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(2004) L’échange de seringues en prison : leçons d’un examen complet des données et expériences internationales

8 Conclusion

Mise en ligne : 7 juin 2006

Texte de l'article :

Conclusion : un appel au leadership pour des programmes d’échange de seringues en prison 

Malgré le nombre relativement limité de pays qui ont implanté des programmes d’échange de seringues en prison, cette mise en œuvre a été réussie dans des prisons aux situations très diversifiées. On en trouve dans des pays de l’Europe occidentale ainsi qu’en Europe de l’Est et en Asie centrale ; dans des systèmes pénitentiaires bien financés et dans d’autres où il y a un grave manque de ressources ; dans des systèmes pénitentiaires civils et militaires ; dans des établissements entre lesquels les conditions d’hébergement des détenus sont très contrastées ; dans des prisons pour hommes et des prisons pour femmes ; et dans des établissements de toutes tailles et cotes de sécurité. Certains sont des projets pilotes isolés, d’autres sont une composante intégrée aux politiques de l’ensemble des prisons d’un système ; et diverses méthodes de distribution des seringues sont utilisées.

Les conditions et circonstances dans lesquelles ces programmes ont été mis en œuvre sont diversifiées, mais on observe une remarquable constance dans les résultats des programmes. La santé des détenus s’est améliorée. Le partage des seringues a diminué. Les craintes de violence, d’augmentation de l’usage de drogue ou d’autres conséquences négatives ne se sont pas matérialisées. Les données et expériences décrites dans ce rapport permettent de conclure sans équivoque que les programmes d’échange de seringues en prison sont un moyen efficace et fructueux pour contrer la transmission du VIH et du VHC par l’injection de drogue en prison.

Les données objectives ont souvent été reléguées à l’arrière-plan, dans ce dossier, pour des considérations politiques et idéologiques, et pour cause d’apathie du public devant les problèmes que rencontrent les détenus, les employés de prisons et les systèmes correctionnels. Plusieurs pays aux prises avec des taux élevés de VIH, de VHC et d’injection de drogue en prison refusent d’envisager d’y implanter des programmes d’échange de seringues même si l’on dispose à présent de données qui concluent à leur efficacité et à leur sûreté. C’est même le cas dans des pays, comme le Canada, qui ont déployé dans leurs prisons d’autres initiatives de réduction des méfaits en lien avec l’injection de drogue et la propagation du VIH et du VHC. Or, comme nous l’avons examiné dans ce rapport, une stratégie de réduction des méfaits qui n’inclut pas l’échange de seringues n’est qu’une mesure sanitaire sous-optimale - ce qui constitue une violation des normes internationales en matière de santé en milieu carcéral et un échec à appliquer les meilleures pratiques reconnues.

Parmi les leçons tirées de la recherche effectuée pour le présent rapport, deux s’imposent et doivent inciter les systèmes pénitentiaires qui sont aux prises avec des épidémies de VIH et de VHC alimentées par l’injection de drogue à mettre en œuvre des programmes d’échange de seringues.

Première leçon : l’échange de seringues en prison est une réponse sanitaire pragmatique et nécessaire, sécuritaire et efficace, devant les problèmes de la transmission du VIH et du VHC en lien avec l’injection de drogue. Dans des prisons de certains pays, l’échange de seringues est disponible depuis une décennie et il a été soumis à de rigoureuses évaluations. Les systèmes pénitentiaires et les gouvernements ne peuvent pas continuer de prétendre que les programmes d’échange de seringues en prison sont une intervention nouvelle qui n’a pas été évaluée, et faire fi de leurs responsabilités à l’égard de la santé carcérale. Ces programmes ne sont plus nouveaux et ils ont été évalués.

Deuxième leçon : aussi efficaces qu’elles soient dans la pratique, les initiatives de réduction des méfaits en prison demeurent controversées. Les décisions entourant les conditions dans les prisons, ou l’absence de décisions à certains égards, sont souvent fondées sur d’autres motifs que les données scientifiques, ce qui peut être néfaste à la santé des détenus, des employés de prisons ainsi que du grand public. Pour d’aucuns, les dossiers ayant trait aux prisons sont devenus un point de mire pour l’expression d’une idéologie politique - au mépris des données pertinentes à propos de mesures qui, de fait, favorisent la santé et la sécurité de tous. Le cas est manifeste en Allemagne, où des programmes d’échange de seringues qui fonctionnaient depuis longtemps, et qui étaient fructueux, ont été abolis par de nouveaux gouvernements.

De ces deux leçons, se dégage la nécessité de leadership de la part des élus et des autorités pénitentiaires pour mettre en œuvre des programmes d’échange de seringues en prison. Le leadership est nécessaire aussi de la part des employés de prisons (agents correctionnels et personnel de santé) et des médecins de la communauté qui font du travail en prison. Dans le contexte des programmes d’échange de seringues en prison, le leadership a plusieurs facettes. Premièrement, le leadership implique la compréhension des obligations légales des systèmes pénitentiaires de respecter, de protéger et de réaliser le droit des détenus à la santé. Deuxièmement, il nécessite la connaissance des données et de l’expérience issues de tels programmes qui sont déjà en fonction dans des prisons. Le présent rapport constitue une ressource complète, à l’heure actuelle, à propos de cette connaissance. Troisièmement, le leadership requiert une volonté et un engagement à faire en sorte que les éventuels programmes d’échange de seringues en prison soient adaptés aux besoins des détenus et des employés de prison (agents correctionnels et employés de santé). Cela implique que des détenus et des employés de prisons participent à la conception et à la mise en œuvre de ces programmes.