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7 Notion de droit, sens de la prison, sens de la peine

Mise en ligne : 13 décembre 2006

Texte de l'article :

VII. Pour une véritable réflexion de la société sur la notion de droit et sur le sens de la prison et le sens de la peine.

Pourquoi tant de lois, d’articles du Code de Procédure Pénale, du Code de la Santé, du Code de déontologie médicale, de circulaires, de règlements, de recommandations prenant en considération la dignité et la santé de la personne incarcérée n’ont-ils pas, ou seulement partiellement, été appliqués ?
Pourquoi tant d’études et de rapports effectuées par les institutions françaises ou européennes les plus reconnues - le Sénat, l’Assemblée Nationale, l’Inspection Générale des Affaires Sociales, l’Académie de médecine, le Commissariat Européen aux Droits de l’Homme la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, le Conseil
Economique et Social, - dénonçant l’indignité dans laquelle vivent les détenus - et par voie de conséquence, les personnels pénitentiaires - n’ont-ils eu aucun effet, ou si peu d’effets ?
Pourquoi tant d’appels, lancés depuis des années par des professionnels (avocats, psychiatres, médecins...) ou des associatifs - membres de la Cimade, du Gisti, de l’Observatoire International des prisons, du Comité pour la prévention de la torture... - n’ont-ils reçu aucune réponse, ou si peu ?
Pourquoi tant d’inertie quand il s’agit de la prison ?
La réponse est à chercher, sans doute, dans la signification donnée par la société française à la sanction - la peine que doit subir toute personne ayant commis un crime ou un délit et plus particulièrement à la peine de prison.
Notre société semble animée de plus en plus par un seul impératif, dont certains voient l’explication dans la peur : « Accroître la sévérité à l’égard des délinquants et des déviants, augmenter les peines, les allonger, les rendre toujours plus dures et humiliantes dans l’espoir qu’elles soient dissuasives [1] ... »
En quête de sécurité, notre société oublie que la peine de prison se définit seulement par une privation de la liberté d’aller et venir.
Elle ne réalise pas que cette sanction n’a de sens que si l’on offre à celui qui la subit la possibilité d’évoluer, de se transformer afin de pouvoir ensuite se réintégrer et vivre en citoyen. Toute personne incarcérée est amenée à en sortir. Accroître les "entrées" pour rassurer l’opinion générale et ne pas se préoccuper de la "sortie" quizinquiète cette même opinion, revient à nier le contenu de la sanction et à aggraver la peine toujours provisoire en l’assortissant d’une atteinte à la dignité de l’individu, médicalement affecté pour toujours et définitivement déconstruit.
Notre société paraît confondre sanction, réparation et vengeance, comme le soulignait en 2005 dans son rapport le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe : « la volonté de certains de faire à tout prix en sorte que les conditions de détention soient encore plus difficiles ne peut que s’expliquer que par la volonté de se venger de la personne déjà punie...
De lieu de punition, une prison doit devenir celui de la réinsertion et non celui du durcissement et de la préparation à la récidive. »
L’état d’esprit mortifère génère de graves problèmes dont voici les plus criants :
- Les personnes malades mentales ayant commis par déraison des actes criminels ou délictueux sont de moins en moins reconnues comme irresponsables. La « folie » dont on sait pourtant qu’elle n’est rien d’autre qu’une maladie difficile à vivre et à guérir « à cessé d’être innocente ». Et ceux qui en sont atteints ont perdu leur statut de malades.
- Les mourants, les grands vieillards, les personnes lourdement handicapées qui ne devraient pas ou plus vivre dans l’univers carcéral y demeurent. La raison en est à la fois le défaut d’attention portée à la loi, mais aussi la difficulté de trouver des lieux susceptibles de les accueillir, car même au terme de leur vie, ils demeurent suspects. Il est vrai que dans la vie hors de la prison, ces personnes particulièrement vulnérables sont déjà l’objet d’une grande indifférence.
- Les unités de visite familiale - implantées dans de nombreuses prisons chez nos voisins européens ou dans d’autres pays comme le Canada, et si nécessaires pour conserver les liens familiaux et favoriser la réinsertion - ne se développent en France que difficilement.
La raison en est l’incompréhension et le désaveu d’une société qui ne parvient pas à supporter l’idée que l’on puisse réconforter une personne vouée à la souffrance et à toutes les formes de privation.
Notre société en recherche de sécurité maximale ne veut rien voir de la souffrance de ceux qui ont pourtant été le plus souvent incarcérés en raison déjà d’un trop plein de souffrance mentale ou de misère affective et sociale.
Aussi un lourd silence pèse sur ce qui est subi de manière inhumaine : la surpopulation, la violence, le suicide, la maladie mentale, les conditions de vie indignes, le peu de place donnée à la réinsertion, le travail sous-rémunéré, l’insuffisante préparation de la sortie, les humiliations...
La condamnation de la France plusieurs fois portée par des Instances Européennes, l’appel sans cesse renouvelé des associations et des bénévoles accompagnant professionnellement ou caritativement les détenus, les conclusions de la Commission Parlementaire réunie à propos du procès d’Outreau ont eu si peu d’effets que surgit là une question éthique essentielle concernant la prison : « les détenus, dont certains sont innocents, d’autres « fous », et d’autres coupables, sont-ils encore à nos yeux des êtres humains à part entière ? ». S’ils sont déshumanisés, que peut-on attendre de leur comportement social, c’est à dire humain ?
Comment accepter que la prison demeure un lieu de punition, de souffrance, de maladie, de folie, d’exclusion et d’oubli, si l’on admet que son rôle est d’être un lieu où la sanction doit permettre à la personne de se reconstruire ?
Comment envisager une (re)insertion si la prison est un lieu où la régression, la perte d’autonomie, l’absence de projet, la violence et la dépendance sont la règle ?
Comment penser la (re)socialisation en prison si la prison désocialise ?
Comment enseigner, en prison et hors de prison, le respect de la loi et de la dignité humaine, si la société ne veille pas, dans ses prisons, au respect de la loi et de la dignité humaine ?
La question éthique majeure - qui est au cœur de l’éthique médicale, mais qui, comme souvent, dépasse largement ce cadre - est celle du respect de la dignité des personnes.
Il faut sans cesse rappeler que la prison est l’institution de la république à laquelle revient en dernier recours la charge d’appliquer et de faire appliquer la loi. La loi prévoit que la détention est une sanction définie par la seule privation de la liberté d’aller et venir. La prison ne peut être un lieu où le détenu n’a pas accès aux droits fondamentaux garantis à tous par la loi, et notamment le droit à la santé.
Pour cette raison, la réflexion sur la santé en prison ne peut être dissociée d’une réflexion sur la prison elle-même. Il s’agit d’un problème qui engage la société dans son ensemble : nous sommes tous, en tant que collectivité, et chacun d’entre nous, en tant que citoyen, responsables du respect de la dignité humaine des personnes détenues, qu’elles soient prévenues, en attente de jugement et présumées innocentes, ou qu’elles aient été condamnées « au nom du peuple français ».
Certains engagements ont été pris en 2006. La France a adopté en janvier 2006 les 108 recommandations du Conseil de l’Europe concernant la prison, s’engageant ainsi à les mettre en application. Le Ministre de la Justice a annoncé cet automne la proposition de confier au Médiateur de la République une mission de contrôle concernant la prison. Enfin, l’enquête réalisée par l’Observatoire International des Prisons (OIP) auprès des détenus et des professionnels dans les prisons, dont la publication a donné lieu cet automne, aux Etats Généraux de la prison, s’est, pour la première fois déroulée avec le soutien du Ministère de la Justice.
Il faut espérer que ces engagements traduisent une réelle évolution des mentalités, et conduiront rapidement à des changements significatifs concrets et visibles.

Notes:

[1] Journal Réforme (février 2006)