Examen des données internationales sur l’échange de seringues en prison
Dans plusieurs pays, les programmes d’échange dans la communauté sont venus à faire partie intégrante d’une réaction sanitaire pragmatique devant le risque de transmission du VIH parmi les personnes qui s’injectent des drogues et, à terme, au grand public. On a mené des études étoffées quant à l’efficacité de ces programmes, générant des preuves scientifiques que l’échange de seringues est une mesure sanitaire préventive adéquate et importante. Par exemple, une enquête mondiale a révélé que, dans les villes où l’on échange ou distribue des seringues, la prévalence du VIH a diminué de 5,8% par année, alors qu’elle a augmenté de 5,9% par année dans les villes où l’on ne trouve pas de tels programmes. [1] Une étude états-unienne a analysé en 1998 le coût projeté, pour le gouvernement, si l’on rendait disponible à toutes les personnes qui s’injectent des drogues, aux États-Unis, des programmes d’échange de seringues, de vente de seringues en pharmacie ainsi que de mise au rebut appropriée des seringues usagées. L’étude a conclu que « le coût de cette politique s’estime à 34 278,00 $ US pour chaque cas évité d’infection à VIH, ce qui qui est bien inférieur au coût estimé des soins médicaux à vie d’une personne séropositive au VIH ». [2] Un rapport australien a conclu, en 2002, qu’en dix ans les programmes d’échange de seringues en Australie avaient permis d’éviter 25 000 cas de VIH, et que les 150 millions $ investis dans ces programmes avaient entraîné des économies estimées entre 2,4 et 7,7 milliards $. [3]
Vu le succès des programmes d’échange de seringues dans les communautés, on a fait valoir dans plusieurs pays que de tels programmes devraient être déployés dans les prisons. Toutefois, seul un petit nombre de pays ont établi des programmes d’échange de seringues dans des prisons - la Suisse, l’Allemagne, l’Espagne, la Moldavie, le Kirghizstan et la Biélorussie. On rapporte que d’autres sont maintenant prêts à le faire dans un avenir proche, notamment le Kazakhstan, le Tajikistan et l’Ukraine. Le présent chapitre offre un examen chronologique de l’expérience des pays où l’on procède à l’échange de seringues dans des prisons. Pour chaque pays, le chapitre présente les informations suivantes, lorsque disponibles : les statistiques épidémiologiques sur le VIH et le VHC parmi la population générale et les personnes incarcérées ; un historique de la réaction du système carcéral devant le VIH et le VHC ; un examen des programmes d’échange de seringues en prison, notamment leur histoire, les évaluations et les leçons à en retenir ; la situation actuelle ; et des orientations futures.
Suisse
Sommaire
La Suisse compte quelque 150 prisons, dans les 26 cantons qui forment la Confédération suisse. Bien que le code pénal soit fédéral, l’administration des prisons relève du gouvernement de chaque canton sur le territoire duquel chaque établissement est situé. On compte approximativement 6 000 détenus, en Suisse. La plus grande prison a une population de 350 ; la majorité des détenus sont dans des établissements plus petits (moins de 100 détenus).
En 1992, la Suisse est devenue le premier pays à introduire un programme d’échange de seringues en prison. Le programme initial a été amorcé sur une base informelle, par un médecin à la prison pour hommes d’Oberchöngrün, qui a passé outre au règlement de la prison et commencé à distribuer des seringues stériles aux patients dont il savait qu’ils s’injectaient des drogues. En 1994, un projet pilote officiel d’échange de seringues a été établi dans la prison pour femmes de Hindelbank. Après une période d’essai réussie et une évaluation positive à Hindelbank, des programmes d’échange de seringues ont été étendus à un total de sept prisons de la Suisse.
Le VIH/sida, le VHC et l’ID en Suisse
La Suisse a été le premier pays, en 1992, à introduire un programme d’échange de seringues en prison.
D’après les statistiques publiées par l’ONUSIDA et l’OMS en 2002, quelque 19 000 adultes (de 15 à 49 ans) vivent avec le VIH ou le sida, en Suisse. Cela représente un taux de prévalence du VIH, dans la population générale, d’environ 0,5%. Le nombre de nouveaux cas diagnostiqués d’infection à VIH y a décliné, entre 1992 et 2000. Les personnes qui s’injectent des drogues représentaient approximativement 15% des résultats positifs au test du VIH, en 2000-2001. [4]
Les politiques de la Suisse en matière de drogue ont commencé à se tourner vers la réduction des méfaits vers la fin des années 1980. À cette époque, les lieux d’injection de drogue en public étaient chose courante dans des villes comme Zurich et Berne . Dans Needle Park , comme on appelait un certain lieu dans le district zurichois de Letten, des milliers de personnes qui s’injectaient des drogues se rassemblaient quotidiennement pour acheter de l’héroïne et se l’y injecter. Needle Park a attiré une attention médiatique internationale et le gouvernement de la Suisse en est venu à adopter d’importants programmes de réduction des méfaits, comme l’accès élargi à l’échange de seringues et à l’entretien à l’héroïne, les lieux sécuritaires pour l’injection ainsi que des services communautaires de santé à l’intention des utilisateurs de drogue. Ces interventions ont réussi à mettre un terme aux lieux d’injection à ciel ouvert et ont conduit à un accroissement des bénéfices pour la santé des utilisateurs. [5]
Le VIH/sida, le VHC et l’ID dans les prisons de Suisse
La Suisse n’a pas mené de recherches poussées sur la prévalence du VIH ou du VHC en prison. Cependant, on a estimé que les taux d’infection à VIH s’y situaient entre 2% et 10%. [6] Déjà en 1985, des tests sérologiques parmi des détenus de la Suisse ont détecté chez certains la présence d’anticorps anti-HTLV_III [Human T-Lymphotropic Virus]. [7] Plus récemment, un rapport de 1999 basé sur des entrevues auprès de 234 détenus de la prison de Realta a conclu à un taux d’infection à VIH de 5,1%, un résultat comparable à celui d’autres établissements. La même étude a mesuré qu’approximativement 9% des détenus s’injectaient des drogues au moment de l’enquête. [8]
Historique de la réaction au VIH/sida, au VHC et à l’ID dans les prisons de Suisse
Les initiatives de réduction des méfaits dans le système carcéral de la Suisse remontent au milieu des années 1980. Dès 1985, des responsables de prisons ont approuvé la distribution de condoms à leurs détenus ; le programme a été graduellement étendu à un nombre croissant d’établissements. En 1989, des « trousses d’hygiène » contenant des condoms, du désinfectant et des renseignements sur la désinfection des seringues étaient distribuées aux détenus à leur admission au pénitencier de Regensdorf. L’entretien à la méthadone a été amorcé dans une section spéciale de Regensdorf, la même année, et a été étendu en 1991 à quelques centres de détention provisoire, à Bâle, Berne, Genève et Zurich. En 1990, des désinfectants ont été rendus disponibles dans le centre de détention provisoire de Genève. [9] Les discussions sur les programmes d’échange de seringues ont commencé avec le premier programme en la matière, en 1992. En septembre 2003, on fournissait des condoms dans un tiers des prisons de la Suisse ; on fournissait des désinfectants dans 8% des établissements. [10] En plus de l’échange de seringues, deux prisons suisses (Obershöngrün et Realta) ont mis en œuvre des programmes d’entretien à l’héroïne.
L’introduction de programmes d’échange/distribution de seringues
Le premier programme
C’est en 1992, à la prison pour hommes d’Oberschöngrün, dans le canton suisse de Solothurn, que s’est amorcé le premier programme au monde d’échange de seringues en prison. Le programme a été initié par le Dr Franz Probst, médecin à temps partiel dans l’établissement. Le Dr Probst a constaté qu’environ 15 détenus sur 70, dans cette prison, s’injectaient des drogues. En parallèle, il a reconnu que la non-disponibilité de seringues stériles entraînait que les détenus partageaient des seringues, par la force des choses. À titre de médecin, Probst considérait qu’il avait une responsabilité éthique d’agir pour prévenir le risque de transmission d’infections par le sang ainsi que d’abcès et d’autres problèmes de veines résultant de la réutilisation de vieilles seringues. Ainsi, il a commencé, dans l’unité médicale de la prison, à fournir des seringues stériles aux détenus qui s’injectaient des drogues.
Lorsque le directeur de la prison prit connaissance de cette initiative, il ne l’a pas fait cesser : il a reconnu le bien-fondé des arguments de Probst quant à la nécessité de ce programme, en tant qu’intervention de santé publique. En conséquence, le directeur a demandé l’approbation des autorités carcérales pour continuer ce programme. [11]
Le médecin distribuait quelque 700 seringues par année, à environ 15 détenus qui s’injectaient de la drogue dans la prison. [12] Bien que le personnel de la prison fut d’abord sceptique à l’égard du programme, un vaste appui à son endroit s’est établi avec le temps. Comme l’a expliqué en 1996 le directeur d’Oberschöngrün, Peter Fäh :
Les membres du personnel ont réalisé que la distribution de matériel d’injection stérile est à leur avantage. Ils se sentent plus en sécurité maintenant. Il y a trois ans, lorsqu’ils fouillaient une cellule, ils avaient toujours peur de se piquer avec une aiguille cachée. Maintenant, les détenus ont le droit d’avoir une aiguille, mais uniquement dans un verre rangé dans leur armoire médicale au-dessus de leur évier. Depuis ce temps, aucun employé ne s’est piqué avec une aiguille. [13]
Expansion à d’autres prisons
Le personnel a constaté que la distribution de matériel d’injection stérile est à son avantage.
Au même moment que ces développements à Oberschöngrün, des plans de programme pilote d’échange de seringues dans la prison pour femmes de Hindelbank étaient en préparation. [14] Le projet de Hindelbank découle des constats d’une enquête sur l’injection de drogue, menée en 1991 auprès des détenues par le médecin de cette prison, qui a révélé que toutes celles qui s’injectaient des drogues à Hindelbank avaient partagé des seringues en prison. Cette information a conduit le médecin à proposer d’y développer un programme pilote d’échange de seringues. La proposition a reçu l’appui de l’Office fédéral suisse de la santé publique.
Le projet pilote d’échange de seringues à Hindelbank a été amorcé en 1994, aux côtés d’autres programmes dans le cadre d’une initiative plus vaste de promotion de la santé et de réduction des méfaits qui incluait l’éducation à la prévention, le counselling ainsi que la distribution de condoms. À court terme, le programme visait à réduire les méfaits de l’usage de drogue et à prévenir l’infection ou la réinfection par des pathogènes hématogènes comme le VIH et les virus des hépatites B et C. À moyen terme, il avait pour but de réduire le nombre de nouveaux utilisateurs de drogue et de cas de rechute parmi les ex-utilisateurs. Alors que la distribution de seringues à Oberschöngrün s’effectue à l’unité médicale, le projet de Hindelbank a adopté une approche nouvelle : des distributeurs automatiques. Six distributeurs, placés dans des endroits peu à la vue, dans la prison, fonctionnent sur une base unitaire : en insérant une seringue usagée dans la machine, on en obtient une neuve. Les détenues admises à Hindelbank ont reçu une seringue non fonctionnelle, sans aiguille, mais qui permettrait d’actionner le distributeur automatique pour obtenir une seringue avec aiguille. Pendant la première année du projet pilote, 5 335 seringues ont été échangées.
En 1996, un programme d’échange de seringues a été établi dans la prison de Champ Dollon (à Genève) et en 1997 dans celle de Realta (à Graubünden). À Champ Dollon, on utilise le même modèle de distribution qu’à Oberschöngrün (i.e. par le biais de l’unité médicale), alors que Realta a recours à un distributeur automatique. En 1998, des programmes d’échange de seringues ont été mis en œuvre dans les prisons de Witzil et de Thorberg, à Berne, où la distribution est faite par le personnel médical. En 2000, la prison de Saxerriet, à Salez, est devenue la septième prison suisse à fournir des seringues stériles. [15]
Évaluation et leçons à retenir
Le projet pilote de Hindelbank a été soumis à une évaluation scientifique rigoureuse, pendant sa première année. [16] On a procédé à une série d’entrevues structurées auprès des détenues, avant l’amorce du projet, puis après trois, six et douze mois. Quatre-vingt-cinq p. cent (85%) des détenues ont participé à au moins une des étapes du processus d’évaluation. Les entrevues étaient complétées par des tests sanguins volontaires ainsi que des renseignements obtenus d’autres sources correctionnelles.
L’évaluation a permis de constater que le partage de seringues avait à toutes fins pratiques disparu, depuis l’amorce du projet pilote. Au début, 8 des 19 femmes qui s’injectaient des drogues ont déclaré avoir partagé des seringues au cours du mois précédent, dans la prison (deux d’entre elles ont déclaré en avoir partagé avec plus d’une personne). À la fin de la phase pilote de 12 mois, une seule détenue (incarcérée tout juste avant l’entrevue) a déclaré avoir partagé une seringue. On n’a décelé aucune donnée portant à croire qu’il y aurait eu augmentation de la consommation de drogue ; et aucun nouveau cas de VIH, de VHB ou de VHC n’a été recensé dans la population de la prison. De plus, on n’a signalé aucun cas d’utilisation de seringue comme arme contre un employé ou une codétenue. En outre, on a observé une diminution considérable du nombre de surdoses et d’abcès. [17] En ce qui a trait à la consommation de drogue dans la prison, deux constats présentent un intérêt particulier. Premièrement, l’évaluation a révélé que, parmi les personnes qui s’étaient déjà injecté de l’héroïne ou de la cocaïne avant d’être incarcérées, la probabilité de s’en injecter en prison augmentait avec la durée d’emprisonnement. Deuxièmement, l’évaluation a montré qu’avec la durée croissante d’existence du projet de réduction des méfaits, les personnes qui avaient consommé de l’héroïne ou de la cocaïne avant d’être incarcérées étaient de moins en moins susceptibles de consommer des drogues dans la prison. [18]
Le projet de Realta a été soumis à une évaluation dont la structure était semblable à celle réalisée à Hindelbank. [19] Dans le cadre du projet de Realta, les distributeurs automatiques ont fourni 1 389 seringues pendant les 19 premiers mois. Les conclusions de l’évaluation appuient celles de Hindelbank. Le partage de seringues a diminué de manière radicale (seulement quelques cas ont été décelés). On n’a signalé aucun nouveau cas de VIH, de VHB ou de VHC dans la prison ; ni aucune utilisation inappropriée de seringues (un rapport concernait cependant le cas d’un détenu qui s’est piqué sur l’aiguille d’une seringue qui avait été mise au rebut).
L’évaluation des attitudes des employés, dans les deux prisons, a révélé qu’ils étaient parvenu à un degré élevé d’acceptation des programmes.
Le programme initial, à Oberschöngrün, n’a pas été soumis à une évaluation scientifique. Cependant, le médecin en charge a fait un certain nombre d’observations, au terme des trois premières années du projet. En particulier, il a noté la disparition du partage de seringues ; l’absence d’abcès ; l’absence d’augmentation de décès et de surdoses parmi les détenus qui s’injectent des drogues ; et aucune utilisation de seringue comme arme. [20]
Bien que l’on procède à l’analyse d’urine dans les trois prisons qui ont été visitées lors de la préparation du présent rapport (Oberschöngrün, Hindelbank et Saxerriet), aucun de ces établissements ne sévit contre les détenus dont l’urine révèle des traces de THC. [21] Dans certains établissements la détection du THC est effectuée mais sans que des pénalités y soient rattachées ; dans d’autres, on ne procède pas à la détection de cette substance. La décision est liée au consensus des autorités carcérales à l’effet que l’imposition de sanctions aux détenus qui fument de la marijuana ou du hachisch (qui sont décelables dans l’urine bien plus longtemps que les drogues injectées) inciterait de nombreux détenus à délaisser le cannabis pour consommer des drogues par injection - une tournure que les responsables des prisons souhaitaient éviter, vu les risques de santé beaucoup plus élevés qui s’associent à l’injection de drogues.
Il est important également de noter que, dans les prisons où l’on trouve un programme d’échange de seringues, les détenus sont autorisés à avoir accès à un programme d’entretien à la méthadone ainsi qu’à l’échange de seringues.
Situation actuelle
L’évaluation a montré que le partage de seringues avait à toutes fins pratiques disparu, depuis l’amorce du projet pilote.
Les programmes d’échange de seringues continuent de fonctionner sans incidents dans les sept prisons susmentionnées. Dans certaines prisons, on a adapté le programme au fur et à mesure des années d’expérience. À Hindelbank, par exemple, les détenues qui participent au programme d’échange de seringues se voient maintenant remettre cinq aiguilles supplémentaires, ce qui est plus pratique pour celles qui ont de la difficulté à trouver une veine pour se faire l’injection : en tel cas, lorsque l’utilisatrice doit parfois s’y prendre à plusieurs reprises et que la pointe de l’aiguille devient moins acérée à chaque tentative, elle peut changer d’aiguille. Cette pratique n’a entraîné aucun problème de sécurité. À Oberschöngrün, on applique aussi au programme d’échange de seringues une approche plus souple que le strict échange « un contre un ». Ici encore, aucun problème de sécurité n’en a résulté.
À Hindelbank, on n’exige plus que les participantes au programme rangent leur seringue dans un endroit à la vue. Cependant, la prison maintient une politique stricte à l’effet que toutes les seringues et les aiguilles de rechange doivent être rangées dans les boîtes de sûreté en plastique qui sont fournies par l’unité de santé. Toute seringue qui est trouvée hors de la boîte est considérée illégale et la détenue impliquée se voit imposer une saction. Ces récentes années, on a observé à Hindelbank une diminution du nombre d’échanges, d’un maxinum de plus de 5 000 pendant la première année du programme, à approximativement 350 pour l’année 2003. Le personnel attribue cette baisse à une combinaison de facteurs, notamment la nouvelle pratique de fournir des aiguilles de rechange, et une diminution générale de l’usage de drogue par injection parmi les jeunes détenues, dont plusieurs fument ou renifflent la drogue au lieu de se l’injecter.
Le canton de Berne a récemment mandaté toutes les prisons de son ressort administratif de fournir des programmes d’échange de seringues stériles pour les détenus. Quelques personnes interviewées dans la préparation de ce rapport ont cependant signalé que, dans plusieurs prisons du canton, cette directive législative n’est pas appliquée de manière efficace : dans les prisons où l’on s’objecte à l’échange de seringues, on a mis en œuvre les programmes de telle manière qu’ils sont pratiquement inaccessibles à la vaste majorité des détenus qui s’injectent des drogues (notamment en ayant recours à des méthodes non confidentielles, pour la distribution). Ce faisant, ces prisons parviennent à respecter l’exigence légale de « fournir » des programmes d’échange de seringues, tout en créant une situation où les détenus n’y ont pas recours. Les programmes d’échange de seringues n’y sont donc « fournis » qu’en apparence. Cette résistance illustre le défi que représente l’imposition de programmes d’échange de seringues aux prisons dont les employés ne sont pas impliqués dans leur planification et leur mise en œuvre. Une telle résistance s’est manifestée aussi dans l’expérience de la prison de Saxerriet, dans le canton de Salez, où le programme d’échange de seringues a été imposé par le gouvernement cantonnal.
Allemagne
Sommaire
L’Allemagne compte 220 prisons. Chaque établissement est géré et administré par l’État [Land] dans lequel il est situé.
En 1996, des programmes pilotes d’échange de seringues ont été établis dans trois prisons d’Allemagne. À la prison pour femmes de Vechta, on a installé des distributeurs automatiques fournissant une seringue en l’échange d’une autre. Dans l’établissement pour hommes de Lingen 1 Dept Groß-Hesepe, les échanges étaient effectués par des employés de l’unité médicale et du service de counselling en matière de drogue. Dans la prison ouverte de Vierlande, à Hamburg , les seringues étaient distribuées par un organisme externe qui offrait aussi du counselling et une formation professionnelle aux employés de la prison. Après un essai pilote de deux ans, suivi d’une évaluation positive, les programmes ont été maintenus dans ces trois établissements, puis étendus à quatre autres. Depuis deux ans, ces programmes ont fait l’objet d’attaques croissantes de leaders politiques et, en dépit du constat de leur efficacité, six d’entre eux ont été abandonnés.
Le VIH/sida, le VHC et l’ID en Allemagne
Selon des données publiées en 2002 par le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près de 41 000 adultes vivent avec le VIH ou le sida en Allemagne - ce qui correspond à un taux de prévalence du VIH/sida d’environ 0,1% dans la population générale. [22]
En Allemagne, deux sources produisent des statistiques sur le VIH/sida. D’après le Registre national des cas déclarés de sida, à la fin de 2001, le nombre total de diagnostics de sida s’élevait à 21 189, dont 75% avaient été mortels. Près de 16% des cas de sida sont diagnostiqués chez des personnes qui s’injectent des drogues. À la fin de 2001, 2 152 hommes vivant avec le sida ont déclaré s’injecter des drogues - soit 11,6% de tous ceux ayant reçu un diagnostic de sida. Des 2 620 femmes vivant avec le sida, 43,7% ont dit s’injecter ou s’être déjà injecté des drogues. Des données épidémiologiques issues des tests du VIH sont également disponibles. Des 18 000 tests du VIH effectués depuis 1993, 10,4% des 1 900 résultats positifs touchaient des personnes qui s’injectent des drogues ou qui ont des antécédents d’injection. Les femmes représentaient 28% des utilisateurs de drogue séropositifs. [23]
Le VIH/sida, le VHC et l’ID dans les prisons d’Allemagne
Diverses études ont estimé le taux de prévalence du VIH dans les prisons allemandes - leurs résultats varient de 1,1% à 1,9%. Ces études ont révélé qu’entre 2,1% et 6,3% des détenus qui s’injectent des drogues sont séropositifs au VIH. [24]
Une autre étude a signalé un lien entre l’incarcération, l’injection de drogue et la transmission d’infections hématogènes comme le VIH et le virus de l’hépatite C (VHC). Une étude menée en 1993 auprès de quelque 612 personnes qui s’injectent des drogues, à Berlin, a noté que le plus important facteur d’infection à VIH parmi ce groupe était le partage de seringues pendant l’incarcération. L’emprisonnement était aussi le deuxième motif le plus souvent cité par les participants pour expliquer leur partage de seringues. L’étude a conclu que le manque d’accès à des seringues stériles nuit aux mesures de prévention du VIH mises en œuvre dans la communauté générale. [25]
Les taux de VHC sont encore plus élevés, chez les détenus allemands. Une étude réalisée en 1998 dans une prison à sécurité maximale de Hamburg a mesuré un taux de prévalence du VHC de 25% parmi l’ensemble des détenus, et de 96% parmi ceux qui s’injectaient des drogues. Dans une prison pour femmes de la Basse-Saxe, une étude a relevé un taux de prévalence du VHC de 75% et identifié 20 détenues dont la séroconversion s’était produite pendant leur incarcération. [26] D’autres études ont révélé des taux de VHC de 77% parmi les détenus qui s’injectent des drogues et de 18% parmi ceux qui ne s’en injectent pas. En 2001, une étude auprès de détenus qui s’étaient injecté des drogues seulement en prison a rapporté un taux de VHC de 100%. [27]
Historique de la réaction au VIH/sida, au VHC et à l’ID dans les prisons d’Allemagne
Les seringues et aiguilles doivent être rangées dans les boîtes de sûreté en plastique fournies par l’unité de santé.
L’élaboration d’une réponse au VIH/sida et aux hépatites dans les prisons d’Allemagne pourrait être qualifiée de longue démarche vers la normalisation. Au milieu des années 1980, lors de la détection initiale du VIH/sida en prison, on a discuté de la possibilité de séparer ou d’isoler les détenus séropositifs et d’imposer le test obligatoire du VIH. À cette époque, les employés correctionnels manquaient aussi de connaissances à propos des voies de transmission du VIH. On offrait le test volontaire du VIH, mais le terme « volontaire » était interprété et appliqué différemment dans chaque État. Pendant les premières années, certaines prisons traitaient comme séropositifs tous les individus qui refusaient le test du VIH. Compte tenu des diverses pratiques des 16 Länder, le taux de test variait de 10% à plus de 90%.
Plus de 90% des détenus séropositifs au VIH, au VHB ou au VHC s’injectent des drogues ou ont des antécédents d’injection. L’injection de drogue est le plus grand facteur de risque pour la transmission du VIH et des hépatites, dans les prisons allemandes. Malgré ce fait, la principale réponse du système allemand de justice pénale devant les risques posés par l’injection de drogue continue de se fonder sur l’abstinence et comprend du counselling, des unités de prison « sans drogue » et la référence vers un traitement de la toxicomanie comme peine pour des infractions mineures. Des condoms sont disponibles dans toutes les prisons de l’Allemagne. Le traitement de substitution est fourni dans la plupart des prisons - mais son accessibilité dépend en grande partie de l’État où se situe l’établissement. Tandis que ce traitement est répandu dans les États du Nord , il se fait plus rare dans ceux du Sud comme la Bavière et le Baden -Württemberg. [28] L’entretien à la méthadone est le traitement de substitution le plus répandu. [29] D’autres mesures de réduction des méfaits ne sont fournies que dans quelques prisons. La provision d’eau de Javel a été amorcée dans une prison de Hamburg au début des années 1990, mais elle a été interrompue en raison d’une faible participation des détenus. L’eau de Javel n’est pas disponible dans les prisons allemandes à l’heure actuelle. [30] Des programmes d’échange de seringues en prison ont été mis à l’essai en 1996.
L’introduction de programmes d’échange/distribution de seringues
Les premiers programmes
En 1995, le ministre de la Justice de la Basse-Saxe, un État du Nord de l’Allemagne, a approuvé la mise en œuvre de projets pilotes d’échange de seringues de deux ans dans la prison pour femmes de Vechta et la prison pour hommes de Lingen 1 Dept Groß-Hesepe. [31] Le succès de telles initiatives en Suisse ainsi que l’appui de divers experts allemands ont favorisé cette décision. Les projets pilotes se sont amorcés dans l’établissement pour femmes et dans celui pour hommes respectivement en avril et en juillet 1996.
La prison de Vechta abrite une population d’environ 200 femmes (adultes et jeunes) ; celle de Lingen 1 Dept Groß-Hesepe, quelque 230 hommes adultes. On a estimé qu’au moins 50% des détenus de chaque prison s’injectaient des drogues ou avaient des antécédents d’injection. Chaque prison a opté pour une méthode différente de distribution des seringues. À Vechta, cinq distributeurs automatiques ont été installés à divers endroits dans l’établissement, pour permettre un accès anonyme. Dans la prison pour hommes, on a choisi de faire distribuer les seringues par des employés des services médicaux et de counselling en matière de drogue. Une évaluation scientifique externe des deux projets pilotes a été planifiée avec des chercheurs de l’Université d’Oldenburg.
À la prison de Vechta, le programme d’échange de seringues faisait partie d’un programme complet de prévention du VIH qui comprenait de l’éducation et du counselling, des mesures de réduction des méfaits et de l’information sur le sécurisexe, l’accès à la méthadone et l’implication d’organismes externes. Chaque nouvelle détenue recevait, du personnel médical, de la documentation qui comprenait des renseignements sur l’adhésion au programme d’échange de seringues. Avant d’être admise au programme, chaque détenue subissait un examen médical et ses antécédents de consommation de drogue étaient notés dans son dossier médical. Les jeunes contrevenantes logées à la prison de Vechta étaient admissibles à l’échange de seringues, à condition d’obtenir l’autorisation d’un parent. Les détenues inscrites au programme d’entretien à la méthadone ne pouvaient pas participer au projet d’échange de seringues.
Comme en Suisse, les participantes au programme recevaient une seringue sans aiguille qui pouvait être insérée dans un distributeur pour obtenir une seringue stérile avec aiguille. Par la suite, elles pouvaient s’en procurer une nouvelle en insérant leur seringue usagée dans l’appareil. En plus de seringues stériles, les distributeurs fournissaient d’autres moyens de réduction des méfaits nécessaires aux pratiques d’injection sûres, notamment des tampons d’alcool, de l’acide ascorbique, des filtres, des pansements et du chlorure de sodium. Chaque distributeur était rempli quotidiennement par des employés médicaux.
Chaque détenue inscrite au programme ne devait posséder qu’une seule seringue à la fois, qu’elle était tenue de transporter sur elle au moment de l’échange. Les participantes ne pouvaient pas prêter ou vendre leur seringue, ni l’apporter en cas de transfèrement. La possession et la distribution de drogues étaient illégales. Pendant les deux années de l’essai, 169 femmes ont participé au programme et 16 390 seringues ont été échangées, avec un taux de retour de 98,9%.
Dans le cadre de l’autre projet pilote, à la prison pour hommes de Lingen 1 Dept Groß-Hesepe, les seringues étaient distribuées par des membres du personnel. Des employés de l’unité de santé ou du service de counselling en matière de drogue procédaient tous les jours à l’échange de seringues dans le salon de thé, un lieu discret situé près du centre de counselling, accessible par l’aire de récréation. Offert à heures fixes, le service d’échange était accessible à tout détenu qui rapportait une seringue usagée. Les détenus inscrits au traitement d’entretien à la méthadone n’étaient pas admissibles à l’échange de seringues. Comme à la prison de Vechta, le programme d’échange de seringues de Lingen 1 Dept Groß-Hesepe faisait partie d’un programme complet de prévention du VIH qui comprenait des interventions éducatives, un accès à la méthadone et l’implication d’organismes externes. Au total, 83 individus ont participé au projet pendant sa phase d’essai et 4 517 seringues ont été échangées, avec un taux de retour de 98,3%.
Dans les deux prisons, des consultations et des programmes éducatifs ont sensibilisé les employés aux fondements et objectifs des programmes et sollicité leurs commentaires et suggestions.
Expansion à d’autres prisons
En 1996, des programmes pilotes d’échange de seringues ont été établis dans trois prisons d’Allemagne.
À la lumière du succès des projets de Vechta et de Lingen, des programmes d’échange de seringues ont été introduits dans d’autres prisons de l’Allemagne.
En 1996, un programme s’est amorcé à la prison de Vierlande, à Hamburg, qui loge quelque 300 hommes et 20 femmes. La distribution des seringues s’y faisait à la fois par le biais de distributeurs et d’employés. En 1998, des distributeurs automatiques pour l’échange de seringues ont été installés dans la prison de Lichtenberg (pour femmes) et dans celle de Lehrter Str. (pour hommes), à Berlin.
Une étude de 1993 auprès de quelque 612 personnes qui s’injectent des drogues, à Berlin, a noté que le principal facteur d’infection à VIH parmi ce groupe était le partage de seringues en prison.
À la prison de Lichtenberg, où la population est d’environ 75 femmes, chaque nouvelle détenue recevait une trousse de réduction des méfaits, parmi le matériel inclus dans sa cellule. Cette trousse prenait la forme d’un boîtier en plastique (étui à lunettes), contenant de l’acide ascorbique, des tampons d’alcool, de la crème pour les veines et une seringue sans aiguille à utiliser dans un distributeur. Comme dans les autres prisons qui pratiquaient l’échange de seringues, les seringues rangées adéquatement dans leur contenant de plastique étaient considérées légales. Une détenue était passible de sanctions si elle était trouvée en possession d’une seringue mal rangée ou cachée, de plusieurs seringues, ou d’une seringue contenant une dose d’héroïne.
Au début de 2000, on a commencé à offrir l’échange de seringues par le biais d’employés à la prison pour femmes de Hannöversand et à la prison pour hommes d’Am Hasenberge, à Hamburg (voir « Situation actuelle », ci-dessous).
Évaluation et leçons à retenir
Après deux ans, on a évalué les projets pilotes des établissements de Vechta et de Lingen 1 Dept Groß-Hesepe. [32] Cette évaluation a donné des résultats semblables aux initiatives menées en Suisse.
La provision de seringues stériles n’a pas entraîné de hausse de l’usage de drogue ; la quantité de drogues saisies dans l’établissement n’a pas été affectée par l’échange de seringues. De fait, le nombre d’utilisateurs de drogue inscrits à des programmes de traitement a augmenté après la mise en œuvre du projet pilote, ce qui montre que, comme dans la communauté générale, les programmes d’échange de seringues en prison sont une intervention et un point de référence efficaces pour les personnes qui s’injectent des drogues.
On n’a recensé aucun cas de seringue utilisée comme arme contre des employés ou des détenus, même si plus de 20 000 seringues ont été distribuées dans les deux prisons pendant l’essai pilote. Le taux de respect des règlements du programme était élevé ; on n’a compté que quelques infractions mineures liées au rangement inadéquat de seringues, ou à la possession de seringues par des détenus inscrits au programme d’entretien à la méthadone (qui ne pouvaient pas participer au projet d’échange de seringues).
L’existence du progamme n’était pas considérée comme menaçante par les employés et les détenus. Les employés se sont rapidement adaptés aux nouveaux programmes, qu’ils sont venus à considérer comme un aspect normal de la routine institutionnelle. Des différences ont été notées quant au degré d’acceptation du programme par les détenus des deux établissements. L’évaluation a révélé que les détenues de la prison de Vechta étaient beaucoup plus confiantes à l’égard du programme que ceux de l’établissement de Lingen. Cela découle des méthodes différentes adoptées par les deux prisons pour distribuer les seringues (distributeurs anonymes à Vechta ; distribution de main à main par des employés médicaux à Lingen). Plusieurs détenus de la prison de Lingen ont hésité à participer au programme, puisque cela impliquait de s’identifier comme utilisateur de drogue par injection auprès du personnel.
Enfin, l’évaluation n’a recensé aucun nouveau cas de VIH parmi les participants permanents aux projets pilotes. Elle a également noté une diminution marquée du nombre d’abcès.
L’établissement de Lichtenberg, visité pour les fins du présent rapport, n’a rapporté aucun incident où une seringue aurait été utilisée comme arme, bien qu’un employé se soit accidentellement blessé avec une seringue. Dans ce cas, un employé a trouvé une seringue et l’a placée dans une enveloppe ; puis un autre employé s’est piqué en ramassant l’enveloppe. Au début du programme de Lichtenberg, le taux d’échange de seringues était élevé, mais il a ensuite décliné. Les employés attribuent ce phénomène au fait que plusieurs détenues ont participé au programme à ses débuts, en croyant qu’un fort taux de participation assurerait son maintien.
Situation actuelle
Depuis 2001, les programmes d’échange de seringues des prisons allemandes sont cependant la cible d’attaques politiques. En 2002, les programmes des prisons de Hannöversand (pour femmes), d’Am Hasenberge (pour hommes) et de la prison ouverte de Vierlande (pour femmes et hommes), à Hamburg, ont été interrompus. Cette décision a été prise par un gouvernement de coalition de centre-droite formé en septembre 2001, malgré l’absence de tout signe ou preuve de problème. Il est évident que l’abandon de ces programmes traduit des motifs politiques et idéologiques. Faisant fi de six années de preuves de l’efficacité des programmes d’échange de seringues dans des prisons allemandes, ce gouvernement a prôné l’abolition des mesures de réduction des méfaits et affirmé son intention d’éliminer les drogues en prison. [33] Le 1er juin 2003, les programmes d’échange de seringues des prisons de Vechta et de Lingen 1 Dept Groß-Hesepe ont été interrompus dans des circonstances semblables par un nouveau gouvernement libéral centriste en Basse-Saxe.
À Berlin, au début de 2004, la coalition sociale-démocrate et socialiste a mis fin à un des deux programmes d’échange de seringues. Le motif invoqué est un manque allégué d’acceptation du programme par les employés. Le gouvernement a également soutenu que l’on n’avait pas observé dans la prison un taux de VIH inférieur à celui d’une prison sans initiative d’échange de seringues - mais cette allégation n’est appuyée par aucune recherche épidémiologique.
Dans chacun de ces cas, la décision d’interrompre le programme d’échange de seringues a été prise sans consulter les employés de la prison concernée et sans occasion de préparer les détenus à la perte du programme. En Basse-Saxe, la décision du gouvernement de mettre fin à l’échange de seringues le 1er juin 2003 n’a été annoncée que trois jours à l’avance, à la veille d’un week-end férié. Il n’a donc pas été possible de discuter du changement de politique avec les détenus qui accédaient au programme ; autrement dit, du jour au lendemain, ces détenus ont perdu l’accès à un programme qui leur fournissait des seringues stériles depuis sept ans.
En juin 2003, des entretiens avec des détenues de la prison de Vectha ont révélé que, depuis la fin du programme, plusieurs ont commencé à partager des seringues et ont régressé vers des pratiques qui leur étaient auparavant inconnues, comme emprunter ou louer des seringues d’autrui. Dans l’établissement de Lingen, on a rapporté qu’une seringue coûte maintenant 10€, ou deux paquets de cigarettes, sur le marché noir. Avant, les seringues étaient rangées de façon sûre dans des contenants de plastique à la vue des employés. Maintenant, elles sont cachées, ce qui accroît le risque de blessure pour le personnel.
Fait intéressant, outre les professionnels de la santé publique, les employés de ces prisons sont parmi les plus ardents détracteurs des décisions gouvernementales. Par exemple, à la prison de Vechta, des employés ont lancé une pétition pour inciter le gouvernement à rétablir le programme. Leur représentant officiel a écrit au gouvernement pour réfuter l’allégation du ministre de la Justice de la Basse-Saxe à l’effet que le retrait du programme résultait d’un manque d’appui du personnel. À la prison de Lichtenberg, à Berlin, les employés (dont 85% s’opposaient à l’introduction du programme d’échange de seringues en 1998) sont maintenant les principaux acteurs d’une campagne revendiquant que le gouvernement rétablisse le programme. Ces exemples montrent que les programmes d’échange de seringues comportent des bienfaits pour les employés des prisons, et que ceux-ci peuvent leur apporter un solide appui.
De façon générale, la décision de certains gouvernements d’États allemands de mettre fin aux programmes d’échange de seringues en prison illustre clairement la nature controversée de ces initiatives, même dans les ressorts où elles ont un historique de succès. L’interruption de programmes efficaces d’échange de seringues, sans preuves à l’appui d’une telle décision, est injustifiable sur le plan de la santé publique ; cela témoigne du triomphe de l’idéologie et des considérations politiques injustifiées, au détriment de politiques de santé publique saines.
Espagne
Sommaire
On compte 69 prisons en Espagne qui sont gérées par le ministère de l’Intérieur. Onze autres sont administrées par le gouvernement de la région autonome de la Catalogne.
Le premier programme d’échange de seringues dans une prison espagnole a été introduit en juillet 1997, dans la prison de Basauri, à Bilbao , dans la région basque. Il a été suivi par des programmes pilotes dans la prison de Pamplona (1998) et celles d’Orense et de Tenerife (1999). En juin 2001, la Direction générale des prisons a ordonné que des programmes d’échange de seringues soient mis en œuvre dans toutes les prisons. À la fin de 2001, c’était chose faite dans 11 prisons. À la fin de 2002, le nombre de prisons dotées de programmes d’échange de seringues avait augmenté à 27, puis en 2003 on en comptait 30. [34]
À l’heure actuelle, le mandat d’établir des programmes d’échange de seringues est en vigueur pour toutes les prisons sous la juridiction du ministère espagnol de l’Intérieur, à l’exception des prisons psychiatriques et d’une prison à sécurité maximale. On trouve aussi un programme pilote d’échange de seringues dans une prison sous la juridiction du gouvernement de la Catalogne.
Le VIH/sida, le VHC et l’ID en Espagne
D’après les statistiques de l’ONUSIDA et de l’OMS, on comptait quelque 130 000 adultes (de 15 à 49 ans) vivant avec le VIH/sida en Espagne à la fin de 2001, et un taux de prévalence de 0,5%. [35] Le taux de prévalence du VHC dans la population générale est d’environ 3%. [36]
Bien qu’il ait décliné depuis quelques années en raison d’une vaste mise en œuvre de programmes de réduction des méfaits (comme l’entretien à la méthadone et l’échange de seringues), le taux de prévalence du VIH parmi les personnes qui s’injectent des drogues demeure élevé : de 37,1% qu’il était en 1996, il avait diminué à 33,5% en 2000. En date de juin 2001, 39 681 cas cumulatifs de sida liés à l’injection de drogue avaient été inscrits au registre national d’Espagne sur le sida - soit 65% de tous les cas de sida identifiés jusque-là. [37]
Le VIH/sida, le VHC et l’ID dans les prisons d’Espagne
À la lumière du succès des premiers projets, des programmes d’échange de seringues ont été introduits dans d’autres prisons d’Allemagne.
Approximativement la moitié des détenus d’Espagne ont des antécédents d’usage de drogue, à leur entrée en prison. La vaste majorité des détenus qui demandent un traitement de la toxicomanie pendant leur détention le font pour la dépendance à l’héroïne (85%). Cependant, on a noté depuis quelques années une augmentation de l’injection de cocaïne. [38]
Les taux de VIH et de VHC parmi les détenus espagnols sont élevés. Alors que les détenus représentent 0,01% de la population du pays, on trouve parmi eux 7% des cas diagnostiqués de sida. [39] Les taux d’infection sont particulièrement élevés parmi ceux qui ont des antécédents d’injection de drogue. En 1989, la première étude transversale sur la prévalence du VIH parmi les détenus a mesuré un taux de prévalence de 32%. [40] Depuis, de rigoureuses initiatives de prévention du VIH ainsi que de réduction de méfaits, dans la communauté de même qu’en prison, ont produit des résultats notables. Le taux de prévalence du VIH dans les prisons était d’approximativement 23% au début des années 1990 ; [41] en 2000, le taux rapporté avait diminué à 16,6%. [42] Un rapport conjoint de 2002, par le ministère de l’Intérieur et celui de la Santé et des Affaires des consommateurs, estimait le taux de prévalence du VIH à 15% et celui du VHC à 40%. [43] Parmi les femmes incarcérées, le taux d’infection à VIH est particulièrement élevé : en 2001, il était estimé à 38%. [44]
La majorité des cas de sida parmi les détenus d’Espagne est composée de personnes qui s’injectent des drogues. [45] Environ 90% des détenus vivant avec le sida déclarent l’injection de drogue comme facteur de risque. [46] Les taux rapportés d’infection à VIH parmi les détenus espagnols ayant des antécédents d’injection de drogue ont été jusqu’à 46,1%. [47]
Les taux de VHC sont encore plus élevés, en particulier parmi les personnes qui s’injectent des drogues. D’après une étude du Service de santé pénitentiaire, en 1998, quelque 46,1% des détenus vivaient avec l’infection à VHC. [48] En 2002, l’estimé du taux de prévalence du VHC était de 40%. [49] Parmi les détenus ayant des antécédents d’injection de drogue, il atteignait les 90%. Même parmi les détenus sans antécédents d’injection de drogue, le taux d’infection à VHC est élevé : 20% parmi ceux qui ont subi le test. [50] La co-infection à VIH/VHC est aussi un problème important. On estime que jusqu’à 83,5% des détenus espagnols vivant avec le VIH/sida sont aussi atteints de l’infection à VHC, [51] et que 31% de l’ensemble des femmes incarcérées vivent avec la coinfection à VIH/hépatite. [52]
Historique de la réaction au VIH/sida, au VHC et à l’ID dans les prisons d’Espagne
Bien que le système pénitentiaire de l’Espagne ait développé des programmes complets de traitement de la toxicomanie, de même que d’abstinence en créant des unités sans drogue dans plusieurs prisons, il reconnaît expressément que « les utilisateurs de drogue ne sont pas tous candidats pour des programmes fondés sur l’abstinence ». [53] On y a mis en œuvre une approche à plusieurs facettes, assortie d’initiatives de réduction des méfaits.
Cette approche est soutenue par divers instruments juridiques et de politiques, qui appuient l’expansion des programmes de réduction des méfaits pour les détenus. La Constitution espagnole, par exemple, établit que les peines de prison et les mesures de sécurité doivent viser la rééducation et la réinsertion sociale des individus ainsi que la protection de leur santé. [54] L’alinéa 3.3 de la Loi générale sur les prisons stipule aussi que « le système pénitentiaire veillera à préserver la vie, la santé et l’intégrité des détenus ». Plus récemment, le Plan national 2000-2008 sur les drogues a introduit des références explicites à la santé en prison, notamment un appel à « diversifier la gamme de programmes accessibles en prison pour la réduction des méfaits, par des initiatives comme l’expansion des programmes d’échange de seringues ». [55]
L’entretien à la méthadone a été introduit dans les prisons d’Espagne en 1992, pour contribuer à réduire la transmisison du VIH et du VHC par l’injection de drogue. En 1998, ce traitement était disponible dans toutes les prisons, à l’exception d’un petit établissement sur l’île de Tenerife . Au cours de l’année 2000, plus de 23 000 détenus ont reçu de la méthadone. [56]
Le premier projet pilote d’échange de seringues en prison s’est déroulé en 1997. En novembre 1998, la Direction générale pour les prisons a émis la recommandation que toutes les prisons mettent en œuvre des mesures de réduction des méfaits et considèrent d’y inclure des programmes d’échange de seringues. [57] En juin 2001, elle a émis une directive à l’effet que toutes les prisons mettent en œuvre des programmes d’échange de seringues.
L’introduction de programmes d’échange/distribution de seringues
Le premier programme
En décembre 1995, un document de discussion et de consultation du Parlement basque recommandait que le Secrétariat d’État aux prisons mette en œuvre trois programmes pilotes d’échange de seringues dans des prisons de la Communauté autonome basque, suggérant que ces projets puissent servir à évaluer la faisabilité d’en introduire par la suite à plus grande échelle dans le système pénitentiaire. [58]
En janvier 1996, un comité de planification a été créé pour examiner la question de l’échange de seringues en prison et formuler des recommandations sur le sujet. Sa principale conclusion fut que des programmes d’échange de seringues en prison devraient être mis en œuvre en collaboration avec le personnel d’un organisme non gouvernemental externe qui fournit déjà des services en prison. Par suite de démarches d’éducation et de consultation auprès des employés de prisons, le premier programme pilote d’échange de seringues a été établi en juillet 1997 au Centre pénitentiaire de Basauri, à Bilbao, un établissement pour hommes qui loge 250 détenus. [59] Des 180 détenus admis en 1995, un tiers s’injectaient régulièrement des drogues ; la moitié de ces derniers étaient séropositifs au VIH.
À Basauri, l’échange est fait par des employés d’organismes non gouvernementaux, à raison de cinq heures par jour, dans deux endroits peu en vue dans la prison. En plus d’une seringue stérile, les détenus reçoivent une trousse de réduction des méfaits qui contient un tampon d’alcool, de l’eau distillée, un coffret de plastique pour ranger la seringue, ainsi qu’un condom. Le programme met l’accent sur le rangement sécuritaire des seringues dans les coffrets afin de réduire les risques de blessures accidentelles avec des aiguilles. Les seringues fournies portent une marque, afin de les distinguer des seringues de contrebande. [60]
Deux ans et demi après l’amorce du programme pilote, on avait échangé 16 500 seringues ; plus de 600 détenus avaient eu recours au programme. On n’a signalé aucun incident violent impliquant une seringue.
Expansion à d’autres prisons
Depuis 2001, les programmes d’échange de seringues des prisons allemandes se heurtent à des attaques politiques.
En octobre 1996, la Cour pénale de la province de Navarra a ordonné que les responsables de la prison de Pamplona fournissent des seringues stériles aux détenus. En 1997, comme suite à de nombreuses plaintes, le Bureau de l’Ombudsman a aussi recommandé la mise en œuvre de programmes d’échange de seringues. [61] En novembre 1998, un programme d’échange de seringues en prison a été amorcé à Pamplona. D’autres programmes ont emboîté le pas en 1999, à Tenerife, San Sebastián et Orense.
Partant de l’expérience acquise grâce à ces programmes, les responsables du Plan national sur le sida et la Direction générale des prisons ont mis sur pied un Groupe de travail sur l’échange de seringues en prison. Les objectifs du groupe consistaient à « élaborer des recommandations pour standardiser autant que possible les conditions d’introduction, les critères d’action ainsi que les indicateurs pour l’évaluation des programmes d’échange de seringues en prison ». [62] Le rapport du Groupe de travail, Key Elements for the Implementation of Syringe Exchange Programs in Prison, a été publié en avril 2000. À ce moment, des programmes d’échange de seringues étaient déjà en opération dans neuf prisons de la région basque, de la Galicia, des Îles Canari et de la province de Navarre. En octobre 2001, on a rapporté que ces programmes avaient échangé 5 488 seringues. [63] À la fin de 2001, on comptait des programmes d’échange de seringues dans onze prisons de l’Espagne. [64]
Au constat de l’expérience positive de ces projets, le gouvernement espagnol s’est engagé à en élargir la disponibilité ; en mars 2001, le Parlement a approuvé un document consultatif où était recommandée la mise en œuvre de programmes d’échange de seringues dans toutes les prisons du pays. [65] Dès lors, les choses ont évolué rapidement. En juin 2001, la Direction générale des prisons a diffusé une directive requérant la mise en œuvre de tels programmes dans toutes les prisons. Suivit, en octobre, une directive de la Sous-direction générale de la santé en prison précisant que des programmes d’échange de seringues devraient être introduits avant janvier 2002, dans toutes les prisons. En mars 2002, le ministère de l’Intérieur et celui de la Santé et des Affaires des consommateurs ont publié le document Needle Exchange in Prison : Framework Program, qui fournit aux prisons des directives, des politiques, des procédures et du matériel de formation et d’évaluation, en lien avec la mise en œuvre de programmes d’échange de seringues. [66] À la fin de 2002, on avait échangé 12 970 seringues, dans 27 prisons espagnoles. [67] Un projet pilote en la matière a aussi été établi dans une prison qui relève du gouvernement catalan. Dans toutes les prisons, l’échange se fait exclusivement de main à main, dans des endroits discrets. Dans plusieurs cas, en particulier dans les grands établissements, le matériel stérile est disponible à plusieurs endroits.
Les services d’échange de seringues sont fournis par le personnel des soins de santé (infirmiers ou médecins) ou par le personnel de santé en collaboration avec des organismes non gouvernementaux de l’extérieur. Comme dans d’autres ressort, l’échange de seringues fait partie d’une approche plus vaste en matière de drogue, de réduction des méfaits ainsi que de promotion de la santé (qui englobe l’éducation, le counselling et les services de traitement). La fréquence de la fourniture des seringues stériles varie, de deux jours par semaine à une distribution quotidienne, selon l’établissement. Les heures d’opération varient aussi, mais en général il s’agit d’une plage horaire de deux à quatre heures, le matin ou le soir. [68]
Plutôt que seulement des seringues, on fournit des trousses de réduction des méfaits. La politique veut que ces trousses contiennent une seringue dans un coffret de plastique transparent, de l’eau distillée et un tampon alcoolisé. Dans certaines prisons, les trousses incluent aussi chauffoirs et filtres. Deux gabarits de seringues sont disponibles, selon que l’on s’injecte de la cocaïne ou de l’héroïne. Les détenus qui ont recours au programme sont tenus de garder en tout temps leur seringue rangée dans le coffret, que ce soit dans leur cellule ou sur eux. En cas de fouille par le personnel, ils doivent déclarer leur possession d’une seringue ainsi que l’endroit où elle est rangée. [69] Les seringues qui ne sont pas remises par le programme officiel sont interdites et on les confisque.
Bien que plusieurs administrations pénitentiaires aient tendance à élaborer des ensembles de règles et règlements sur tous les aspects, les directives des prisons espagnoles sont très progressistes et pragmatiques. Par exemple, en ce qui a trait à la sécurité du personnel, le Programme-cadre signale que :
On devrait tenir compte aussi qu’il est déconseillé d’établir un grand nombre de règles, puisqu’un trop grand nombre de règles vient à diluer l’importance des règles de base. Il est plus facile d’assurer le respect d’un nombre minimal de règles élémentaires qui ont un impact réel sur le maintien de la sécurité que d’appliquer un programme assorti de nombreuses règles accessoires qui pourraient entraîner une négligence des règles de prévention efficaces et conduire par le fait même à un plus grand risque d’accident. [70]
Depuis l’interruption du programme d’échange de seringues en prison, plusieurs détenues ont commencé à partager des seringues.
Les employés de ces prisons sont parmi les plus ardents détracteurs des décisions gouvernementales.
Un certain nombre de caractéristiques des politiques espagnoles méritent un examen plus attentif.
Premièrement, les directives sur le programme ne requièrent pas que l’on se limite strictement à des échanges unitaires. Bien qu’on y signale que « la règle devrait être l’échange, i.e. que la seringue précédente doit être retournée avant l’obtention d’une nouvelle trousse », on y reconnaît aussi que « une attitude souple devrait être maintenue, à l’égard de l’application de [la règle d’un contre un], en gardant à l’esprit que l’objectif principal du programme est de prévenir le partage de seringues usagées ». [71] Les directives prévoient que « le nombre de trousses à fournir dépend de la fréquence de l’échange ainsi que des habitudes de consommation de l’utilisateur : on devrait en fournir suffisamment pour satisfaire les besoins du détenu, de manière à ce qu’il n’ait pas à réutiliser la même seringue le lendemain. » [72]
Deuxièmement, les détenus qui ont recours à l’entretien à la méthadone ne sont pas exclus de l’accès au programme d’échange de seringues. Trois raisons sont invoquées à l’appui de cette décision : on reconnaît que certaines personnes qui prennent de la méthadone continueront à s’injecter d’autres drogues, soit de manière sporadique, soit régulièrement, et que cela indique habituellement qu’on ne leur fournit pas une dose suffisante de méthadone ; par ailleurs, on reconnaît la possibilité que les personnes qui prennent de la méthadone continuent de s’injecter de la cocaïne ; en outre, on admet que les patients qui suivent un traitement à la méthadone puissent servir d’intermédiaire pour obtenir des seringues stériles destinées à d’autres individus qui ne veulent pas s’identifier au personnel de santé comme utilisant des drogues par injection. [73]
Les directives permettent aussi la remise de seringues stériles aux détenus qui vivent dans les unités sans drogue, de même qu’à ceux qui participent à des programmes axés sur l’abstinence. Il est recommandé que les demandes de seringues par ces détenus soient « abordées d’un point de vue thérapeutique, et que les mesures thérapeutiques appropriées soient entreprises pour les aider à vaincre leur rechute - mais que l’on ne devrait jamais refuser de remettre du matériel d’injection stérile ». [74]
Les seuls cas de restriction possible à la participation à un programme d’échange de seringues concernent les personnes ayant des problèmes de santé mentale qui posent un danger et celles qui sont considérées particulièrement violentes. Dans chacun de ces cas, les directives suggèrent que le cas individuel soit évalué. Par exemple, dans le cas de détenus violents, les responsables de prisons sont encouragés à « régler les moyens d’accès des détenus particulièrement dangereux, en gardant à l’esprit qu’il est toujours préférable d’adopter des règles spéciales de sécurité, pour ces détenus, que de leur refuser l’accès à des seringues stériles ». [75] La participation au programme peut aussi être refusée si un individu se sert d’une aiguille comme arme ou enfreint continuellement les règles du programme. [76]
Évaluation et leçons à retenir
À la fin de 2003, le nombre de prisons d’Espagne dotées d’un programme d’échange de seringues était passé à 30.
Pour l’évaluation du projet pilote de Basauri, on a formé un comité de suivi mandaté d’examiner et d’évaluer le programme en progrès. [77] Des évaluations impliquant la consultation de détenus et d’employés ont été réalisées avant le début du programme, puis après trois et six mois. Une évaluation au terme de 12 mois a été jugée impossible à réaliser, puisque le roulement élevé au sein de la population de la prison signifiait que peu de détenus dans cette prison au début du projet s’y trouvaient encore après un an. Cependant, on a procédé à une évaluation après 22 mois, auprès des intervenants correctionnels et non gouvernementaux.
Les détenus qui ont eu accès au programme n’ont pas subi d’obstruction de la part des agents correctionnels ; ils appuyaient la méthode voulant que le programme soit réalisé par des organismes non gouvernementaux de l’extérieur. Il a été noté que cette caractéristique - le contact personnel - était préférable à l’utilisation d’un distributeur automatisé. De plus, l’évaluation a permis de constater que la consommation de drogues par les détenus n’avait pas augmenté, et qu’il y avait eu diminution des comportements à risque.
Les agents correctionnels ont aussi signalé des expériences très positives, en lien avec le projet pilote. Ils n’ont pas signalé de problèmes ou conflits avec les détenus, associés aux programmes, et il n’y a eu aucun cas d’utilisation de seringue comme arme. En dépit de leurs commentaires positifs à l’égard du programme, ils ont exprimé qu’ils préféreraient qu’il soit réalisé par du personnel de la prison plutôt que par un organisme de l’extérieur.
Les employés de l’organisme non gouvernemental n’ont signalé aucun cas de détenu puni par le personnel de la prison pour avoir eu recours au programme ; ils ont aussi fait valoir que le programme offre un moyen efficace de joindre les détenus par des messages de promotion de la santé et de les référer à d’autres programmes de santé. Par ailleurs, ils ont suggéré qu’un certain degré de souplesse était nécessaire, dans le cadre du programme, en ce sens qu’une politique d’échange unitaire n’était pas toujours possible à appliquer. Cette question a été soumise à des discussions au sein du comité de suivi. Les employés de l’organisme externe se sont prononcés en faveur de la souplesse, en lien avec cette politique. Leur principale préoccupation était la réticence à refuser une seringue stérile à des détenus qui n’avaient pas de seringue usagée à échanger, puisque le résultat risquerait de placer ces individus dans une situation où ils n’auraient d’autre choix que de partager celle d’un autre. Les gardiens de la prison étaient toutefois inquiets sur le plan de la sécurité. On finit par s’entendre à l’effet qu’un taux de retour de 80% était acceptable (le taux de retour mesuré dans le déroulement du programme était de 82%).
Les évaluations des autres projets pilotes ont aussi été positives. Dans la discussion sur l’expérience de neuf programmes d’échange de seringues en prison, un rapport de 2001 préparé par les responsables du Plan national en matière drogues signale que « [c]es expériences ont montré que ces programmes peuvent être reproduits dans un environnement pénitentiaire sans entraîner de distortion ou de problèmes directs ». [78] Le document de 2002, Needle Exchange in Prison : Framework Program, contenait les conclusions suivantes de l’évaluation des programmes d’échange de seringues dans des prisons espagnoles : [79]
La mise en œuvre de programmes d’échange de seringues en prison est faisable, comme dans la communauté générale, et elle est adaptable aux conditions d’exécution des peines.
Les programmes d’échange de seringues en prison, comme dans la communauté, génèrent des changements comportementaux qui réduisent les risques associés à l’injection de drogue.
Les programmes d’échange de seringues en prison favorisent la référence des utilisateurs à des programmes de traitement de la toxicomanie.
La mise en œuvre d’un programme d’échange de seringues en prison n’entraîne généralement pas d’augmentation de l’usage de drogue, ni d’augmentation de l’usage d’héroïne ou de cocaïne par voie parentérale.
Un programme d’échange de seringues en prison devrait fonctionner avec une certaine marge de souplesse et être adapté aux circonstances personnelles de chaque détenu, sans toutefois oublier les conditions d’encadrement de chaque programme.
La coexistence d’un programme d’échange de seringues et d’autres programmes d’intervention ou de prévention, en matière de toxicomanie, est réalisable.
L’expérience de l’échange de seringues dans les prisons espagnoles a également permis de constater que le taux d’utilisation de drogues par injection n’avait pas augmenté, qu’il n’y avait pas eu de blessures accidentelles sur des aiguilles, pas d’augmentation des conflits entre détenus ni entre des détenus et des membres du personnel, ni de cas d’utilisation de seringues comme armes ; de plus, l’appui du personnel à l’égard des programmes avait augmenté au fur et à mesure du déroulement. [80]
À présent que l’échange de seringues est étendu à l’échelle nationale, des directives pour l’évaluation continue ont été développées et intégrées au Programme cadre. Un logiciel appelé SANIT est utilisé dans chaque prison pour compiler le nombre d’utilisateurs du programme, le nombre de seringues fournies et rapportées, les adhésions et abandons du programme ainsi que les raisons de ces derniers. On consigne également des renseignements sur l’état de santé. Afin de préserver la confidentialité des utilisateurs de programme, un pseudonyme ou un numéro généré au hasard sert d’identificateur des participants. Outre des données quantitatives, l’évaluation inclut le feed-back qualitatif des détenus et employés. Des questionnaires standardisés et anonymes, pour la collecte de ces données, sont fournis dans le document du Programme cadre. Il est suggéré d’effectuer au minimum des évaluations annuelles, ou plus fréquentes (i.e. à intervalles de trois, six ou douze mois). En conséquence, une évaluation continue des programmes sera disponible annuellement, à l’échelle nationale.
Trois leçons se dégagent de l’expérience de l’Espagne.
Premièrement, les responsables de l’administration des programmes d’échange de seringues maintiennent un solide engagement à l’égard des objectifs et bienfaits sanitaires du programme, d’une philosophie de réduction des méfaits, ainsi que du droit des personnes incarcérées à la santé. Ainsi, le système pénitentiaire espagnol est parvenu à développer des approches très progressives, pragmatiques et souples, devant les problématiques et défis liés aux programmes. Les solutions adoptées, devant des questions controversées (comme celle de privilégier ou non l’échange unitaire ; l’accès à l’échange de seringues pour les détenus supposés être abstinents parce qu’ils suivent un traitement à la méthadone ou sont logés dans des unités « sans drogue » ; ou l’accès aux seringues pour les détenus violents ou psychotiques) sont toutes fondées sur le principe élémentaire que les personnes incarcérées ont le droit de se protéger contre les infections à VIH et à VHC, le principe que les réactions de réduction des méfaits doivent être adaptées pour satisfaire des besoins individuels et particuliers, et qu’il est toujours préférable de trouver un moyen de fournir du matériel stérile à un détenu qui s’injecte des drogues que de le pousser ou de le laisser dans une situation où il partagera du matériel usagé. Voilà une leçon importante pour les autres ressorts.
Deuxièmement, l’exemple espagnol démontre le bien-fondé de fournir des directives et principes clairs, pour les programmes d’échange de seringues en prison, tout en laissant aux établissements une certaine souplesse quant à la manière de les appliquer. Cela revêt une importance particulière, puisqu’il serait difficile d’imposer une politique strictement uniforme à l’échelle d’un système qui compte 69 prisons qui ont chacune leurs caractéristiques, notamment sur le plan de la taille, de la région et de la cote de sécurité. Cependant, la publication de directives claires, de principes, ainsi que d’instructions politiques claires, à l’effet que ces programmes devaient être mis en œuvre avant une certaine échéance, a permis de faire en sorte que les établissements rendent le service disponible, tout en tenant compte de leurs particularités.
Cela nous mène à une autre leçon à retenir de l’expérience espagnole : il est possible de mettre rapidement en œuvre des programmes d’échange de seringues en prison, à l’échelle nationale, lorsque la volonté politique se combine à un solide plan de réalisation. À la fin de 2001, onze prisons avaient un programme d’échange de seringues. À peine 18 mois plus tard, l’infrastructure législative et les politiques étaient en place, pour une mise en œuvre dans les 69 prisons du pays, et des programmes étaient déjà en fonction dans 27 d’entre elles.
Situation actuelle
À l’heure actuelle, la législation et les politiques nécessaires à la mise en œuvre de programmes d’échange de seringues dans les 69 prisons administrées par le ministère espagnol de l’Intérieur sont en place, hormis le cas des prisons psychiatriques et d’une prison à sécurité élevée. À la fin de 2002, des seringues étaient distribuées dans 27 prisons ; ce nombre était de 30 à la fin de 2003. [81] Un programme pilote avait également été amorcé dans une des 11 prisons du ressort autonome du gouvernement de la Catalogne. Le ministère espagnol de l’Intérieur procédera à une évaluation annuelle des programmes.
Moldavie
Sommaire
Le premier programme d’échange de seringues dans une prison de la Moldavie a été initié en mai 1999 dans la Prison Colony 18 (PC18), à Branesti. Au début, les seringues stériles étaient remises aux détenus par des employés de l’unité de santé de la prison. Après quatre à cinq mois, cependant, on a modifié la méthode de distribution pour adopter un modèle impliquant des pairs ; cette méthode a ensuite été conservée.
En mai 2002, partant du constat de réussite du projet pilote dans la PC18, un deuxième programme d’échange de seringues a été initié, à la Prison Colony 4 (PC4), à Cricova. Le programme de la PC4 est aussi basé sur l’intervention de pairs. Un troisième projet, dans la prison pour femmes de Rusca, a été amorcé en août 2003.
Le VIH/sida, le VHC et l’ID en Moldavie
Pendant l’année 2000, plus de 23 000 détenus espagnols recevaient un traitement à la méthadone.
Avant 1995, on recensait moins de 10 cas de VIH par année, en Moldavie. Cependant, une épidémie d’infection à VIH parmi les personnes qui s’injectent des drogues a entraîné une importante augmentation de ces statistiques. À la fin de 2001, d’après l’ONUSIDA et l’OMS, on comptait quelque 1 500 adultes (de 15 à 49 ans) vivant avec le VIH en Moldavie, dont la majorité avait contracté le VIH par l’injection de drogue. Dans leur rapport de 2002, l’ONUSIDA et l’OMS signalaient que 66,7% des cas de sida en Moldavie étaient associés à l’injection de drogue (73,7% chez les hommes et 57,1% chez les femmes). [82] Des médecins qui travaillent dans ce pays ont affirmé qu’un taux aussi élevé que 83% de l’ensemble des infections par le VIH serait maintenant lié à l’injection de drogue. [83]
Le VIH/sida, le VHC et l’ID dans les prisons de Moldavie
Le nombre de détenus vivant avec le VIH/sida, en septembre 2002, s’y élevait à 210, ce qui correspond à un taux de prévalence du VIH/sida environ 100 fois plus élevé que dans la communauté générale. [84] Douze p. cent (12%) des cas signalés d’infection à VIH dans les prisons moldaves touchent des femmes. Cependant, ces statistiques sous-estiment l’étendue de la prévalence du VIH, car elles n’incluent que les cas diagnostiqués. Il n’y a pas de programme universel de test du VIH dans les prisons ; on croit que la prévalence réelle du VIH y est plus élevée. [85]
Cas diagnostiqués de VIH/sida en Moldavie
Année / Population générale / Population carcérale [86]
1997 / 404 / 38
1998 / 408 / 78
1999 / 155 / 122
2000 / 64 / 134
2001 / 1300 / 179
2002 (jusqu’à septembre) / 1620 / 210
Historique de la réaction au VIH/sida, au VHC et à l’ID dans les prisons de Moldavie
L’élaboration d’initiatives de réduction des méfaits dans les prisons moldaves a été dirigée par la Health Reform in Prisons, un organisme non gouvernemental regroupant des médecins de prisons, fondé en 1997 par l’ancien chef du département de la santé carcérale. Puisque ses membres sont ou ont été des médecins de prison, cet organisme était dans une position unique, vis-à-vis de l’administration carcérale, pour faire valoir la nécessité de mettre en œuvre des mesures de réduction des méfaits.
Health Reform in Prisons, avec la collaboration du ministère des Prisons de la Moldavie ainsi que l’aide financière de l’Open Society Institute, du Soros Foundation Network, a commencé en 1999 à fournir des programmes de prévention du VIH en prison. [87] L’organisme a ensuite implanté des programmes et services en matière de VIH et de réduction des méfaits dans 19 prisons du pays. Ses activités incluent l’éducation des détenus et du personnel à propos de la prévention du VIH, l’éducation par des pairs, la création et la dissémination de matériel d’éducation, l’achat de matériel de prévention et de réduction des méfaits, la distribution de condoms et de désinfectants ainsi que la fourniture de seringues stériles dans deux prisons.
Jusqu’à septembre 2002, le projet avait joint quelque 14 000 détenus (79% de la population carcérale de la Moldavie) et 1 600 employés de prisons. Health Reform in Prisons distribue maintenant des condoms, des désinfectants et de l’information dans toutes les prisons de la Moldavie. Depuis l’amorce du projet, plus de 30 000 items informatifs ont été distribués. [88]
L’introduction de programmes d’échange/distribution de seringues
Le premier programme
Au constat de l’expérience positive des premiers projets d’échange de seringues, le gouvernement espagnol s’est engagé à en élargir la disponibilité.
L’échange de seringues dans les prisons espagnoles est fait par des employés de l’unité des soins de santé, ou ces derniers en collaboration avec des ONG de l’extérieur.
La politique veut que les trousses de réduction des méfaits contiennent une seringue dans un coffret de plastique transparent, de l’eau distillée et un tampon alcoolisé
En mai 1999, un programme pilote d’échange de seringues a été établi dans une prison [89] - la Prison Colony 18, à Branesti. Cet établissement a été choisi pour plusieurs raisons, notamment sa proximité de la ville de Chisinau (capitale de la Moldavie, où est établi l’ONG qui coordonne le projet) et les faits qu’elle présentait la plus basse moyenne d’âge des détenus (24 à 26 ans) et le plus grand nombre de cas connus de détenus vivant avec le VIH/sida (18 cas).
La PC18 est une prison à sécurité moyenne/maximale comptant une population d’environ 1 000 hommes. L’établissement a été construit en 1950, pour héberger 250 personnes. Le système des prisons de la Moldavie est un système militaire. Le personnel de la PC18 se compose d’environ 200 agents correctionnels (qui sont des militaires) et de 100 employés civils. Tous ses détenus travaillent dans l’une des industries de la prison (notamment une mine, une exploitation agricole et d’élevage de bétail, un moulin à grain ainsi qu’une boulangerie).
L’Administration pénitentiaire, au ministère de la Justice, était d’abord réticente à autoriser le projet, craignant que la fourniture de seringues stériles n’entraîne une augmentation de l’usage de drogue. Cependant, ces inquiétudes ont été atténuées par les résultats d’un sondage anonyme auprès des détenus, qui a révélé des cas de partage de seringues par huit à douze détenus, et l’utilisation d’instruments de fabrication artisanale pour s’injecter des drogues. Le 3 décembre 1999, l’Ordonnance 115 a été adoptée, autorisant la mise en œuvre d’un programme d’échange de seringues dans la PC18.
Le programme pilote de la PC18 s’est déroulé en deux phases. Pendant la première, les seringues étaient distribuées de main à main aux détenus par des employés de l’unité médicale. Pendant les quatre à cinq mois de cette phase, on a échangé entre 40 et 50 seringues.
Cependant, l’équipe du projet a convenu que cette méthode de distribution n’était pas satisfaisante. Sa principale inquiétude résidait dans le fait que seulement 25% à 30% des détenus connus comme s’injectant des drogues avaient recours au programme. Le Dr Nicolae Bodrug, chef de l’unité médicale de la prison et coordonnateur du projet, a identifié un certain nombre d’obstacles, notamment la difficulté à créer des liens entre le personnel médical et les détenus utilisateurs de drogues, le manque d’anonymat et de confidentialité du service et sa disponibilité limitée aux heures de bureau. Le Dr Bodrug explique que, par la suite, « afin de rendre l’échange de seringues réellement anonyme, nous avons recruté huit volontaires pour faire l’échange secondaire dans toute la colonie carcérale. L’avantage est un degré beaucoup plus élevé de confiance et de confidentialité ». [90] Cette décision a enclenché la deuxième phase du programme.
Dans la phase II, huit pairs bénévoles ont été formés pour la fourniture de services de réduction des méfaits, dans quatre sites de la prison. Deux pairs bénévoles ont été assignés à chaque site ; ils sont disponibles 24 heures sur 24 puisque leurs sites d’intervention se trouvent dans les aires de vie (des lieux d’hébergement prenant la forme de casernes, où 70 hommes ou plus vivent et dorment dans la même grande salle). Les activités et programmes sont réalisés en collaboration avec le médecin de la prison, dont le rôle est de superviser le projet et de faire la liaison entre les pairs bénévoles, le personnel de la prison et celui de la Health Reform in Prison. Dans les premiers mois de 2002, entre 65% et 70% des personnes connues comme s’injectant des drogues ont eu recours au programme en s’adressant aux pairs bénévoles. En 2002, ces derniers ont échangé 7 150 seringues. [91]
Évolution de l’échange de seringues dans la Prison Colony 18 : nombre annuel de seringues échangées [92]
Année / Nombre de seringues échangées
2000 / 115
2001 / 4.350
2002 / 7.150
Outre l’échange unitaire de seringues, les pairs bénévoles distribuent des condoms, des désinfectants, des tampons antiseptiques ainsi que des rasoirs. Ils fournissent aussi de l’information sur la réduction des méfaits et sur la prévention du VIH, y compris sur l’injection plus sécuritaire et les problèmes post-injection. La composition de l’équipe de pairs bénévoles est changée à chaque année.
Expansion à d’autres prisons
Le 26 mai 2002, au constat de la réussite du projet pilote, l’Ordonnance 52 a autorisé la mise en œuvre d’un deuxième projet pilote d’échange de seringues, dans la Prison Colony 4 (PC4), à Cricova, qui compte 1 200 détenus de sexe masculin. Ce programme procède aussi de l’intervention de pairs ; trois pairs volontaires y travaillent. Pendant les premiers mois du projet, entre 40 et 45 détenus ont eu recours à l’échange de seringues. À la fin de la première année, le nombre de détenus qui y ont eu recours avait augmenté à approximativement 160. [93] Les pairs bénévoles y ont échangé 7 555 seringues pendant l’année 2002. [94]
Distribution d’instruments de réduction des méfaits dans les prisons moldaves : statistiques nationales [95]
Trousses d’eau de Javel : 1 026
Iodine : 211
Rasoirs : 3.550
Seringues : 14.705
Condoms : 100.056
Évaluation et leçons à retenir
Les détenus qui ont recours à l’entretien à la méthadone ne sont pas exclus de l’accès au programme d’échange de seringues.
Comme l’a signalé le Dr Bodrug, médecin à la PC18, la normalisation du concept d’échange de seringues en prison a été un défi, à la fois pour les employés et pour les détenus. Cependant, les attitudes ont évolué avec le temps. Le Dr Bodrug explique : « Nous avons souligné le fait que la réduction des méfaits est une pratique qui fonctionne bien dans d’autres lieux et qui peut protéger les employés autant que les détenus, contre l’infection à VIH. » [96]
Un obstacle important à l’acceptation et à la réussite du programme, dans la PC18, résidait dans le fait que les gardiens de la prison, initialement, continuaient de considérer les seringues comme des objets de contrebande et de les chercher pour les confisquer. Bien que la possession et la distribution de drogues demeurent illégales dans la prison, le Dr Bodrug explique : « Nous sommes parvenus à faire accepter aux gardiens que les seringues du projet seraient légales et qu’elles ne seraient plus confisquées. » [97]
Le fait d’impliquer des détenus comme bénévoles pour l’échange de seringues a eu des conséquences positives à d’autres égards, notamment un allégement de la stigmatisation et une augmentation de l’estime de soi parmi les détenus vivant avec le VIH/sida, une conscientisation accrue des détenus à la problématique de la transmission du VIH ainsi qu’une augmentation de la crédibilité des services de santé grâce à une image plus humaine. [98] Le fait que les seringues soient échangées par des détenus bénévoles, bien qu’il ait renforcé la confiance à l’égard du programme et son caractère anonyme, comporte un certain risque que l’information disséminée soit de qualité inférieure à celle que peut fournir un personnel expérimenté en soins de santé. Ainsi, la méthode doit s’accompagner d’un engagement à fournir une formation continue et du soutien aux pairs bénévoles.
Les programmes des prisons de la Moldavie n’appliquent pas une politique stricte d’échange d’une seringue stérile contre une usagée. Contrairement aux programmes des prisons de l’Ouest de l’Europe, on n’y fournit pas de coffret pour ranger la seringue et il n’y a pas de règles sur le lieu de rangement. À l’origine, la décision de ne pas fournir de coffret de plastique a été fondée sur des considérations de coût. Plus tard, il est devenu clair que les programmes fonctionnaient bien et de manière sécuritaire sans que l’on donne de coffret de rangement. On n’a noté, dans les projets des prisons moldaves, aucun cas de seringue utilisée comme arme, ni de problème associé à des seringues usagées.
De l’expérience de mise en œuvre du premier projet pilote d’échange de seringues dans une prison de Moldavie, le Dr Bodrug résume :
Il a fallu deux années pour briser la glace - la méfiance. Nous avons dû apprendre beaucoup, dire des choses étranges et agir bizarrement aux yeux d’une majorité [sceptique]. Mais la réduction des méfaits a fini par devenir une chose normale. Et puisque le chef de l’administration des prisons est en faveur de la réduction des méfaits, de même qu’à présent le ministre de la Justice, nous pouvons être confiants qu’il y aura une expansion. [99]
Situation actuelle
Un troisième programme d’échange de seringues en prison a été amorcé en août 2003 dans la prison pour femmes de Rusca. En 2003, on y avait recensé 17 cas de détenues vivant avec le VIH/sida, soit 12% de la population totale de cette prison. [100]
Kirghizstan [101]
Seulement les personnes ayant des problèmes de santé mentale et celles qui sont particulièrement violentes peuvent être exclues du recours à un programme d’échange de seringues.
Sommaire
Au Kirghizstan, un projet pilote d’échange de seringues en prison a été amorcé en octobre 2002. Au début de 2003, on a approuvé son expansion aux 11 prisons du pays. L’échange de seringues est maintenant disponible dans toutes les prisons kirghizes.
Le VIH/sida, le VHC et l’ID au Kirghizstan
L’augmentation marquée de l’injection de drogue, couplée à une situation socioéconomique difficile, au Kirghizstan, crée un risque important de croissance de l’épidémie du VIH. En juin 2003, on comptait 825 cas déclarés de VIH/sida, dont 82% étaient attribués à l’injection de drogue. [102] Selon un rapport publié par l’ONUSIDA et l’OMS en décembre 2002, « [u]ne augmentation de la propagation du VIH est maintenant aussi manifeste » au Kirghizstan. [103]
Le VIH/sida, le VHC et l’ID dans les prisons du Kirghizstan
Dans les 11 prisons du Kirghizstan, le nombre de détenus vivant avec le VIH/sida s’est accru régulièrement en quelques années. En 2000, on ne comptait que trois cas connus de VIH dans les prisons du pays. En septembre 2001, ce nombre avait grimpé à 24 - la majorité touchant des personnes qui s’injectent des drogues. En novembre 2002, plus de 150 détenus vivaient avec le VIH/sida au Kirghizstan - soit 56% des cas déclarés au pays. [104]
L’injection de drogue et le partage de seringues sont répandus, dans les prisons kirghizes . Une enquête menée par un organisme non gouvernemental a révélé que 100% des employés correctionnels estimaient qu’il y a consommation de drogues en prison ; et que 90% des détenus utilisateurs de drogue affirmaient partager des seringues sans les désinfecter. [105]
Historique de la réaction au VIH/sida, au VHC et à l’ID dans les prisons du Kirghizstan
Les programmes de prévention du VIH dans les prisons kirghizes ont commencé en 1998, avant la détection d’un premier cas de VIH. Cette réponse initiale consistait en des programmes d’éducation pour les détenus et les employés de prison.
En février 2001, la Direction principale de l’application des peines et son Département des établissements correctionnels ont émis une « prikaz » (consigne) sur « la prévention du VIH/sida dans les prisons du Kirghizstan », enjoignant les établissements d’adopter des mesures pour prévenir la transmission du VIH parmi les détenus. Diverses initiatives de prévention du VIH et de réduction des méfaits ont été mises en œuvre, notamment la provision de condoms et de désinfectant, l’éducation à la prévention pour les détenus et les employés, l’éducation des pairs et le test volontaire du VIH. Un service non officiel d’échange de seringues a également été initié à l’intention des détenus vivant avec le VIH/sida.
L’introduction de programmes d’échange/distribution de seringues
Les agents correctionnels ont signalé des expériences très positives en lien avec le projet pilote.
Le premier programme
En octobre 2002, un projet pilote d’échange de seringues s’est amorcé dans la prison IK-47 (à sécurité maximale). Le projet dessert quelque 50 détenus qui échangent leurs seringues à tous les jours (le nombre moyen d’échanges quotidiens est d’environ 50).
On a décidé que les échanges devraient s’effectuer dans un lieu où les détenus ne pourraient pas être vus par les gardiens de sécurité - on a donc choisi l’unité médicale. L’échange de seringues est offert à tous les détenus, dans l’unité des narcotiques de l’hôpital central de l’établissement. Un détenu peut demander à se rendre à l’unité médicale pour recevoir des services, et échanger sa seringue par la même occasion. Une autre option est offerte : l’échange de seringues par des pairs bénévoles, comme dans le modèle moldave. Les coordonnateurs du projet ont jugé ces deux approches nécessaires.
Au début du projet pilote, tous les participants ont reçu une seringue. Chaque seringue usagée pouvait être échangée contre une neuve. Seuls les détenus inscrits au projet pilote pouvaient accéder au service. On a comptabilisé les échanges et fourni de l’éducation au personnel.
Expansion à d’autres prisons
Les programmes d’échange de seringues en prison favorisent la référence des utilisateurs à des programmes de traitement de la toxicomanie.
Au début de 2003, on a approuvé la provision de seringues stériles dans toutes les prisons du Kirghizstan. En septembre 2003, des programmes d’échange de seringues fonctionnaient dans six prisons sur onze (cinq pour hommes et une pour femmes). En février 2004, des fonds ont été obtenus pour l’expansion du programme à l’ensemble du système ; et dès avril 2004, l’échange de seringues était disponible dans toutes les prisons du pays. [106]
Dans les 11 prisons du Kirghizstan, l’échange de seringues s’effectue par le biais de détenus qui ont reçu une formation de pairs intervenants et qui collaborent avec l’unité médicale. Ce modèle a été adopté à la lumière de préoccupations qui ont émergé lorsque l’unité médicale était l’unique point d’échange. Étant donné que les détenus pouvaient seulement y obtenir des seringues pendant la journée, et qu’une grande partie du trafic de drogue s’effectue le soir, certains détenus qui ne consomment pas de drogue se procuraient des seringues stériles le jour, pour les vendre le soir à des détenus qui s’injectent des drogues. Ce problème a été corrigé par l’introduction du modèle des pairs intervenants. Puisque ceux-ci vivent dans la prison, ils sont disponibles 24 heures sur 24 pour fournir des seringues ; le problème de la redistribution de seringues à but lucratif a été éliminé.
En septembre 2003, environ 470 utilisateurs de drogue avaient quotidiennement recours aux six programmes d’échange de seringues disponibles. En avril 2004, après l’expansion du programme aux 11 prisons, ce nombre a augmenté à près de 1 000. [107] Les utilisateurs de drogue reçoivent une seringue stérile et trois aiguilles. Cela leur permet de s’injecter jusqu’à trois par jour sans avoir à réutiliser une aiguille. Cette approche réduit également les coûts du programme, puisqu’une aiguille est moins dispendieuse qu’une seringue.
On n’a recensé aucun cas d’utilisation d’une seringue comme arme ; et les employés des prisons ont signalé une diminution des problèmes liés à l’injection (comme les abcès).
Situation actuelle
Des programmes d’échange de seringues fonctionnent dans les 11 prisons du Kirghizstan. On envisage la mise en œuvre d’un projet pilote d’entretien à la méthadone en 2004.
Biélorussie
Sommaire
La République de Biélorussie a amorcé un projet pilote d’échange de seringues dans une prison, l’École de réforme 15/1 de Minsk, en avril 2003.
Le VIH/sida, le VHC et l’ID en Biélorussie
Il est toujours préférable de trouver un moyen de fournir du matériel stérile à un détenu qui s’injecte des drogues que de le pousser dans une situation où il partagera du matériel usagé.
Au 1er septembre 2003, on comptait 5 165 cas connus de VIH/sida en Biélorussie. [108] Le VIH et l’injection de drogue soulèvent d’importantes préoccupations. En avril 2003, quelque 9 400 personnes étaient officiellement inscrites à des services de traitement de la toxicomanie. Ce nombre croît de 20% à 40% par année. On considère toutefois ces données sur les traitements comme une sous-estimation de la réalité ; le nombre réel d’utilisateurs est plutôt estimé entre 40 000 et 43 000. En Biélorussie, 91% des utilisateurs de drogue pratiquent l’injection. L’injection de drogue est la principale cause de transmission du VIH - 75,5% des personnes séropositives ont contracté l’infection par cette voie. [109]
Le VIH/sida, le VHC et l’ID dans les prisons de Biélorussie
En mai 2003, on comptait 1 131 détenus connus comme étant séropositifs au VIH, en Biélorussie - soit 22,5% de tous les cas déclarés de VIH au pays. [110]
Historique de la réaction au VIH/sida, au VHC et à l’ID dans les prisons de Biélorussie
Les détenus biélorusses se voient imposer le test du VIH à leur entrée dans un centre de détention. [111] Le programme d’échange de seringues fait partie d’une initiative qui englobe l’éducation aux employés et détenus, l’éducation des pairs, la provision d’information, le test volontaire du VIH et la distribution de condoms et d’eau de Javel. Ce projet bénéficie du soutien du Comité de l’application des peines du ministère des Affaires intérieures et de l’administration de la prison.
L’introduction de programmes d’échange/distribution de seringues
Il est possible de mettre rapidement en œuvre des programmes d’échange de seringues en prison, à l’échelle nationale, si une volonté politique se combine à un solide plan de réalisation
Le projet pilote s’est amorcé en avril 2003 à l’École de réforme 15/1 de Minsk, qui compte environ 2 000 détenus. Ce site a été sélectionné en raison de la disponibilité de spécialistes scientifiques et médicaux et de l’Hôpital national qui fournit des soins primaires à tous les détenus biélorusses connus comme séropositifs au VIH. [112]
Le projet pilote se poursuivra jusqu’en 2004. Dans l’établissement de Minsk, 28 détenus y sont inscrits, mais on estime à environ 200 le nombre réel d’utilisateurs de drogue. Quinze détenus sont connus comme étant séropositifs. Le programme est accessible à tous les détenus de l’établissement. Son fonctionnement s’inspire du modèle moldave : 20 détenus bénévoles distribuent des seringues à leurs pairs. Durant le premier mois, plus de 100 seringues ont été distribuées. [113]
Évaluation et leçons à retenir
Certains défis ont été identifiés dans la mise en œuvre du programme, notamment la réticence d’employés, l’absence d’un cadre juridique pour appuyer le programme, la courte durée du projet pilote, et le fait que les détenus qui consomment des drogues subissent encore des sanctions s’ils sont découverts. On n’a rapporté aucun cas d’utilisation d’une seringue comme arme. Le programme n’a pas encore été évalué. [114]
Situation actuelle
Le projet pilote devait s’achever en janvier 2004 mais a été prolongé jusqu’en juin. Entre-temps, l’échange de seringues a été étendu à deux autres prisons. Le ministre des Affaires intérieures est disposé à étendre ce programme à toutes les prisons du pays, mais la mobilisation de ressources est un important obstacle à cet objectif. [115] On envisage aussi la possibilité d’amorcer un programme d’entretien à la méthadone. [116]
En Moldavie, 210 détenus vivaient avec le VIH/sida, en septembre 2002.
En mai 1999, un programme pilote d’échange de seringues a été établi dans la Prison Colony 18, un établissement à sécurité moyenne/maximale logeant 1 000 détenus.
Pour rendre l’échange de seringues réellement anonyme, l’unité médicale de la prison a recruté huit volontaires pour faire l’échange secondaire dans toute la colonie carcérale.
Les pairs bénévoles distribuent des condoms, des désinfectants, des tampons antiseptiques ainsi que des rasoirs.
L’implication de détenus comme bénévoles à l’échange de seringues a eu des conséquences positives dans d’autres domaines.
L’échange de seringues est maintenant disponible dans toutes les prisons du Kirghizstan.
La Biélorussie a amorcé un projet pilote d’échange de seringues dans une prison en avril 2003.