COLLOQUE
La loi du 9 mars 2004 dite « Perben II », sous l’angle de l’aménagement des peines, a fait l’objet d’une magistrale analyse par Pierre-Victor TOURNIER, Directeur de recherches au CNRS et Président du Collectif Octobre 2001.
Terminologie
La terminologie utilisée prête souvent à confusion ; P-V Tournier propose de distinguer :
• la mise à exécution des peines prononcées ;
• les modalités d’exécution des peines -aménagement des peines (aspect personnalisé positif) ;
• l’érosion des peines (aspect négatif de mesures collectives).
Évolution du nombre de personnes détenues depuis les années 1970
L’histoire de l’aménagement des peines doit être située dans le contexte de l’évolution du nombre de personnes détenues :
- 1975-1996 : forte « inflation carcérale » sur la période 1975-1996 (+ 100 % contre + 10 % pour la population française), par allongement de la durée de détention plutôt que par hausse du nombre d’entrées en détention ;
- 1997-2001 : baisse du nombre de personnes détenues en France ;
- depuis 2001 : reprise d’une forte inflation carcérale par cumul des deux phénomènes : hausse du nombre d’entrées et allongement de la durée de détention.
Évolution du cadre législatif de l’aménagement des peines, de 1972 à la loi Perben II
La loi du 2 décembre 1972 a donné au juge de l’application des peines la possibilité d’une individualisation de l’aménagement des peines, par des libérations conditionnelles. Par contre les grâces collectives (mesures collectives d’ "érosion des peines") étaient abandonnées.
Cependant les libérations conditionnelles, dès le départ, ont été rarement accordées [1].
Dans un contexte d’inflation carcérale, le président Valéry Giscard d’Estaing signe en juillet 1980 un premier décret de grâce collective. Depuis, le décret de grâce collective du 14 juillet est quasi-systématique.
Mme Guigou, Ministre de la Justice en 1997 compte parmi ses objectifs la relance de la libération conditionnelle.
Loi du 15 juin 2000 : approche globale du processus pénal de la garde à vue à la fin de peine. Développement des droits des personnes détenues vis-à-vis de des décisions relatives à la libération conditionnelle : droit à être défendu, motivation des décisions, possibilité de recours.
2002 : le projet de loi sur la condition pénitentiaire n’est pas présenté au Parlement.
2003 : rapport Warsmann après de nombreuses auditions mais sans prise en compte de la résolution du Conseil de l’Europe du 24 septembre 2003 et plus généralement d’autres expériences européennes, très en « pointe » sur l’aménagement personnalisé des peines et/ou les conditions de détention.
La loi du 9 mars 2004 dite « Perben II » pour sa partie aménagement des peines
- définitions : Courtes peines inférieures ou égales à 1 an
Longues peines supérieures ou égales à 5 ans
Peines intermédiaires (ou peines moyennes) entre 1 et 5 ans.
- aspects positifs :
• Rappel du principe de la présomption d’innocence et de réserves vis-à-vis de la détention préventive.
• Accroissement des pouvoirs des JAP en matière d’aménagement des peines et des libérations conditionnelles en tant que tribunal d’application des peines.
• Aménagement systématique de l’échéance de la fin des peines : pour les courtes peines par semi-liberté ou placement extérieur ou surveillance électronique ; pour les peines moyennes dans les 3 à 6 derniers mois.
• Participation active du personnel pénitentiaire (SPIP) au processus.
- aspects négatifs :
• L’annonce, d’emblée, de la date de fin de peine tenant compte d’un crédit de remises de peines, c’est institutionnaliser l’érosion de la peine au détriment de l’aménagement individualisé de la peine.
• Les courtes peines exécutées en détention préventive sont inaccessibles à tout aménagement de peine.
Opinion de l’intervenant
Une troisième voie est possible entre laxisme et catastrophisme :
• refus du laxisme : l’aménagement des peines doit se faire à des conditions de sécurité au moins égales, et contribuer à la sécurité publique ;
• refus du catastrophisme : l’approche de l’insécurité doit être sur des bases réalistes, avec une approche scientifique et dans le respect des valeurs et droits de l’homme.
L’aménagement de la peine n’est pas la suppression ni l’érosion de la peine prononcée. L’aménagement de la peine fait partie de la peine prononcée ; ainsi exécutée, elle participe à la sécurité publique avec des effets bénéfiques en matière de prévention des récidives.
Selon P-V Tournier, la loi Perben II, caractérisée par des logiques et des décisions successives contradictoires devra être corrigée à l’avenir.
L’Association Française de Criminologie - AFC - propose de maintenir la totalité de la peine prononcée jusqu’à la date de fin de peine, sans grâces collectives ni remises de peines systématiques mais de gérer le temps de peine par des aménagements personnalisés de l’exécution de la peine. La libération conditionnelle deviendrait ainsi le système de référence et il n’y aurait plus de « sortie sèche ».
D’autre part, à moyens constants, il doit être possible de ne plus accroître le parc de nouvelles prisons, cela grâce à une baisse des détentions provisoires inutiles et des courtes peines, par un renforcement des moyens du milieu ouvert. Cela implique aussi une formation des magistrats, des jurés d’assises, et la sensibilisation des citoyens.
P-V Tournier a aussi souhaité une possibilité effective d’exercice du droit de vote par les personnes détenues : la prison devrait être école de citoyenneté.
Remerciements à Bruno Alefsen pour sa contribution à ce compte-rendu
Source Jéricho n°191, septembre 2005, ANVP