnel médical, intervenants extérieurs tels que des formateurs, des visiteurs de prison, des aumôniers) puis par un référent externe lors de la levée d’écrou (chefs d’entreprise, ingénieurs, cadres retraités de la fonction publique) afin de favoriser le retour à l’emploi de l’intéressé. Mis en place en 2001 dans quelques établissements [11], les détenus auxquels ce tutorat est proposé appartiennent essentiellement au public difficile, sans qualification et déstructuré. Le projet a été mené par le chef d’unité formation professionnelle de la DRSP de Lyon en lien avec des groupes de travail dans chacun des trois sites pilotes : rédaction d’une charte fixant notamment le rôle des référents internes et externes par rapport au SPIP des établissements et déclinaison de la charte par les maisons d’arrêt en prenant en compte les particularités locales. Le financement du dispositif a été alloué par la DRTEFP et le FSE. Les actions de tutorat-parrainage mises en œuvre dans les établissements pénitentiaires s’inscrivent dans le cadre juridique définit notamment par la circulaire n° 2003-20 du 4 août 2003 relative au développement du parrainage pour favoriser l’accès à l’emploi des personnes en difficulté d’insertion professionnelle.

D’une manière générale, ce dispositif consiste à accompagner les personnes en difficulté, dépourvues de réseaux personnels de relation avec les milieux professionnels, dans leur recherche d’emploi, et à contribuer avec le réseau d’accueil et de suivi des personnes à trouver des solutions à leurs problèmes extraprofessionnels.

En décembre 2005, le garde des Sceaux a présenté un nouveau dispositif de parrainage des jeunes sous mandat judiciaire par des chefs d’entreprise, des professions libérales, des artisans, notamment.
 ? Insertion par une activité économique
Les entreprises d’insertion emploient des personnes qui cumulent des difficultés sociales et professionnelles. Elles leur proposent un parcours personnalisé de requalification socioprofessionnelle, fondée sur la mise en situation de travail, une véritable passerelle vers une intégration durable, vers l’autonomie et la citoyenneté [12].

A la maison d’arrêt de Valence, l’association Escale est à la fois concessionnaire et organisme de formation professionnelle. Trois permanents de l’association ont accès au quartier de détention, où ils mènent des actions de formation. Les détenus rénovent et entretiennent les locaux (plomberie, hygiène, électricité, mise aux normes des cellules). Créée en 1955, cette associationn’accueille pas seulement les sortants de prison mais toute personne en difficulté passagère [13]. Elle contribue également à la préparation à la sortie grâce au réseau social dans lequel elle est impliquée et au tissu économique dans lequel elle s’est inscrite notamment par la mise en place de chantiers d’insertion [14].

Au centre pénitentiaire de Rennes, une entreprise d’insertion emploie les détenus en atelier à la réalisation de maquettes de navires
 ? Journées emploi-formation
Des journées emploi-formation sont parfois organisées dans certains établissements pénitentiaires (ex. maisons d’arrêt. de Valenciennes ; de Villeneuve-les-Maguelonne) le plus souvent en partenariat avec la chambre de commerce et d’industrie, et les chambres des métiers. De même, une journée forum emploi a été organisée à la maison d’arrêt de Tours en 2002 à l’initiative de la Jeune chambre économique (JCE) de Tours en lien avec le SPIP d’Indre et Loire et la maison d’arrêt de Tours.

2.3. Le partenariat avec les associations
Les SPIP s’appuient également sur de nombreuses associations qui complètent utilement leur travail, notamment en matière d’hébergement, d’insertion professionnelle ou de placement à l’extérieur. Ainsi, près de 300 conventions de placement à l’extérieur ont été conclues entre les SPIP et des associations. Or, comme l’ont indiqué plusieurs personnalités auditionnées par notre Assemblée, de nombreux condamnés sortent de détention dans le dénuement le plus complet, en ayant perdu tout lien avec leur famille. Cet isolement social et affectif constitue un facteur évident de récidive qui est aggravé par les difficultés de logement auxquelles sont confrontées les condamnés sortant de prison.

En dépit de leurs actions, SPIP et associations ne parviennent pas à
répondre aux besoins croissants des condamnés libérés dans un contexte
économique particulièrement difficile, notamment en matière d’accès à l’emploi et au logement.

Une enquête du CREDOC (2002) relative à l’organisation de la prise en charge des personnes sorties de détention [15] montre que des partenariats existent mais qu’ils « se font au coup par coup, en fonction des situations et des besoins, plutôt que dans une logique de construction de parcours de préparation à la sortie ». Ainsi, outre le faible nombre de structures de réinsertion, il n’existe pas de schéma d’organisation de la prise en charge des sortants de prison au plan local.

Par ailleurs, de nombreuses associations accueillent des personnes bénéficiant d’un aménagement de peine, sous le régime par exemple du « placement extérieur ». Elles emploient les sortants de prison au moyen de contrats aidés (CES auparavant, nouveaux contrats « aidés » de la loi de cohésion sociale) dont l’accès reste contingenté donc limité. Certaines associations [16] s’inquiètent aussi de la disparition des stages de type SIFE, bien que les contrats d’avenir et le Contrat d’insertion dans la vie sociale (CIVIS) pour les jeunes de moins de 26 ans, inscrits dans le plan de cohésion sociale auxquels peuvent prétendre les sortants de prison, devraient prendre le relais de ce dispositif.

Dans certains cas, l’étendue des missions confiées au secteur associatif va bien au-delà du simple partenariat et s’apparenterait davantage à une délégation de service public. A titre d’exemple, la convention conclue le 11 février 2005 entre la DRSP de Paris et une association chargée de la réinsertion des détenus [17] a soulevé des critiques de la part de plusieurs syndicats pénitentiaires. La vigilance est nécessaire pour permettre le respect des missions régaliennes de l’Etat sans reléguer pour autant le monde associatif à un rôle de substitut qui freinerait ses capacités d’innovation.

II - UN SUIVI POSTCARCÉRAL PLUS ENCADRÉ
De nombreux obstacles, juridiques et institutionnels, viennent contrarier la réinsertion socioprofessionnelle des détenus après leur sortie de détention (A). Dans ce contexte, il est urgent et prioritaire d’améliorer le suivi des sortants de prison (B).

A - DE NOMBREUX OBSTACLES À LA RÉINSERTION DES SORTANTS DE PRISON
1. Les freins juridiques : le casier judiciaire

La sortie de prison ne signifie pas pour autant que la personne qui a été
détenue et a purgé sa peine recouvre le plein exercice de sa liberté. L’arsenal juridique français existant donne la possibilité d’entraver ou de limiter cette liberté et la perspective de réinsertion.

Il en va ainsi des privations de droits qui peuvent prolonger la condamnation. Il s’agit par exemple de l’interdiction de voter ou d’exercer
certains droits familiaux, de l’interdiction d’exercer certaines professions. Il convient cependant de noter que des évolutions positives se sont produites au cours des années quatre vingt dix, avec l’entrée en vigueur en 1994 du nouveau code pénal. Avant cette date en effet la perte des droits civiques et familiaux était automatique et à vie pour toutes les personnes condamnées en matière criminelle et de dix ans pour les auteurs de délits. Depuis cette date, les privations de droit ne revêtent plus un caractère automatique, seule la juridiction compétente pouvant la prononcer et de plus, elles ne peuvent désormais excéder dix ans [18].

A cela s’ajoute le fait que certaines professions s’imposent une obligation de moralité liée à l’absence de passé pénal. Il en est de même de certains secteurs d’activité, telles la fonction publique, les banques, les assurances, la sécurité, qui font de l’absence de passé pénal une condition sine qua non d’accès. Cette situation, qui restreint les possibilités de réinsertion sociale et professionnelle des personnes sortant de prison, appelle sans aucun doute à une réflexion sur le casier judiciaire, ses finalités, et à un ré-examen des conditions de sa divulgation.

1.1. Le casier judiciaire : contenu et destination des bulletins
Le casier judiciaire est un dossier nominatif qui contient les condamnations d’une personne prononcées par les juridictions pénales pour crimes, délits et contraventions les plus graves, ainsi que les incapacités (interdictions d’exercer et privation de certains droits). Il fait l’objet d’un fichier national informatisé géré à Nantes sous l’autorité du ministère de la Justice.

Le casier judiciaire peut être communiqué sous certaines conditions sous la
forme de bulletins ou extraits dont le contenu diffère selon le destinataire. Trois sortes de bulletins peuvent être délivrés :
- le bulletin numéro un : c’est le relevé intégral des condamnations, à l’exception des condamnations inférieures à deux mois prononcées à l’encontre des mineurs et qui sont effacées à leur majorité, les sanctions disciplinaires, administratives et judiciaires, les déchéances de l’autorité parentale, les faillites ou règlements judiciaires, les arrêtés d’expulsion. Il ne peut être communiqué qu’aux autorités judiciaires.
Les condamnations pénales n’ayant pas fait l’objet de dispositions particulières (telle la réhabilitation) ne sont retirées qu’à l’expiration d’un délai de quarante ans après la dernière.

- le bulletin numéro deux  : ce bulletin est en quelque sorte la version allégée du bulletin numéro un. N’y figurent pas notamment les condamnations prononcées à l’encontre des mineurs, les condamnations avec sursis lorsque le délai de mise à l’épreuve a pris fin sans nouvelle décision, les condamnations prononcées par le tribunal de police, les décisions dont la mention a été exclue par le tribunal lors du jugement, les condamnations effacées par la réhabilitation, à l’expiration d’un délai de cinq ans, les condamnations prononcées sans sursis en application des articles 131-5 à 131-11 du code pénal (peines substituées à des peines d’emprisonnement). Le bulletin numéro deux ne peut être remis qu’à certaines autorités administratives et militaires pour des motifs strictement énumérés (accès à un emploi public, obtention d’une distinction honorifique)

- le bulletin numéro trois  : ce bulletin ne fait mention que des condamnations les plus graves, à savoir les peines de prison sans sursis supérieures à deux ans pour crime ou délit, inférieures à cette durée si le tribunal en décide, ainsi que les condamnations à des interdictions, déchéances, ou incapacités prononcées sans sursis à titre de substituts à l’emprisonnement et également les décisions de suivi socio-judiciaire. Le bulletin numéro trois ne peut être délivré qu’à la personne qu’il concerne. C’est ce bulletin qui est demandé par certains employeurs.

1.2. Les fonctions et les effets du casier judiciaire
L’inscription des condamnations pénales et de certaines décisions civiles, ainsi que leur conservation voire leur divulgation posent des questions redoutables. Ainsi l’exigence de sécurité n’est pas toujours compatible avec la nécessité ou l’objectif de réinsertion sociale des personnes condamnées.

De fait, la problématique du casier judiciaire comporte plusieurs approches ou dimensions.

Une dimension judiciaire tout d’abord, qui fait de la connaissance des antécédents l’une des conditions d’une justice efficace. Cette dimension n’est pas contestable. La restitution des antécédents judiciaires facilite en effet l’adaptation et l’individualisation de la peine et de son application.

Une autre dimension du casier judiciaire est d’ordre sécuritaire. Elle s’appuie sur l’idée selon laquelle l’inscription au casier judiciaire aurait un effet dissuasif et concourrait de ce fait à la prévention de la récidive. Le débat sur cette question est évidemment ouvert et les points de vue souvent divergents. Néanmoins, il y aurait lieu de s’interroger sur la pertinence d’un lien automatique entre casier judiciaire et prévention de la récidive, ne serait-ce qu’en raison précisément du niveau élevé du taux de récidive. La lutte contre la récidive passe sans doute plus sûrement par la mise en oeuvre de dispositifs permettant aux personnes condamnées, en particulier aux personnes détenues, de se reconstruire et se réinsérer socialement et professionnellement ou pour celles qui en ont besoin d’une véritable prise en charge sanitaire, notamment psychiatrique. Pour autant, on ne peut écarter le risque que pourrait comporter dans certains cas, pour certaines situations ou professions, l’absence de toute référence aux antécédents judiciaires, notamment dans les cas où des mesures de suivi socio-judiciaire sont ordonnées.

Le casier judiciaire comporte en outre une dimension sociale et professionnelle majeure. L’exigence d’un casier judiciaire vierge peut constituer un facteur d’exclusion professionnelle, et par conséquent sociale, dans la mesure où elle conditionne l’accès à de nombreux emplois.

C’est le cas en ce qui concerne l’accès à l’emploi public et para-public. Les fonctionnaires de l’Etat sont régis par le statut général des fonctionnaires de l’Etat qui est du niveau de la loi. L’article 5 de la loi 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires prévoit les dispositions suivantes :
« Sous réserve de l’article 5bis (il s’agit des fonctionnaires venant de l’Union européenne), nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire :
- s’il ne jouit des droits civiques ;
- le cas échéant, si les mentions portées au bulletin n°2 de son casier judiciaire sont incompatibles avec l’exercice de ses fonctions. .... »

Ces dispositions, certes restrictives, n’interdisent pas de facto l’accès aux concours et à l’emploi publics. On peut être privé de droits civiques pour une série importante de condamnations civiles. Il en résulte que ceux qui ont fait l’objet de telles condamnations, même pour des délits de faible gravité, se voient interdire définitivement l’entrée dans la fonction publique.

La seconde condition relative au bulletin n° 2 du casier judiciaire restreint davantage encore l’accès à la fonction publique. Ceux qui pourraient y prétendre, parce que leur condamnation ne les a pas privés de leurs droits civiques, doivent en outre ne pas être concernés par une mention au bulletin n°2 du casier judiciaire qui soit incompatible avec la fonction qu’ils voudraient exercer.

En outre, la pratique et la jurisprudence administratives sont très rigoureuses et peuvent aller au-delà de la loi.

Ainsi, l’autorité administrative peut tenir compte des faits à l’origine d’une condamnation dont le juge pénal a décidé qu’elle ne serait pas inscrite au casier judiciaire ou qui aurait été effacé du casier. De la même façon, le prononcé d’un non-lieu est indifférent, dès lors, bien sûr, que la matérialité des faits qui avaient donné lieu à poursuite est établie.

De même, un arrêt du Conseil d’Etat de 2004 confirme le rejet par l’autorité préfectorale d’une candidature au concours d’agent de surveillance chargé d’assurer le contrôle du stationnement payant sur la voie publique, « considérant que la requérante a commis des faits de vol à l’étalage, dans un centre commercial en juillet 1996, alors même que ces faits avaient été classés sans suite et qu’ils n’avaient pas été inscrits au bulletin numéro 2 du casier judiciaire, un tel comportement étant incompatible avec l’exercice de cette fonction. ». [19]

Les restrictions des conditions d’accès à l’emploi concernent aussi le secteur privé, où rien n’empêche un employeur de formuler des exigences du même ordre.

Certes, le code du travail stipule en son article L 121-6 que « les informations demandées, sous quelques formes que ce soit, au candidat à un emploi ou à un salarié ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles » et ajoute que « ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé ou avec l’évaluation des aptitudes professionnelles ». Il n’en demeure pas moins que la formulation de ces conditions reste suffisamment évasive pour en permettre une interprétation très large et exiger un « casier judiciaire vierge ». C’est d’ailleurs ce qui peut être couramment constaté dans les faits, parfois jusqu’à l’outrance. Ainsi cette annonce, faite par une agence de travail temporaire, qui assortit son offre d’emploi de « barmaid » d’un casier judiciaire vierge ! La consultation des offres d’emploi est à cet égard édifiante.

Par ailleurs, certaines conventions collectives de branches prévoient explicitement la production du bulletin numéro deux pour accéder à certains emplois. C’est le cas, et cela peut en effet se comprendre, des entreprises de sécurité, telles les entreprises de transports de fonds, et de certains ordres professionnels libéraux. ...

En marquant ainsi la personne pendant de longues années du sceau de l’infamie, le casier judiciaire n’a-t-il pas pour effet d’une certaine manière de la condamner une seconde fois et autant de fois qu’elle aura été rejetée au cours de ces longues années ? Sans doute ne faut-il pas en la matière faire preuve d’angélisme, sans doute les situations sont-elles complexes, les risques de réitération réels, sans doute le principe de « précaution » doit-il dans un certain nombre de cas prévaloir, mais n’y aurait il-pas aussi des mesures à prendre pour circonscrire plus strictement les incapacités et les interdictions professionnelles ainsi que la production d’un bulletin numéro trois exempt de toute mention ?

D’autres possibilités pourraient être envisagées, comme celle d’exiger qu’il y ait au moins un rapport direct entre les condamnations figurant au bulletin numéro trois et la nature de l’emploi en cause. Peut-être aussi les délais d’apurement automatique du casier judiciaire pourraient-ils être revus et élargies les possibilités de dispense d’inscription au casier judiciaire ou la requête en réhabilitation.

2. Les cloisonnements administratifs et institutionnels
2.1. Une articulation perfectible entre milieu ouvert et milieu fermé
La réforme de 1999 créant les services d’insertion et de probation départementaux reste en partie inachevée quant à sa mise en oeuvre. L’un de ses objectifs majeurs était d’assurer une fluidité dans le suivi des personnes placées sous main de justice, qu’elles soient libres ou détenues. Dans de nombreux services cependant, cet objectif « n’a pas été atteint, et une étanchéité demeure entre les personnels intervenant en milieu ouvert, et ceux en charge du milieu fermé. » [20]. Cette situation est préjudiciable à la réinsertion socioprofessionnelle des sortants de prison. Il est vrai que dans certains départements où est implanté une très grosse maison d’arrêt ou un établissement pour peine, les détenus peuvent venir de n’importe quel endroit de France et il est alors difficile de trouver une articulation adéquate entre milieu ouvert et milieu fermé.

Certains SPIP ne disposent pas de régies d’avances permettant de délivrer des aides directes en urgence (numéraire, tickets restaurants, titres de transport...) destinées aux sortants de prison. C’est la raison pour laquelle, dans plusieurs départements, ce sont toujours les régies des tribunaux qui assurent l’approvisionnement des SPIP, ce qui impose aux bénéficiaires de s’y rendre pour pouvoir bénéficier d’aides d’urgence. [21]

2.2. Une collaboration insuffisante entre les établissements pénitentiaires et les collectivités territoriales

Depuis les lois de décentralisation de 1983, les compétences jusqu’alors exercées pour le compte de l’Etat par les Directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DASS), compétences relatives notamment à l’aide sociale, ont été en grande partie transférées aux départements. Toujours dans le domaine social, la loi du 18 décembre 2003 a intégralement décentralisé le RMI. Cette décentralisation se traduit par une « départementalisation » tant du volet allocation que du volet insertion du RMI. Dans le domaine du logement social, les départements assurent la gestion du Fonds de solidarité logement (FSL).

Au niveau régional, les régions disposent d’une compétence de droit commun en matière de formation professionnelle. Au niveau communal, les villes sont depuis longtemps impliquées dans les dispositifs de prévention de la délinquance à travers notamment la signature des contrats locaux de sécurité. Elles jouent un rôle important en matière d’attribution de logements sociaux.

Ce contexte juridique plaide en faveur d’une collaboration accrue entre les services pénitentiaires et les collectivités territoriales. Au-delà de la simple mise à disposition de locaux aux associations, des exemples de partenariat entre les services pénitentiaires et les communes existent déjà, à l’image de celui mis en place à titre expérimental avec la commune de Chanteloup-les-Vignes dans les Yvelines. Selon Jean-Pierre Bailly, Directeur du SPIP des Yvelines, « cette expérimentation menée depuis trois ans et financée en partie sur les crédits de la politique de la ville, devrait être étendue à l’ensemble du territoire intercommunal Chanteloup-Carrières-Conflans. ».

Outre la participation des SPIP notamment aux diverses structures de prévention de la délinquance ou de suivi de la politique de la ville, le nécessaire renforcement des relations entre les services pénitentiaires et les collectivités territoriales pourrait passer aussi par une évolution du statut des établissements pénitentiaires.

A cet égard, la gestion des établissements pénitentiaires reste encore très peu déconcentrée. La commission d’enquête du Sénat précitée (2000) avait constaté que « la lourdeur administrative pénitentiaire et la centralisation de nombreuses décisions ne facilitaient pas la responsabilisation des acteurs concernés. Dès 1989, dans un rapport sur la modernisation du service public pénitentiaire, M. Gilbert Bonnemaison avait prôné une rénovation des modes de gestion ».

Pour faciliter la responsabilisation et l’amélioration de la gestion des établissements, la commission d’enquête du Sénat recommandait l’usage de l’article 3 de la loi de 1987 relative au service public pénitentiaire.

Encadré 15 : Article 3 de la loi du 22 juin 1987
« Les établissements pénitentiaires peuvent être érigés en établissements publics administratifs nationaux dénommés établissements publics pénitentiaires, placés sous la tutelle de l’Etat.
Dotés de la personnalité morale et de l’autonomie financière, les établissements publics pénitentiaires sont administrés par un conseil d’administration comprenant des représentants de l’Etat, majoritaires, des assemblées parlementaires et des assemblées locales, du personnel, ainsi que des personnes morales, des associations et des personnalités choisies en raison de leur compétence dans le domaine de l’exécution des peines et de la réinsertion sociale. Le Garde des sceaux, ministre de la justice, désigne le président du conseil d’administration parmi les représentants de l’Etat. »

Cet article permet d’ériger des établissements pénitentiaires en établissements publics administratifs et de les doter en conséquence d’un conseil d’administration ouvert notamment aux collectivités territoriales. Il n’a reçu pratiquement aucune application depuis 1987 puisque seul l’établissement public de santé national de Fresnes bénéficie de ce statut.

2.3. Les relations entre les services pénitentiaires et les services sanitaires à l’extérieur

Selon le guide méthodologique prise en charge sanitaire des personnes détenues, « les modalités concernant la sortie doivent être envisagées suffisamment tôt avant la date de libération définitive prévue. La préparation à la sortie doit mobiliser de façon coordonnée, en interne, les équipes sanitaires et pénitentiaires et en externe, les structures spécialisées. Les relais nécessaires doivent être mis en place pour l’accompagnement sanitaire et social lors de la sortie (hébergement, soins, protection sociale...) ainsi que pour la réinsertion sociale et professionnelle. Pour les personnes prévenues, bénéficiant d’une ordonnance de mise en liberté, un support d’information sur les relais sanitaires et sociaux extérieurs doit leur être remis au moment de leur sortie » [22].

Au terme de son incarcération, le service médical doit en principe remettre au patient une lettre destinée au médecin de son choix (hospitalier ou libéral) comportant le nom et les coordonnées du médecin traitant en milieu pénitentiaire et les données médicales essentielles le concernant. Par ailleurs, tous les détenus doivent recevoir à leur sortie un document (remis par le greffe de l’établissement pénitentiaire et établi par le service hospitalier) leur permettant de connaître leurs droits en matière d’accès aux soins et les adresses des lieux de soins hospitaliers, des consultations médicales gratuites mises en place par les organismes humanitaires, des centres médico-psychologiques du dispositif spécialisé en matière de sida, d’alcoolisme et de toxicomanie. Concernant les détenus sous traitement, une ordonnance doit leur être remise par le médecin afin d’éviter une rupture de traitement. Lorsqu’un suivi psychologique a été entrepris en détention et qu’il s’avère nécessaire de le poursuivre, le service médico-psychologique régional (SMPR) doit contacter le secteur psychiatrique général correspondant au lieu de résidence du futur libéré afin de faciliter la poursuite des traitements.

Toutes ces recommandations ne sont pas strictement appliquées et des risques de rupture du suivi médical existent concernant en premier lieu la sortie des personnes très désocialisées. Les délais de rendez-vous dans les centres médico-psychologiques sont parfois longs compte tenu du nombre insuffisant de ces structures.

En janvier 2005, une consultation psychiatrique en milieu ouvert s’adressant aux auteurs d’agressions sexuelles a été mise en place au sein du Centre de santé mentale Cesame à Angers. Cette structure innovante accueille les agresseurs sexuels placés sous main de justice et propose des prises en charge personnalisées qui s’appuient tout à la fois sur les techniques de l’entretien individuel et les séances de groupe à visée psychanalytique. Cette structure a permis de combler les carences du suivi post-pénal des auteurs d’agressions sexuelles. En effet, pour diverses raisons (manque de formation, relations entre le secteur psychiatrique et la justice...), « les psychiatres libéraux et les équipes des centres médico-psychologiques (CMP) de secteur ne sont guère enchantés d’accueillir les auteurs d’agressions sexuelles dans les lieux de soins. Un grand nombre de ces personnes, pourtant en obligation de soins, n’a pas bénéficié de prise en charge pendant des mois voire des années en raison de telles réticences. » [23].

Encadré 16 : Une consultation psychiatrique, à Angers, pour les auteurs
d’agressions sexuelles Publics. Cette « consultation médico-légale » s’adresse à tous les auteurs d’agressions sexuelles placés sous main de justice : en attente de jugement, en liberté conditionnelle après une peine, sous le régime du sursis mise à l’épreuve avec obligation de soins ou d’une injonction de soins dans le cadre de la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles. Pour le moment, la prise en charge fait appel à deux techniques particulières : l’entretien individuel et les séances de groupe à visée psychanalytique.
Moyens. Sur le budget propre de l’hôpital, il a été alloué 0,40 équivalent temps plein (ETP) d’un poste infirmier et 0,20 ETP d’un poste de praticien hospitalier. Cette structure est ouverte quatre demi-journées par semaine et deux soignants y travaillent : un psychiatre hospitalier et un infirmier de secteur psychiatrique, tous deux issus du Cesame, centre de santé mentale angevin.
Les partenaires. La structure fonctionne en collaboration avec les partenaires judiciaires, à savoir le juge de l’application des peines (JAP), le juge d’instruction, le juge des libertés et détentions, le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Elle travaille aussi avec divers partenaires médicaux et paramédicaux : médecins coordonnateurs (loi du 17 juin 1998), psychiatres libéraux, psychiatres et psychologues de secteur, CMP de secteur. Si les premiers se révèlent être des « prescripteurs de sujets suivis », les seconds participent en étroite collaboration à ce réseau de soins.

2.4. Les relations entre les services pénitentiaires et les services sociaux
Comme cela a été évoqué précédemment (cf. supra Chapitre II), l’interruption du versement du RMI au-delà du délai de 60 jours de détention n’est pas sans conséquences sur la réinsertion des détenus condamnés à des courtes peines. Elle impose d’engager de nouvelles démarches administratives de recouvrement des droits, parfois quelques mois, voire quelques semaines seulement après la suspension du paiement.

Pour les autres détenus qui entrent dans les critères d’octroi (notamment avoir plus de 25 ans), un dossier de demande de RMI doit en principe être constitué par le SPIP un mois avant la libération et transmis à la Caisse d’allocations familiales (CAF). En pratique, même si le dossier est parfois préparé avant la sortie du détenu, il n’est souvent déposé à l’organisme payeur qu’à la libération effective. Les départements et les CAF peuvent convenir d’un circuit permettant aux détenus de percevoir une avance sur leurs droits le jour de leur sortie ou quelques jours plus tard s’ils changent de département. Mais en pratique, selon l’OIP, cette procédure est rarement mise en œuvre de sorte que le sortant de prison peut parfois attendre plusieurs semaines avant de percevoir le premier versement. [24]

Certains libérés peuvent percevoir une allocation spécifique de solidarité dénommée « l’allocation d’insertion ». Son versement est cependant limité par de nombreuses restrictions légales. Les détenus doivent avoir effectué au moins deux mois de prison s’être inscrits comme demandeur d’emploi dans un délai de douze mois à compter de leur libération. Ils peuvent être exclus du bénéfice de cette allocation en raison du motif de leur condamnation. Il s’agit des infractions de trafic de stupéfiants (sauf si l’auteur était mineur au moment de l’infraction), d’enlèvement et séquestration de mineur de moins de quinze ans, détournement d’un moyen de transport public (détournement d’avion, de navire, etc.) et de proxénétisme.

B - DES DISPOSITIFS D’ACCOMPAGNEMENT ET DE SUIVI POSTCARCERAL À CONSOLIDER

Les sortants de prison doivent pouvoir bénéficier d’un accompagnement socio-éducatif mais aussi sanitaire (1). Pour les personnes considérées comme les plus dangereuses, un suivi socio-judiciaire est parfois ordonnée (2).

1. L’accompagnement après la sortie de prison

Comme le définit Madeleine Perret, Vice-Présidente de la FARAPEJ, accompagner une personne « c’est nouer avec elle une relation respectant sa dignité, dans un partage d’activités et de responsabilités préalablement établies... Accompagner quelqu’un n’est donc pas décider pour lui, mais l’aider à la prise de décision et ensuite l’encourager à tenir la voie qu’il a choisie. » [25]

1.1. Renforcer l’action des SPIP dans le suivi socio-éducatif des sortants de prison
La circulaire du 21 novembre 2000 relative aux méthodes d’intervention des CIP indique que « dans les établissements pénitentiaires, les travailleurs sociaux ont un rôle d’accompagnement des personnes incarcérées ».

Pendant les six mois suivant sa libération toute personne peut d’abord bénéficier, à sa demande, de l’aide du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) du département de son lieu de résidence. Le SPIP doit notamment s’assurer de la continuité des actions d’insertion engagées en détention, en complémentarité avec les nombreuses associations partenaires.

L’action du SPIP peut prendre la forme d’une aide au transport, au financement de nuitées d’hôtel, des repas dans l’attente de l’ouverture des droits au RMI. Depuis plusieurs mois le SPIP 91 par exemple ne dispose plus de budgets en direction des sortants de prison. D’autres SPIP ont considérablement réduit leur participation budgétaire dans le cadre de cette mission. Cette situation oblige les travailleurs sociaux à solliciter davantage le secteur associatif, lui-même en manque de moyens ou à déléguer cette mission aux assistants de service social de secteur.

En Ile-de-France, le service régional d’accueil, d’information et
d’orientation des sortants de prison (SRAIOSP) a pour mission l’aide et
l’orientation des libérés sans domicile qui ne font plus l’objet d’une mesure
judiciaire et sont en situation régulière au regard de la législation sur les
étrangers [26]. Il dispose d’un « plateau technique » constitué de permanences assurées par divers organismes publics et sociaux, ce qui permet notamment un recouvrement plus rapide des droits sociaux des personnes libérées.

Encadré 17 : Le service régional d’accueil, d’information et d’orientation des sortants de prison (SRAIOSP)
Le SRAIOSP de l’Ile-de-France est un service rattaché au SPIP de Paris. Il ne dispose pas de la personnalité juridique mais simplement d’une autonomie fonctionnelle au sein de ce service.
Créé en 1988 en vue d’accueillir des sortants de prison à la suite de l’amnistie présidentielle, le SRAIOSP accueille aujourd’hui les sortants de prison SDF et qui ne font pas l’objet de mesures judiciaires.
Il dispose d’un « plateau technique » constitué de permanences assurées par divers organismes publics et sociaux : CAF, CPAM, antenne emploi de l’ANPE, vacations de médecine générale notamment. Le recouvrement des droits (RMI, logement..) est ainsi plus rapide.
Il emploie quatre travailleurs sociaux qui chacun suit, en permanence, 25 à 30 sortants de prison.
Le SRAIOSP délivre également des aides de première urgences : titres de transports, tickets repas, cartes téléphones, chèques multiservices.
Source : visite sur place du 8 novembre 2005

La question est aujourd’hui posée de la généralisation de ce dispositif à l’ensemble des autres régions françaises dans la mesure où les résultats de son action sont jugés probants. Ce type de structure, éventuellement constituée à l’échelon départemental, offrirait une mutualisation des moyens et des passerelles administratives afin de favoriser l’accès aux droits. Elle serait un lieu d’accueil, d’information et d’orientation des sortants de prison qu’ils fassent l’objet ou non d’une mesure de justice, qu’ils soient hébergés ou non ; et un lieu ressource à destination des travailleurs sociaux y compris de l’administration pénitentiaire.

En milieu ouvert, outre leur rôle de coordination et d’évaluation, les CIP devraient « participer à la mise en place et au suivi de programmes destinés à la réinsertion des détenus et adaptés à chaque problématique, comme il en existe déjà au Canada par exemple. Un programme de ce type vient d’être mis en place à Fresnes à destination des agresseurs sexuels pédophiles, basé sur les techniques de la psychothérapie de groupe. » [27].

Il existe actuellement des programmes spécialement dédiés aux infractions à la législation routière. Cette notion de programme peut se décliner pour l’ensemble des facteurs de délinquance, alcoolisme, toxicomanie, violence intra-familiale, difficultés d’insertion professionnelle, etc... Chaque programme doit être clairement défini dans ses objectifs et ses modalités d’action par un protocole détaillé, afin de permettre une évaluation postérieure.

1.2. Privilégier une approche globale de la réinsertion en s’appuyant sur le savoir-faire des associations socio-judiciaires

Une politique de réinsertion doit être aussi globale et individualisée que possible en combinant plusieurs actions : logement, emploi, formation, accès aux droits sociaux et santé. Ce dernier volet est aussi important car la fourniture d’un logement ou d’un emploi ne suffit pas toujours. Certains sortants de prison, notamment les jeunes, sont complètement déstructurés. C’est pourquoi une permanence médico-sociale a été mise en place par certaines associations.

Depuis quelques années, la FARAPEJ milite pour la mise en place d’un Projet d’accompagnement personnalisé d’exécution de la sanction (PAPES) [28]. Ce projet d’accompagnement personnalisé serait proposé à tout condamné dès l’entrée en prison et resterait valable même après la levée d’écrou dés lors que la personne sanctionnée continuerait à être suivie en milieu ouvert (annexe n° 8).

De longue date, le secteur associatif, par sa force militante, joue auprès des personnes détenues et des sortants de prison un rôle considérable, auquel notre Assemblée tient à rendre hommage. Il a développé des compétences, des savoir-faire et a mis en place des « plateaux techniques » en vue de favoriser la réinsertion des personnes placées sous main de justice. Il est le principal opérateur dans ce domaine et intervient en étroite complémentarité avec les SPIP.

Les associations, parce qu’elle répondent à des besoins ciblés complètent, sans s’y substituer, l’intervention des services du secteur public, qui dans le champ de la réinsertion a une vocation plus généraliste. Par exemple, face à un jeune toxicomane, le travailleur social du SPIP aura la possibilité de l’orienter vers une association d’aide aux toxicomanes proche de son domicile et vers le club de prévention, lesquels apporteront leur connaissance de la population locale du quartier et de ses difficultés, donc de l’environnement du jeune ainsi que de sa famille, au secteur public.

Ce secteur dispose en outre d’une souplesse d’organisation qui lui permet d’adapter en permanence les outils d’insertion et d’hébergement en proposant par exemple des prises en charge spécifiques pour les personnes alcooliques, toxicomanes ou les délinquants sexuels. Elle possède aussi une bonne capacité à mobiliser l’ensemble des partenaires, de l’administration pénitentiaire, des collectivités territoriales, du secteur sanitaire et social notamment.

Paradoxalement, alors que la situation sociale des personnes incarcérées s’est dégradée et que la prise en charge des personnes placées sous main de justice en situation d’exclusion s’est complexifiée au fil du temps, les associations qui œuvrent à la réinsertion des détenus connaissent une situation financière toujours précaire.

Les associations concernées sont pour la plupart financées sur la base d’un prix de journée qui varie entre 25 et 35 € selon les cas, prix de journée qui ne couvre que la moitié du coût réel de la prise en charge du sortant de prison. La fédération « Citoyens et Justice » [29] demande notamment que le mode de financement, aujourd’hui éclaté avec des subventions versées par au moins cinq ou six financeurs différents, soit sécurisé sous la forme d’une dotation globale dont le montant devrait être évalué de manière à répondre à l’ensemble des besoins.

1.3. Remédier aux difficultés d’accès aux centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS)

Les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) constituent la solution la plus courante aux problèmes de logement pour les personnes en grande difficulté. Les anciens détenus peuvent y être accueillis pour une période n’excédant pas six mois et y bénéficier d’un suivi éducatif et social. Par ailleurs des associations (ARAPEJ notamment) offrent également des services en matière de logement et de réinsertion. En principe, les SPIP sont en contacts avec ses structures et peuvent les recommander aux libérés.

S’agissant des places dans les CHRS, le rapport précité du CESR de Basse-Normandie notait que dans cette région « le nombre de places disponibles dans ces structures d’hébergement se situe très en deçà des besoins réels. »  [30]

Récemment, l’administration pénitentiaire a effectuée une grande enquête (2005) sur l’hébergement des personnes sortants de prison [31] auprès de 137 établissements pénitentiaires qui a notamment mis en évidence les difficultés d’accéder à certaines structures d’hébergement comme les CHRS. Trois enseignements principaux ressortent de cette enquête :
- si 90,4 % des personnes ayant répondu déclarent avoir un hébergement ou un logement à la sortie de prison, seulement 68 % déclarent que leur solution de logement est bonne tandis que près de 29 % la jugent au contraire insatisfaisante car transitoire, voire mauvaise ;
- 72,3 % ont le même logement qu’avant leur incarcération ; ce pourcentage élevé est un argument décisif pour sensibiliser et négocier avec les collectivités territoriales puisqu’il démontre qu’une majorité des personnes incarcérées reste dans leur commune d’origine ;
- quant à la nature de l’hébergement, 41,4 % se déclarent en location, 27,7 % sont logés par leur famille, 9,4 % sont propriétaires, 10 % sont hébergés par des tiers ou des amis et seulement 5,6 % sont en CHRS ou en hébergement d’urgence ; ce dernier pourcentage (5,6 %) est particulièrement faible et démontre les difficultés de recourir à ces structures.

Dans certaines régions, comme la région parisienne, obtenir une place dans un CHRS pour un sortant de prison relève du parcours du combattant. La personne libérée devra au préalable séjourner dans un hébergement d’urgence (régulation assurée par le 115), puis sera orientée vers un service d’accueil rapide (SAR) pour une durée de trois semaines environ, avant de pouvoir bénéficier d’une place en CHRS !

Certes, l’administration pénitentiaire a signé des conventions avec quelques associations gestionnaires de CHRS lesquels réservent ainsi des places d’hébergement aux sortants de prison. A titre d’exemple, l’association ESPERER 95 dispose d’un CHRS de 11 places accueillant des hommes et des femmes placés sous main de justice (publics sous contrôle judiciaire ou qui bénéficient d’un aménagement de peine) ou en fin de peine. Mais ce type de conventionnement mériterait d’être généralisé car l’offre d’hébergement proposée aux sortants de prison reste insuffisante. Les CHRS sont fréquemment conduit à refuser des admissions faute de places disponibles [32].

En profondeur, la question de l’accès aux structures d’hébergement des sortants de prison doit être replacée dans le cadre plus général de la crise du logement social mis notamment en évidence par le dernier rapport du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées (2005) [33].

La nouvelle loi de cohésion sociale, adoptée le 18 janvier 2005, devrait renforcer le dispositif national d’accueil, d’hébergement d’urgence et d’insertion. Le nouveau plan prévoit la création de 1 800 places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et de 4 000 places en centres d’aide pour les demandeurs d’asile (CADA). Cette nouvelle loi stipule également que les personnes hébergées dans le dispositif d’urgence seront désormais considérées comme prioritaires pour l’attribution de logements locatifs sociaux.

Cependant, la loi nouvelle ne donne aucun nouveau moyen ni aucune orientation concernant la réforme du fonctionnement des CHRS, lesquels restent fragiles dans la mesure où ils sont soumis à de nombreux aléas dans l’octroi des aides et des financements publics. Le renforcement de la veille sociale n’est pas non plus mis à l’ordre du jour, à l’inverse de ce que souhaitaient les acteurs associatifs et de ce qui avait été décidé par le Comité interministériel de lutte contre les exclusions en juillet 2004, concernant notamment le renforcement du 115, des services d’accueil et des équipes mobiles [34].

2. Un suivi socio-judiciaire plus efficace dans un souci de prévention de la récidive
Concernant le suivi socio-judiciaire, plusieurs rapports récents indiquent que le dispositif en vigueur (2.1.) se heurtent à plusieurs difficultés auxquelles il conviendrait de remédier (2.2.).

2.1. Le dispositif en vigueur
La délinquance sexuelle est la première cause d’incarcération en France. La part des délinquants sexuels au sein de la population des condamnés a crû de 105,6 % entre 1995 et 2003 et concernait 8 109 personnes, excédant de beaucoup les 5 217 condamnés pour coups et blessures dont l’augmentation n’en est pas moins inquiétante (+ 161,2 %).

Confronté à ces évolutions, le législateur [35] a mis en place des instruments spécifiques de contrôle des condamnés sexuels à l’instar du suivi socio-judiciaire.

Dans ce cadre, et au titre des mesures de surveillance et de contrôle destinées à prévenir la récidive comme le précise l’article 131-36-1 du code pénal, le condamné peut être contraint, d’une part, de s’abstenir de paraître en certains lieux accueillant des mineurs ou de fréquenter certaines personnes et, d’autre part, de ne pas exercer une activité professionnelle impliquant un contact habituel avec les mineurs.

La durée maximale du suivi socio-judiciaire a été allongée par la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, qui prévoit même la possibilité d’un suivi sans limitation de durée, en répression des crimes punis de la réclusion criminelle à perpétuité.

Parmi les mesures de surveillance et d’assistance qui peuvent être imposées au condamné dans le cadre du suivi socio-judiciaire figure l’ensemble des obligations et interdictions prévues dans le cadre du sursis avec mise à l’épreuve [36], et plus particulièrement l’obligation de soins. Dans le cadre du sursis avec mise à l’épreuve, d’une peine de suivi socio-judiciaire ou d’un aménagement de peine d’emprisonnement, l’obligation de soins est prononcée, selon les cas, par la juridiction de jugement ou le juge de l’application des peines, avec ou sans expertise médicale préalable, qui impose à un condamné de se soumettre à des soins et à un suivi médical pendant un temps déterminé.

Par ailleurs, s’il est établi après une ou plusieurs expertises médicales que l’auteur est susceptible de faire l’objet d’un traitement, une injonction de soins peut être prononcée, soit par la juridiction de jugement [37], soit, après la condamnation initiale, par le juge de l’application des peines [38]. Cette mesure est prononcée dans le cadre d’une peine de suivi socio-judiciaire, à l’encontre d’un condamné pour crime ou délit à caractère sexuel, s’il est établi après une expertise médicale que la personne est susceptible de faire l’objet d’un traitement.

Le dispositif de l’injonction de soins est mis en oeuvre par deux médecins, le premier, psychiatre et « coordonnateur », est désigné dans le ressort de chaque tribunal de grande instance par le procureur de la République, le second, médecin traitant étant conseillé au condamné par le coordonnateur.

2.2. Le suivi socio-judiciaire se heurte à de nombreuses difficultés
Force est de constater que, selon un rapport de mission parlementaire récent (2004), « le suivi socio-judiciaire en général, et l’injonction de soins en particulier, se heurtent à de nombreuses difficultés et est, de ce fait, peu prononcé et mal appliqué. » [39].

Le nombre des suivis socio-judiciaires prononcés demeure particulièrement faible : 5 en 1998, 75 en 1999, 265 en 2000, 421 en 2001 et 645 en 2002, soit moins de 8 % des délinquants sexuels incarcérés. Comme le notait déjà le rapport précité de la commission Santé-justice (2005) « la mise en œuvre d’une peine aussi spécifique que le suivi socio-judiciaire, tant en termes de durée que de coordinations entre les différents acteurs, nécessite que les juges de l’application des peines et les conseillers d’insertion et de probation soient en nombre suffisant. Or, les tribunaux souffrent actuellement d’une pénurie de moyens qui a pu, à juste titre, décourager certaines juridictions d’ordonner des suivis socio-judiciaires qui resteraient inappliqués.  »

D’autres éléments d’information émanant des praticiens consultés par la mission parlementaire tendent à montrer que ce dispositif est mal appliqué. Ainsi, le rôle des SPIP n’est pas défini par le décret pris en application de la loi du 17 juin 1998 précitée [40], alors même que ces services doivent assurer l’accompagnement des condamnés astreints au suivi socio-judiciaire en vue de leur éventuelle démarche vers l’offre de soins.

De plus, la pénurie de médecins psychiatres dans le secteur public conduit à ce que de nombreux TGI soient dépourvus de médecin coordonnateur. En outre, la prise en charge des délinquants sexuels se heurterait également à des oppositions doctrinales d’une grande partie de cette profession. En effet, comme l’a indiqué à la mission parlementaire Mme Betty Brahmy, de nombreux psychiatres considèrent que les délinquants sexuels étant des « pervers » au sens clinique du terme, ils ne peuvent, de ce fait, être soignés et ne relèvent donc pas de la psychiatrie à la différence des « schizophrènes ». Cette position de principe, méconnue de l’opinion publique, « est d’autant plus difficile à accepter par les élus de la Nation que les délinquants sexuels font généralement l’objet d’une prise en charge psychiatrique au cours de leur incarcération. Dans ces conditions, on comprend mal pourquoi ce qui semble envisageable en milieu carcéral devient impossible en milieu ouvert. »

Ce refus de prendre en charge une population, certes éminemment difficile, tiendrait également à sa relative méconnaissance par les psychiatres. En effet, la formation initiale des médecins psychiatres ne comprend aucun enseignement spécifique sur les délinquants sexuels, ce qui ne favorise pas leur investissement en tant que coordonnateur de l’injonction de soins. C’est pourquoi, afin d’améliorer l’application de l’injonction de soins, la mission souhaite que la formation initiale des psychiatres comprenne un enseignement spécifique sur les délinquants sexuels. De même, l’accès à la fonction de médecin traitant dans le cadre de l’injonction de soins devrait être réservé aux médecins ayant bénéficié d’une formation particulière en cette matière (proposition n° 17 du rapport).

Enfin, une autre source des dysfonctionnements du suivi socio-judiciaire avec injonction de soins tient au fait que l’article L. 3711-1 du code de la santé publique dispose que la personne en charge du traitement doit être un médecin. Or, cette exigence constituerait une véritable entrave à la mise en œuvre de l’injonction de soins tant les postulants médecins sont rares pour exercer cette pénible mission. C’est pourquoi, la mission suggère que les titulaires d’un diplôme universitaire de troisième cycle en psychologie clinique (DESS) puissent également être proposés comme responsables du traitement du condamné sexuel par le médecin coordonnateur (proposition n° 18 du rapport).

A cet égard, l’article 26 de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales stipule que « si la personnalité du condamné le justifie, le médecin coordonnateur peut inviter celui-ci à choisir, soit en plus du médecin traitant, soit à la place de ce dernier, un psychologue traitant dont les conditions du diplôme et les missions sont précisées par le décret prévu par l’article L. 3711-5. »

Par ailleurs, le rapport de la commission santé-justice (2005) propose d’élargir le champ d’application de la peine de suivi socio-judiciaire. Si le caractère novateur du suivi socio-judiciaire a pu inciter le législateur à limiter prudemment son application aux infractions à caractère essentiellement sexuel, la commission « considère qu’il pourrait aujourd’hui être utilement étendu, d’une part, en matière d’injonction de soins, à toutes les personnes souffrant de troubles mentaux en lien avec l’infraction commise et, d’autre part, pour les autres mesures de surveillance et d’assistance, à tous les auteurs présentant un état de dangerosité criminologique (proposition n°20). ».

Notes:

[1] « La mise en place du bracelet électronique en France (octobre 2000, ami 2002 », Annie Kensey, Anna Pitoun, René Lévy et Pierre Tournier, octobre 2003

[2] Livre blanc sur « les difficultés liées à la mise place et à la gestion de la mesure de placement extérieur par le secteur associatif », association ESPERER 95, avril 2005

[3] Rapport d’information de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur la mise en application de la loi 2004-204 du 9/03/04 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, n°2378, Jean-Luc Warsmann, juin 2005.

[4] Etude de législation comparée du Sénat, « La libération conditionnelle », novembre 2005

[5] Tournier, 1997 et Commission Farge, 2000

[6] « Sortants de prison : variabilité des risques de retour », A. Kensey et P.V. Tournier, Cahiers de démographie pénitentiaire, mai 2005

[7] « La libération conditionnelle, une nécessité », Monique Pelletier, Le Monde, juillet 2005

[8] « Les systèmes de libération sous condition dans les Etats membres du Conseil de l’Europe », P.V. Tournier, Champ pénal, Vol. I, avril 2004

[9] Entretien le 8 décembre 2005 du rapporteur avec Mme Grosdoigt, correspondante ANPE-Justice

[10] Rapport 2005 de l’OIP, p.240

[11] Etablissements de Lyon, Saint-Etienne et Valence

[12] Loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre l’exclusion - Décret du 19 février 1999 relatif à l’insertion par l’activité économique

[13] Une structure d’insertion, Bruno Faure in revue Prison-Justice n°99, mars 2004

[14] Association agréée par le Comité départemental d’insertion par l’activité économique (CDIAE)

[15] CREDOC, L’organisation de la prise en charge des sorties de détention, 2002

[16] Entretien du rapporteur avec Mme Huguette Bensaïd, responsable de l’association CIFA, le 27 juin 2005

[17] Entretien du rapporteur avec M. Imanuel PAJAND, responsable du secteur insertion au sein de l’association FAIRE, le 29 mars 2005

[18] « Se réinsérer malgré les freins juridiques », Martine Herzog-Evans, Dedans-Dehors, n°20, juillet 2000

[19] Cité par Nicolas Perrault, bâtonnier du barreau des Yvelines. Deuxièmes rencontres parlementaires sur les prisons ; 7 décembre 2005.

[20] Rapport de la mission parlementaire confiée à Jean-Luc Warsmann, avril 2003, p.64

[21] Garde et réinsertion, la gestion des prisons ; rapport public thématique ; Cour des comptes ; p.98 ; janvier 2006

[22] Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues, Ministère de la santé, 2004

[23] « Une consultation psychiatrique pour les auteurs d’agressions sexuelles », Patrice Roy, revue SOINS n°701, décembre 2005

[24] Rapport d’activité 2005 de l’OIP, op. cit

[25] Variations sur le thème de l’accompagnement, Madeleine Perret, in L’accompagnement en question, revue Prison-Justice n°99, mars 2004

[26] Visite sur place et entretien du rapporteur avec Mme Dominique Perrault, responsable du SRAIOSP, le 2 novembre 2005

[27] Rapport de la mission parlementaire confiée à Jean-Luc Warsmann, op. cité

[28] « De la détention à la liberté : questions sur l’accompagnement », colloque organisé par la FARAPEJ au Sénat, mars 2005

[29] Cette fédération nationale regroupe plus d’une centaine d’associations qui exercent des missions de service public déléguées dans le domaine judiciaire

[30] « La place de l’univers carcéral en Basse-Normandie », op.cit, p.346

[31] Enquête sur l’hébergement des personnes sortant de prison effectuée entre le 28 mars et le 1er avril 2005

[32] Rapport d’activité 2004 du CHRS Hermitage géré par l’association ESPERER 95

[33] « Face à la crise : l’obligation de résultat », 11ème rapport du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, décembre 2005

[34] « Le volet logement du plan de cohésion sociale : des intentions aux réalisations », C. Robert et D. Varoni, in Regards sur l’actualité n°311, mai 2005

[35] Loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs

[36] Ces interdictions spécifiques sont prévues à l’article 131-36-2 du code pénal

[37] Article 131-36-4 du code pénal

[38] Article 763-3 du code de procédure pénale

[39] Rapport d’information n°1718 de l’Assemblée nationale sur le traitement de la récidive des infractions pénales, juillet 2004

[40] Décret n° 2000-412 du 18 mai 2000