IV. Malgré l’existence de ces lois, l’accès aux soins et à la protection de la santé en prison continue de poser des problèmes éthiques majeurs.
A. Dans les situations extrêmes.
1. La personne dépendante, âgée ou handicapée est le plus souvent privée d’aide et d’autonomie
« Le handicap est plus fréquent en prison qu’à l’extérieur » indiquait l’enquête menée en 2002 par Handicaps - Incapacités - Dépendance - Prisons.
« Une personne détenue sur deux souffre soit de troubles du comportement ou de l’orientation dans le temps ou l’espace, soit d’une incapacité, difficulté, voire impossibilité à réaliser des actes élémentaires de la vie quotidienne, telle que s’habiller, se laver, parler... »
Une enquête réalisée en 2003 sur les personnes à leur entrée en détention indiquait que 2,4% étaient titulaires d’une allocation pour adulte handicapé (AAA), 3,3% étaient invalides, et 3,8% bénéficiaient d’une exonération du ticket modérateur au titre d’une affection de longue durée (ALD). Au total, plus de 6% des personnes au moment de leur incarcération (soit environ 5 000 personnes incarcérées) étaient concernées par au moins un de ces critères.
L’Académie de Médecine, évoquant d’une manière plus générale les personnes détenues de plus de 60 ans, notait dans son rapport de décembre 2003 que la plupart d’entre elles « sont incarcérées dans des établissements inadaptés aux handicaps physiques liés à l’âge : nombreux escaliers, absence d’ascenseur, absence de plans inclinés rendant inaccessible de nombreux locaux, y compris les locaux médicaux... a fortiori pour ceux qui doivent utiliser un fauteuil roulant ».
Ces personnes handicapées sont confrontées en prison à trois grandes difficultés :
- l’inaccessibilité des lieux
- le manque total ou partiel d’aide technique
- et surtout l’absence d’une tierce personne pouvant les aider dans les gestes et soins indispensables au quotidien.
- L’inaccessibilité des lieux empêche le détenu handicapé de bénéficier des parties communes (douches, salles de travail, bibliothèque, cour-promenade...)
La plupart des prisons, archaïques, manquent totalement ou partiellement de barres d’accès et d’ascenseurs, de douches et de WC aménagés, de cellules individuelles suffisamment spacieuses pour recevoir un lit adapté et un fauteuil roulant.
- Les aides techniques (lit adapté, alèses, système de levage, fauteuil roulant, etc.) sont quasiment inexistants pour les raisons précédemment évoquées, mais aussi par manque de moyens financiers.
Jusqu’au début de l’année 2005, les allocations prévues par la loi pour aider les personnes dépendantes et donc leur permettre d’acquérir certains matériels de soutien se trouvaient réduites ou supprimées quand elles entraient en prison pour un délai excédant 45 jours, y compris lorsqu’elles étaient mises en examen ou prévenues, présumées innocentes.
- Quant à la présence d’une tierce personne, qui apporte une aide à la vie quotidienne ou offre des soins particuliers (kinésithérapie par exemple), elle demeurait, jusqu’à début de l’année 2005 refusée.
L’aide au détenu handicapé dépendait entièrement du bon vouloir de ceux qui l’entouraient (gardiens ou surtout codétenus) avec tous les manques et les risques que cela comporte.
La circulaire du 10 janvier 2005 relative à l’actualisation du guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues et à leur protection sociale indique, dans son chapitre « éléments d’actualisation du guide (la prise en charge des personnes dépendantes et/ou handicapées) » que « l’accueil en détention de personnes dépendantes âgées ou handicapées concerne un nombre croissant de personnes détenues.
En plus de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), les personnes détenues peuvent maintenant bénéficier des prestations spécifiques telles que l’allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) et l’aide personnalisée à l’autonomie (APA) ». Il reste à espérer et à vérifier que ces mesures entreront rapidement en application.
Le même chapitre « éléments d’actualisation du guide (la prise en charge des personnes dépendantes et/ou handicapées) » indique aussi que « les personnes dépendantes, âgées ou handicapées doivent pouvoir bénéficier, lors de l’exécution de leur peine, de prestations et de conditions de détention adaptées à leur état, notamment de cellules réservées à l’accueil de personnes handicapées ».
Mais seuls les nouveaux établissements pénitentiaires sont censés comporter systématiquement « au moins une cellule aménagée ». On voit mal comment les nouvelles prisons dotées pourtant d’une cellule aménagée (une pour 200 places, soit 0.5% dans les seules nouvelles prisons, alors que le pourcentage de personnes handicapées incarcérées, toutes prisons confondues, était en 2003 de plus de 6% !) parviendraient à résoudre le problème de l’ensemble des personnes handicapées détenues, car au nombre de détenus entrant porteurs d’un handicap s’ajoute désormais celui des détenus qui ont vieilli en prison.
Ainsi, « celles-ci [les personnes handicapées] sont soumises à des conditions d’hébergement et de vie attentatoire à leur dignité », pour reprendre les termes de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme dans son Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues de 2006.
Quand toute prise en charge véritable du handicap est dans les fait impossible, la personne détenue handicapée se trouve de fait exclue non seulement du champ d’application de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, mais aussi de la loi du 18 janvier 1994, qui a pour objectif de donner au détenu un accès aux soins et à la protection de la santé identique à celui de la population générale.
2. La suspension de peine pour raison médicale en fin de vie, prévue par la loi du 4 mars 2002, est appliquée de manière très restrictive.
Ces dispositions, qui ont été insérées dans le Code de Procédure Pénale à l’article 720-1-1, autorisent la suspension des peines privatives de liberté pour « les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention ».
L’Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues de 2006 de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme cite les chiffres rendus publics par le ministère de la Justice le 19 juillet 2005 indiquant que 165 personnes avaient bénéficié d’une suspension de leur peine pour raison médicale entre l’entrée en vigueur de la loi en avril 2002 et le 31 décembre 2004. Elle met en rapport ces chiffres avec ceux publiés par un collectif d’associations et de praticiens (le « Pôle suspension de peine ») qui indique l’existence de 436 demandes durant cette même période, c’est-à-dire un taux de refus qui serait de plus de 60%.
La circulaire du 10 janvier 2005 relative à l’actualisation du guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues et à leur protection sociale rappelle que « la mesure de suspension de peine pour raison médicale nécessite, pour sa mise en œuvre, les conclusions concordantes de deux expertises médicales. Elle est assujettie aux délais nécessaires à la réalisation des expertises et s’appuie sur un travail partenarial entre les services pénitentiaires et les services médico-sociaux, notamment pour la recherche éventuelle d’un lieu de vie adéquat pour la personne bénéficiaire de la mesure. Cependant, la décision appartient au juge de l’application des peines ou à la juridiction régionale de la libération conditionnelle ».
En réponse à des questions écrites de deux députés, en mai et juillet 2005, le Ministre de la Justice a indiqué que l’une « des principales difficultés existantes » à l’application de la suspension de peine pour raison médicale est liée à la recherche de « solutions de prise en charge » : « hospitalisation, hébergement en famille ou foyer ».
Déjà dans un avis du 11 mars 2003, le Conseil national du Sida souhaitait que « les pouvoirs publics prennent des mesures afin que ce texte connaisse une application à la hauteur des ambitions du législateur ».
Quelles que soient les raisons des difficultés d’application d’une loi dont le but était d’éviter la mort en prison, et qui indiquait que seuls « des motifs de santé » doivent être pris en considération dans la décision de suspension de peine pour raison médicale, on ne peut qu’être frappé par le fait que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, à la date du 31 décembre 2005, sur une période de 3 ans et demi, plus de 800 personnes détenues étaient probablement mortes en prison : plus de 400 de suicide, et plus de 400 de maladies ou de vieillesse.
3. Contrairement à un condamné, un prévenu, présumé innocent, en fin de vie ne peut pas bénéficier des dispositions de suspension de peine pour raison médicale prévues par la loi du 4 mars 2002.
La personne en détention provisoire, qu’elle soit mise en examen, en attente de comparution, ou en instance d’appel ou de pourvoi en cassation, est totalement exclue du champ d’application des dispositions de l’article 720.1.1 du Code de procédure pénale de la loi du 4 mars 2002 relatives aux droits des malades, qui a pour but d’adapter aux situations de fin de vie le caractère libératoire pour raison médicale.
La possibilité d’une suspension de détention est laissée à l’appréciation du juge d’instruction. A ce statut particulier, hors du champ d ‘application de la loi concernant les personnes en fin de vie - ou plus largement les personnes dont l’« état de santé durablement incompatible avec le maintien en détention » ou ayant une « pathologie engageant le pronostic vital » - s’ajoutent les conditions de vie généralement indignes des personnes en détention provisoire, incarcérées en maison d’arrêt où la surpopulation, la promiscuité et l’hygiène sont incompatibles avec la mise en place de soins palliatifs et d’un véritable accompagnement humain en fin de vie.
Certains détenus en fin de vie engagent des procédures en faisant référence, par exemple, à la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui interdit des traitements dégradants. Mais les procédures sont longues et le plus souvent incompatibles avec l’espérance de vie de ces prévenus. D’autant que le justiciable détenu qui se pourvoit en Cassation reste un prévenu... Cette situation paradoxale encourage le prévenu à ne pas utiliser les voies de recours afin d’être condamné le plus rapidement possible, bénéficiant alors du droit de demander l’application de la loi du 4 mars 2002.
Cette discrimination crée un problème éthique majeur. Une personne en fin de vie devrait être traitée comme telle, sans référence à sa situation judiciaire de prévenue
- mise en examen, en attente de comparution, en instance d’appel ou de pourvoi en cassation - ou de condamnée. Le paradoxe étant toujours qu’une personne prévenue est présumée innocente...
Toute personne en fin de vie devrait pouvoir échapper à l’incarcération.
4. L’incarcération de personnes atteintes de maladies mentales graves : la « folie » en prison.
Cette situation, déjà soulignée précédemment constitue l’un des problèmes éthiques majeurs concernant d’une part la confusion croissante entre les sens respectifs de la peine et du soin, et d’autre part le droit à la protection de la santé et à l’accès aux soins. Ces problèmes éthiques graves d’atteinte au droit à la protection de la santé et à l’accès aux soins impliquent à la fois le droit des malades à la meilleure prise en charge médicale psychiatrique possible de leur souffrance dans des conditions respectueuses de leur dignité, et le droit de leurs codétenus à la protection de leur santé mentale, mise en péril par une confrontation permanente à la « folie ».
B. Dans la reconnaissance des besoins essentiels à la protection de la santé et de la dignité humaine.
1. La surpopulation carcérale et le non-respect du droit à l’hygiène, à l’intimité, à la salubrité des locaux et à des conditions de vie non dégradantes pour la santé physique et mentale.
L’Assemblée Nationale indiquait dans son rapport de 2000 que « la surpopulation pénale est à l’origine d’un traitement infligé aux détenus qui peut être considéré, à juste titre, comme inhumain et dégradant ».
Dans son étude de 2004, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme soulignait « qu’en matière d’hygiène corporelle, la France est en retard par rapport à nombre d’Etats européens » et que « la situation de promiscuité imposée à la majorité des personnes incarcérées en maison d’arrêt représente l’un des aspects les plus dégradants des conditions de détention en France ».
Dans son étude de 2006, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme rappelait qu’en 2005, le Commissaire Européen aux Droits de l’Homme a qualifié de « répugnants » certains lieux de détention qu’il a visité en France.
Pour ne donner qu’un exemple, enfermer en maison d’arrêt trois ou quatre personnes dans une cellule de 9m2, avec une cuvette de WC non isolée constitue non seulement une atteinte à l’hygiène, mais aussi une agression psychologique majeure, et une atteinte à la dignité humaine des détenus qui sont contraints d’assurer leurs besoins élémentaires sans la moindre intimité.
La rareté des douches (qui sont souvent, notamment dans les maisons d’arrêt, dans des conditions de saleté liées à la vétusté des équipements) pose à la fois des problèmes d’hygiène et de dignité humaine. Dans son étude de 2006, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme rappelait que « les locaux des douches sont souvent insalubres, sans aération et couverts de moisissure. L’article D. 350 du Code de Procédure Pénale indique :
« dans toute la mesure du possible, ils [les détenus] doivent pouvoir se doucher au moins trois fois par semaine ». Mais pour la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, « cette règle, a fortiori assortie de ce tempérament, n’est plus admissible au 21ème siècle. Les détenus doivent pouvoir se doucher quotidiennement ».
Pourtant, l’article D. 349 (Décret du 8 décembre 1998) du Code de Procédure Pénale indique que « l’incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d’hygiène et de salubrité ». L’article D. 350 indique que « les locaux de détention, et, en particulier ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l’hygiène ». Et l’article D. 351 indique que « les installations sanitaires doivent être propres et décentes ».
Le Code de Procédure Pénale a mis en place toute une série de processus de contrôle pour assurer que ces règles sont réellement appliquées.
Ainsi, l’article D. 348-1 indique : « l’inspection générale des affaires sociales et les services déconcentrés du ministère chargé de la santé veillent à l’observation des mesures nécessaires au maintien de la santé des détenus et de l’hygiène dans les établissements pénitentiaires. Ces services contrôlent à l’intérieur des établissements pénitentiaires l’exécution des lois et des règlements se rapportant à la santé publique et effectuent toute vérification nécessaire ».
L’article D. 348-3 indique : « le comité interministériel [de coordination de la santé en milieu pénitentiaire] est chargé d’examiner toute question d’ordre général se rapportant à la protection, à l’amélioration de la santé des détenus et à l’hygiène dans les établissements pénitentiaires. Il veille à la mise en œuvre des orientations fixées dans le domaine de la prévention, de l’organisation des soins et de l’hygiène dans les établissements pénitentiaires ».
Et l’article D. 380 déclare : « le médecin responsable [...] veille à l’observation des règles d’hygiène collective et individuelle dans l’établissement pénitentiaire. A ce titre, il est habilité à visiter l’ensemble des locaux de l’établissement et à signaler aux services compétents les insuffisances en matière d’hygiène et, de manière générale, toute situation susceptible d’affecter la santé des détenus ; il donne son avis sur les moyens d’y remédier ».
Les conditions de surpopulation et de promiscuité dans les cellules concernent essentiellement les personnes prévenues, présumées innocentes, détenues dans les maisons d’arrêt. Les centrales, qui ne sont elles pas surpeuplées, n’accueillent pas de prévenus mais des condamnés à de longues peines.
A titre d’exemple, en 2005, dans 8 maisons d’arrêt, le taux d’occupation était supérieur à 200%.
D’une part, on ne peut qu’être frappé par le nombre de personnes prévenues incarcérées chaque année en détention provisoire : plus de 60 000 en 2005, alors que la loi du 6 janvier 1995 stipule que la détention préventive doit être l’exception.
D’autre part, il existe une contradiction entre la surpopulation et la promiscuité dans les cellules des personnes en détention provisoire et l’article D. 716 du Code de Procédure Pénale (correspondant à la loi du 4 janvier 1993) qui indique : « les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire sont placées au régime de l’emprisonnement individuel de jour et de nuit ».
Avant la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence, cet article se poursuivait ainsi : « il ne peut être dérogé à ce principe qu’en raison de la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou de leur encombrement temporaire ou, si les intéressés ont demandé à travailler, en raison des nécessités d’organisation du travail.
La loi du 15 janvier 2000, dans son article 68, a entraîné la modification suivante : « il ne peut être dérogé à ce principe qu’a leur demande [qu’à la demande des personnes détenues] ou, si les intéressés ont demandé à travailler, en raison des nécessités d’organisation du travail », l’article D. 716 indiquant que cette mesure est applicable à compter du 16 juin 2003 (c’est-à-dire il y a plus de 3 ans).
Mais 4 jours avant ce terme, l’article 41 de la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière (!) a prolongé de 5 ans ce délai, entraînant une nouvelle modification de l’article D. 716 : « il ne peut être dérogé à ce principe que dans les cas suivants :
1) si les intéressés en font la demande ; 2) si leur personnalité justifie, dans leur intérêt, qu’ils ne soient pas laissés seuls ; 3) s’ils ont été autorisés à travailler, ou à suivre une formation professionnelle ou scolaire et que les nécessités d’organisation l’imposent ; 4) dans la limite de 5 ans à compter de la promulgation de la loi n° 2003-495 du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière, si la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou le nombre de détenus présent ne permet pas un tel emprisonnement individuel ».
En d’autres termes, le principe du régime de l’emprisonnement individuel, affirmé dans la loi depuis 13 ans, n’a cessé de faire l’objet de dérogations qui en repoussent l’application, pour l’instant, à l’horizon 2008.
Dans son Etude sur les droits de l’homme en prison de 2004 et dans son Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues de 2006, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme a appelé à « assurer l’encellulement individuel, seul régime de détention à même de garantir l’intégrité physique et psychique des personnes incarcérées ».
La prise en charge défectueuse de l’hygiène en prison dépasse le cadre de la surpopulation carcérale, la promiscuité et l’état déplorable des locaux. Elle concerne aussi l’hygiène alimentaire car la nourriture en prison est source d’inégalités entre les détenus, dont la plupart sont sans ressources. En effet, certains aliments et compléments alimentaires ne sont accessibles aux détenus que s’ils les achètent. Dans son rapport de 2005 Sur le respect effectif des Droits de l’Homme en France, le Commissaire Européen aux Droits de l’Homme notait, pour exemple, que le prix de vente du sucre dans certaines prisons était supérieur au prix d’achat du sucre dans les magasins de la même région...
2. L’exposition de plus faibles à la violence des codétenus (cohabitation sans discrimination) et le non-respect du droit du détenu à la sécurité et à la protection de son intégrité physique et mentale. Le jeune présumé délinquant partageant sa cellule avec le criminel professionnel se trouve dans une situation d’extrême vulnérabilité.
Dans son rapport de 2000, La France face à ses prisons, l’Assemblée Nationale soulignait que « la surpopulation pénale n’est bien évidemment pas non plus étrangère à la survenue de plus en plus fréquente d’actes d’auto-agressions (automutilations, tentatives de suicide ou suicides), d’agressions entre détenus, de phénomènes de racket et d’actes de violence envers les surveillants ».
Cette violence omniprésente est exacerbée par l’indignité des conditions de détention en maison d’arrêt, par la promiscuité, et par l’intrusion massive de la maladie mentale au sein de la prison.
Elle l’est encore par le défaut d’écoute des problèmes humains vécus, tels que les états de stress et d’angoisse dont l’approche est uniquement et démesurément sécuritaire ou médicamenteuse.
Globalement la violence est traitée de deux manières :
- le recours intensif aux psychotropes qui justifie l’expression « prison médicamenteuse » ou « camisole chimique » ;
- le recours à l’instance disciplinaire qui souvent accroît le trouble qu’elle était censée faire disparaître.
On ne peut qu’être surpris que l’Annuaire Statistique de la Justice, Exécution de peines et administration pénitentiaire de 2006 - qui recense, entre 2001 et 2005, l’ensemble des données concernant les détenus, y compris les 2 000 à 3 000 « incidents collectifs ou individuels survenus pendant l’année », dont les agressions envers le personnel, les évasions, les refus d’alimentation, les suicides et les tentatives de suicide - ne fasse aucune mention de l’existence de violences subies par des détenus de la part d’autres détenus, comme si elles n’avaient pas lieu, ou ne méritaient pas d’être signalées et prises en compte parmi les données importantes communiquées sur la prison.
Pourtant, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, à partir de l’analyse des fautes disciplinaires recensées par l’administration pénitentiaire, a mis en évidence l’importance de ces phénomènes de violences : en 2002, plus de 6 800 cas d’agressions physiques entre détenus ont été répertoriés, dont 80% (plus de 5 300 cas) se sont produits en maison d’arrêt.
Une incarcération implique que l’intégrité physique et mentale de la personne incarcérée puisse être protégée et que sa sécurité puisse être assurée de façon permanente : qu’il s’agisse du risque d’agression entre détenus, du risque d’accident, d’automutilation ou de suicide ; ou qu’il s’agisse du risque de maladie grave posant des problèmes d’urgence, en particulier la nuit (asthme grave, infarctus... ).
3. Les difficultés d’accès aux soins d’urgence.
Le recours à des soins d’urgence, ou à un accompagnement médical, nécessaire en cas d’angoisse profonde, est parfois rendu inaccessible :
- Inaccessible la nuit, par l’insuffisance de « rondes de nuit » rendant impossible l’accueil et la transmission au service médical de tout appel de détresse.
- Difficile le week-end, et même le jour en semaine, en raison du manque d’attention portée aux appels des détenus par les surveillants trop habitués à leurs cris et souvent peu formés à distinguer les plaintes nécessitant une réponse immédiate.
Pourtant, il est inacceptable que des personnes enfermées dans des cellules, en totale situation de dépendance et en situation d’anxiété ne puissent pas bénéficier en cas d’urgence d’un accès, jour et nuit, à l’équipe médicale.
L’IGAS et l’IGSJ, dans leur rapport de 2001, notaient que « l’absence de médecin de garde, les conditions d’alerte des surveillants, les délais d’accès aux cellules » étaient « autant d’éléments qui peuvent aboutir à une gestion de l’urgence insatisfaisante ».
L’Académie de Médecine, dans son rapport de décembre 2003, soulignait d’autre part que « le suivi d’un traitement prescrit pour être réparti sur 24h a les plus grandes chances d’être interrompu. La spécificité d’une surveillance continue, telle que celle d’un diabète de type I, ne peut être assurée. La survenue d’un événement médical aigu nocturne relève du dispositif civil de type SOS médecin, pour autant qu’ait été identifié (par qui ? le codétenu ?) et signalé l’état anormal du détenu ».
La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, dans son Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues de 2006, notait la lourdeur de la procédure à mettre en oeuvre devant une urgence médicale de nuit : « outre qu’il doit entendre les appels du détenu en détresse ou ceux de ses codétenus, le surveillant de garde doit évaluer la gravité de la situation, demander le cas échéant à un gradé - seul habilité à ouvrir la cellule - de se rendre sur les lieux, et enfin contacter le médecin régulateur du Centre 15 qui enverra un médecin sur place.
La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme soulignait aussi que le Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues, dans sa version révisée d’avril 2004, invite chaque établissement pénitentiaire « à mettre en place un dispositif permettant à la personne détenue concernée de communiquer directement par téléphone avec le médecin régulateur du centre 15 ou de l’établissement de santé ».
La circulaire du 10 janvier 2005 relative à l’actualisation du guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues et à leur protection sociale indique, dans le chapitre des éléments d’actualisation du guide (la réponse aux urgences), qu’ « un dispositif permettant de faciliter la communication directe avec le médecin du centre 15 ou de l’établissement de santé doit être instauré, afin de mieux cerner les cas d’urgence vitale et d’éviter ainsi de prendre du retard dans la dispensation des soins pouvant entraîner des conséquences graves pour les personnes détenues ».
Dans son Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues de 2006, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme recommandait « la généralisation des moyens d’appels des secours dans les cellules de détention (interphones) et la mise en place dans les meilleurs délais d’un dispositif permettant une communication directe des détenus avec le Centre 15 [le médecin régulateur] »
4. Le droit à la prévention et à l’éducation à la santé.
Le Code de la Santé Publique indique que « l’accès à la prévention et aux soins constitue un objectif prioritaire de la politique de santé ».
La circulaire du 10 janvier 2005 concernant l’actualisation du guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues et à leur protection sociale indique, dans le chapitre des éléments d’actualisation du guide (la prévention et l’éducation pour la santé) précise que « la prévention fait partie de la prise en charge sanitaire globale de la personne détenue. Le médecin de l’UCSA coordonne, au sein de l’établissement pénitentiaire, les actions de prévention et d’éducation pour la santé ».
Le guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues souligne qu’ « un des points forts de la politique de santé en milieu pénitentiaire [est] de faire bénéficier cette population le plus souvent jeune, fragilisée et ayant eu jusque là un faible accès aux soins, d’actions de prévention susceptibles de l’amener à une meilleure prise en charge de sa santé ».
Mais dans son Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues de 2006, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme indique : « il apparaît pourtant que, d’une manière générale, y compris lorsqu’un tel plan existe, il demeure lettre morte.
Nombre de rapports établis par les UCSA font état de cette situation. Là encore, la situation de surpopulation des maisons d’arrêt constitue très fréquemment un obstacle à la mise en œuvre de ces programmes. Confrontés à des files actives de patients toujours plus importantes, les services médicaux concentrent leur action sur l’administration des soins proprement dits ».
5. La question du respect de la vie affective, familiale et de la sexualité.
Pour des personnes écartées de la société pendant un temps plus ou moins long, le maintien des liens familiaux est essentiel, en particulier à leur santé mentale. C’est l’un des appuis permettant au détenu de garder un équilibre psychologique et de croire encore à son avenir. C’est aussi, soulignait Le Conseil Economique et Social dans son rapport de 2006, « un des appuis permettant la réinsertion », dont un des aspects important est la continuité des soins, de la prévention et de la protection de la santé physique et mentale après la sortie de prison.
L’article D. 402 du Code de procédure Pénale indique qu’« il doit être
particulièrement veillé au maintien et à l’amélioration des relations [des détenus] avec leurs proches, pour autant que celles-ci paraissent souhaitables dans l’intérêt des uns et des autres ».
L’article D. 410 indique que « les prévenus doivent pouvoir être visités au moins trois fois par semaine, et les condamnés au moins une fois par semaine ».
Dans la réalité de la prison française, et en particulier des maisons d’arrêt, le plein accès à ce droit est souvent impossible : trop grande distance entre le lieu d’incarcération et le domicile familial, transferts dans d’autres établissements pénitentiaires, parfois utilisé à titre de mesure disciplinaire, planning compliqué des visites, conditions difficiles des rencontres, absence de transports en commun, aggravées par des journées de visite et horaires très limités.
De plus, ce droit aux visites est restreint en ce qui concerne les étrangers détenus, en raison de l’article D. 407 qui indique que « les détenus doivent s’exprimer en français.
Lorsque les uns ou les autres ne savent parler cette langue, la surveillance doit être assurée par un agent en mesure de les comprendre. En l’absence d’un tel agent, la visite n’est autorisée que si le permis qui a été délivré prévoit expressément que la conversation peut avoir lieu en langue étrangère ».
Les enfants - privés d’une intimité d’autant plus importante que les retrouvailles avec le parent incarcéré sont rares et brèves - sont particulièrement vulnérables. Ils subissent lourdement les conséquences psychologiques et affectives de cette rupture des liens familiaux. Pourtant, l’intérêt de l’enfant doit primer. La Convention Internationale sur les Droits de l’Enfant, dans son article 3-1, indique que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait d’institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l ‘enfant doit être une considération primordiale ».
En 1995, un rapport de l’administration pénitentiaire soulignait « la misère affective » des détenus. Jusqu’à une période très récente, il était inenvisageable dans notre pays que des couples, des familles, des parents et leurs enfants puissent se retrouver dans l’intimité.
Privation de la liberté d’aller et venir était synonyme de privation de relations intimes affectives et familiales. Et la question de la possibilité pour un couple de maintenir des relations affectives et sexuelles quand l’un est en prison pour une longue peine était totalement exclue.
Pourtant, au Canada, cette possibilité de rencontre dans l’intimité dans des conditions respectant la dignité humaine a été mise en place depuis 25 ans. Dans certains pays européens comme le Danemark et les Pays-Bas, des visites non surveillées dans des locaux aménagés pour permettre des rencontres dans l’intimité sont possibles une fois par semaine.
En France, l’article D. 406 du Code de Procédure Pénale indique qu’ « en toute hypothèse, un surveillant est présent au parloir ou au lieu de l’entretien. Il doit avoir la possibilité d’entendre la conversation ».
En 2003, une Unité de Visite Familiale (UVF) composée de trois appartements a été crée à la prison pour femmes de Rennes. Cette UVF permet aux femmes condamnées à de longues peines de retrouver leur famille et leurs proches 4 fois par an, pour une durée de 6h à 72h, dans un appartement où les surveillants ne pénètrent pas. Il faut souligner l’importance de cette mesure. « L’UVF est perçue comme un espace de liberté » déclarait en novembre 2006 le directeur de la prison de Rennes. « Le projet est novateur. Il prouve que l’administration pénitentiaire a su évoluer ».
Actuellement, les UVF n’ont été crées que dans 3 établissements pénitentiaires, ce qui représente un nombre infime par rapport aux 190 prisons françaises. En septembre 2006, le Ministre de la Justice a annoncé la création prochaine de 4 nouvelles UVF. Leur généralisation dans les prisons réservées aux longues peines est prévue pour 2009.
Il reste à espérer que la pleine application de ces mesures, essentielles au plan du respect de la santé mentale et de la dignité de la personne ne sera pas continuellement repoussée - comme cela l’a été pour l’accès au droit à la libération pour raison médicale, l’accès au droit à la prise en charge du handicap, l’accès au droit à l’incarcération en cellule individuelle (voir plus haut) - mais sera rapidement mise en œuvre.
C. Dans la mise en place, pour des raisons de sécurité ou disciplinaires, de contraintes mettant en cause le droit à la protection de la santé et la qualité
des soins.
1. L’isolement disciplinaire : la cellule de discipline (le « mitard »), l’isolement en quartier disciplinaire, et les risques pour la santé mentale de détenu.
Dans les établissements pénitentiaires, l’ordre et la sécurité reposent presque uniquement sur le régime disciplinaire et les mesures de mise à l’isolement.
Le décret du 2 avril 1996 définit les manquements à la discipline et les sanctions en découlant. Le Code de procédure Pénale, dans son article D. 283-1, indique que le détenu peut être isolé dans un quartier spécial par mesure de précaution et de sécurité. Aucune durée maximale d’isolement n’est spécifiée.
Dans son rapport de 2004, la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme notait qu’« en 2002, 161 détenus étaient ainsi maintenus au quartier d’isolement depuis plus d’un an ». Dans son rapport de 2005, le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe indiquait « j’ai rencontré au cours de la visite des personnes se trouvant en isolement total depuis de nombreuses années ».
Parmi les sanctions disciplinaires, le placement en cellule de discipline appelée communément « mitard » est la sanction la plus redoutée des détenus.
Dans cette cellule, le détenu sanctionné reste totalement isolé pendant une durée maximale de 45 jours. Il y est privé de tout ce qui faisait sa vie de prisonnier, pourtant déjà dépouillée : activité, contact avec d’autres détenus, visite de proches,...
Cette sanction extrême a fait l’objet de très nombreuses réserves et mises en garde :
- Le mitard provoque des effets autodestructeurs avec parfois pour conséquence une tentative de suicide survenant dans les jours qui suivent la sortie du détenu de son total isolement.
- Le mitard peut aggraver et rendre incontrôlables les troubles mentaux et les pulsions de violence.
Le Comité Européen pour la Prévention de la Torture (CPT) souligne, dans son rapport de 2000 qu’il « a de sérieuses réserves en ce qui concerne la situation de nombre de détenus placés à l’isolement administratif que sa délégation a rencontré lors de sa visite ; ses réserves tiennent tant à la durée de l’isolement pendant des années d’affilée qu’au régime éminemment restrictif auxquels de tels détenus sont soumis en l’absence d’activités structurées et d’activités en commun ». Le CPT a rappelé les observations qu’il avait faites dans son rapport de 1996 : « La mise à l’isolement peut, dans certaines circonstances, constituer un traitement inhumain et dégradant » et « en tout état de cause, elle [devait] être de la durée la plus courte possible ».
Dans son rapport de 2000, l’Assemblée Nationale soulignait que « les conséquences désocialisantes et psychiquement déstructurantes d’une décision de mise à l’isolement ont été à la fois dénoncées par les intervenants de l’administration pénitentiaire et constatées lors des visites ».
Et le rapport du Sénat indiquait, à la même date que « la durée maximale de placement dans le quartier disciplinaire, qui est aujourd’hui de 45 jours, [devait] être réduite à 20 jours ».
Le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe a souligné dans son rapport de 2005 que la durée maximale d’isolement en cellule disciplinaire de 45 jours, spécifiée par l’article D. 251-3 du Code de Procédure pénale « fait du régime disciplinaire pénitentiaire français l’un des plus sévères d’Europe. Ainsi les maxima de l’isolement punitif sont de 3 jours en Ecosse et en Irlande, 9 jours en Belgique, 14 jours en Angleterre, 15 jours en Italie ainsi qu’aux Pays-Bas, et 28 jours en Allemagne ».
Le CPT, l’Observatoire international des Prison (OIP), et la plupart des médecins s’accordent pour dire qu’une personne ne devrait jamais subir cette épreuve au-delà de 15 jours, et ont plusieurs fois attiré l’attention des autorités françaises sur le caractère dégradant de cette punition infligée parfois dans des conditions inacceptables (un matelas à terre et un WC pour seul horizon).
l y a plus de 20 ans étaient supprimés pour leur caractère dégradant les quartiers de haute sécurité (Q.H.S.). Le « mitard » qui recèle le même degré d’inhumanité a été maintenu, et cela en parfaite opposition avec toutes les déclarations concernant les droits de l’homme.
Dans son rapport de 2004, la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme avait « recommandé l’intervention du législateur sur cette question », à la fois en termes de durée maximale, de respect de la proportionnalité des sanctions, de respect des principes du procès équitable devant la commission de discipline, et de généralisation du droit au recours juridictionnel.
La Commission note que « par un arrêt du 30 Juillet 2003, le Conseil d’Etat a renversé sa jurisprudence Fauqueux qui qualifiait le placement à l’isolement de « mesure d’ordre intérieur », ne permettant de ce fait aucun recours : cet arrêt a ainsi ouvert « une voie de recours en matière d’isolement administratif ».
Si la sanction d’isolement peut s’avérer nécessaire, elle doit être strictement encadrée, faute de quoi elle va à l’encontre de ses finalités disciplinaires en mettant en péril la santé mentale du détenu. En effet, cette sanction pose une grave question éthique, celle des limites : limite entre punition, traitement dégradant et torture, limite entre pouvoir de l’institution et protection des droits fondamentaux de la personne, notamment le droit à la protection de la santé mentale.
Par ailleurs, l’article D. 381 du Code de Procédure Pénale conduit à un problème d’éthique médicale, liée à la confusion entre le rôle du médecin comme soignant au service du patient et comme expert au service de l’administration pénitentiaire. En effet, l’article D. 381 stipule que « les médecins chargés des prestations de médecine générale [...] assurent des consultations médicales suite à des demandes formulées par le détenu ou, le cas échéant, par le personnel pénitentiaire ou par toute personne agissant dans l’intérêt du détenu ». Le même article poursuit : « ces médecins réalisent en outre : [a)...] ; b) les visites aux détenus placés au quartier disciplinaire [...] chaque fois que ces médecins l’estiment nécessaire et en tout cas deux fois par semaine au moins ; c) les visites au quartier d’isolement [...] chaque fois que ces médecins l’estiment nécessaire et en tout cas deux fois par semaine au moins ».
Une véritable relation de confiance entre le médecin et le patient ne peut pas s’établir si le même médecin est à la fois celui qui écoute et soigne le patient et celui qui autorise la poursuite d’une sanction disciplinaire qui peut mettre en jeu la santé mentale du détenu.
Il faut souligner un autre paradoxe : le contraste entre la réticence à accorder aux détenus une incarcération en cellule individuelle, en l’absence de toute mesure d’isolement (comme souligné plus haut, au chapitre IV-B-1) et l’utilisation extensive de l’incarcération en cellule individuelle - le « mitard » - comme une composante d’une sanction disciplinaire. En d’autres termes, la détention en cellule individuelle - qui est demandée depuis des années comme une mesure de protection de l’intégrité physique et mentale, stipulée comme la règle pour les prévenus, sauf dérogation, par le Code de Procédure Pénale, et dont l’application est sans cesse repoussée dans les maisons d’arrêt - n’est mise en oeuvre que dans le cadre d’une punition violente faisant peser sur le détenu des risques pour sa santé mentale.
2. Le menottage et les entraves pendant les consultations médicales et
l’hospitalisation.
Ces deux dernières années, le recours au menottage pendant les consultations médicales et l’hospitalisation n’a cessé de s’intensifier pour des raisons de sécurité et par peur de l’évasion. Pourtant en 2005, les chiffres d’évasion au cours d’ « extraction » pour consultation médicale à l’hôpital ou pour hospitalisation étaient très faibles (4) au regard du nombre d’ « extractions » (55 000), c’est-à-dire une proportion de moins d’1/13 000.
Ce recours au menottage et/ou aux entraves aux pieds a été renforcé par la circulaire du 18 novembre 2004 de l’administration pénitentiaire relative à l’organisation des escortes des détenus faisant l’objet d’une consultation médicale qui définit les niveaux et modalités de surveillance exercée par le personnel, pénitentiaire et les moyens de contrainte (menottes et/ou entraves au pied) non seulement pendant le trajet, mais aussi pendant la consultation médicale.
Il faut noter que parmi les trois « niveaux de surveillance » décrits par la circulaire, aucun ne correspond à une absence de menottage et de présence d’un surveillant au cours de la consultation. Dès le « niveau de surveillance I », le plus faible, le menottage fait partie des possibilités. Il en résulte désormais une application quasi-systématique du menottage pendant la consultation ou l’examen médical.
Ces pratiques constituent incontestablement une humiliation et un traitement inhumain et dégradant, mettent en péril la relation de confiance entre le médecin et le malade, élément essentiel de l’acte médical, et peuvent porter atteinte à la qualité de l’examen médical et des soins. Un examen médical ou chirurgical d’un détenu menotté, entravé, voire un examen gynécologique ou obstétrical d’une détenue avec les mêmes contraintes sont des actes qui ne devraient se produire que dans des circonstances absolument exceptionnelles à l’occasion d’une situation de dangerosité maximale et d’un risque d’évasion potentiellement fort, et uniquement sur la demande du personnel médical une fois qu’il a été dûment informé.
En effet l’entrave peut aboutir à un refus de soin tout à fait légitime. Il a fallu parfois des situations spectaculaires telles que l’accouchement d’une détenue menottée ou l’entrave d’une personne âgée qui ne se déplaçait qu’avec l’aide d’un déambulateur, pour que l’attention soit portée à cette question essentielle.
La France a été condamnée à deux reprises, en 2002 et en 2003, par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour de telles atteintes à la dignité humaine dans le cadre d’une prise en charge médicale.
Dans son rapport de décembre 2005, le CPT note qu’ « examiner des détenus soumis à des moyens de contrainte est une pratique hautement contestable tant du point de vue de l’éthique que du point de vue clinique et elle n’est pas de nature à créer une relation de confiance appropriée entre le médecin et le patient. En dernier ressort, la décision sur ce point doit appartenir au personnel soignant ».
La surveillance continue et rapprochée par le personnel pénitentiaire durant la consultation médicale pose par ailleurs le problème éthique grave de la préservation du secret médical, affirmé comme un principe essentiel du soin par le Code de la Santé Publique, et par le Code de Déontologie Médicale (voir plus loin).
3. Les relations entre détention, protection de la santé et accès aux soins ne commencent pas en prison : les problèmes posés par la garde à vue.
La garde à vue est une mesure privative de liberté permettant à la police judiciaire ou à la gendarmerie, de retenir et d’interroger dans ses locaux une personne présumée innocente, dans des conditions discrétionnaires (privation de sommeil, relais des intervenants, indifférence à l’état de santé....).
Le maintien en garde à vue, qui selon la gravité des faits reprochés, peut durer de 24 à 96 heures, concerne chaque année un nombre très important de personnes (426 000 en 2003 ; 460 000 en 2004) et conduit souvent à une détention dans des conditions d’hygiène et de promiscuité déplorables.
Les règles de cette privation de liberté d’aller et venir sont clairement fixées par la loi du 4 janvier 1993. Parmi celles-ci, est prévue l’intervention d’un médecin à la demande de la personne gardée, d’un proche de cette personne ou des autorités de police ou de gendarmerie qui la gardent.
Le rôle du médecin est alors de vérifier si cette mesure et les conditions de son déroulement ne mettent pas en danger la santé de la personne retenue.
Cet examen médical est souvent complexe, en particulier du fait que les intérêts de l’enquêteur et ceux de la personne en garde à vue sont le plus souvent opposés, surtout quand cette dernière présente des troubles ou des problèmes de santé particuliers : personnes malades (diabétiques, asthmatiques, hypertendus...), femmes enceintes, mineurs (13 à 18 ans) dont on attend parfois de la médecine l’estimation de leur âge [1].
Dans un contexte aussi délicat, auquel s’ajoutent les difficultés liées aux facteurs matériels (locaux inadaptés parfois insalubres et sales), présence de certains policiers exigeant d’assister à l’examen, le médecin de garde à vue est confronté à de nombreuses questions d’éthique qui touchent au respect du secret médical, à la possibilité d’établir une relation de confiance avec la personne examinée, à la liberté de prescrire si cela s’avère nécessaire et surtout aux limites à déterminer pour que les impératifs de l’enquête ne l’emportent pas sur la déontologie médicale. L’avis sur la compatibilité de l’état de santé avec la détention est souvent difficile, comme l’avis sur les conditions mêmes de la détention.
Théoriquement, l’indépendance du médecin est totale, mais le climat tendu peut rendre difficile cette expression. Il peut y avoir une incompatibilité entre le soin apporté à la personne et une mission à caractère d’expertise. Le respect du consentement de la personne à subir des prélèvements est parfois bafoué. La possibilité pour le médecin de procéder à l’examen médical dans des conditions respectant la confidentialité et le secret médical est l’un des problèmes les plus souvent soulevés par les médecins requis. La requête, voire l’exigence de certains policiers ou gendarmes d’assister à l’examen au motif que la personne est en garde à vue n’est déontologiquement pas recevable, hormis des cas exceptionnels de dangerosité de la personne gardée à apprécier par le médecin.
Une conférence consensus a eu lieu en décembre 2004 sur l’intervention du médecin auprès des personnes en garde à vue : elle a souligné la nécessité d’un strict respect du secret médical lors de l’examen médical réalisé sur une personne placée sous le contrôle des forces de police et de gendarmerie.
Il est d’autres lieux hors de la prison qui retiennent des personnes ayant perdu leur droit d’aller et de venir. Il s’agit, d’une part des centres éducatifs fermés où sont placés des mineurs sous mandat judiciaire, d’autre part, des centres de rétention administratifs regroupant les étrangers avant leur expulsion. Chacun de ces lieux pose aussi des problèmes éthiques spécifiques en terme de protection de la santé physique et mentale.
D. Les problèmes posés par le respect des droits fondamentaux reconnus par la loi à la personne malade, et qui constituent des éléments essentiels de l’éthique médicale.
Parmi ces droits reconnus par la loi, deux sont à la fois fondateurs et emblématiques de l’éthique médicale, qu’il s’agisse de recherche biomédicale, de soins, ou de prévention : le droit au secret médical, et le droit au consentement libre et informé.
1. Le secret médical.
Le secret médical est une des plus anciennes exigences éthiques de la médecine, comme en témoigne le serment d’Hippocrate.
L’article L.1110-4 du Code de la Santé Publique indique que « toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et [au respect] du secret des informations le concernant. Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations venues à la connaissance des professionnels de santé [...] Il s’impose à tout professionnel de santé, ainsi qu’à tout professionnel intervenant dans le système de santé ».
L’article 4 du Code de Déontologie Médicale indique que « le secret professionnel, institué dans l’intérêt des patients, s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l ‘exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ».
Le Conseil de l’Europe, en 1998, a souligné que « le secret médical devrait être garanti et observé [dans le milieu pénitentiaire] avec la même rigueur que dans la population générale ».
Dans son Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues de 2006, la
Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme notait que « de multiples violations du secret médical sont régulièrement observés en milieu carcéral ». La Commission cite les rapports de 1996 et de 2000 du CPT : « la présence de membres de force de l’ordre pendant les consultations médicales en milieu hospitalier ou pendant l’administration de soins aux patients hospitalisés n’est pas conforme à l’éthique médicale. Le CPT recommande aux autorités françaises de veiller à ce que toute consultation médicale de même que tous les examens et soins médicaux effectués dans des établissements civils se fassent hors de l’écoute et, sauf demande contraire du personnel médical soignant relative à un détenu particulier - hors de la vue des membres des forces de l’ordre ».
La circulaire du 18 novembre 2004 de l’administration pénitentiaire relative à l’organisation des escortes des détenus faisant l’objet d’une consultation médicale - qui définit les niveaux et modalités de surveillance exercée par le personnel, pénitentiaire (et les moyens de contrainte, menottes et/ou entraves au pied) pendant la consultation médicale, et prévoit un niveau de surveillance où la consultation médicale se déroule « sous surveillance constante du personnel pénitentiaire » - pose à l’évidence le problème éthique de la préservation du secret médical.
En fait, les atteintes au secret médical commencent dès la délivrance du mandat de dépôt, puisque ce mandat comporte un volet médical rempli par le Juge ordonnant la détention et remis non à l’intéressé mais au gendarme qui le conduit en son lieu de détention.
Si les renseignements que comporte cette notice portent en particulier sur les demandes médicales des prévenus pour éviter tous risques médicaux, et qu’elle est par là nécessaire, on peut regretter que le dossier soit ainsi transmis au gendarme, et par le gendarme au Greffe du service pénitentiaire avant que celui-ci ne remette enfin la notice d’information médicale au médecin.
Par la suite, le mandat de dépôt étant exécuté, il apparaît que le secret médical en prison est d’autant plus difficile à préserver que l’enfermement et l’exigence de sécurité impliquent souvent la présence d’un tiers : le surveillant.
L’examen médical doit se faire dans des conditions qui respectent la confidentialité du dialogue singulier. Les données recueillies doivent rester inaccessibles à l’autorité pénitentiaire. La distribution de médicaments ne peut s’accompagner de la mention de la pathologie en cause.
Les dossiers médicaux ne peuvent rester dans la prison après la libération, mais doivent être remis à l’hôpital de proximité choisi par le détenu pour que celui-ci, une fois libéré, puisse y avoir ultérieurement accès, comme n’importe quel citoyen.
2. Le consentement libre et informé.
Contrairement au secret médical, qui en constitue l’un des fondements les plus anciens, le consentement libre et informé exprime une évolution essentielle mais plus récente de l’éthique médicale, datant du jugement de Nuremberg en 1947. D’abord inscrit dans la pratique de la recherche biomédicale, le consentement libre et informé est plus récemment devenu dans la pratique médicale elle-même, un des fondements de la relation médecin malade, évolution dont témoigne notamment la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
L’article D. 362 du Code de Procédure Pénale indique que « hors le cas où l’état de santé du détenu rend nécessaire un acte de diagnostic ou de soins auquel il n’est pas à même de consentir, celui-ci [le détenu] doit, conformément aux dispositions de l’article 36 du code de déontologie médicale, exprimer son consentement préalablement à tout acte médical et, en cas de refus, être informé par le médecin des conséquences de ce refus ».
La circulaire du 10 janvier 2005 relative à l’actualisation du guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues et à leur protection sociale indique, dans le chapitre des éléments d’actualisation du guide (prise en compte du droit des malades) que « le régime de droit commun et notamment la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé s’applique aux personnes détenues, que les soins dispensés aient lieu dans une unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA), dans un service médico-psychologique régional (SMR) ou dans un établissement hospitalier ». En ce qui concerne l’information et le consentement, « la personne détenue a droit à l’information sur son état de santé, sur les soins proposés, sur le consentement ou le refus de soin, sur l’accès aux informations contenues dans son dossier médical. [...] Le consentement aux soins de la personne détenue s’exerce de la même manière qu’à l’extérieur ».
Le processus de consentement libre et informé joue un rôle essentiel dans la responsabilisation du patient vis-à-vis de sa santé. Mais il revêt aussi en prison une dimension plus large : il constitue en effet l’une des trop rares circonstances où peut être affirmée et reconnue la responsabilité, l’autonomie et la liberté de la personne détenue. Pour cette raison, il pourrait être l’une des composantes de ce que l’administration pénitentiaire proposait dans une circulaire du 29 mai 1998 en matière de politique de prévention du suicide : « restaurer [le détenu] dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie. »
Le respect du secret médical et le respect du consentement libre et informé apparaissent comme deux versants d’une même approche : le fait de considérer le détenu non pas comme un « objet » de soins, mais comme un sujet de droit.
Il y a au moins trois circonstances, en prison, où les conditions du consentement libre et informé posent des problèmes éthiques de nature très différente.
- a) un problème éthique dont la solution est évidente : l’offre de soins aux personnes souffrant d’addictions aux produits licites ou illicites.
Dans son principe même, le consentement libre et informé implique l’accès à une offre de soins, et, s’il existe plusieurs possibilités thérapeutiques, à un choix entre ces différentes approches.
Dans son Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues de 2006, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme notait : « en matière d’offre de soins aux personnes [en proie à des conduites d’addiction], les services pénitentiaires et sanitaires manquent de moyens et de structures spécifiques. Certains établissements en sont réduits à ne compter que sur la mobilisation du secteur associatif. Alors même que selon les chiffres fournis par les Directions des affaires sanitaires et sociales (DDASS) à l’OFDT [Observatoire français des drogues et des toxicomanies] 34,7% de détenus seraient en proie à un problème d’addiction tous produits confondus, l’enquête du Ministère de la Santé auprès des entrants [en 2003] a montré que seuls 6,3% d’entre eux a été orienté vers une consultation spécialisée liée à un usage problématique de drogues illicites et 6% pour une consommation problématique d’alcool ».
La circulaire du 10 janvier 2005 relative à l’actualisation du guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues et à leur protection sociale prend en compte ce problème. En effet le chapitre des éléments d’actualisation du guide (adaptation des politiques de santé publique : les addictions) indique : « la note interministérielle Santé/Justice du 9 août 2001 précise les orientations relatives à l’amélioration de la prise en charge sanitaire et sociale des personnes détenues présentant une dépendance aux produits licites ou illicites ou ayant une consommation abusive. Au regard de cette note, la prise en charge des addictions se veut exhaustive et transversale. Elle préconise un suivi de la personne tout au long du cursus carcéral : repérage, diversification des prises en charge, développement de la prévention, proposition d’un traitement de substitution, préparation à la sortie... »
La prise en charge des personnes en situation de dépendance à des drogues licites ou illicites est variable selon les établissements, allant du sevrage brutal, avec ou sans administration de psychotropes à la substitution par la méthadone ou le Subutex. La politique locale d’un établissement ne peut se fonder sur des idées a priori, qu’elles soient laxistes ou répressives. Elle ne peut être variable d’un établissement à l’autre. C’est là une exigence éthique minimale.
- b) Deux problèmes d’éthique médicale d’une grande complexité : la grève de la faim et l’injonction de soins.
- Le cas de la grève de la faim.
Dans son principe même, le consentement libre et informé peut, dans certaines situations extrêmes, entrer en conflit avec le devoir d’assistance à personne en danger.
Le CCNE a déjà examiné les problèmes éthiques posés par la grève de la faim, en particulier dans son Avis n° 87 Refus de traitement et autonomie de la personne
La grève de la faim est un acte volontaire dont la durée est a priori indéterminée et peut aller jusqu’à la mort. Une grève de la consommation de liquides n’est pas compatible avec la vie plus d’une semaine.
Les grèves de la faim peuvent être individuelles, collectives, liées à des revendications diverses ou témoignant d’un état dépressif. Leur nombre est important, environ 1 500 par an, mais moins de 10 posent un problème vital de santé.
Le médecin confronté à une grève de la faim a le devoir d’emblée d’informer la personne des risques qu’elle encourt sans influencer sa détermination ni peser sur les causes qui ont pu présider à celle-ci. Son attitude doit être totalement neutre. Il est important que cette information médicale soit réitérée à plusieurs reprises dans le cadre d’un dialogue qui respecte les motivations qui ont présidé à cette grève de la faim. En aucune façon, en dehors de situations au seuil de l’inconscience, il ne doit procéder à une alimentation forcée. A chaque fois, la difficulté est pour le médecin de respecter la volonté (code de Déontologie) du détenu, c’est à dire ne pas pratiquer une alimentation forcée par coercition et en même temps de ne pas lui faire courir de risques vitaux. Le médecin est un médiateur médical. Sa négociation se fonde uniquement sur un contrat de soin à durée déterminée, renouvelable, respectant les convictions et les désirs de la personne en témoignant de l’indépendance médicale.
La question éthique centrale de la grève de la faim est celle du respect du détenu, de l’absence de tout chantage exprimé à son encontre, et plus encore celle de la vigilance de chaque instant à son égard, car ce comportement exprime toujours une détresse. La difficulté de cette mission éthique est d’essayer de ne pas faire courir de risque grave au détenu tout en respectant sa volonté.
- La question de l’obligation ou de l’injonction de soins.
Dans son principe même, le consentement libre et informé implique l’entière liberté de refuser un acte médical, et donc l’absence de contrainte ou de sanction en cas de refus.
Le Code de Procédure Pénale prévoit l’injonction de soins comme alternative à la prison, ainsi que des remises de peine supplémentaires qui peuvent être accordées à un condamné s’il suit une thérapie destinée à limiter les risques de récidive des infractions pénales. Si la personne accepte le traitement, elle peut être remise en liberté. Si elle refuse, elle reste enfermée. Il n’y a pas là de véritable possibilité de consentement libre et informé, c’est-à-dire de possibilité de refus sans perte de chance.
Les professionnels de santé exerçant en milieu pénitentiaire ont protesté contre l’obligation de soin en prison et contre l’idée qu’une thérapie puisse se résumer à limiter les risques de récidive.
La proposition de soins qui existe déjà en prison, notamment pour les auteurs d’infraction à caractère sexuel, et se pratique désormais couramment, est un dispositif qui est compatible avec l’exercice d’un véritable consentement libre et informé.
« Le traitement n’a pas (et ne peut pas avoir) pour objectif la prévention d’une récidive délinquante mais la mise en œuvre d’un travail (difficile et incertain) d’élaboration psychique qui permet au sujet souffrant engagé dans le travail, de repérer son fonctionnement mental, son mode relationnel et leurs conséquences, et le cas échéant d’y remédier. Dire cela ne constitue pas un désengagement coupable mais une nécessité thérapeutique, particulièrement en psychiatrie. Le soin peut, peut être et de surcroît, contribuer ainsi à la prévention. En cette matière, il faut dire avec humilité mais détermination, que le risque zéro n’existe pas et que le futur ne se prédit pas, mais que tout homme a en lui des capacités évolutives et des aptitudes au changement ». « C’est en recentrant la médecine, et plus singulièrement la psychiatrie, sur son objet premier, la personne malade, que l’on aura le plus d’efficacité thérapeutique, non pas en exerçant un chantage à la médecine comme alternative à l’emprisonnement » [2].
Le chantage au traitement dans le but d’éviter une récidive apparaît inacceptable sur le plan éthique dans la mesure notamment où il enfreint le principe de consentement libre et informé, c’est-à-dire la possibilité d’accepter ou de refuser en dehors de toute sanction. Et pourtant, dans le même temps, malgré l’importance de ce principe éthique, on ne peut pas s’empêcher de se poser la question du bénéfice offert à la personne, par exemple auteur d’infraction à caractère sexuel, qui, acceptant de se traiter, sera libérée de prison.
Mais là surgissent de nouvelles questions : la place de cette personne malade est-elle bien la prison, et non pas l’hôpital ? Ce traitement est-il réellement proposé comme un soin au bénéfice de la personne, ou uniquement comme un moyen de lutte contre la récidive, c’est-àdire uniquement comme un moyen de protéger la société, ce qui sort du champ de la véritable mission du médecin ?
Que peut et doit faire le médecin devant ces situations ?
On est là aux limites des problèmes éthiques posés par l’ambiguïté et la
complexité des relations entre médecine et justice, et des risques de confusion et de perte de repères qui en découlent.