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3 Table ronde : Point de vue d’acteurs sur leur perception de la réforme

Mise en ligne : 19 juin 2005

Texte de l'article :

Dix ans d’application de la loi du 18 janvier 1994
François Bès
Membre de l’Observatoire international des prisons (OIP)

Depuis la loi du 18 janvier 1994, la fin de la médecine en milieu pénitentiaire a marqué un pas important dans le développement sanitaire des prisons. Mais de nombreux dysfonctionnements subsistent : hygiène défectueuse, défaillances de la prévention et de l’éducation à la santé, absence de permanence médicale la nuit et le week-end, violations régulières du secret médical et enfin difficultés d’accès aux diagnostics et aux soins spécialisés. L’observation, au cours de ces dernières années, d’un vieillissement de la population carcérale et de la présence constante de personnes gravement malades ou handicapées ont amené le législateur à se pencher sur la question des malades incarcérés, de la compatibilité de leur état de santé avec la détention, et à envisager la possibilité de suspendre la peine pour raison médicale (mars 2002). Cependant, cette mesure reste encore trop peu utilisée, les freins à son application sont nombreux : considération de trouble à l’ordre public, lenteur et complexité des procédures, et absence de lieux pour accueillir les malades à l’extérieur.

La sécurité au détriment du soin ?
Mais le constat le plus important dans le bilan de l’application de la loi du 18 janvier 1994, c’est que le fonctionnement même de l’institution carcérale et le renforcement constant des mesures de sécurité constituent un véritable frein à la mise en place de l’objectif fondamental de la réforme qui était d’offrir une qualité et une continuité de soins équivalentes à ceux offerts à l’ensemble de la population. Deux logiques s’affrontent : celle de la garde et de la sécurité contre celle des soins. Le manque d’information lors des transferts, des extractions ou même des libérations, les carences dans la préparation à la sortie empêchent encore un véritable suivi sur la durée. De plus, on attend des soignants qu’ils participent à la lutte contre les trafics de stupéfiants en modifiant les prescriptions de traitements de substitution, qu’ils se prononcent sur le bien fondé d’une sanction disciplinaire, qu’ils effectuent des visites au mitard en présence des personnels de surveillance et derrière les barreaux. Les tentatives récentes de légaliser l’utilisation systématique des menottes et des entraves pour les hospitalisations de personnes détenues illustrent bien l’affrontement auquel on assiste entre ces deux logiques, sécurité vs soin.
Si la pratique de « menottage » des femmes de Fleury accouchant à l’hôpital d’Évry a déclenché de vives réactions en janvier dernier, celle qui consiste à attacher des personnes très malades, handicapées ou vieillissantes, reste encore très largement appliquée partout en France, tant durant le transport que lors des consultations ou des séjours à l’hôpital. Une récente note prévoyant l’usage systématique des menottes dans le dos pour tous les transferts vers l’hôpital a finalement été abrogée pour être remplacée par un texte autorisant de nombreux débordements, dont celui de valider la présence des escortes dans les locaux de consultation pour des malades qui pourront demeurer menottés et entravés. Cette situation entraîne encore des refus de soins, tant de la part des malades qui rejettent un tel traitement, que de certains soignants qui refusent de pratiquer leur mission dans ces conditions. Pour terminer, quelques chiffres : il y a environ 60 000 hospitalisations de personnes détenues par an et 15 évasions. Pourtant, le statut du condamné, du détenu, prime toujours sur celui du malade.

La médecine en milieu pénitentiaire
Pierre-Yves Robert
Praticien hospitalier, responsable de l’Ucsa de Nantes

La loi de 1994 est à l’évidence une bonne loi et pour certains même un succès. Il est vrai que l’introduction de la médecine en milieu pénitentiaire a représenté une avancée en matière de santé publique pour cette population démunie. Mais nous constatons que l’augmentation du nombre de personnes détenues se traduit par une demande de plus en plus importante de soins. En effet, la population carcérale vieillit, son niveau de prise en charge médicale est assez bas et certains problèmes spécifiques se posent, comme ceux relatifs à l’odontologie. Nous ne pouvons pas non plus faire autant de prévention que la situation l’exige. Par exemple, le guide méthodologique « Promotion de la santé et milieu pénitentiaire » diffusé en 1998 qui au départ était innovant n’a pas été réactualisé. Nous sommes ainsi contraints de systématiser les dépistages et de soigner dans des conditions difficiles liées au manque de moyens humains au niveau du personnel soignant (médecins, infirmières...) ; en maison d’arrêt, notamment, les patients doivent faire face à une attente importante pour consulter.
Le caractère sécuritaire des directives concernant la garde rend de moins en moins lisible la mission de réinsertion qu’il nous revient de soutenir. L’exercice de la médecine en milieu pénitentiaire ne peut trouver son sens qu’intégré dans une véritable dimension de santé publique. Car la médecine en milieu pénitentiaire est aussi une médecine d’accueil et de soins d’urgence, une médecine des maladies infectieuses et mentales. Nous prenons la mesure du chemin à parcourir pour que l’ensemble de la population en bénéficie. On ne peut laisser en marge tous ces patients du quart monde que nous voyons dans nos consultations d’arrivants.

Le partenariat avec l’Administration pénitentiaire est une réalité incontestable, où l’échange doit aboutir à un respect des missions de chacun, de son indépendance et de sa sérénité.

Une cohabitation favorable entre l’Administration pénitentiaire et les autres administrations
Michel Saint-Jean
Directeur de la maison d’arrêt de Fresnes

Le premier effet de la loi a été d’assurer aux personnes détenues une qualité de soins équivalente à celle qui est dispensée à l’extérieur des prisons. Le droit à la santé des personnes détenues a été complètement pris en compte. Cela a induit chez les personnes détenues le sentiment de reconnaissance de leur humanité à part entière. Que des praticiens hospitaliers et des infirmiers du ministère de la Santé s’occupent de leurs problèmes médicaux était le signe qu’ils étaient dignes d’une véritable médecine, la même que celle à laquelle accédaient les citoyens libres. Cette reconnaissance d’humanité et de dignité a été essentielle pour la perception par les personnes détenues des soins en prison : non plus une « sous-médecine » pour une « sous-humanité » mais des soins en rapport avec leur dignité d’être humain.

Une cohabitation imposée mais...
Il a fallu que l’Administration pénitentiaire s’habitue à cohabiter avec une culture qui différait de la sienne. Les débuts n’ont pas été simples et des réticences, voire des résistances, se sont instaurées. Auparavant, le personnel médical et paramédical était à la solde de l’Administration pénitentiaire. Depuis la loi de 1994, le personnel soignant dépend du ministère de la Santé. L’Administration pénitentiaire a dû apprendre à respecter le travail des Ucsa, à ne pas s’immiscer dans ce travail et à ne pas forcer le secret médical. La culture pénitentiaire repliée sur elle-même a dû s’ouvrir, percevant les intervenants d’autres administrations comme des intervenants « extérieurs » (dans le sens d’étrangers à l’institution pénitentiaire, seule « maîtresse des lieux »). Cette dernière a souvent ressenti l’intervention « extérieure » comme une intrusion et un dérangement de l’ordre établi. Il a donc fallu accepter que le personnel de santé passe du statut d’intrus à celui de partenaire. La prison n’appartient plus au seul personnel pénitentiaire mais à tous ceux qui apportent leur contribution à son fonctionnement et qui sont missionnés pour cela. La prise en compte de la souffrance des personnes détenues a conduit à une professionnalisation de la santé, ainsi qu’à l’humanisation des prisons.

La nécessité d’une prise en charge médicale des « personnes détenues »
L’état de santé des personnes arrivant en prison est souvent déplorable. Les corps ont été négligés, soumis à des traitements dommageables. L’Ucsa participe ainsi à la reconstruction de la personnalité des personnes détenues. Elle est partie prenante de la mission de réinsertion de l’Administration pénitentiaire en délivrant des soins appropriés à la population pénale. De plus en plus de personnes détenues sont perturbées psychologiquement, leurs infractions ou leurs crimes étant souvent en relation avec des troubles mentaux nécessitant un important travail avec les personnels en charge de la santé mentale. Ces derniers aident considérablement l’Administration pénitentiaire. La prise en charge des délinquants sexuels est un exemple concret de ce qu’a pu apporter la médecine psychiatrique à l’Administration pénitentiaire dans le cadre de la gestion des personnes détenues. Avant la réforme de 1994, ce travail n’était pas effectué, ou en tout cas, de manière bien moins efficace, en l’absence de moyens adéquats.
L’arrivée des Ucsa et des unités psychologiques et psychiatriques ont par ailleurs donné la possibilité aux personnes détenues d’avoir accès à des interlocuteurs hors du champ de l’Administration pénitentiaire, offrant ainsi un nouvel espace de parole. Le rôle social de la médecine n’est pas à minimiser. Les personnes détenues peuvent se confier au personnel soignant et ainsi soulager la pression de l’univers carcéral. Ce qui est évoqué avec son médecin ne peut pas toujours être dit au surveillant ou au personnel pénitentiaire en général.

Au final, si un bilan devait être fait par le personnel pénitentiaire dix ans après la loi, la majorité demanderait à poursuivre l’expérience. Les personnels pénitentiaires ont totalement intégré la loi, celle-ci leur est devenue une nécessité, une règle de travail et de cohabitation au quotidien.

Retour sur la genèse de la loi de 1994
Yannick Chene
Directeur adjoint du centre hospitalier de Niort

Mon propos est essentiellement basé sur le récit de la mise en place pratique d’une réforme ambitieuse, mais difficile à concrétiser dans les faits lorsqu’on se place dix ans en arrière.

Historique
Le Haut Comité de la santé publique a été saisi par le ministre de la Justice, M. Vauzelle, et le ministre de la Santé, M. Kouchner, le 15 juillet 1992, pour une mission destinée à faire des propositions sur « les modalités d’un dispositif de prise en charge sanitaire des personnes détenues qui soit le mieux à même de répondre aux particularités présentées par cette population dans une démarche de santé publique ». Les délais fixés par les ministres étaient particulièrement « serrés » car le rapport final devait être remis pour le 15 novembre 1992. Cette mission a été confiée à M. Chodorge, directeur d’hôpital, et au Professeur Nicolas. Les conclusions suggéraient la mise en place d’une organisation particulièrement novatrice permettant un accès aux soins somatiques et de santé mentale. En effet, il était proposé de « coupler » chaque établissement pénitentiaire avec un établissement public de santé auquel serait confiée la responsabilité de la maîtrise d’oeuvre de l’ensemble des soins aux personnes détenues, tant à l’intérieur de la prison que dans la structure hospitalière (pour les consultations très techniques et les hospitalisations). Tel était le coeur du problème. Les textes législatifs et réglementaires ont repris ces propositions. Pour leur mise en oeuvre, une circulaire datée du 8 décembre 1994 a fixé de façon très pragmatique et dans le détail les règles de fonctionnement. Des tractations budgétaires, qui n’ont pas toujours été simples, ont été engagées pour mettre en place cette importante réforme.
En tant que directeur Adjoint au centre hospitalier du Mans en charge de la direction des affaires médicales, le directeur général m’avait demandé de conduire ce dossier. En premier lieu, il a fallu bien définir notre rôle et je dois reconnaître avoir rencontré une écoute attentive de la part de la direction des soins infirmiers avec laquelle nous avions convenu de « ne rien casser » et d’avancer prudemment mais avec la volonté affirmée de prendre en charge les personnes détenues dans un contexte sanitaire.

Les obstacles identifies
Au plan hospitalier, aucune opposition particulière de la part des personnels (tant médicaux que paramédicaux) n’a été rencontrée, si ce n’est une certaine réserve quant à une intervention directe de l’hôpital dans un milieu méconnu. Les premiers rapports avec l’Administration pénitentiaire et le personnel de la maison d’arrêt du Mans ont été un peu difficiles malgré les nombreuses réunions de présentation du dispositif. Nous apparaissions comme des intrus et, surtout, la reprise de certaines missions sanitaires jusqu’alors dévolues au personnel de surveillance de la maison d’arrêt du Mans a été vécue comme une véritable dépossession de pouvoir. Il faut également noter que le personnel paramédical qui intervenait déjà dans la structure avait, avec le personnel de surveillance, décidé de mettre en place une stratégie d’éviction basée sur un refus de collaboration. Sur un plan plus pratique, le fait de pouvoir bénéficier, à l’occasion de notre installation, de locaux rénovés et plutôt agréables par rapport aux autres locaux de cette maison d’arrêt n’a pas été favorable à la perception de l’hôpital. En effet, le personnel de surveillance ne considérait pas ces investissements comme prioritaires, par rapport à la demande de certains aménagements pour l’amélioration du confort des personnes détenues (demande restée jusqu’alors sans réponse par manque de crédits).

La stratégie de mise en place
Compte tenu de cette situation, l’objectif était simple, à savoir nouer des relations de confiance avec l’encadrement de cette maison d’arrêt afin de pouvoir mettre en place une organisation médicale et paramédicale fiable et surtout reconnue. Dans ce contexte, il est apparu souhaitable que la directrice des soins infirmiers et moi-même prenions en charge personnellement ce dossier pour l’ensemble de ces composantes en traitant tous les problèmes, quels qu’ils soient, de façon très réactive et en apparaissant comme les seuls interlocuteurs pour la mise en place du projet. Le médecin qui intervenait alors dans cette maison d’arrêt nous a appuyés dans notre démarche.
« Il n’y a de problèmes que d’hommes » et l’équipe paramédicale du centre hospitalier a bien compris les enjeux. Elle s’est complètement investie dans sa mission et a fait preuve d’un grand discernement. Elle a expliqué la raison de sa présence et surtout le contexte dans lequel elle devait évoluer, à savoir une politique de complémentarité et non pas de dédoublement d’activités. Des relations de confiance se sont nouées entre les différents participants ; la stratégie de départ, qui consistait à organiser un noyau dur décisionnel, s’est avérée efficace car, un an après, nous avons pu constituer une véritable équipe associant les directions respectives et le corps médical. Le personnel de surveillance a fait preuve d’un très grand professionnalisme ; un dialogue permanent s’est ainsi instauré permettant l’échange entre les différents acteurs et un grand respect mutuel. Nous avons réussi tous ensemble à concrétiser l’esprit de la réforme. Cette expérience a été enrichissante, malgré quelques difficultés occasionnées par des mouvements de grève cherchant à remettre en cause notre organisation. Elle a débouché sur la mise en place d’un cadre réglementaire précis permettant de répondre à plusieurs questions pratiques.

Aujourd’hui, dix ans après l’instauration de la loi, je ne me risquerai pas à porter de jugement de valeur. Mais je suis persuadé qu’au-delà des difficultés réelles, notamment en ce qui concerne la surpopulation en milieu carcéral, tous les acteurs se sont appropriés cette importante réforme, assurant ainsi une amélioration évidente de la prise en charge sanitaire des personnes détenues.

Une meilleure prise en charge sanitaire des personnes détenues
Sergio Salvadori
Directeur régional des services pénitentiaires de Lille

Du point de vue du chef d’établissement pénitentiaire que j’étais, et de celui de la Direction régionale des services pénitentiaires où je suis depuis plus de 4 ans, je retiendrai de l’application de la loi de 1994 plusieurs éléments concrets : la très nette amélioration intervenue dans l’écoute et la dispensation des soins aux personnes détenues, l’augmentation du nombre d’actions d’éducation à la santé, et le développement du partenariat sanitaire-pénitentiaire. Le grand changement positif, vécu aussi par les personnes incarcérées, a été l’affiliation à la CPAM, entraînant la prise en charge de leur famille comme ayants droit, et aujourd’hui, l’accès à la Couverture maladie universelle complémentaire (CMUC).
Des moyens sans précédents ont été à l’origine de ces améliorations ayant pour but de procurer aux personnes détenues le même niveau de qualité dans leur prise en charge sanitaire que les citoyens libres. Les évaluations partielles effectuées ont mis en évidence une multiplication par 100 des dépenses effectuées entre 1993 et aujourd’hui, en termes de santé. Côté pénitentiaire, nous avons dû nous adapter à une plus grande fréquence d’extractions médicales, et souvent dédier des postes à la réalisation des escortes. Au sein de la prison, nous avons également fait évoluer les systèmes de contrôle des mouvements des personnes détenues - patients entre leur cellule et les locaux de l’Ucsa. On estime en moyenne qu’un tiers de l’effectif de l’établissement passe à l’Ucsa chaque jour. Ceci a occasionné un accroissement très sensible des tâches des surveillants chargés d’ouvrir / fermer les portes et d’accompagner les mouvements.

Retour sur la situation précédant 1994
Le contraste frappant avec la situation antérieure vécue par l’ensemble des acteurs mérite d’être souligné. Des locaux exigus, des infirmières au compte-gouttes, des dentistes absents, des médecins difficiles à trouver, toujours pressés, souvent remplacés par des étudiants étrangers achevant leur externat... Telle était la situation qui permettait aux bonnes âmes de l’époque de pouvoir reprocher aux pénitentiaires leur inhumanité. Des dons du sang régulièrement présentés comme un geste rachetant un peu la faute commise contre la société. Un système ressemblant à une médecine de guerre dans laquelle se traitaient prioritairement les cas les plus perturbateurs, ne pouvant faire beaucoup plus, et où les moyens existants étaient finalement plutôt optimisés.

L’arrivée de l’hôpital
Les personnels ont dû apprendre à se connaître, en s’épiant, en se testant, parfois dans un combat de territoire, les uns imposant leur science, les autres leur connaissance du milieu. Alors que les coûts et le nombre de médicaments distribués étaient apparus trop importants dans l’analyse de l’ancien système, l’arrivée des soignants s’est traduite, contrairement aux voeux du législateur, par une augmentation des prescriptions et leur corollaire de trafics, ingestions massives et overdoses, sous l’oeil narquois ou furieux des pénitentiaires qui l’avaient présagé. Ceci a donné lieu à des « règlements de compte » entre les personnes détenues qui avaient reçu « trop » de médicaments, ceux qui n’en avaient pas eu, ou pas assez. La politique de substitution a fait progressivement disparaître toute option tournée vers le sevrage volontaire. La volonté de responsabilisation du patient a permis de passer de l’administration du traitement ponctuel à la remise de traitements complets pour plusieurs jours, à l’Ucsa. Les personnels de santé ont pu mesurer les comportements consuméristes des personnes détenues, dont la privation de liberté développe rarement la responsabilisation. Vivant en lien direct et en permanence avec les personnes détenues, ces personnels doivent entretenir une bonne relation où souvent la tendance au compromis l’emporte sur la fermeté. Dans la plupart des cas, le recul n’est possible, pour la prise de décision, qu’à ceux qui n’ont pas de contact direct et permanent avec les personnes détenues.

Les améliorations attendues
Au registre des difficultés, les désillusions de certains soignants - qu’il s’agisse du statut attribué au sein de l’hôpital au médecin coordinateur, ou encore de la reconnaissance de leurs missions à l’instar de leurs collègues de l’hôpital - figurent au premier rang. Mentionnons ensuite les besoins en surface de locaux qui, malgré les efforts importants faits pour mettre en place la réforme il y a dix ans, ne sont plus aujourd’hui satisfaits par le respect des anciennes normes. L’insuffisance, la déficience de la prise en charge psychiatrique se placent au troisième rang. Nous constatons aujourd’hui que les personnes à l’équilibre psychologique perturbé, auteurs d’actes de violences, se retrouvent toutes, ou presque, en prison. Le nombre d’hospitalisations d’office est plus élevé. Le nombre d’actes de violence dans la prison causés par le comportement de ces personnes est aussi plus important. Cet aspect sanitaire n’a pas été suffisamment pris en compte. Il est regrettable qu’à chaque fois que l’on évoque cette question, les réponses exprimées se réduisent à la gestion des ressources humaines de l’hôpital : la souffrance des personnes malades et les préjudices consécutifs aux situations de violence sont alors très vite évacués et sont finalement acceptés comme une fatalité. Un exemple dans la DRSP de Lille : sur l’ensemble des praticiens hospitaliers publics dans le département (plusieurs dizaines), aucun n’assume la responsabilité du SMPR installé dans ce département, dont le secteur de l’hébergement n’a pas été ouvert depuis sa création il y a presque 10 ans en raison du manque de personnel infirmier. Plusieurs médecins se succèdent à raison d’une demi-journée de présence chaque jour du lundi au vendredi. J’ai l’espoir que les perspectives de création d’unités spéciales dans les hôpitaux pour l’accueil des personnes détenues souffrant de troubles psychiatriques améliorent cette situation qui fait honte à l’organisation de la psychiatrie publique française.

Les obstacles non surmontés
Si le fonctionnement interne de l’Ucsa et le service apporté aux personnes détenues apparaît comme très satisfaisant, la « collaboration » attendue de la part de l’Ucsa par ses partenaires est souvent déficiente. Le secret médical est souvent utilisé comme un bouclier, il est perçu par les pénitentiaires comme une protection pour le corps médical et ses pratiques (plus que pour le patient lui-même). L’esprit du travail pluridisciplinaire, dans lequel chacun des acteurs reconnaît à l’autre et à ses missions une place équivalente à la sienne, doit encore progresser. Travailler avec les autres acteurs de la prise en charge devrait être obligatoire et non perçu comme une faculté optionnelle se déclinant à la faveur des sensibilités individuelles. Cet enjeu est capital dans la prison, car les relations entre les acteurs vont parfois modeler la conception par le détenu - patient de son projet de sortie. Je ne citerai pas les nombreux cas de manipulation par une personne détenue des différents acteurs de sa prise en charge, pour les dresser les uns contre les autres, lorsqu’ils ne se parlent pas.
Soigner une personne détenue n’efface pas les motifs de sa présence en prison. La relation de confiance qui doit s’établir entre le soignant et le patient ne doit pas être pervertie en une espèce d’alliance contre la prison ou les personnels pénitentiaires, contre le système répressif de la République française. Les avis de non compatibilité de l’état de santé avec un placement au quartier disciplinaire peuvent en être un exemple, surtout lorsqu’ils sont émis de manière systématique. La référence permanente, lorsque l’on parle des personnels de santé exerçant en prison, c’est la non-appartenance à l’Administration pénitentiaire. Cette expression presque systématique est un signe, que l’on ne retrouve pas chez les enseignants de l’Éducation nationale, ou encore chez les intervenants divers pour l’emploi, la formation, la culture, qui ne ressentent donc pas aussi fortement ce besoin de se « démarquer ». Les acteurs de santé participent pourtant aux missions du service public pénitentiaire dont l’Administration pénitentiaire n’est qu’un acteur. C’est le regard posé par certains acteurs de santé sur les missions pénitentiaires qui me paraît devoir évoluer. Les opportunités pour un vrai partenariat existent pourtant, à travers différentes commissions : celle de la prévention des suicides et de l’indigence, celle de l’orientation et du classement. Les partenaires ne travaillent pas toujours ensemble, ou pas assez.
Les besoins d’expertise médicale pour des actes de la vie quotidienne (comme l’aptitude au travail, au sport) sont quelquefois exclus du champ de compétence admis par les praticiens, ce qui interdit toute possibilité de collaboration au service de la personne prise en charge. Cela peut bien entendu être logique, dans une relation de soin stricto sensu. Cependant, je crois qu’il faut parfois privilégier l’intérêt de la personne détenue à l’application restrictive de textes faisant fi de la réalité des moyens. Les gardes médicales posent problème sur beaucoup de sites, l’appel au centre 15 étant le plus souvent la meilleure solution.
Les relations entre Ucsa, médecins inspecteurs, médecins de prévention, sont parfois mauvaises (voire impossibles), alors même que la notion de secret médical n’est plus opposable. Nous venons de connaître dans un établissement une contagion tuberculeuse importante pour ces motifs. Il faut absolument que chacun comprenne qu’il ne détient pas le monopole de la meilleure prise en charge, et que le rôle des autres est tout aussi important.

Les « plus » incontestables
Les personnes détenues bénéficient actuellement d’une prise en charge bien supérieure à celle d’avant, et même à celle d’aujourd’hui, à même niveau social, en milieu libre. Dans les secteurs spécialisés carencés (l’ophtalmologie, par exemple), les délais de rendez-vous sont beaucoup plus courts en prison que pour tout citoyen à l’extérieur. Le repérage des maladies, le dépistage, la recherche des signes de fragilité psychologique, la considération humaine accordée par les soignants sont sans commune mesure avec ce qui est accordé, en milieu libre, à des personnes de milieu social comparable.
L’ouverture récente de l’UHSI de Lille a montré l’exemple d’une collaboration réussie, dans le respect de la déontologie et des missions de chacun. Il eût été très facile de créer des blocages entre tel aspect qualitatif médical et tel impératif de sécurité pénitentiaire. La détermination commune à bien articuler les compétences hospitalières et pénitentiaires donne aujourd’hui un résultat remarquable. C’est bien sûr la volonté du législateur et l’attribution de moyens qui ont permis cette réalisation. C’est aussi et surtout le jeu des acteurs sur le terrain qui a produit l’opérationnalité et l’efficacité de l’action que l’on peut maintenant constater.

Il y a véritablement nécessité à conjuguer les efforts de chaque partenaire car les publics accueillis sont le plus souvent dans une extrême difficulté. Les expériences vécues m’ont prouvé que dans ce domaine tout était possible, ainsi que son contraire, puisque nous nous trouvons dans le champ du relationnel. Faisons en sorte que le relationnel qui marche soit valorisé. J’espère que le colloque organisé aujourd’hui y contribuera.