Les épidémies de VIH et de VHC en prison
Prévalence du VIH et du VHC dans les prisons
Mondialement, les taux d’infection à VIH dans les populations incarcérées tendent à être beaucoup plus élevés que dans la population générale.
Mondialement, les taux d’infection à VIH dans les populations incarcérées tendent à être beaucoup plus élevés que dans la population générale. Le Canada n’y fait pas exception. Une grande partie des données sur le VIH/sida en prison vient de pays industrialisés et à revenu élevé ; on trouve relativement peu d’information à ce sujet, en provenance de pays en développement et en transition. Même dans les pays riches, le nombre précis de détenus séropositifs au VIH est difficile à estimer. Cette difficulté est attribuable à la diversité des protocoles pour le test (test volontaire, test de tous les détenus, test à la suite de vagues d’infection). De plus, il se peut que les taux d’infection établis par l’étude de populations dans une prison ou une région donnée soient peu propices à une généralisation pour estimer la prévalence nationale en prison, puisque la prévalence du VIH peut varier d’une région à une autre, dans un même pays.
Hormis les pays où la prévalence est en grande partie attribuable aux comportements à risque hétérosexuels, la prévalence du VIH dans les prisons est étroitement liée à deux facteurs : (1) la proportion de détenus qui s’injectaient des drogues avant l’incarcération et (2) le taux d’infection à VIH parmi les personnes qui s’injectent des drogues dans l’ensemble de la communauté. Les ressorts où l’on rencontre les taux les plus élevés d’infection à VIH en prison (mis à part les pays où sévissent des épidémies de VIH à grande échelle parmi les hétérosexuels) sont ceux où l’infection à VIH dans la communauté générale est « fortement répandue parmi les utilisateurs de drogue par injection, qui sont radicalement surreprésentés dans les établissements correctionnels ». [1] Dans un commentaire sur la situation aux États-Unis, la Commission nationale états-unienne sur le sida a affirmé en 1991 que « en choisissant l’emprisonnement de masse comme réponse des gouvernements fédéral et des États devant l’usage de drogue, nous avons créé une politique de facto d’incarcérer encore plus d’individus atteints d’infection à VIH ». [2] Il n’y a pas qu’aux États-Unis que l’on trouve une approche prohibitionniste à l’égard de l’usage de drogue et des personnes qui s’y adonnent. Par conséquent, la situation décrite par la Commission états-unienne sur le sida est manifeste dans un grand nombre de pays.
Europe occidentale, Australie et États-Unis
Des taux élevés d’infection à VIH parmi les populations incarcérées ont été signalés dans plusieurs pays. En Espagne, on estime que le taux général d’infection à VIH parmi les détenus est de 16,6% ; et que ce taux atteint les 38% dans les populations de certaines prisons du pays. [3] En Italie, un taux de 17% a été rapporté. [4] On signale aussi des taux élevés d’infection à VIH parmi les détenus en France (13% d’un échantillon de 500 tests consécutifs), en Suisse (11% aux termes d’une étude transversale menée dans cinq prisons du canton de Berne) ainsi qu’aux Pays-Bas (11% au dépistage d’un échantillon de détenus à Amsterdam). [5] En revanche, certains pays européens, notamment la Belgique, la Finlande, l’Islande et l’Irlande, de même que certains États [Länder] de l’Allemagne, signalent des taux de prévalence moins élevés. [6] (Des taux de prévalence du VIH relativement faibles ont également été signalés en Australie. [7])
Une récente étude a estimé que, chaque année, aux États-Unis, 25% de l’ensemble des citoyens séropositifs au VIH passent un séjour dans un établissement correctionnel. [8] Dans ce pays, la distribution géographique des cas d’infection à VIH et de sida est inégale : plusieurs systèmes correctionnels y signalent des taux de prévalence du VIH inférieurs à 1%, alors que d’autres ont des taux qui approchent des 8% ou les dépassent. [9]
Europe centrale, Europe de l’Est et ex-URSS
Dans les pays d’Europe centrale et de l’Est ainsi que dans l’ex-Union soviétique (ex-URSS), les taux élevés d’infection à VIH parmi les personnes qui s’injectent des drogues et parmi les détenus sont un problème croissant. Dans la Fédération de Russie, à la fin de 2002, le nombre de détenus vivant avec le VIH/sida dépassait les 36 000 - soit environ 20% des cas connus de VIH. [10] En Ukraine, où 69% des cas d’infection à VIH sont liés à l’injection de drogue, [11] on estime que 7% de la population carcérale est séropositive au VIH. [12] En Latvie, on estime que les détenus représentent un tiers de la population nationale séropositive au VIH, et qu’un quart des Latviens qui ont contracté le VIH l’ont fait pendant un séjour en prison. [13] En Lituanie, en mai 2002, le nombre de résultats positifs au test du VIH compilés parmi les détenus pendant une période de deux semaines égalait le total des cas de VIH recensés dans tout le pays au cours de toutes les années précédentes. [14] Au total, 284 détenus (soit 15% de la population carcérale de la Lituanie) ont été diagnostiqués séropositifs au VIH, entre mai et août 2002. [15]
Dans la Fédération de Russie, plus de 36 000 détenus vivent avec le VIH/sida.
Canada
Au Canada, la prévalence du VIH en prison est d’au moins 10 fois plus élevée que dans la population générale.
Les estimés de la prévalence du VIH dans des prisons fédérales et provinciales, au Canada, oscillent entre 2% et 8% ; [16] des études de prévalence du VIH dans certains établissements ont signalé des taux allant de 1% jusqu’à 11,94%. [17] Même selon une approche conservatrice, ces estimés indiquent que le taux de prévalence du VIH en prison est de 10 fois supérieur à celui de l’ensemble de la population canadienne. [18] D’après des données préliminaires, 2,01% de l’ensemble des détenus des établissements correctionnels fédéraux du Canada étaient connus comme étant séropositifs au VIH ; le taux est plus élevé parmi les femmes incarcérées (3,71%). [19] Parmi les cinq régions administratives du Service correctionnel du Canada (SCC), le taux le plus élevé de cas déclarés d’infection à VIH se rencontre au Québec (2,7%) et le plus faible en Ontario (0,7%). [20] Un certain nombre d’études de prévalence du VIH ont été effectuées dans des prisons fédérales et provinciales ; notamment :
La première étude réalisée dans une prison au Canada, sur la prévalence du VIH et des comportements à risque, a eu lieu dans un établissement à sécurité moyenne pour femmes, à Montréal. [21] Des 321 participantes, 23 (7,2%) étaient séropositives au VIH et 160 (49,8%) ont déclaré s’injecter des drogues. Les pratiques d’injection non stérile et d’activité sexuelle non protégée avec une autre personne qui s’injecte des drogues sont les deux facteurs identifiés comme présentant le plus grand risque d’infection par le VIH.
Entre le 1er octobre et le 31 décembre 1992, une étude dans toutes les prisons pour adultes dans la province de la Colombie-Britannique (C.-B.) a examiné les associations entre l’infection à VIH et certaines caractéristiques démographiques et comportementales. Un total de 2 482 (91,3%) des 2 719 détenus admissibles se sont portés volontaires pour un test du VIH. Les détenus ayant déclaré des antécédents d’injection de drogue étaient plus susceptibles que les autres de refuser le test du VIH (12,9%, comparé à 6,8%). L’échantillon de 2 248 détenus ayant subi le test du VIH était semblable à l’ensemble de la population carcérale sur les plans du sexe, de l’âge et de la proportion d’autochtones. Au total, 28 détenus ont été trouvés séropositifs au VIH, ce qui représente un taux de prévalence de 1,1% dans l’échantillon à l’étude. La prévalence observée était plus élevée parmi les femmes que parmi les hommes (3,3%, comparé à 1,0%) ; et plus élevée parmi les détenus ayant déclaré s’injecter des drogues que parmi ceux qui n’ont pas déclaré de tels antécédents (2,4%, comparé à 0,6%). On n’a pas constaté d’association entre la séropositivité au VIH et l’origine autochtone ou le groupe d’âge. La prévalence plus élevée du VIH parmi les femmes peut s’expliquer par le fait que plus de femmes que d’hommes ont déclaré des antécédents d’injection de drogue. Les auteurs de l’étude ont conclu que le taux général de prévalence de 1,1% et le taux de 3,3% chez les femmes confirmaient que l’infection à VIH était devenue une réalité des prisons et que le virus était clairement établi dans la population carcérale. De plus, ils ont suggéré que, du point de vue de la santé publique, les données révélaient un urgent besoin d’accès à du matériel d’injection stérile, en plus des autres moyens de prévention. [22]
Une étude publiée en 1995 a porté sur la séroprévalence du VIH et du VHC parmi les femmes d’un établissement correctionnel fédéral. [23] Des 130 détenues pouvant participer à l’étude, 113 (86,9%) ont accepté de donner un échantillon de sang. Une femme (0,9%) était séropositive au VIH ; 45 femmes (39,8%) étaient séropositives aux anticorps anti-VHC. Le taux de prévalence du VIH de 0,9% est inférieur à celui que l’on a mesuré dans le cadre d’études dans des prisons provinciales. Cependant, le taux élevé de prévalence aux anticorps anti-VHC indique un degré considérable de comportements à risque, probablement dans l’injection de drogue, et indique un potentiel d’augmentation rapide du taux d’infection à VIH en cas d’augmentation du nombre de personnes nouvellement incarcérées qui seraient séropositives et utilisatrices de drogue par injection.
En 1998, une équipe de l’Université Queen’s a réalisé un dépistage sérologique volontaire et anonyme du VIH et du VHC, dans un établissement fédéral canadien à sécurité moyenne ; [24] 68% des 520 détenus ont accepté que l’on prélève un échantillon de leur sang et 99% de ceux qui ont donné du sang ont complété un questionnaire sur leurs comportements à risque, relié à l’échantillon de sang par un numéro. Comparées aux résultats de dépistages précédents pour le VIH (quatre ans plus tôt) et le VHC (trois ans plus tôt [25]) dans le même établissement, la prévalence du VIH avait augmenté de 1% à 2%, et la prévalence du VHC avait augmenté de 28% à 33%. Le principal facteur de risque associé à l’infection à VHC était l’usage de drogue hors de prison, bien qu’un petit groupe de détenus ne s’étaient injecté des drogues que dans la prison et que la moitié de ces derniers avaient l’infection à VHC. La proportion de détenus s’étant injecté des drogues en prison avait augmenté de 12% (en 1995) à 24% (en 1998). La proportion des répondants au questionnaire qui ont déclaré avoir partagé du matériel d’injection à un moment ou l’autre, en prison, était de 19%.
Une étude de la prévalence du VIH parmi 394 femmes incarcérées au Québec, publiée en 1994, a mesuré que 6,9% des participantes et 13% de celles qui avaient des antécédents d’injection de drogue étaient séropositives au VIH. [26]
Une étude publiée en 2004, réalisée auprès de 1 617 détenus dans sept établissements de détention de ressort provincial, au Québec, a mesuré un taux de prévalence du VIH de 2,3% chez les hommes et de 8,8% chez les femmes. [27]
Autres pays
Les taux élevés d’infection à VIH parmi les détenus ne sont pas limités aux ressorts européens et nord-américains. Plusieurs pays, dans toutes les régions du monde, sont aussi aux prises avec cette crise de santé. En Afrique, des rapports ont signalé un taux aussi élevé que 41% de prévalence du VIH/sida parmi les 175 000 personnes incarcérées en Afrique du Sud. [28] En Zambie [29] et au Nigeria, [30] on rapporte aussi des taux élevés de VIH en prison. En Amérique latine, des études ont mesuré des taux de prévalence du VIH de près de 7% dans trois prisons urbaines du Honduras (et de près de 5% parmi les détenus de sexe masculin de 16 à 20 ans) ; [31] dans un échantillon de prisons du Brésil, ces taux allaient de 10,9% à 21,5%. [32] En Asie, plusieurs études réalisées en Thaïlande ont mis en relief les antécédents d’incarcération en tant que facteur étroitement lié à l’infection à VIH. [33] Une étude auprès de 377 détenus, dans trois prisons de l’Inde, a mesuré que 6,9% des sujets vivaient avec le VIH et que ceux-ci étaient tous originaires de la Thaïlande ou du Myanmar. [34]
L’infection à VHC
L’infection à VHC est endémique parmi les populations carcérales, à l’échelle mondiale. Dans plusieurs pays, les taux élevés d’infection à VIH parmi les détenus sont largement dépassés par les taux - encore beaucoup plus élevés - d’infection à VHC (une autre infection virale hématogène transmissible par le partage de seringues). Des études sur le VHC en prison ont eu lieu notamment en Australie, à Taiwan, en Inde, en Irlande, au Danemark, en Écosse, en Grèce, en Espagne, au Royaume-Uni, au Brésil, aux États-Unis ainsi qu’au Canada. La grande majorité des études publiées après examen des pairs ont relevé des taux de VHC allant de 20% à 40% parmi les détenus ; parmi les mêmes échantillons de participants, les taux de VHC parmi les détenus qui s’injectent des drogues sont régulièrement de deux à trois fois plus élevé que chez les détenus qui ne s’en injectent pas. [35] Il a été avancé que la concentration d’individus atteints du VHC, en prison, peut être liée à plusieurs facteurs, notamment les taux élevés d’incarcération de personnes qui s’injectent des drogues et de personnes ayant des antécédents d’incarcération à répétition ; et que l’incarcération peut être un facteur de risque indépendant d’infection à VHC. [36]
Au Canada, 23,6% des détenus de ressort fédéral qui ont passé un test volontaire du VHC, en 2001, ont été trouvés séropositifs. [37] Comme pour le VIH, les taux de VHC étaient plus élevés chez les femmes incarcérées (42,4%) que chez les détenus de sexe masculin (23,2%). [38] Cependant, le rapport du SCC citant ces données les accompagne d’une mise en garde à l’effet que le VHC pourrait être sous-déclaré parce que « Les personnes qui risquent le plus d’être infectées sont peut-être moins susceptibles de se faire tester, ce qui peut entraîner des schémas de dépistage tendancieux et la transmission continue de l’infection ». [39] Cette mise en garde est d’ailleurs corroborée par une étude de 1996 auprès de 192 détenus d’un établissement fédéral pour hommes où l’on a mesuré que 28% des détenus étaient atteints du VHC et que le taux était considérablement plus élevé parmi ceux qui s’injectaient des drogues (52%) que parmi les autres (3%). [40]
L’usage de drogue en prison
En dépit de leur illégalité, des pénalités pour leur consommation et des sommes considérables d’argent et d’heures/personnes que dépensent les systèmes de prisons pour en empêcher l’entrée, le fait demeure : des drogues illicites entrent dans les prisons et des détenus en consomment. Comme dans la communauté, les drogues sont présentes en prison parce qu’il y a un marché pour ces substances et que d’aucuns en peuvent tirer profit.
Plusieurs détenus (en attente de procès ou de sentence, ou pendant qu’ils purgent leur peine d’emprisonnement) ont des antécédents d’usage de drogues ou consomment des drogues en prison. Leur situation de conflit avec la loi et leur incarcération résultent souvent d’infractions liées à la criminalisation de certaines drogues ou au financement de l’usage de drogue (parfois nommé « crime d’acquisition »), ou d’infractions pour des comportements associés à l’usage de drogue. Dans plusieurs pays, des augmentations considérables de la population carcérale, ainsi que de la surpopulation qui en découle, peuvent être attribuées en grande partie aux politiques prescrivant la recherche active et l’incarcération des personnes qui produisent, transigent ou consomment des substances illicites. Outre les personnes qui ont déjà des antécédents d’usage de drogue et qui continuent cette consommation en prison, une minorité de détenus commencent à consommer des drogues pendant leur incarcération afin de se détendre et d’être moins indisposés par la vie dans un milieu souvent surpeuplé et violent. [41]
Des études réalisées dans divers pays illustrent la prévalence de l’usage de drogue en prison. Dans les pays de l’Union européenne, par exemple, entre 29% et 86% détenus ont déclaré avoir déjà consommé une drogue illégale (la plupart des études ont conclu à un taux de 50% ou plus) ; [42] et le taux de consommation de drogue pendant l’incarcération va de 16% à 54%. [43] Ces études menées dans l’Union européenne indiquent que les statistiques sur l’usage de drogue sont encore plus élevées parmi les femmes incarcérées. [44] Au Canada, dans une enquête réalisée en 1995 par le SCC, 40% des détenus ont déclaré avoir utilisé des drogues depuis leur entrée dans l’établissement où ils se trouvaient à ce moment. [45]
Le dépistage de la drogue est un facteur qui influence les tendances associées à l’utilisation de drogues en prison. Dans plusieurs systèmes de prisons, en particulier dans des pays industrialisés, les détenus sont soumis (systématiquement ou au hasard) à des tests d’analyse d’urine afin de détecter des drogues illicites qu’ils auraient consommées. Les détenus chez lesquels on détecte une utilisation de drogues illicites peuvent être pénalisés en vertu de lois pénales ou frappés de sanctions administratives ou institutionnelles qui peuvent entraîner la perte de privilèges ou une prolongation du temps d’incarcération. Par conséquent, les détenus qui consomment des drogues illicites ont fortement intérêt à éviter le risque que l’on puisse déceler des traces de drogues dans leur urine. Or certaines drogues sont évacuées du corps humain en relativement peu de temps, alors que d’autres y demeurent et sont détectables dans l’urine beaucoup plus longtemps. Fait particulièrement important dans le contexte de la transmission du VIH et du VHC en prison, le cannabis est détectable dans l’urine pendant une période beaucoup plus longue (jusqu’à un mois) que des drogues injectées comme l’héroïne ou la cocaïne. [46] Il est donc logique que certains détenus choisissent de s’injecter des drogues plutôt que de risquer d’être pénalisés en fumant du cannabis ; or le risque sanitaire lié à la consommation de cannabis est négligeable en comparaison avec les conséquences potentielles de l’injection d’héroïne et de cocaïne. Vu la rareté des seringues stériles en prison et la fréquence à laquelle elles y sont partagées, le fait d’opter pour l’injection de drogues peut avoir des conséquences dévastatrices sur la santé des détenus. Quelques études ont établi que l’analyse d’urine pour la détection de drogues illicites concourt à augmenter les méfaits associés à l’injection de drogue, notamment au potentiel de transmission du VIH et du VHC. [47]
L’injection de drogue, le partage de seringues et le risque de transmission du VIH et du VHC
Entre 20% et 40% des détenus vivent avec le VHC
Le partage de seringues entre utilisateurs de drogues par injection est une activité à risque élevé de transmission du VIH et du VHC, en raison de la présence de résidus de sang dans l’aiguille et la seringue, après une injection. [48] Pour les personnes qui s’injectent des drogues, l’emprisonnement accroît le risque de contracter le VIH et le VHC par le partage de seringues. Étant donné que l’introduction clandestine de seringues et d’aiguilles, en prison, est plus difficile que l’introduction de drogues, ces instruments sont généralement une denrée rare. En conséquence, des détenus qui s’injectent des drogues partagent et réutilisent leurs seringues et aiguilles, par nécessité. Une seringue peut circuler parmi un nombre souvent important d’utilisateurs ou être conservée dans un endroit caché qui est généralement accessible aux détenus, pour usage au besoin. Elle peut aussi être la possession d’un détenu qui la loue à d’autres, moyennant des frais, ou qui l’utilise de manière exclusive pendant plusieurs mois, jusqu’à ce qu’elle se désintègre. [49] Dans certains cas, les instruments utilisés pour s’injecter des drogues sont fabriqués à la main, et ce qui tient lieu d’aiguille est bricolé à partir d’objets courants, ce qui entraîne souvent des dommages aux veines, des plaies ainsi que des infections au point d’injection ou d’autre type.
Données internationales
En raison de la prohibition légale entourant l’usage de drogue, dans la plupart des pays, les personnes qui s’injectent des drogues se trouvent souvent en situation de conflit avec la loi. Dans plusieurs cas, cela entraîne des périodes d’incarcération. Par exemple, une étude nationale aux États-Unis, auprès de 25 000 personnes qui s’injectent des drogues, a établi qu’environ 80% avaient été incarcérées. [50] Une étude de 1995 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à propos des comportements à risque pour le VIH parmi les personnes qui s’injectent des drogues, dans 12 villes, a relevé qu’entre 60% et 90% des répondants avaient déjà été incarcérés (la plupart à plusieurs reprises) depuis qu’ils avaient commencé à s’injecter des drogues. [51]
Un utilisateur de drogue ne cesse pas nécessairement d’en consommer simplement parce qu’il est incarcéré. Dans plusieurs cas, ces personnes continuent de prendre des drogues, régulièrement ou de manière occasionnelle, pendant leur détention. Comme l’a signalé l’ONUSIDA en 1997, « une longue expérience a montré que les drogues, les aiguilles et les seringues arrivent à traverser les plus épais et les plus sûrs des murs de prisons » et, d’étude en étude, on a documenté la prévalence d’injection de drogue dans des prisons, aux quatre coins du monde. [52] De fait, des études ont montré non seulement que des personnes continuent de s’injecter des drogues alors qu’elles sont en prison, mais aussi que certains détenus commencent en prison à consommer des drogues par injection.
Comme dans la communauté, les drogues sont présentes en prison parce qu’il y a un marché pour ces substances et que l’on peut tirer profit de leur vente.
D’après un rapport de 2002 préparé pour l’Union européenne, entre 0,3% et 34% de la population carcérale de l’Union européenne et de la Norvège s’injectait des drogues en prison. Le rapport indiquait qu’entre 0,4% et 21% des personnes qui s’injectent des drogues avaient commencé cette pratique en prison, et qu’une forte proportion des personnes qui s’en injectaient en prison partageaient des instruments pour le faire. Des études menées en France et en Allemagne ont mesuré que l’incidence du partage de matériel d’injection, en prison, était plus élevée chez les femmes que chez les hommes. [53]
En Australie, des études ont mesuré qu’entre 31% et 74% des personnes qui s’injectaient des drogues déclaraient l’avoir fait aussi en prison, et qu’entre 60% et 91% déclaraient y avoir partagé du matériel d’injection. [54] Dans une étude, six personnes sur 36 qui avaient déclaré s’être injecté des drogues et avoir partagé des seringues pour le faire, lors de leur plus récent séjour en prison, ont aussi déclaré que c’était là la toute première fois qu’elles avaient partagé des seringues. [55]
En Thaïlande, la première vague d’infections par le VIH s’est produite en 1988 parmi les utilisateurs de drogue par injection. D’un taux négligeable au début de l’année, la prévalence du VIH parmi les personnes s’injectant des drogues avait augmenté en septembre à plus de 40%, catalysée en partie par la transmission de l’infection au fur et à mesure du va-et-vient de plusieurs de ces personnes entre les prisons et la communauté. [56] Plus récemment, une étude a conclu que « les utilisateurs de drogues par injection à Bangkok sont exposés à un risque accru de contracter le VIH par le partage de seringues avec des partenaires multiples dans les cellules de détention provisoire, avant l’incarcération ». [57]
Dans une étude réalisée en Russie auprès de 1 087 détenus, 43% des répondants s’étaient injecté une drogue pendant leur vie et 20% l’avaient fait en prison. De ces derniers, 64% ont utilisé du matériel d’injection qu’une autre personne avait déjà utilisé ; et 13,5% avaient commencé à prendre de la drogue par injection pendant leur détention. [58] Dans la région administrative [oblast] de Nizhni-Novgorod, où la population incarcérée est de 28 000 personnes, les autorités ont établi que chacun des 220 détenus séropositifs au VIH avait contracté le VIH par l’injection de drogue. [59]
Au Mexique, une étude menée dans deux prisons a mesuré des taux d’injection de drogue de 37% et de 24%. [60]
Certains détenus commencent en prison à consommer des drogues, pour se détendre et pour composer avec un milieu souvent surpeuplé et violent.
La présence de drogues en prison, le nombre de détenus qui arrivent en prison et qui sont ou ont été utilisateurs de drogue par injection, de même que de détenus qui commencent à consommer des drogues pendant leur détention, couplés à la rareté du matériel d’injection, font des prisons un milieu à risque élevé de propagation des infections à VIH et à VHC. Depuis la fin des années 1980, on a documenté des preuves de transmission du VIH en prison :
Entre 1987 et 1989, on a observé à Bangkok, dans la population générale, une hausse marquée de l’infection à VIH parmi les personnes qui s’injectent des drogues. Les taux de prévalence du VIH ont bondi de 2% à 27%, en 1987, puis à 43% à la fin de 1988. Cette augmentation considérable des taux de VIH parmi les personnes qui s’injectent des drogues, dans la communauté, s’est produite en parallèle à l’amnistie et à la remise en liberté d’un grand nombre de détenus thaïlandais. Six études thaïlandaises sur l’infection à VIH parmi les personnes qui s’injectent des drogues ont décelé une association importante entre le fait d’avoir été incarcéré et celui d’avoir l’infection à VIH. [61]
Une étude réalisée dans la prison de Glenochil, en Écosse, a conclu à des preuves définitives que des flambées d’infection à VIH peuvent se produire parmi des populations incarcérées. L’étude a porté sur une flambée de VIH qui a eu lieu dans cette prison en 1993. Avant le début de l’enquête, 263 des détenus qui y étaient incarcérés au moment de la flambée avaient été libérés ou transférés dans d’autres établissements. Des 378 détenus restants, 227 ont été recrutés pour l’étude. Parmi ces derniers, 76 ont déclaré avoir déjà consommé de la drogue par injection, dont 33 dans la prison de Glenochil. De ces 33 détenus, 29 ont accepté de passer un test du VIH, dont 14 ont reçu un résultat positif. Treize de ces quatorze personnes étaient infectées par la même souche de VIH, ce qui démontre que sa transmission a eu lieu en prison. Tous les détenus qui ont contracté le VIH à Glenochil ont déclaré avoir partagé des seringues pendant longtemps. [62]
Dans une prison d’Australie, des données épidémiologiques et génétiques ont été utilisées pour retracer un réseau de personnes qui s’injectent des drogues. Des 31 détenus qui avaient fait partie du réseau, 25 ont été retracés. De ces derniers, deux ont reçu un résultat négatif au test du VIH, sept étaient décédés, deux ont refusé de participer et 14 ont participé à l’étude. Parmi ces quatorze, on a prouvé que huit avaient contracté le VIH en prison. [63]
En Lituanie, lors de tests effectués au hasard en 2002 par le centre étatique sur le sida, 263 détenus de la prison d’Alytus ont été trouvés séropositifs au VIH. Les tests dans les 14 autres prisons du pays n’ont trouvé que 18 autres cas de détenus séropositifs. Avant les tests dans la prison d’Alytus, les autorités de la Lituanie n’avaient répertorié que 300 cas de VIH dans tout le pays, soit moins de 0,01% de la population - le plus faible taux en Europe. Il a été déclaré que la flambée de VIH dans la prison d’Alytus était attribuable au partage de matériel d’injection. [64]
La transmission du VHC dans les populations carcérales a été elle aussi documentée dans un certain nombre d’études. [65] Une étude allemande, dans la prison pour femmes de Vechta (Basse-Saxe) en 1996, concourt à démontrer que les virus d’hépatites sont transmis à un taux beaucoup plus élevé, en prison. Cette étude a mesuré que 78% des femmes incarcérées qui consommaient des drogues avaient l’infection à VHB et que 74,8% avaient l’infection à VHC. De plus, les auteurs ont noté un nombre considérable de séroconversions pendant la détention. Près de la moitié des femmes ayant eu une séroconversion (20 des 41 participantes) avaient contracté une hépatite pendant leur détention. [66]
Données canadiennes
De nombreuses études canadiennes ont documenté les réalités de l’injection de drogue et du partage de seringues dans des prisons du Canada :
Dans une étude publiée en 2003 et réalisée dans six centres correctionnels de l’Ontario (avec 439 hommes adultes et 158 femmes), 11% des participants qui ont déclaré s’être déjà injecté des drogues ont aussi déclaré s’en être injecté en prison pendant l’année précédant l’étude ; de ces derniers, 32% ont déclaré l’avoir fait au moyen de seringues usagées. [67]
Dans une étude de 2003 auprès de femmes incarcérées dans des prisons de ressort fédéral, 19% des participantes ont déclaré s’injecter des drogues en prison. [68]
Dans une étude réalisée en 1998 au Pénitencier de Joyceville, à Kingston (Ontario), 24,3% des détenus ont déclaré s’injecter des drogues en prison. Ce taux marquait une augmentation de 12% en comparaison avec celui mesuré dans une étude semblable réalisée en 1995 dans la même prison. [69]
Dans une enquête menée en 1996 dans une prison fédérale en Colombie-Britannique, 67% des participants ont déclaré s’être injecté des drogues, en prison ou à l’extérieur ; et 17% ont déclaré s’en injecter en prison seulement. [70]
Dans le Sondage national auprès des détenus, réalisé par le SCC en 1995, 11% de 4 285 détenus fédéraux ont déclaré s’être injecté des drogues depuis leur arrivée dans l’établissement où ils étaient incarcérés à ce moment. L’usage de drogue par injection était particulièrement répandu dans la région du Pacifique, où 23% des détenus ont déclaré s’y adonner. [71]
Dans une étude auprès de détenus de ressort provincial, en 1995, à Montréal, 73,3% des hommes et 15% des femmes ont déclaré utiliser des drogues en prison. D’entre eux, 6,2% des hommes et 1,5% des femmes ont déclaré s’en injecter. [72]
Dans une étude de 1995 menée parmi des détenus de ressort provincial à Québec, 12 des 499 répondants ont déclaré s’injecter de la drogue en prison ; 11 d’entre eux ont déclaré avoir partagé des seringues, et trois étaient séropositifs au VIH. [73]
La réduction des méfaits
Traditionnellement, les préoccupations à l’égard de la transmission de maladies par l’injection de drogue donnent lieu à des exhortations à renforcer la philosophie et l’application d’une « tolérance zéro » à l’égard de l’usage de drogue. Les peines plus lourdes pour l’usage de drogue, les mesures de sécurité accrue pour réduire l’approvisionnement en drogue, et le renforcement de la surveillance des utilisateurs de drogue sont souvent présentés comme les « moyens de la loi et de l’ordre » pour « résoudre » des problèmes de santé publique. Cependant, les risques de santé que posent les infections à VIH et à VHC, transmissibles par le partage de matériel d’injection, ont poussé de nombreux pays, dont le Canada, à reconnaître les limites de l’approche de la tolérance-zéro. Cela a conduit à l’élaboration et à la mise en œuvre de programmes communautaires de santé qui permettent aux personnes qui s’injectent des drogues de réduire leur risque de contracter le VIH et le VHC même si elles continuent de consommer des drogues illégales. Ces initiatives de réduction des méfaits, notamment les programmes d’échange de seringues et la création de lieux sécuritaires pour l’injection, ont été déployées à titre de réponses pragmatiques à l’injection de drogue et aux risques associés d’infection par le VIH et le VHC, pour l’individu et l’ensemble de la société.
Étude après étude, on a documenté la prévalence d’injection de drogue dans des prisons, aux quatre coins du monde.
Sans avaliser l’usage de drogues illégales, les politiques de réduction des méfaits partent de la reconnaissance que la réduction de la propagation de maladies transmissibles par le sang, et du nombre de surdoses mortelles, est un but plus urgent et plus atteignable que celui de mettre fin à la consommation de drogues illégales. Puisque les utilisateurs de drogue sont souvent isolés des services de santé, les initiatives de réduction des méfaits comme l’échange de seringues et les programmes d’entretien à la méthadone offrent du même coup l’occasion de créer des liens importants entre des professionnels de la santé et les membres de communautés marginalisées, ce qui favorise le maintien et l’amélioration de la santé générale des utilisateurs. Déjà en 2001, on comptait plus de 200 sites d’échange de seringues, dans des communautés aux quatre coins du Canada. [74]
Dans une étude, six personnes sur 36 qui ont déclaré s’être injecté des drogues en partageant des seringues, lors de leur plus récent séjour en prison, ont aussi déclaré que c’était leur premier partage d’une seringue.
Bien que plusieurs gouvernements aient reconnu la valeur des programmes d’échange de seringues et appuyé leur mise en œuvre dans la communauté, peu d’entre eux ont fait des efforts pour étendre ces programmes aux détenus. Certains ressorts, dont la plupart des provinces et territoires du Canada ainsi que le gouvernement fédéral, ont reconnu les risques associés à l’injection de drogue et ont initié des mesures limitées de réduction des méfaits dans les prisons, comme la distribution d’eau de Javel et/ou le traitement d’entretien à la méthadone. [75]
Malheureusement, la plupart des pays échouent encore à agir de manière pragmatique et résolue pour protéger la santé des détenus qui ont des comportements qui les exposent à un risque de contracter le VIH et le VHC. D’après l’ONUSIDA, « que les autorités l’admettent ou non - et indépendamment de la vigueur de la répression - dans bon nombre de pays certains détenus ... consomment de la drogue en prison ... Ce n’est pas en niant ni en ignorant ces faits que l’on résoudra le problème de la propagation du VIH ». [76] L’expérience des services de santé, dans plusieurs pays, de même que de nombreux systèmes de prisons, dans le monde, démontre que la réduction des méfaits fournit un cadre d’action à des initiatives efficaces pour prévenir la transmission du VIH et du VHC en prison.
Une étude écossaise, dans la prison de Glenochil, a clairement démontré que des flambées d’infection à VIH peuvent se produire parmi des populations incarcérées.
Au Canada, de nombreuses études ont documenté les réalités de l’injection de drogue et du partage de seringues dans des prisons.
Les politiques de réduction des méfaits n’équivalent pas à endosser l’usage de drogue. C’est plutôt reconnaître que la réduction de la propagation de maladies transmissibles par le sang, et du nombre de surdoses mortelles, est un but plus urgent et plus atteignable que celui de mettre fin à la consommation de drogues illégales.