14600 articles - 12260 brèves

Affaire Emily Virginie RAFFRAY TADDEI - Requête no 36435/07 présentée contre la France

Mise en ligne : 16 avril 2011

En savoir plus
Texte de l'article :

EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – RAFFRAY TADDEI c. FRANCE
 

 CINQUIÈME SECTION

 Requête no 36435/07
 présentée par Emily Virginie RAFFRAY TADDEI
 contre la France
 introduite le 21 août 2007

 EXPOSÉ DES FAITS

 EN FAIT

 La requérante, Mme Emily Virginie Raffray Taddei, est une ressortissante française, née en 1962. Elle est actuellement incarcérée à Rennes.

 Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.

 La requérante a été condamnée pour divers motifs par plusieurs tribunaux correctionnels (pièces non produites).

 Pendant son incarcération, la requérante aurait eu des problèmes de santé graves : lobectomie du poumon gauche, infarctus, cancer de l’utérus et tumeur du bulbe du cerveau.

 Par un arrêt du 22 janvier 2004, la cour d’appel d’Aix-en-Provence aurait confirmé le rejet d’une demande de libération conditionnelle.

 Le 27 janvier 2004, l’observatoire international des prisons (O.I.P) écrivit au juge de l’application du tribunal de grande instance de Nice où la requérante était incarcérée pour dénoncer le manque de soins prodigués à son égard. Il fit valoir que « l’état d’avancement de la maladie dont [la requérante] est atteinte ne semble pas pouvoir tolérer le moindre retard dans les soins ». Le 28 janvier 2004, l’O.I.P publia un communiqué relatant les retards des soins de santé observés à l’égard des détenus hospitalisés à Nice, dont la requérante : « hospitalisée depuis le 8 août 2003 pour un cancer, Mme R. déclare avoir subi soixante-quatre reports de soins ou d’interventions ».

 Le 6 juillet 2004, le Dr C., praticien hospitalier au CHU de Montpellier, rédigea un certificat qui se lit comme suit :

 « Je soussigné (...) certifie que [la requérante] suivie dans notre établissement depuis 1997 suite à une réanimation pour décompensation respiratoire grave ayant subi une intubation trachéale de 9 jours après de nombreux autres séjours en réanimation présente des pathologies graves du système respiratoire.

 Cette patiente présente un asthme grave détecté dès l’enfance. Une lobectomie partielle gauche. Plusieurs pneumothorax et hémothorax ont entraîné des hospitalisations longues fragilisant la patiente. Les pathologies graves et multiples demandent un sérieux suivi et des soins rigoureux.

 Le non suivi entraîne une aggravation sur un sujet dont le mauvais état général empêche toutes explorations importantes et nous ne pouvons que pratiquer une amélioration de confort.

 Aux différentes pièces fournies par ma patiente, je ne peux que constater qu’une incohérence totale des traitements qui ont été mis en place pendant son incarcération. Je reste très surpris de ne jamais avoir été contacté pour fournir quelques renseignements sur ma patiente. »

 En 2006, la requérante aurait bénéficié d’une suspension de peine pour raisons de santé.

 Le 7 mai 2007, la requérante fut incarcérée à la maison d’arrêt de Borgo (Haute-Corse).

 Le 23 août 2007, la requérante présenta une demande urgente en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour afin d’obtenir « la suspension de sa peine pour raisons de santé ». Le 24 août 2007, le président de la Section III décida d’informer le gouvernement défendeur de l’introduction de la requête et l’invita à fournir des renseignements sur les faits conformément à l’article 54 § 2 a) du règlement.

 Le 12 septembre 2007, le Gouvernement répondit ce qui suit :

 « 1. Sur les circonstances dans lesquelles la requérante a été condamnée et/ou mise en détention à maison d’arrêt de Borgo.

 La requérante fut incarcérée le 7 mai 2007 après avoir été condamnée pour divers motifs par plusieurs tribunaux correctionnels. Selon sa fiche d’écrou, elle purge actuellement à la maison d’arrêt de Borgo les peines suivantes :

 - 12 mois d’emprisonnement pour abus de confiance (jugement dont elle a interjeté appel),

 - 8 mois pour émission non autorisée de chèques ;

 - 10 mois pour violence sur un dépositaire de l’autorité publique suivie d’une ITT supérieure à 8 jours ;

 - 4 mois pour violence sur un dépositaire de l’autorité publique suivie d’une ITT inférieure à 8 jours ;

 - 4 mois pour outrage à personne dépositaire de l’autorité publique ;

 - 18 mois pour escroquerie ;

 - 4 mois pour recel ;

 - 4 mois pour falsification de chèques et vol.

 Concernant ses conditions de détention, qu’il convient de lire à la lumière de sa prise en charge médicale (cf. infra), la requérante vit une détention normale hormis la mise à sa disposition d’une aide respiratoire. Elle pratique régulièrement des activités sportives et participe aux différentes activités socio-culturelles.

 2. Sur l’état de santé actuel de la requérante et les soins dont elle bénéficie.

 Sur le plan somatique, la requérante est prise en charge par le médecin responsable de l’Unité de Consultation et de Soins Ambulatoires (UCSA) de la Maison d’arrêt de Borgo. Elle est régulièrement suivie et reçoit les traitements et examens complémentaires nécessités par son état. Mme Raffray Tadei s’étant plainte de difficultés respiratoires, plusieurs examens cliniques ainsi qu’une radiologie des poumons et divers bilans ont été effectués mais ils n’ont mis aucune pathologie en évidence (voir la confirmation de cet élément par le médecin expert dont le rapport est joint en annexe). De l’oxygène a néanmoins été mis à la disposition de l’intéressée mais elle ne semble pas l’avoir utilisé. L’état de santé de la requérante est actuellement considéré comme stable par le médecin responsable de l’UCSA.

 Par ailleurs, il convient de préciser qu’à la demande du juge d’application des peines du TGI de Bastia, un expert médical était nommé avec pour mission de :

 « Examiner le condamné, décrire son état de santé, définir la nature et les modalités des soins nécessaires, préciser les perspectives d’évolutions ;

 Dire s’il est établi qu’il est atteint d’une pathologie engageant le pronostic vital ;

 Dire si son état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention. »

 Le médecin expert déposa son rapport le 18 décembre 2006 par lequel il conclut « qu’il n’est pas établi que Madame Virginie RAFFRAY est atteinte d’une pathologie engageant le pronostic vital [et] que son état de santé n’est pas durablement incompatible avec son maintien en détention ».

 Sur le plan psychiatrique, la requérante a été admise, une première fois, dans le courant du mois d’août 2007 à la clinique San Ornello de Borgo pour un bref séjour. Elle a déclaré dès son entrée ne pas être malade et avoir demandé son hospitalisation pour avoir de meilleures conditions de vie et voir plus facilement ses enfants. L’examen psychiatrique n’ayant mis en évidence aucun trouble grave réel, un refus d’Hospitalisation d’Office a été prononcé. A son retour en détention, elle a eu des gestes autodestructeurs qui ont entraîné l’intervention du SAMU. Elle a été à nouveau transférée le 3 septembre à la clinique San Ornello en Hospitalisation d’Office. Le médecin psychiatre qui la suit n’a décelé aucun état dépressif sévère mais plutôt des troubles de la personnalité. »

 Le 7 janvier 2008, un médecin du centre hospitalier de Bastia rendit compte d’un examen médical effectué sur la requérante au médecin de la prison de Borgo :

 « J’ai donc vu en consultation Madame Raffray Taddei, patiente dont les antécédents sont assez lourds, à la fois tumoraux, cancer de l’utérus métastase, vasculaire infarctus du myocarde et surtout une insuffisance respiratoire chronique sous oxygénothérapie à domicile secondaire à une BPCO sévère.

 L’examen clinique de ce jour est relativement stable dans la mesure où l’auscultation ne fait que retrouver quelques râles sibilants et quelques crépitants. Le cliché thoracique par contre montre un cliché de distension thoracique net, quant à la spirométrie elle met en évidence une diminution de tous les débits et de tous les volumes de la capacité vitale.

 Pour l’instant, je n’ai rien changé à son traitement, je pense simplement que cette patiente devrait pouvoir quitter la maison d’arrêt et recommencer une vie normale tout au moins à son domicile. »

 Le 20 février 2008, la requérante fut transférée au centre pénitentiaire de Rennes. Le 4 mars 2008, elle réitéra sa demande de suspension de peine médicale effectuée préalablement au centre pénitentiaire de Borgo.

 Par un jugement du 16 avril 2008, le juge de l’application des peines près le tribunal de grande instance de Rennes désigna deux experts pour procéder à une expertise médicale de la requérante, avant le 30 juin 2008, après avoir rappelé ce qui suit :

 « Attendu qu’aux termes de son certificat du 3 mars 2008, le docteur B., expert près la cour d’appel de Bastia, indique que « en raison de l’altération de son état général, celui-ci est durablement incompatible avec son état en détention » ; que cependant, l’expert indique que [la requérante] n’a pas été capable de procurer le moindre document médical ;

 Que le docteur M., expert auprès de la cour d’appel de Bastia, conclut que sous réserve d’un examen complémentaire IRM et de documents précis sur les antécédents lourds de cette patiente, mais sujets à caution, il importe de procéder à un bilan complémentaire avant de déterminer les possibilités d’incarcération de l’intéressée ;

 Attendu que ces expertises n’apportant pas une réponse claire à la question de savoir si [la requérante] se trouve dans une des situations prévues par l’article 720-1-1 du code de procédure pénale, il y a lieu d’ordonner deux expertises distinctes ; »

 Le 26 mai 2008, le Dr J. écrivit au médecin de la maison d’arrêt des femmes de Rennes ce qui suit :

 « Votre patiente Mme Raffray Taddei Virginie, née le 21/01/1962, a été hospitalisée dans la chambre carcérale de l’hôpital Pontchaillou du 19 avril au 23 avril 2008 pour une crise d’asthme. Cette patiente était, il y a peu de temps, incarcérée à Bastia. Elle a été transférée sur Rennes. Elle ferait actuellement des démarches pour obtenir une suspension de peine compte tenu de son état de santé.

 En effet, son terrain est lourd. On relève :

 - une tumeur du tronc cérébral, nous n’avons pu avoir l’anatomopathologie, le dossier se trouvant entre les mains de ses médecins à Bastia. Elle aurait bénéficié pour cette tumeur d’une radio et chimiothérapie dont nous ne connaissons ni la dose, ni la nature concernant la chimiothérapie. En complication, elle a une ostéonécrose mandibulaire.

 - un asthme vieilli au stade de l’insuffisance respiratoire chronique, nécessitant une oxygénothérapie de longue durée à trois litres par minute. Elle est sous Bêta 2 mimétiques, anti cholinergique inhalé et corticoïdes

 per os.

 - une névralgie cervico brachiale avec hernie discale C5-C6 et C6-C7 ayant nécessité un traitement chirurgical avec mise en place d’ostéosynthèse.

 - une

 maladie thrombo embolique avec des phlébites à répétition (...).

 - une cardiopathie ischémique avec des séquelles d’infarctus du myocarde postérieur, sans notion, d’après la patiente, de geste de revascularisation.

 - Enfin, un lourd terrain allergique avec notamment des antécédents de choc sur les anesthésies en locaux type Xylo/Lidocaïne, Pénicilline et IODE.

 - des douleurs de type céphalées dues à la fois à sa hernie cervicale et probablement à sa tumeur du tronc, évoluant par paroxysme et clamées des morphiniques à libération rapide de type Actiq.

 Son traitement à l’admission comprend :

 - Cardensiel 1,25 : 2cp le matin,

 - Lasilix 40 mg : 1 cp le matin,

 - Solupred 20 mg : 1cp le matin,

 - Aerius 5 mg : 1cp le matin,

 - Singulair : 1 cp le matin,

 - Lovenox : 1 injection sous cutanée par jour,

 - Actiq 200 µg dispositif à faire fondre dans la bouche jusqu’à trois fois par jour si douleurs,

 - Durogesic 50 ùg : 1 patch tous les 2 jours,

 - Sérévent : une bouffée matin et soir.

 L’histoire de la maladie est celle d’une infection ORL qui va progressivement déséquilibrer l’asthme de la patiente. Elle consulte donc aux urgences le 19 avril.

 A l’arrivée, au niveau clinique, la patiente est tachypnéique, cyanosée avec discret signe de tirage et des sibilants à l’expiration (...).

 L’évolution va être favorable sous aérosols de Bricanyl-Atrovent, augmentation de la corticothérapie à 60 mg/jour. Dans le cours de l’hospitalisation, Madame Raffray va se plaindre d’une suppuration chronique au niveau du maxillaire supérieur gauche. Une consultation stomatologique et un orthopantogramme vont donc retrouver un abcès dentaire. Celui-ci nécessiterait une intervention chirurgicale qui ne peut se faire sous anesthésie locale compte tenu du terrain allergique de Madame Raffray. Les stomatologues, compte tenu du terrain lourd respiratoire et cardiaque de Madame Raffray, n’envisagent pas de le faire sous anesthésie générale, et tant que l’ensemble du dossier ne leur sera pas parvenu.

 Au niveau respiratoire, l’état va donc vite s’améliorer. Madame Raffray va retrouver sa respiration de base, sous 3 litres d’oxygène. Il existe des questions en suspend, concernant sa maladie respiratoire. Tout d’abord, il faudrait faire le point sur la cardiopathie ischémique, pour savoir si elle justifie réellement l’emploi des Bêta Bloquants compte tenu de son asthme très sévère. D’autre part, au niveau thérapeutique, il semble que Madame Raffray n’ait jamais bénéficié d’immunosuppresseur de type Méthotrexate ou d’anti IgE spécifique (Xolair). Ces thérapeutiques ne peuvent être envisagés que si nous possédons tous les antécédents et tout le dossier de Madame Raffray.

 Il est donc extrêmement important de pouvoir récupérer toutes les données de Madame Raffray Taddéi, au cas où son séjour à Rennes devait se prolonger. Néanmoins, les pathologies sont nombreuses et intriquées et une prise en charge de qualité ne pourrait être faite que par les équipes qui la connaissent déjà.

 D’autre part, les conditions actuelles d’incarcération de Madame Raffray seraient incompatibles avec son état de santé. Elle se plaint effectivement d’une humidité au niveau de sa cellule qui est un risque de faire décompenser son asthme. Son maintien actuel en détention, dans des conditions qui sont siennes, sont a priori délétères sur son état de santé. »

 GRIEF

 Sans invoquer d’article de la Convention, la requérante se plaint de son maintien en détention et de l’absence de soins appropriés en prison, nonobstant les graves maladies dont elle souffre.

 
QUESTIONS AUX PARTIES

 1. Le maintien en détention de la requérante est-il compatible avec son état de santé au regard de l’article 3 de la Convention ?

 2. Dans l’affirmative, la requérante bénéficie-t-elle en détention des soins appropriés à son état de santé ?

 Le Gouvernement est invité à produire copie des pièces de la procédure pénale (condamnations et peines à purger) et de celles relatives à l’état de santé de la requérante (certificats médicaux, expertises, éventuelle décision du juge de l’application des peines, etc.).