V. Protection des droits de l’homme dans le contexte de l’immigration et de l’asile
92. Le Commissaire s’est exprimé sur la situation particulière survenue de la fin de l’année 2007 jusqu’en février 2008 en lien avec l’arrivée conséquente de migrants sans titre d’entrée à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle ainsi que les conditions de rétention au CRA du Mesnil-Amelot. Il entend ici aborder d’autres questions liées à la mise en œuvre de la politique migratoire adoptée par la France au cours des dernières années
et de ses conséquences éventuelles sur le respect effectif des droits de l’homme.
1. La rétention administrative
93. Le nombre et la taille des centres de rétention administrative ont été adaptés au renforcement de la lutte contre l’immigration irrégulière passant de 786 places en 2003 à 1 700 à la fin de l’année 2007. Des modifications matérielles importantes ont également été entreprises pour améliorer les conditions d’accueil et d’hébergement des étrangers placés en rétention. Ainsi, trois nouveaux centres de rétention sont entrés en fonction en 2007 à Nîmes, Rennes et Metz. Ces travaux ont été salués par plusieurs associations rencontrées par le Commissaire.
94. Toutefois, les conditions de vie dans certains centres de rétention demeurent difficiles. Le centre de Vincennes semblait cristalliser un grand nombre de récriminations. Il apparaît en effet que des pétitions, tentatives de suicide, automutilations et grèves de la faim étaient malheureusement fréquentes dans ce centre. Elles pouvaient s’expliquer pour partie comme une protestation contre leur arrestation. Toutefois, il apparaît également que les étrangers contestaient les conditions d’hébergement et l’aspect déshumanisé du centre qui avait une capacité d’accueil totale [1] de 280 personnes. Enfin, il avait été fait état au Commissaire de tensions entre les étrangers retenus et les forces de police en charge de la gestion du centre et du dépôt d’au moins 13 plaintes pénales par les étrangers concernant l’usage des méthodes inappropriées voire violentes. L’incendie volontaire qui a ravagé les locaux du centre de rétention en juin 2008 a été le point culminant de ces tensions. Le Commissaire ne peut que souhaiter que ces incidents inciteront les autorités françaises à revoir de façon critique l’ensemble des conditions prévalant dans les centres de rétention et à les humaniser en concertation avec le nouveau Contrôleur Général des lieux de privation de liberté.
95. Le Commissaire a aussi été alerté par différentes associations ainsi que par la CNDS [2] concernant les conditions d’accueil inacceptables qui seraient offertes par le centre de rétention de Mayotte qualifié d’ « indigne [pour] la République ». Plusieurs rapports [3] ont fait état de la surpopulation outrancière [4], des conditions d’hébergement contraires à la dignité humaine, du manque d’hygiène, de la précarité des installations, de la non séparation des enfants ou des repas servis à même le sol. Enfin, des enfants étrangers séparés sont parfois expulsés en contravention avec le droit international et français.
Le Commissaire appelle les autorités françaises à ce que les droits de l’homme et la dignité humaine soient respectés dans l’ensemble des centres de rétention administratifs et que les conditions de vie offertes aux étrangers retenus à Mayotte soient immédiatement améliorées.
96. Malgré la recommandation du rapport de 2006, la présence d’enfants accompagnant leurs parents en centre de rétention administrative s’est accrue. Onze CRA ont été aménagés spécialement pour recevoir des familles. En 2007, la CIMADE a comptabilisé 154 familles accueillies avec 242 enfants de tous âges. Il est à regretter que les centres de rétention administrative et les zones d’attente à la frontière soient les seuls lieux en France où des mineurs de moins de treize ans sont privés de liberté.
Selon les statistiques collectées par la CIMADE, près de 80 % des enfants retenus en 2007 avaient moins de 10 ans [5] et des nourrissons de 15 mois voire des nouveau-nés - 3 semaines - ont été placés en rétention avec leurs parents. Si cette privation de liberté est en générale inférieure à 2 jours, dans 28 % des cas elle se prolonge pendant plus de 10 jours [6]. De plus, le nombre de places réservées aux familles étant insuffisant, il arrive que des familles soient retenues dans des CRA ordinaires, où les enfants sont mélangés avec des adultes.
97. Dans son rapport de 2006, le Commissaire soulignait ses inquiétudes sur les conditions d’interpellation des enfants et sur le fait que « les problèmes juridiques et humains que pose la présence d’enfants en rétention semblent totalement sousévalués par les autorités françaises ». Ces remarques sont malheureusement toujours d’actualité et les autorités ne comptabilisent toujours pas le nombre d’enfants ayant séjourné dans les CRA ni le nombre d’enfants expulsés. Surtout, le Commissaire invite les autorités à ne recourir à la rétention administrative de familles que dans des cas d’extrême nécessité afin de ne pas créer un traumatisme irrémédiable pour les enfants.
2. Conséquences de la définition d’objectif chiffré de reconduites d’étrangers
a. Rapports entre les étrangers et les autorités
98. Depuis 2005, les autorités françaises ont pris la décision de déterminer en début d’année le nombre d’étrangers irréguliers qu’il convient d’éloigner volontairement ou non avant le 31 décembre. Cet objectif est passé de 20 000 reconduites en 2005 à 26 000 pour l’année 2008. Les autorités reconnaissent toutefois qu’elles ne pourront pas par ce biais mettre un terme à la présence d’étrangers irréguliers sur le territoire français - estimés entre 400 000 et 600 000. La détermination de cet objectif quantitatif semble donc plus dépendante de la capacité supposée de l’administration à les atteindre que de la volonté de faire disparaître un tel phénomène.
99. Comme indiqué dans le cadre de sa visite des Zones d’attentes de l’aéroport de Roissy et du CRA du Mesnil-Amelot, le Commissaire craint que la pression engendrée par les objectifs chiffrés de reconduite à la frontière pousse les force de l’ordre à procéder à de plus en plus d’interpellations avec des méthodes parfois contestables. Plusieurs associations ont fait état auprès du Commissaire d’un accroissement des contrôles « au faciès » et du détournement de commissions rogatoires afin de procéder à des contrôles d’identité sur une zone étendue. Quatre citoyens français auraient ainsi été placés en rétention en 2007 avant d’être ultérieurement libérés. Dans son avis sur la situation à Mayotte, la CNDS dénonce la reconduite à la frontière de citoyens français vers les Comores. Ces pratiques illégales sont heureusement exceptionnelles mais démontrent l’impact que peut avoir une politique centrée sur la réalisation de chiffres où le quantitatif prime parfois sur la nécessaire obligation de respecter les droits des individus.
100. Evoquant la question des interpellations d’enfants étrangers, le Ministre de l’Immigration a indiqué au Commissaire qu’il avait donné des instructions claires pour qu’aucune interpellation n’ait lieu dans, ou à proximité immédiate, des établissements scolaires. Le Commissaire salue cette volonté affirmée. Toutefois, il apparaît que ces instructions ne sont pas pleinement mises en œuvre car plusieurs cas récents, dont un vérifié par la Défenseure des enfants, où des policiers ont réalisé des arrestations d’enfants dans l’enceinte même d’écoles primaires ont été rapportés. Une telle pratique est intolérable tant elle est traumatisante pour les enfants. Les écoles doivent rester des lieux d’enseignement et d’éducation et non des zones d’interpellations. Le Commissaire appelle les autorités françaises à garantir qu’aucune arrestation [7] d’enfants ou de parents ne soit faite dans ou autour des écoles.
101. Des interpellations ont également eu lieu dans l’enceinte même des préfectures. Il semble que certains services administratifs avaient mis en place des stratagèmes pour inciter les étrangers irréguliers à venir se présenter à la préfecture et les interpeller sur place. Si les convocations trompeuses à venir se présenter à la préfecture ont depuis été interdites par les juridictions françaises, les préfectures continuent de refuser de communiquer des informations par téléphone et requièrent la présentation des étrangers en préfecture. Dès lors, des étrangers continuent de se présenter au guichet en toute bonne foi pour déposer des demandes de régularisation ou s’enquérir de l’avancement de leur demande d’asile. En 2007, près de 600 étrangers ont ainsi été arrêtés et placés en rétention [8]. La préfecture devient le lieu de tous les espoirs mais aussi de toutes les peurs entre possibilité de régularisation et risque d’arrestation.
Comme les écoles, le Commissaire considère que les préfectures devraient être des lieux protégés où aucun étranger ne devrait pouvoir être interpellé.
102. Il est à craindre que les services administratifs, confrontés à une obligation de résultat quant aux objectifs de retour, appliquent la loi d’une manière de plus en plus mécanique et sous un angle plus répressif ne leur permettant souvent plus de mesurer la réalité des situations humaines derrière chaque dossier.
103. Le Commissaire appelle les autorités françaises à prendre en compte ces conséquences et à ne plus recourir à la détermination du nombre de migrants irréguliers à reconduire.
104. Enfin, lors de retours forcés d’étrangers irréguliers sur des vols commerciaux, il arrive que les passagers s’insurgent contre cette expulsion auprès du personnel navigant.
Une fois embarqué, le commandant de bord peut encore décider de refuser l’expulsion s’il considère qu’elle perturbe le bon déroulement de son vol. Si le commandant de bord en décide ainsi, il arrive que la police interpelle, en représailles, un petit nombre de passagers ayant protesté pacifiquement ou filmé la scène. Ils sont ensuite poursuivis pour « entrave à la circulation d’un aéronef », « outrage à agent » ou « incitation à la rébellion », placés en garde à vue pendant plusieurs heures et poursuivis pénalement pour les faits incriminés. Certains passagers ont même subi l’humiliation de fouilles à corps intrusives. De plus, ils perdent en général le bénéfice de leur billet d’avion et sont parfois mis sur une liste noire de la compagnie aérienne qui les empêche de voler sur cette même compagnie pendant six mois. Cette pratique est d’autant plus regrettable que lors de la visite du Commissaire en 2005, le Ministre de l’Intérieur avait « proposé que chaque expulsion soit filmée afin de réduire tout risque d’usage disproportionné de la force, et toutes fausses allégations de mauvais traitements » [9].
105. Au cours de sa visite, le Commissaire n’a pu obtenir de données précises sur l’ampleur de ces pratiques mais leur existence ne peut être contestée [10]. Le Commissaire invite les autorités françaises à y mettre un terme sans délai.
b. L’accès des immigrés irréguliers aux régularisations
106. En juillet 2006 l’« admission exceptionnelle au séjour » a remplacé la procédure de régularisation des sans papiers justifiant de dix ans de résidence en France. Etablie en 1997, cette procédure permettait aux étrangers irréguliers attestant de dix années de présence sur le territoire français d’obtenir un titre de séjour. Considérée comme donnant une prime à l’illégalité, le Gouvernement a décidé de remplacer cette possibilité par la création d’un mécanisme de régularisation moins automatique.
L’admission exceptionnelle au séjour offre une possibilité de régularisation pour des cas humanitaires, exceptionnels ou liés à l’exercice d’une activité professionnelle caractérisée par des besoins de main d’œuvre. Cette réforme a entraîné une diminution importante du nombre de personnes régularisées. Aucun texte ne définit précisément les critères et les preuves à apporter pour bénéficier d’une telle régularisation. Ceci accroît encore le caractère individualisé et potentiellement arbitraire de ce processus.
107. Depuis 2006, deux régularisations « collectives » ont été entreprises : en juin 2006 concernant les familles d’enfants scolarisés et plus récemment en faveur d’employés de la restauration. Dans les deux cas, les régularisations se sont faites sur le fondement des dossiers déposés par les demandeurs. Il convient en premier lieu de saluer la volonté gouvernementale de prendre en compte la spécificité de certaines 22
catégories d’étrangers « sans-papier ». Toutefois, de nombreux observateurs ainsi que les médias ont indiqué que le nombre de régularisations avaient été prédéterminé par les autorités ministérielles compétentes avant même l’examen individuel des dossiers ; ce nombre étant, dans les deux cas, bien inférieur au nombre d’étrangers susceptible de remplir l’ensemble des conditions requises. Cette prédétermination a engendré une application subjective et inégalitaire voire arbitraire des critères de régularisation.
108. Ces régularisations collectives ont par ailleurs permis de constater que de nombreux étrangers irréguliers étaient pleinement intégrés dans la société française et, bien que sans papier, ils disposaient pour la plupart d’un logement, d’un travail et contribuaient à la croissance du pays par le paiement des impôts. Lors de sa visite au centre de rétention du Mesnil-Amelot, le Commissaire a d’ailleurs pu confirmer cette impression en discutant avec les retenus qui pour beaucoup avaient été interpellés alors qu’ils se rendaient à leur travail.
109. Le Commissaire appelle à rendre plus transparents les critères d’attribution des procédures de régularisation ainsi qu’à communiquer régulièrement sur le nombre de régularisations délivrées.
c. Droit au regroupement familial
110. Concernant les demandes de regroupement familial réalisées pour des membres de la famille d’un Français ou d’un étranger résidant régulièrement sur le territoire, en plus des critères liés à la taille de l’habitat et aux revenus de la famille, la loi du 20 novembre 2007 requiert une évaluation des connaissances de la langue française et des valeurs de la République avant la délivrance du visa. Une fois arrivées en France, ces mêmes personnes sont soumises à la signature et au respect d’un contrat d’accueil et d’intégration. Par ce contrat, elles s’obligent à suivre une formation civique et, si besoin, une formation linguistique. En cas de non respect de ce contrat, la loi prévoit que l’administration peut suspendre les allocations familiales versées à la famille voire retirer le titre de séjour. Cette disposition a été considérée comme discriminatoire par la HALDE [11].
111. Il semble exister un traitement inégalitaire selon que l’étranger demandant le regroupement familial est marié avec un français ou avec un ressortissant communautaire. Dans le premier cas, l’étranger désireux de venir s’installer en France, bien que marié à un/e Français/e, doit passer par les étapes précédemment décrites.
Dans le second cas, dès lors que le ressortissant communautaire est en situation régulière en France, son conjoint - ressortissant d’un Etat tiers - est autorisé de plein droit à séjourner en France, sans être soumis à l’obligation de visa de long séjour, ni à la pré-condition de connaître les valeurs et la langue française ou à la signature d’un contrat d’intégration.
112. Le Commissaire invite les autorités françaises à clarifier les modalités du regroupement familial, à ne pas imposer des conditions disproportionnées pour permettre aux personnes résidant en France de jouir de leur droit à une vie privée et familiale et à ne pas créer des situations discriminatoires.
113. Les étrangers s’étant vus reconnaître le statut de réfugié en France peuvent solliciter le « rapprochement familial », procédure distincte du regroupement familial. Par cette procédure, les conjoints et enfants mineurs d’un réfugié peuvent obtenir une carte de résident en France.
114. La délivrance des autorisations permettant aux membres de la famille d’un réfugié de rejoindre le territoire français devrait normalement se faire avec la plus grande diligence. Dans la pratique, le délai moyen d’aboutissement de cette procédure se monte pourtant à 468 jours [12]. Ce délai excessivement long s’explique par la 23 multiplication des acteurs intervenants dans le traitement de ces demandes. Si l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (« OFPRA ») a considérablement réduit le temps de vérification de la composition familiale, il semble que les consulats français continuent d’opposer aux familles une suspicion souvent insurmontable. La longueur de cette procédure et le danger de demeurer dans le pays en raison des risques de persécutions en cascade poussent parfois ces personnes à rejoindre le membre de famille en France par des voies clandestines.
115. Le Commissaire invite les autorités françaises à garantir le rapprochement familial dans des délais beaucoup plus brefs afin d’éviter de faire peser sur les familles de réfugiés des dangers pour leur intégrité physique et morale.
3. Procédures d’asile
a. Evolution du droit d’asile en France
116. En 2007, l’OFPRA a enregistré 35 520 demandes d’asile dont 23 807 premières demandes et a accordé une protection à 3 401 personnes : soit un taux d’accord de 11,6 % contre 7,8 % en 2006. De son côté, l’instance d’appel a accordé une protection à 5 413 demandeurs. Au total, la France a accordé près de 9 000 titres de protection en 2007 contre 7 354 en 2006. Il convient donc de saluer cet accroissement substantiel tout en s’interrogeant sur les raisons qui légitiment le nombre plus important de titres de protection accordé en appel que devant l’OFPRA.
117. La loi du 20 novembre 2007 transforme la Commission des recours des réfugiés en Cour nationale du droit d’asile (« CNDA »). Ce changement d’appellation préfigure également un changement d’autorité de rattachement. En effet, au 1er janvier 2009, la CNDA devrait être séparée de l’OFPRA et rattachée au Conseil d’Etat. Le gouvernement étudie également la possibilité de donner un statut permanent aux membres des formations de jugement de la CNDA qui ne sont actuellement que vacataires. Cette autonomisation administrative mais également budgétaire de la CNDA va dans le sens des recommandations du Commissaire en 2006 tant il importe de donner une voie de recours effective aux demandeurs d’asile.
118. La loi du 24 juillet 2006 transpose en France les dispositions de la directive européenne 2005/85/CE concernant les procédures d’asile permettant la création de listes nationales de pays d’origine sûrs. Le droit d’asile a subi de nombreuses modifications au cours de ces dernières années. La loi du 10 décembre 2003 a introduit la notion de "pays d’origine sûr" qui débouche sur une procédure dite "prioritaire" d’examen en 15 jours par l’OFPRA, et 96 heures si l’étranger est retenu en centre de rétention administrative [13].
119. En février 2008, cette liste établie par le Conseil d’administration de l’OFPRA regroupait 15 Etats [14] considérés comme sûrs. Sur le fondement de cette liste, les préfectures refusent fréquemment l’admission provisoire au séjour et ont recours à la procédure prioritaire pour les demandeurs d’asile originaires des pays d’origine « sûrs » quand bien même ils ne sont pas liés par celle-ci. En 2007, ce sont 85,2 % de ces demandeurs d’asile venant de pays d’origine sûrs qui ont été placés en procédure prioritaire par les préfectures. La possibilité de faire retirer un pays de cette liste est complexe et peut prendre du temps comme le montre le recours initié devant le Conseil d’Etat et sa décision du 13 février 2008 de faire retirer deux Etats. Les difficultés rencontrées actuellement par la Grèce dans le traitement des demandes d’asile est un autre exemple. Enfin comme cela a déjà été affirmé par le Commissaire, « même dans les pays réputés sûrs, des cas de discrimination suffisamment graves pour constituer des traitements dégradants au sens de l’article 3 peuvent se produire » [15] notamment à l’égard des membres de minorités ou des communautés « lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres ». Ces éléments plaident en faveur d’un traitement égalitaire des demandeurs d’asile quelque soient leur pays d’origine. Dès lors, le Commissaire invite les autorités françaises à faire une utilisation des plus prudentes de cette liste et à garantir qu’elle n’aura pas un effet automatique sur le traitement de la demande d’asile qui doit toujours être individuellement analysée.
120. La loi du 24 juillet 2006 réglemente également le système d’accueil des demandeurs d’asile en prévoyant la systématisation de l’offre d’hébergement en Centre d’accueil des demandeurs d’asile (« CADA ») et en centralisant la gestion de ces centres. L’idée générale de cette réforme est d’augmenter le nombre de demandeurs d’asile accueillis en CADA et de favoriser la sortie des personnes déboutées et le relogement des réfugiés statutaires dans des structures plus appropriées (logements sociaux notamment). La loi prévoit enfin une généralisation de l’aide juridictionnelle à partir du 1er décembre 2008. Pour le moment, cette aide juridictionnelle est limitée aux demandeurs d’asile entrés régulièrement sur le territoire. Le Commissaire salue ces avancées majeures dans le renforcement des droits des demandeurs d’asile.
121. Enfin, la loi du 20 novembre 2007 a introduit un recours suspensif pour la procédure de demande d’asile à la frontière, suite à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 26 avril 2007 [16]. Tout en saluant la célérité avec laquelle la décision a été prise en compte en droit interne, le Commissaire a pu entendre certaines réserves quant aux modifications apportées. Ainsi, la CNCDH indique entre autres que le nouveau texte de loi "introduit un recours suspensif pour la seule procédure de demande d’asile à la frontière, limitant ainsi la réforme à la procédure concernée par le cas d’espèce pour lequel la France a été condamnée par la Cour. Or, il y a d’autres procédures dans le domaine du droit d’asile ou du droit des étrangers dans lequel un recours suspensif n’est pas prévu" [17]. De plus, l’effectivité du recours est remise en cause par nombre d’observateurs [18] en raison notamment du délai extrêmement bref - 48 heures - pour formuler l’appel. Ce délai court est également applicable pendant les week-ends ou les jours fériés et il n’est pas rare que des décisions de rejet soient notifiées le vendredi soir voire le samedi ou le dimanche. L’aide juridique en zone d’attente est généralement fournie par des militants associatifs qui ne sont pas présents dans l’ensemble des zones et ne peuvent offrir un service continu en raison du caractère non rétribué de leur engagement. Enfin, il n’est mis à la disposition des demandeurs d’asile, pour leur permettre de formuler leur appel, aucun moyen de communication avec l’extérieur en dehors de ceux offerts par les associations.
122. Le Commissaire invite donc les autorités à analyser, en concertation avec les institutions nationales indépendantes, les barrières juridiques et pratiques pouvant limiter l’accès effectif à un recours contre une décision de rejet de demande d’asile à la frontière.
b. Procédure d’asile en centre de rétention
123. La procédure de demande d’asile pour les étrangers retenus dans les centres de rétention administrative est traitée de manière prioritaire. En 2007, 1 436 personnes ont demandé l’asile en rétention ce qui représente plus de 20 % des demandes dites « prioritaires ». La législation prévoit que les personnes retenues doivent formuler leur demande d’asile dans un délai maximum de cinq jours. Cette demande doit être rédigée exclusivement en langue française et le retenu ne peut bénéficier de l’assistance gratuite d’un traducteur. En plus du délai extrêmement court pour rédiger leur demande et collecter les documents nécessaires, les étrangers sont parfois confrontés à des difficultés matérielles insurmontables en fonction du CRA dans lequel ils sont retenus : interprétation quasi inaccessible même pour ceux pouvant se l’offrir,
interdiction dans certains centres de posséder un stylo (considéré comme dangereux), absence de locaux adaptés pour rédiger une demande d’asile. Dans son rapport publié le 10 décembre 2007, le CPT recommande que ce délai soit porté à 10 jours. De son côté le Comité contre la torture des Nations Unies s’était dit « préoccupé par le caractère expéditif de la procédure dite prioritaire concernant l’examen des demandes déposées dans les centres de rétention administrative ou aux frontières, qui ne permet pas une évaluation des risques conformes à l’article 3 de la Convention » [19].
124. La procédure impose un délai extrêmement bref pour la formulation de la demande d’asile, elle contraint aussi l’OFPRA à analyser la demande et à statuer dans un délai de 96 heures. L’ensemble de la procédure d’asile dans les centres de rétention apparaît donc comme expéditive laissant implicitement présumer que la demande est abusive. De surcroît, le demandeur ne dispose pas d’un recours effectif contre la décision de rejet car l’appel devant la CNDA n’est pas suspensif. Il peut toutefois contester la décision administrative d’éloignement devant les juridictions administratives. Le rapport de 2006 avait déjà fait état de ces considérations, le Commissaire réitère ses préoccupations et invite les autorités françaises à revoir au plus vite les mécanismes et délais liés aux demandes d’asile en rétention.
125. Enfin, des organisations ont indiqué au Commissaire plusieurs cas dans lesquels des demandeurs d’asile retenus étaient présentés à leur consulat, dans le but d’obtenir un laissez-passer consulaire, alors que la demande d’asile est en cours d’examen à l’OFPRA. Une telle présentation met en danger non seulement la personne retenue qui demande justement la protection de la France en raison de menaces pesant sur elle dans son pays, mais aussi sa famille ou ses proches qui y demeurent encore. Le Commissaire invite instamment les autorités françaises à assurer que de telles pratiques soient immédiatement prohibées.