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4 Les insuffisances du suivi de la gestion mixte

Mise en ligne : 3 mars 2006

Texte de l'article :

Chapitre IV Les insuffisances du suivi de la gestion mixte
La gestion dite mixte a été mise en place dans un contexte de forte hausse de la population pénale. L’option initiale reposait sur une délégation complète de la conception, de la construction, de l’aménagement et de la gestion d’un lot de 15 000 places de détention nouvelles. Déposé au Sénat à l’automne 1986, le projet a été remanié et a abouti à la loi 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire, dont l’article 2 prévoit que « les fonctions autres que celles de direction, de greffe et de surveillance peuvent être confiées à des personnes de droit public ou privé ». L’ampleur du programme a également été revue à la baisse et le nombre de places à ouvrir en gestion mixte a été réduit à 13 000.

Les marchés de conception, de construction et d’aménagement ont été signés en avril 1988. Mais la signature des marchés de fonctionnement avec les entreprises déjà sélectionnées a été retardée : quatre établissements sur les 25 à construire ont été sortis de la gestion mixte pour être confiés à la gestion publique (centres pénitentiaires de Châteauroux, Laon, et Saint Quentin Fallavier et maison centrale d’Arles) et les fonctions d’administration générale et de réinsertion ont été exclues de la délégation. Celle-ci a été réduite à la maintenance, au transport, à la restauration, au nettoyage, à la cantine, à la santé, au travail pénitentiaire et à la formation.

Bien que très spécifiques en raison de leur ampleur et de l’étroite association des prestataires privés au fonctionnement du service public qu’ils organisent, les contrats, dits de multiservices, ont été passés sous forme de marchés publics. Les premiers, signés à partir du mois de septembre 1989, ont confié pour dix ans la gestion des huit fonctions précitées à quatre groupements d’entreprises, responsables sur une zone géographique donnée. Les entreprises gestionnaires sont celles qui avaient construit les établissements : GEPSA pour la zone nord, DUMEZ pour l’est, SIGES pour l’ouest et GECEP-EGID pour le sud. Les établissements ont été livrés entre décembre 1989 et juin 1992.

Les années 1990 - 1994 ont correspondu à une période d’expérimentation [1] souvent difficile où un conflit idéologique entre partisans et opposants du nouveau mode de gestion s’accompagnait d’un choc des cultures, privé et public apprenant à travailler ensemble. De 1995 à 1998, les mécanismes de la gestion mixte étaient en place et la décision a été prise de reconduire les contrats dans une forme équivalente. A partir de 1998 et jusqu’en 2001, la phase du renouvellement s’est accompagnée d’une extension de la gestion mixte au fonctionnement des établissements construits dans le cadre du programme 4000. La deuxième génération de contrats a été signée fin 2001 et est entrée en vigueur début 2002.

I - Le bilan des premiers contrats
A - Des prestations globalement satisfaisantes

En dépit de son caractère novateur et de l’enjeu qu’elle constitue pour l’Etat, la gestion mixte n’a fait l’objet d’aucune évaluation d’ensemble. Plus de quinze ans après sa mise en place, les analyses restent partielles, les données éparpillées et lacunaires. Il n’existe aucune étude rigoureuse permettant de s’assurer de son efficacité et de la pertinence des choix qui la fondent ou de dresser son bilan financier.

Des bilans trop partiels
En décembre 1994, une étude a été confiée à un groupe d’élèves de l’ENA dans le cadre de leur scolarité. C’est le seul rapport qui analyse l’ensemble du dispositif pour déterminer sa pertinence. Document de 30 pages, réalisé sous la houlette d’un responsable de l’administration pénitentiaire, pour répondre aux exigences académiques d’un exercice imposé à des élèves en formation, il ne saurait être considéré comme une véritable évaluation, en dépit de ses indéniables qualités.
Ce travail a été suivi, en octobre 1995, par un rapport sur le « parc pénitentiaire 13 000 » qui a analysé l’impact de la gestion mixte sur le personnel d’un point de vue psychologique. En décembre 1995 la fonction maintenance a fait l’objet d’un audit par une société spécialisée sélectionnée à cette fin. Son objectif était de redéfinir le cadre de la délégation en vue de la construction des établissements du programme 4 000.
C’est également en vue de la conclusion des nouveaux contrats qu’un rapport a été confié à un groupe de travail interne à l’administration pénitentiaire en octobre 1996 pour « dégager de l’expérience de six années, des préconisations pour la rédaction d’un cahier des charges pour confier à ce type de gestion le fonctionnement des établissements construits dans le cadre du programme 4 000 ». L’hypothèse sous-jacente était de perfectionner la gestion mixte telle qu’elle fonctionnait depuis 1990 et non pas de la remettre en cause ou de la reconfigurer.
Une nouvelle étude a été réalisée en 1999 sur la maintenance. Dans la perspective du renouvellement des marchés, elle devait établir une description précise de l’état des biens mobiliers et immobiliers avant l’achèvement de la première génération de contrats.
Seule la fonction santé a donné lieu à une véritable évaluation dont a été chargé le professeur Pradier qui a remis son rapport en septembre 1999 [2] au Garde des sceaux et au secrétaire d’Etat à la santé et à l’action sociale.

Tous les acteurs de la gestion mixte s’accordent à reconnaître son efficacité pour les fonctions de restauration, nettoyage, ou maintenance. Les gestionnaires privés n’ont eu qu’à adapter à l’univers carcéral des méthodes et des techniques qu’ils maîtrisaient de longue date.

En matière de maintenance, le succès est unanimement reconnu. L’accent porté sur la prévention et une gestion informatisée ont permis un suivi rigoureux des délais d’intervention. Les entreprises ont eu recours à des spécialistes des technologies de pointe, ce que les établissements publics avaient rarement pu faire, leurs équipes étant souvent insuffisantes et peu adaptées au regard des qualifications requises.

En matière de restauration, les prestataires privés, en dépit de quelques problèmes ponctuels, ont introduit des méthodes qui ont permis de garantir la qualité des repas et la sécurité sanitaire. Sur les zones Est et Nord, les sociétés DUMEZ et EUREST se sont engagées dans une politique de labellisation (norme ISO) qui a été diffusée dans la plupart des régions. Les gestionnaires privés ont fait procéder à des contrôles bactériologiques par un laboratoire agréé (Institut Pasteur pour la zone Nord par exemple) qui a attesté de la qualité de leurs prestations. En outre, ils ont bénéficié du concours de diététiciennes pour établir des grilles de menus standards, en accord avec les chefs d’établissement.

En matière d’hygiène et de nettoyage, le savoir faire des entreprises privées leur a permis de satisfaire globalement les exigences du marché. Des difficultés ont toutefois été relevées au cours de l’exécution des contrats, comme à Villeneuve les Maguelonne, Osny ou Longuenesse, par exemple. Liées en partie aux jets de détritus qui affectent la plupart des établissements, quel que soit leur mode de gestion, ces difficultés ont aussi traduit l’insuffisance des moyens prévus par les contrats de gestion mixte en termes de personnels. Pour y faire face, certains gestionnaires privés (GEPSA dans le nord) ont accepté de distribuer quotidiennement des sacs poubelle sans que cela aboutisse pour autant à des solutions satisfaisantes.

Pour leur part, les résultats obtenus en matière de santé ont été l’un des grands succès de la gestion mixte. Cette dernière a permis l’installation permanente au sein des établissements de professionnels de la santé dotés de matériels modernes et adaptés (radiologie, dentisterie) et mettant en oeuvre des techniques (stérilisation notamment) qui ont garanti la qualité des soins. Des pratiques nouvelles ont été mises en place, comme par exemple la distribution de médicaments par des professionnels de santé plutôt que par des surveillants et ont permis d’assurer le secret médical, ce qui a contribué à créer un climat de confiance entre les détenus et les équipes médicales.

Au cas par cas, des difficultés ont pu être relevées, comme à Joux la Ville, Osny ou en zone ouest. Généralement liées à des problèmes de personnels, elles ont été toutefois circonscrites. Comme le soulignait le rapport d’évaluation sur la santé dans les établissements du programme 13 000, la gestion mixte a inauguré « un système de surveillance sanitaire et une organisation des soins en rupture complète avec les usages antérieurs » [3]. La gestion mixte a facilité la mise en oeuvre des réformes de la prise en charge sanitaire en gestion publique, dont elle a été le précurseur.

Dans les autres domaines, les résultats ont été, par contre, plus mitigés.

S’agissant du travail, les objectifs fixés par les contrats de gestion mixte n’ont pas toujours été atteints. Les difficultés se sont surtout concentrées en zone sud où des sanctions ont été régulièrement appliquées au gestionnaire privé qui, pénalisé par certaines spécificités locales (moindre activité des bassins d’emploi, réticence des détenus à accepter un emploi), a tardé à mettre en place les modes d’organisation que ses homologues avaient adoptés. Pour gagner en efficacité, ceux-ci avaient progressivement développé une activité de sous-traitance en assumant directement les risques de l’exploitation et la prise en charge du coût de l’outil de production. Ils avaient par ailleurs modifié l’organisation de la journée de travail ce qui leur avait permis d’améliorer leurs résultats (augmentation de 47 % de la masse salariale en 1995 [4]) et, progressivement, d’atteindre les objectifs contractuels.

Toutefois, les groupements ont rarement atteint les objectifs qu’ils s’étaient fixés à eux mêmes, au-delà des exigences minimales prévues par les contrats (sauf dans le Nord puis l’Est). De surcroît, des divergences se sont développées entre les établissements d’une même zone : alors que certains connaissaient de grandes difficultés pour organiser le travail des détenus, d’autres atteignaient de tels taux d’emploi qu’ils contribuaient largement au résultat global pour l’ensemble de leur zone, comme
Bapaume et Longuenesse dans la zone Nord (70 % de la masse salariale de la zone) ou Châteaudun pour la zone Ouest (44 % de la masse salariale).

Certains gestionnaires privés ont fait preuve d’un grand dynamisme en développant, de leur propre initiative, des actions en vue d’améliorer les perspectives de réinsertion liées au travail carcéral. Dans le nord, par exemple, GEPSA a mis en place la démarche du tuteur de projet professionnel (TPP) et, au sein de la zone est, DUMEZ a signé des conventions avec un ensemble d’entreprises d’insertion qui ont accepté d’accueillir les détenus à leur sortie de prison.

Pour ce qui est de la « cantine », les résultats sont nuancés. Pendant sa phase d’expérimentation (1990-1994), la gestion mixte a été accusée de pratiquer des prix élevés. Ultérieurement, le panier des détenus a permis de préciser la comparaison des prix pour les produits de première nécessité entrant dans sa composition. Il a révélé que les prix pratiqués en gestion mixte et en gestion publique étaient très homogènes. Mais pour les produits qui n’étaient pas pris en compte dans le panier des détenus, certains chefs d’établissement ont fait état de tarifs excessifs, notamment dans le cadre des cantines dites exceptionnelles dans la zone est (centres pénitentiaires d’Aiton ou de Villenauxe la Grande par exemple). Sur le plan de la qualité, les établissements de la gestion mixte ont, encore plus que ceux de la gestion publique, diversifié la gamme des produits cantinables en soignant la présentation des livraisons (sachets individuels fermés, ticket de prix).

En définitive, bien que variable selon les zones et les fonctions, le bilan de la gestion mixte s’est révélé globalement satisfaisant du point de vue de la qualité de la prise en charge des détenus. Les prestataires privés ont fait la preuve de leur efficacité et, lorsqu’ils ne maîtrisaient pas une fonction, ils ont su en renouveler l’approche, en matière de travail ou de santé par exemple. Leur coopération avec les gestionnaires publics a été progressivement source d’enrichissement et de stimulation.

Du reste, l’impact de la gestion mixte tient autant à la qualité des prestations fournies par les prestataires privés qu’à la diffusion de certaines méthodes au sein des établissements à gestion publique. Ainsi, la prise de conscience par l’administration pénitentiaire de l’importance de la maintenance préventive et la mise en place d’un programme spécifique d’externalisation pour les établissements à gestion publique ont-elles en partie trouvé leur origine dans l’exemple du secteur privé. De même, les méthodes de la gestion mixte ont-été diffusées en matière de restauration collective : elles ont contribué à la généralisation des expertises indépendantes régulières et au recours aux services de diététiciennes pour l’établissement des grilles de menus.

B - Un coût global élevé pour l’Etat
1 - Des dépenses conformes aux prévisions des marchés

La première génération des contrats de gestion mixte avait prévu un mode de rémunération comprenant une part fixe et une part variable, qui dépendait du taux d’occupation des établissements. Les paiements correspondants ont constitué une charge budgétaire très lourde pour l’Etat (plus de 1 000 M € TTC au total). Le même constat s’impose pour la deuxième génération de contrats dont le coût direct devrait atteindre 96,4 M€ HT (soit 115,3 M€ TTC) [5] chaque année. Sur la durée de vie des marchés, hors indexation et hors clause de révision et frais annexes, c’est un montant approximatif de 771,1 M€ HT (soit 922,3 M€ TTC) que l’Etat devrait consacrer à la rémunération de ses prestataires privés.

Pour la première génération de contrats, les paiements ont été très proches des prévisions initiales, comme le montre le tableau suivant [6] :

Tableau : Comparaison entre les montants prévisionnels et ceux effectivement payés (TTC) - Première génération de contrats

L’écart constaté s’explique par l’évolution du taux d’occupation des établissements qui n’a pas été stable sur la période [7] : important au moment de la conclusion des contrats, car tous les établissements n’étaient pas encore en fonction, cet écart est devenu presque négligeable par la suite. Un facteur aurait pu contribuer à le creuser : les changements apportés dans la nature ou l’étendue des prestations demandées aux cocontractants. Mais, faute de traduction contractuelle, ces modifications sont restées sans incidence sur les rémunérations versées.

Sur l’ensemble de la période en examen, ces rémunérations ont donc été essentiellement affectées par les révisions de prix. Les clauses initialement prévues dans les contrats intégraient divers indices en référence à ceux calculés par l’INSEE et permettaient de prendre en considération les principaux facteurs susceptibles d’influencer les coûts de la gestion mixte, agrégés selon des pondérations fixées par les contrats. Ceux-ci ouvraient d’ailleurs la possibilité d’actualiser lesdites pondérations et de revoir les modalités de calcul de la rémunération après un délai de trois ans. Mais cette possibilité n’a jamais été mise en œuvre et seules quelques modifications ponctuelles ont été apportées à la formule de coûts (retrait du facteur « dépenses de santé » ou introduction d’un facteur « fourniture d’eau et autres services liés au logement », par exemple).

Cette situation est surprenante à un double titre : d’abord, parce que les pondérations ont été définies en 1989, alors que la gestion mixte débutait et que ni l’administration ni les gestionnaires ne savaient véritablement, à l’époque, comment se décomposeraient les charges au sein de chaque établissement ; ensuite parce que les prestations ont évolué au fil des ans et que cette évolution n’a pas pu être neutre au niveau des coûts.

De fait, il résulte des rares données dont on dispose qu’un écart existe. La décomposition des prix, fournie lors de la procédure de renouvellement des contrats de gestion mixte en 2001, montre qu’au sein de la tranche ferme, les achats alimentaires représentaient 18 % du total. Or, dans la formule de révision des prix, l’alimentation est prise en compte à hauteur de 24 %. Sur ce seul poste, l’écart de six points suggère à l’évidence que les pondérations de l’indice de révision de prix ne correspondent pas à la réalité des charges. Malheureusement, l’administration pénitentiaire n’a réalisé aucune étude pour s’assurer du réalisme des pondérations : la pertinence des révisions de prix à laquelle elle a procédé chaque année est donc sujette à caution.

2 - Des dépenses hors-marché significatives
Au delà des factures payées aux prestataires en règlement des marchés, le fonctionnement des établissements confiés à la gestion mixte occasionne des charges supplémentaires liées à la rémunération des personnels publics qui y interviennent, aux coûts des fonctions non déléguées qui sont prises en charge par le budget global des établissements ou à des dépenses d’ordre général (frais d’études et de conseil, par exemple). Les deux premières catégories de dépenses peuvent être aisément identifiées dans la comptabilité de l’administration pénitentiaire qui les rattache à celles des établissements concernés. Mais cette comptabilité très frustre ne permet pas d’identifier celles des dépenses effectuées au niveau national ou régional. Il est donc difficile d’appréhender avec certitude le coût global des marchés de gestion mixte.

Tableau : Part relative des différentes sources de coût

A cette réserve près, sur l’ensemble de la période examinée, la part relative des paiements sur factures au titre des marchés a progressivement diminué. Elle est passée sous le seuil de 50 % à partir de 2000 et la tendance s’est accentuée avec les nouveaux contrats. Cette évolution s’explique par la forte croissance des autres dépenses liées à la gestion mixte. Alors que, de 1995 à 2000 [8], les factures au titre du marché progressaient de 5,43 %, les frais de personnel augmentaient de plus de 23 % et le coût des fonctions non déléguées de 145 %.

Ces dernières correspondent notamment à des frais d’agencement ou de mise en place d’équipements rendus nécessaires par le fonctionnement des établissements, mais qui n’étaient pas prévus aux contrats initiaux et que les gestionnaires privés ont, en conséquence, refusé de prendre en charge (installation de grilles de protection dans certains quartiers du centre de détention de Longuenesse par exemple). Marginales au début de la gestion mixte, elles ont vu leur poids s’alourdir après le renouvellement des marchés : certains frais pris en charge au titre de la première génération de contrats ont en effet été exclus du périmètre de ceux conclus en 2001 (rémunération des détenus classés au service général, par exemple).

En fin de période, une charge imprévue est venue s’ajouter au coût global des marchés, celle correspondant à la reprise de certains biens installés par les titulaires de la première génération de contrats. Pour assurer la continuité du fonctionnement des établissements, ces biens ont été cédés aux nouveaux gestionnaires. Mais s’agissant de certains biens (centrales électrogènes, par exemple,) les anciens et les nouveaux titulaires n’ont pu trouver de terrain d’entente et l’Etat a dû s’interposer en se portant acquéreur du matériel en cause. La charge correspondante a atteint près de 3 M€.

C - Un marché oligopolistique
La décision de renouveler les contrats de gestion mixte a été prise en 1998 et c’est à cette date que l’administration a choisi de déléguer les mêmes fonctions qu’antérieurement en demandant aux prestataires d’intégrer dans leur zone les établissements construits dans le cadre du programme 4 000. Elle a choisi de redéfinir les zones de délégation pour réduire leur nombre de quatre à trois et a établi un cahier des charges ambitieux : le niveau de prestations à fournir était globalement calqué sur les meilleures performances des titulaires en place.

Le dépouillement des offres en avril 2000 a conduit à mettre en présence DUMEZ - SPPI, GECEP, GEPSA (associée à EUREST) et SIGES, c’est à dire les sociétés ou groupements titulaires des anciens marchés de fonctionnement. Informé de cette situation, le Garde des sceaux a saisi l’inspection générale des finances (IGF), en lui demandant de se prononcer sur la validité de la procédure.

Le rapport de l’IGF, remis en juin 2000, a sévèrement critiqué l’insuffisance de concurrence et a recommandé de reprendre l’intégralité de la procédure avant l’expiration des marchés en cours d’exécution. Contre l’avis de l’administration pénitentiaire, le Garde des Sceaux a finalement choisi de se conformer à cette recommandation, huit mois avant l’arrivée à échéance des contrats qui devaient être renouvelés. Pour assurer la continuité du service, l’administration pénitentiaire a obtenu la prorogation des contrats existants mais a accepté, en contrepartie, qu’un cabinet de conseil l’assiste dans la rédaction des nouveaux marchés.

En décembre 2000, un avatar supplémentaire est intervenu, le Garde des Sceaux ayant décidé que la fonction « santé » devait être exclue de la nouvelle génération de contrats de gestion mixte. Un transfert de la prise en charge sanitaire des détenus au service public hospitalier a donc été organisé, dans l’urgence, en même temps que la nouvelle procédure d’attribution des marchés.

Celle-ci a été lancée sur la base d’un cahier des charges sensiblement modifié puisque le nombre de zones avait été porté à cinq et que certaines prestations avaient été redéfinies pour réduire le niveau d’exigence de l’administration (retrait des rémunérations de la main d’oeuvre pénale par exemple). Les marchés ont finalement été attribués au cours de l’été 2001.

Sur le plan financier, l’interruption de la première procédure s’est traduite par une économie budgétaire significative pour l’Etat. La méthode rigoureuse de comparaison utilisée lors de l’attribution finale des marchés [9] a montré que la nouvelle mise en concurrence avait permis une diminution des prix de 23 %. Le retrait de certaines prestations (santé et rémunération de la main d’oeuvre pénale) l’expliquait à hauteur de 19 %, de sorte que l’effet réel de la mise en concurrence a pu être évalué à une diminution des coûts de 4 %. De fait, l’analyse des offres démontre un réel effort des prestataires pour baisser leur prix : les candidats finalement retenus les ont diminués de 3,9 % par rapport aux précédents marchés et de 9,6 % par rapport à ceux de la première procédure. Il est toutefois difficile de mesurer les causes exactes de ce resserrement des prix qui peut résulter soit d’une réduction des marges anticipées par les entreprises, soit d’une révision à la baisse de la qualité des prestations qu’elles envisageaient de fournir.

En ce qui concerne les acteurs, la relance de la procédure de mise en concurrence n’a, en revanche, rien changé : elle a conduit à redistribuer les zones entre les mêmes sociétés (GEPSA, IDEX et SIGES) et les mêmes cotraitants (EUREST et ELYO notamment). Elle a surtout bénéficié à GEPSA, filiale de Suez créée lors du lancement de la première génération de contrats de gestion mixte, qui a vu sa part de marché augmenter. De fait, au terme de deux procédures de mise en concurrence successives, les marchés de gestion mixte se répartissent entre deux pôles, l’un constitué autour de Suez (avec ses filiales GEPSA et ELYO), associé à COMPASS dans l’Est, l’Ouest et l’Ile de France, l’autre autour de la SODEXHO directement dans le Nord ou via sa filiale, la SOGERES, associée à IDEX, au Sud.

Cette concentration des acteurs s’explique par les caractéristiques de la gestion mixte. La délégation conjointe de huit fonctions (le multiservices), dont certaines sont très spécifiques (cantine ou travail), sur des zones géographiques très vastes et pour des durées très longues (dix puis huit ans) a réduit le nombre d’entreprises susceptibles de répondre aux appels d’offres. Telle qu’elle a été conçue au cours des deux générations successives de contrats, la gestion mixte conduit à une situation oligopolistique par nature.

Certains choix ou défaillances de l’administration pénitentiaire ont, au surplus, renforcé cette caractéristique. L’importance des critères liés à la qualité des offres a ainsi donné un avantage certain aux candidats qui disposaient d’une expérience de dix ans et connaissaient déjà les difficultés de la gestion des établissements pénitentiaires : la plupart d’entre eux ont d’ailleurs fait de cette expérience un argument supplémentaire pour l’obtention des marchés [10]. Pour leur part, les nouveaux entrants ont été confrontés à une difficulté supplémentaire car l’administration pénitentiaire n’a pas été en mesure de leur fournir certaines informations indispensables à la mise au point de leur proposition (rentabilité comparée des différentes fonctions, proportion des détenus qui cantinent ou décomposition du coût des fonctions d’« hôtellerie », par exemple).

Cette situation de concentration est d’autant moins susceptible d’évoluer que les marges de manoeuvre de l’administration pénitentiaire pour s’en extraire sont réduites.

En premier lieu, les marchés actuels, en l’état, présentent pour elle deux avantages. Ils lui permettent, tout d’abord, de parier sur un équilibre financier global de telle sorte que ses prestataires puissent utiliser les profits réalisés pour la gestion de fonctions « classiques » (restauration ou maintenance par exemple), en vue de financer les innovations nécessaires aux fonctions plus spécifiques (travail pénitentiaire ou cantine des détenus). En ce sens, le recours à des marchés « multiservices » facilite l’externalisation de la gestion de certaines fonctions, en particulier le travail ou la cantine. En outre, il permet de reporter sur le prestataire la charge de coordonner l’intervention de ses cocontractants. Cet avantage bénéficie aux établissements qui n’ont qu’un seul interlocuteur, mais il permet également aux directions régionales et à l’administration centrale de limiter le nombre de procédures de mise en concurrence qu’imposerait une remise en cause de la délégation globale. Il est toutefois regrettable que l’administration pénitentiaire n’ait pas suivi la préconisation de son conseil, qui suggérait de profiter de la nouvelle procédure d’attribution des marchés pour demander aux prestataires d’identifier le coût d’une fonction d’administration et de coordination du multiservice. La lisibilité des coûts des contrats en eût été singulièrement améliorée.

En second lieu, si l’administration dispose d’une marge de manoeuvre très limitée pour s’extraire du marché oligopolistique que constitue aujourd’hui la gestion mixte, c’est aussi parce que son découpage en autant de contrats qu’il y a de fonctions ne lui permettrait sans doute pas de renouveler ses interlocuteurs. Les membres des groupements en place sont en effet des acteurs essentiels des segments de marchés en cause, en matière de restauration collective (SODEXHO ou EUREST) comme de maintenance (ELYO et IDEX). Certaines sociétés qui, dans le cadre de la première procédure, n’avaient pas donné suite à leur candidature (DALKIA par exemple) avaient d’ailleurs expliqué qu’elles n’avaient pas trouvé de partenaires pour prendre en charge certaines prestations, car tous étaient déjà associés à l’un des concurrents. L’administration pénitentiaire se trouve dans la même situation lorsqu’elle décide d’externaliser certaines prestations pour les besoins de ses établissements en gestion publique : elle est souvent conduite à recourir à ses prestataires de la gestion mixte, notamment en matière de maintenance (IDEX à Lannemezan, Borgo ou à Arles et SIGES à Chateauroux, par exemple) ou de travail pénitentiaire (SIGES à la maison d’arrêt de Bois d’Arcy, de Liancourt, de Compiègne ou du Havre et au centre de détention de Laon et GEPSA à la maison d’arrêt de Fleury Mérogis ou à la maison centrale de Poissy).

Ces évolutions conduisent les acteurs de la gestion mixte à devenir des prestataires incontournables pour l’Etat. Il y a peu de probabilités pour que cette donnée économique fondamentale soit remise en cause par un éclatement des marchés. Or le caractère oligopolistique de ces derniers comporte un risque de renchérissement des prix au fur et à mesure que la demande progresse et que l’Etat décide de soumettre à ce mode de gestion un nombre croissant d’établissements. La plus grande vigilance s’impose donc de la part de toutes les administrations de l’Etat concernées par la passation et le suivi de ces contrats très particuliers.

II - Les lacunes du pilotage par l’Etat
A - Une formalisation insuffisante

En dépit de leur durée, les contrats de gestion mixte n’ont connu que de rares modifications formelles sous la forme d’avenants : le premier a été conclu, ponctuellement, pour la zone est en vue de définir des compléments d’équipement ; les suivants ont été rédigés au milieu de la phase de renégociation des marchés pour prolonger leur durée, organiser le transfert de la prise en charge sanitaire des détenus ou modifier certaines modalités de calcul des cotisations sociales. Pourtant, le caractère exceptionnel des avenants n’a pas empêché les prestations fournies par les entreprises privées d’évoluer significativement par rapport aux prévisions contractuelles.

Dans certains cas, les modifications ont été nécessaires pour compenser l’imprécision de certaines clauses des marchés, négociés sur la base de cahiers des charges succincts (26 articles), alors que la gestion mixte n’en était qu’à ses balbutiements. Dans le domaine de la santé, par exemple, la nécessité de répondre au développement de pathologies particulièrement lourdes (SIDA) a conduit certains prestataires à mobiliser des moyens supérieurs aux prescriptions contractuelles : le temps de présence des médecins généralistes a ainsi été presque doublé dans la zone nord (Bapaume, Maubeuge, Osny ou Villepinte) et dans certains établissements de la zone est (centre pénitentiaire de Joux la Ville par exemple). De même, les programmes de formation professionnelle ont été réorientés pour mieux répondre aux besoins de la population pénale (développement des bilans de compétences par exemple) et les initiatives prises au-delà des marchés ont parfois été significatives (10 % des actions prévues pour la zone Est en 1997, par exemple [11]).

Dans d’autres cas, la modification du contenu des prestations a résulté des orientations nouvelles de la politique pénitentiaire. Dans le domaine de la restauration, par exemple, l’administration a souhaité une amélioration de la qualité des repas servis aux mineurs et a demandé en conséquence à ses prestataires de leur servir un petit déjeuner complet et un goûter. Dans celui de l’hygiène, elle a exigé (en septembre 1990) qu’un service de coiffure soit mis en place gratuitement par les groupements puis que des produits de nettoyage soient distribués aux détenus (juillet 1991), en particulier aux indigents [12].

Enfin, mais plus rarement, ce sont parfois les prestataires eux mêmes qui ont décidé de s’écarter de la lettre de leur contrat pour modifier le contenu des prestations qu’ils fournissaient : GEPSA a ainsi mis en place le dispositif du TPP sans être sollicité par l’administration qui a regretté l’absence de concertation préalable [13], et la plupart des entreprises ont organisé de leur propre initiative et à leurs frais l’intervention de laboratoires indépendants chargés d’effectuer des prélèvements sur les repas préparés dans leur cuisine, afin de garantir la sécurité alimentaire des détenus.
Au cours de la première génération de contrats de gestion mixte, la rareté des avenants a traduit un parti pris de l’administration pénitentiaire : elle a privilégié un dialogue informel avec ses prestataires pour éviter de s’engager dans des procédures de renégociation longues et laborieuses. Ce parti pris de souplesse a toutefois eu des conséquences fâcheuses sur la clarté de la relation contractuelle entre l’Etat et ses prestataires.

Il a, d’abord, compliqué les conditions du dialogue au sein des établissements puisque l’ajustement des prestations a dû être négocié au cas par cas. Des tensions ou des conflits en ont parfois résulté, comme à Longuenesse, par exemple, en matière d’entretien des abords du centre pénitentiaire ou pour le nettoyage du nouveau greffe de l’établissement.

Ensuite, il a favorisé la différenciation des prestations en fonction des zones et des établissements, selon les préférences de leur directeur ou des prestataires privés. Faute d’avoir été retranscrites dans un acte juridique qui pouvait faire foi, leurs concessions réciproques sont restées discrètes, voire confidentielles, de telle sorte que la connaissance du contenu effectif des prestations et de son évolution est restée approximative. Le parti pris de l’administration pénitentiaire a ainsi engendré un flou croissant dans le suivi des contrats de gestion mixte.

Ce flou s’est particulièrement manifesté dans le domaine financier. Certaines entreprises sont en effet intervenues gratuitement au-delà de ce que prévoyait leur marché alors que d’autres ont exigé d’être rémunérées pour prendre en charge les prestations additionnelles. Dès lors, les chefs d’établissement en cause ont dû faire face à des dépenses hors marché de plus en plus élevées, sans que leur administration centrale s’inquiète de ce glissement progressif. L’augmentation des dépenses au titre des fonctions non déléguées au sein du coût global de la gestion mixte (+ 145 % entre 1995 et 2000) illustre pourtant l’importance de cette dérive.

La conclusion d’un avenant aurait permis d’y voir plus clair en identifiant précisément le partage des charges entre l’Etat et les gestionnaires. Elle aurait aussi permis de cerner l’évolution de la frontière qui a résulté, dans la pratique, des modifications du rapport de force au sein des établissements. Elle aurait facilité la vie des contrats, en clarifiant leurs conditions concrètes de mise en oeuvre et en permettant ex post d’en faire le bilan. Il est heureux que, pour la deuxième génération de contrats de gestion mixte, l’administration se soit engagée dans cette voie et recherche, désormais, un plus grand formalisme.

B - Un contrôle superficiel
1 - Un partage des rôles peu clair et des moyens limités

Le contrôle et le suivi des marchés de gestion mixte ont fait intervenir quatre échelons de l’administration pénitentiaire. Aux trois niveaux préexistants (administration centrale, direction régionale et établissement) s’est ajouté celui de cinq directions régionales de zone créées pour effectuer le suivi des contrats. Mais la logique qui voulait que le chef d’établissement exerce la responsabilité principale du contrôle quotidien, la direction régionale de zone celui de la coordination et l’échelon national celui de la synthèse n’a pas été respectée.

Une première difficulté est apparue au niveau des directions régionales de zone qui étaient censées prendre en charge des fonctions de coordination et de dialogue avec les prestataires de la gestion mixte [14]. Le contenu exact de leurs missions n’a pas été défini s’agissant, notamment, de l’articulation de leurs compétences avec celles des directions régionales de droit commun. Or ces dernières sont restées un échelon essentiel au fonctionnement quotidien des établissements à gestion mixte auxquels elles ont assigné des objectifs et alloué des budgets : leurs prérogatives ont, de fait, limité le champ d’intervention autonome des directions de zone sans qu’aucune solution ait pu être trouvée à cette difficulté lors du renouvellement des marchés en 2001.

Une deuxième difficulté a été rencontrée au niveau des établissements qui ne disposent pas des moyens adaptés pour effectuer les tâches qui leur sont confiées. Théoriquement responsables de la mise en oeuvre du suivi quotidien des marchés, leurs directeurs auraient eu avantage à s’appuyer sur des collaborateurs qui les auraient déchargés de la vérification matérielle des prestations. Mais, bien souvent, les postes correspondants n’ont pas été pourvus (Villenauxe la Grande, Saint Mihiel ou Osny par exemple).

En outre, la vérification de la qualité des prestations est complexe lorsqu’elle est appelée à être exercée dans le cadre de missions techniques, comme la maintenance, la formation ou le travail. Or force est de constater que dans les directions régionales ou de zone que la Cour a contrôlées, les moyens nécessaires ont rarement été dégagés pour confier à un agent spécialisé la responsabilité du suivi de la gestion mixte. Ce sont donc les cadres des établissements eux-mêmes qui ont assuré les tâches de contrôle sans toujours maîtriser le contenu des prestations diversifiées qu’il leur était demandé de suivre et sans disposer, pendant la première génération de contrats, d’une formation adaptée, avant leur prise de fonction. Les conséquences d’une telle situation étaient prévisibles : soucieux de garantir avant tout le bon fonctionnement de leur établissement, les directeurs ont privilégié le dialogue, voire les concessions ou les arrangements avec leurs cocontractants, au détriment de la mise en oeuvre d’un contrôle rigoureux.

Les mêmes problèmes ont été rencontrés au niveau de l’administration centrale où le contrôle des marchés, confié à une cellule chargée de solliciter différents experts internes, s’est révélé superficiel, compte tenu du nombre et de la compétence des personnels mis à sa disposition. Or, eu égard aux enjeux financiers et à la complexité des marchés de gestion mixte, et au professionnalisme des entreprises cocontractantes, qui disposent de juristes et de techniciens, les structures mises en place par l’administration ont été insuffisantes. Dépourvue de capacité d’expertise technique, elle n’a pu jouer le rôle de pilotage qui aurait dû être le sien et en a été réduite à laisser ses services déconcentrés et les prestataires eux mêmes résoudre localement les problèmes auxquels ils étaient confrontés.

2 - Des outils et des procédures inadaptés
En cours d’exécution, deux dispositifs auraient dû être mis en oeuvre pour assurer l’effectivité du contrôle des prestations fournies dans le cadre des contrats de gestion mixte. Le premier, instauré en 1991, devait permettre d’identifier les anomalies survenues au sein des établissements et était fondé sur la définition de trois niveaux de gravité correspondant aux degrés d’urgence imposés au prestataire pour corriger la situation. Sa lourdeur et son formalisme, propices à des différences de pratiques d’un établissement à l’autre, ont abouti, dès 1992, à son échec. Il n’a pas pour autant été modifié, sauf pour la fonction maintenance dont les procédures de contrôle ont été renégociées avec les prestataires. Dans les autres domaines, le dispositif est resté inchangé et c’est au plan local que des solutions empiriques ont dû être trouvées pour résoudre les difficultés éventuelles, comme au centre pénitentiaire de Longuenesse où des questionnaires mensuels de satisfaction ont été remplis.

Le deuxième outil créé pour le contrôle des contrats en cours d’exécution devait s’articuler avec la procédure de paiement, que les chefs d’établissement pouvaient bloquer, en cas de besoin, en refusant de certifier le service fait. Pourtant, cette procédure n’a abouti qu’exceptionnellement, sans doute parce que sa sévérité paraissait disproportionnée eu égard à des manquements souvent ponctuels. Dans un cas comme dans l’autre, des améliorations ont été apportées à l’occasion du renouvellement des marchés (possibilité de formuler des réserves, par exemple), mais elles n’ont pas été suffisantes, de telle sorte que l’administration ne dispose toujours pas d’outils et de procédures performants pour s’assurer de la bonne exécution des contrats qu’elle a passés.

La situation n’est pas plus satisfaisante en matière de contrôle a posteriori. En termes qualitatifs, le cahier des charges des contrats de 1989 avait pourtant fixé des règles claires en prévoyant que les entreprises devaient transmettre chaque année à l’Etat un rapport rendant compte de leur gestion, établissement par établissement [15]. Mais rien n’était prévu pour contraindre les prestataires à respecter cette obligation et l’administration a été totalement démunie lorsque les rapports n’ont pas été produits ou lorsqu’ils l’ont été avec retard (sur la zone sud notamment).

En outre, le cadre de 1989 ne définissait pas le contenu des rapports, la nature des informations à fournir et la forme de leur présentation. Les rapports communiqués à l’administration pénitentiaire ont donc été très hétérogènes et n’ont pas toujours privilégié les mêmes données. Une telle absence de normalisation a rendu les comparaisons d’autant plus difficiles à établir que le contenu des prestations lui-même était significativement différent et que leur évolution, non formalisée, est venue compliquer encore toute tentative d’appréciation des performances respectives des cocontractants dans chacune des zones.

De surcroît, l’exploitation de ces données très diversifiées n’a donné lieu, de la part de l’administration, qu’à leur agrégation, complétée, par intermittence [16], par la rédaction d’un « rapport annuel d’évaluation » qui, au demeurant, n’a jamais été l’occasion d’une analyse contradictoire ou d’approfondissements : les contrôles sur pièces et sur place prévus par les marchés de 1989 n’ont jamais été diligentés. Le caractère formel du rapport d’évaluation annuel a été tel que le constat de dysfonctionnements pourtant avérés n’a jamais conduit l’administration à relativiser la qualité des prestations ni à formuler de critiques sur le bilan d’activité de ses prestataires [17].

Les mêmes défaillances ont existé en termes de contrôle sur les aspects financiers des contrats de gestion mixte. Les marchés conclus en 1989 instituaient une obligation de transmission annuelle de nombreux documents comptables et imposaient aux cocontractants de fournir « tout renseignement utile à l’administration au regard des instructions comptables en vigueur... ». En outre, ils rendaient applicables aux marchés de gestion mixte les dispositions du code des marchés publics permettant à l’administration de demander tout renseignement sur les prix de revient, d’effectuer des vérifications sur pièces et sur place et d’imposer des formes déterminées à la présentation des documents comptables. Malheureusement, ces dispositions contraignantes et innovantes à l’époque n’ont pas été mises en oeuvre.

Aucune normalisation de la présentation des comptes n’a été exigée avant la signature des contrats ou pendant leur mise en oeuvre. Chaque prestataire a donc produit des comptes dont la forme correspondait à ses propres contraintes ou préférences, de telle sorte que l’administration pénitentiaire a reçu des comptes arrêtés à des dates différentes (au 31 décembre pour la plupart des cocontractants sauf pour SIGES au 31 août) ou qui identifiaient des fonctions dont le contour n’était pas cohérent. Certains prestataires ont procédé à des présentations établissement par établissement sans vision d’ensemble (SIGES), d’autres se sont contentés d’une analyse très agrégée (DUMEZ). Le périmètre des opérations recensées a lui-même varié : certains prestataires se sont limités au contenu des contrats alors que d’autres ont intégré l’ensemble des activités effectuées en milieu pénitentiaire, qu’elles relèvent ou non de la gestion mixte (activités des ateliers pris en charge au sein d’établissements à gestion publique pour GEPSA, par exemple). Enfin, aucune méthode n’ayant été définie pour les répartir, les règles d’imputation des frais généraux ou des charges communes des groupements n’ont jamais été normalisées.

Face à une telle situation, livrée à elle-même, l’administration pénitentiaire n’a pas cherché à éclaircir avec ses prestataires les règles comptables qu’ils utilisaient et, de ce fait, les documents fournis par les entreprises sont restés sous-exploités, du moins jusqu’en 2000. C’est seulement à cette date que l’administration, confrontée à la décision d’interrompre le renouvellement des contrats, a confié à un cabinet d’audit le soin d’analyser, à partir des comptes 1999 des entreprises, la rentabilité par fonction des marchés, indispensable pour recenser les domaines les plus rentables pour les prestataires et ceux qui l’étaient moins. Mais depuis lors, l’administration pénitentiaire est revenue à des études internes, sans lien avec les prestataires et les résultats obtenus en termes de coûts par fonction sont toujours sujets à caution, ce qu’elle-même reconnaît.

La rentabilité globale des marchés de gestion mixte est tout aussi méconnue de l’administration. C’est seulement lorsque les contrats ont été renouvelés que le ministère des finances s’est étonné de l’absence d’informations disponibles en la matière, et que les entreprises candidates ont fourni des données générales sur la profitabilité de leurs marchés, passés ou à venir.
Consciente des insuffisances de son contrôle a posteriori, l’administration pénitentiaire a cherché à améliorer le niveau de ses exigences lors du renouvellement des marchés de gestion mixte.

Malheureusement, son effort n’a pas été suffisant. Sur le plan qualitatif, elle a demandé à ses prestataires de lui fournir un rapport mensuel dont le contenu théorique est très ambitieux : il prévoit par exemple une analyse des caractéristiques du bassin d’emploi où se situe l’établissement pénitentiaire. Mais le formalisme et l’exhaustivité des informations demandées tous les mois en font un outil très lourd et peu opérationnel, au point que certains chefs d’établissement ont d’ores et déjà renoncé à l’utiliser. Sur le plan financier, l’administration pénitentiaire a demandé à ses prestataires de se conformer au modèle type de comptabilité analytique qu’elle a établi. Toutefois, ce modèle est trop général pour être contraignant : il ne définit même pas le contenu à donner aux « charges à répartir » entre les différentes fonctions ni la méthode à suivre pour effectuer la répartition.

Une telle incapacité de l’administration pénitentiaire à assumer ses nouvelles missions de contrôle est révélatrice du fait qu’elle n’a pas su s’adapter à la répartition des rôles qu’imposait la gestion mixte, ni à se positionner face à des groupes d’entreprises avec lesquels elle a été incapable d’instaurer un dialogue véritablement contradictoire.

RECOMMANDATIONS

Les insuffisances dans le suivi des contrats de gestion mixte imposent que l’administration se dote d’outils et procédures plus efficaces pour l’avenir. Il est indispensable :
* de renforcer le formalisme du suivi des contrats en concluant, en tant que de besoin, des avenants lorsque des modifications doivent être apportées au contenu des prestations ;
* d’opérer un suivi rigoureux de l’évolution du coût global des contrats de gestion mixte et de ses facteurs explicatifs, notamment pour les dépenses hors contrats ;
* de clarifier la répartition des tâches entre les différents niveaux de l’administration pénitentiaire. A cette fin, il convient de spécialiser les directions régionales de zone dans une fonction de contrôle, en vue d’en décharger les établissements, et de leur transmettre la charge du paiement aux prestataires privés ;
* de renforcer les moyens humains consacrés au suivi de la gestion mixte en particulier au niveau des directions régionales de zone et de l’administration centrale par le recrutement de techniciens et de juristes ;
* de rendre plus opérationnels les outils du suivi qualitatif de la gestion mixte. A cette fin, il convient de redéfinir la trame des rapports mensuels que doivent fournir les prestataires privés en s’inspirant des questionnaires de satisfaction élaborés en zone nord et, au niveau central, de développer l’analyse critique des documents produits par l’organisation de contrôles sur place ;
* de renforcer les exigences en termes de normalisation de la présentation des comptes et, pour les rendre plus lisibles, d’exiger l’identification d’une fonction d’administration et de coordination, destinée à imputer les charges communes à toutes les autres fonctions déléguées ;
* de développer le dialogue contradictoire avec les prestataires privés, y compris sur les aspects comptables ainsi que le recours à l’expertise des autres services de l’Etat, notamment ceux du ministère des finances.

Notes:

[1] Après une montée en charge très progressive, le taux de places non mises en service représentait 6 % de la capacité nominale en 1994 et 1,63 % en 1995

[2] Rapport du Professeur Pierre Pradier, « La gestion de la santé dans les établissements du programme 13 000. Evaluation et perspectives », septembre 1999

[3] Rapport Pradier p. 12

[4] Rapport de fonctionnement 1995, p. 15

[5] Donnée tirée du tableau récapitulatif des différentes composantes de l’appel d’offres établi par l’administration pénitentiaire dans le cadre des travaux de la deuxième CAO

[6] Les coûts prévisionnels ont été calculés en actualisant la somme des prix prévus par chacun des marchés de zone de 1989. Le coût global théorique pris en compte correspond à l’addition du coût prévu dans l’acte d’engagement de chacune des zones, pour un effectif théorique correspondant à un taux d’occupation de 100 %

[7] A ce facteur s’ajoute, en 2001, l’impact du retrait des marchés de la fonction « santé »

[8] La comparaison est effectuée de 1995 à 2000 car le retrait de la fonction santé en 2001 introduit un biais dans les calculs d’évolution pluriannuelle

[9] Comparaison à population réelle moyenne constatée en 2000 pour les tranches fermes et à capacité nominale des établissements pour les tranches conditionnelles, avec des retraitements rendus nécessaires par la sortie de la fonction santé du nouveau marché notamment et par la redéfinition des zones géographiques

[10] Dans l’acte d’engagement de la zone nord par exemple, SIGES souligne « nous présentons dans le mémoire technique pour chacune des fonctions un nombre important d’innovations et de prestations adaptées aux attentes de l’administration pénitentiaire. Celles-ci ont été établies à partir de notre expérience de plus de 10 ans de la gestion mixte »

[11] Rapport zone Nord p60/97

[12] Procès verbal de la réunion du 10 juillet 1991, zone Nord, p.5

[13] Rapport de gestion 1998

[14] Guide de mise en oeuvre des marchés, p. 14

[15] Article 36

[16] Il n’a été rédigé ni entre 1996 et 1999 ni en 2000 et 2001

[17] Concernant l’hôtellerie, le rapport 1999 de la zone Nord p.7/97 indique par exemple : « c’est de manière implicite qu’il peut être porté appréciation de cette fonction : le prestataire ne fait pas état d’un compte rendu, la direction régionale de zone ne consacre pas à cette fonction un développement important. Comme pour l’exercice précédent, cette fonction continue à être réalisée de manière satisfaisante. »