Apostille à « ça se passait comme cela »
Mon billet d’hier, qui visait avant tout à commémorer un anniversaire, a comme c’était prévisible dégénéré en débat sur la peine de mort, les arguments de ceux qui se sont crus à l’endroit de les exposer me reprochant de faire de l’affectif par ce texte et d’oublier les victimes. S’il est un procès que je ne leur ferais pas, c’est celui de l’originalité.
Alors puisqu’il faut dire des évidences...
Oui, ce billet joue sur le registre de l’émotion. C’était le but. Pas par calcul : pour faire passer l’émotion que je ressens. L’écriture, ça sert à ça, à part rédiger requêtes et placets. Le but de ce texte n’est pas de démontrer l’absurdité ou l’ignominie de cette peine. Elle est abolie depuis 25 ans et je suis bien persuadé que je ne la reverrai jamais appliquée de mon vivant, et quand mes petits enfants auront l’âge que j’ai aujourd’hui, cette simple idée aura rejoint au rebut de l’histoire la question, le bagne et la mort civile. Ce récit n’est pas une argumentation, c’est un récit. Désolé pour la tautologie, mais cela a je le crains échappé à certains.
Ce récit raconte du point de vue d’un avocat le chemin qui mènait de la condamnation à l’exécution. Pourquoi du point de vue d’un avocat ? Parce que je suis avocat. Encore une tautologie, mais les mal-comprenants ont été légion.
J’ai déjà plaidé en défense aux assises. C’est une expérience épuisante. La préparation du dossier nécessite des heures de concentration, le suivi des audiences une rigueur de chaque instant, prendre la parole devant un jury est mille fois plus impressionnant que n’importe quel grand oral, et l’attente des heures durant du verdict est une petite mort. Et à chaque fois, je n’ai pu m’empêcher de penser que des confrères ont été à ma place et se battaient en plus contre l’ombre de la mort, sans la chandelle de l’appel. Je ne sais pas comment ils ont fait face à ce poids qui m’aurait écrasé. Je leur voue une admiration éperdue, sans bornes. Souvent dans les nuits qui précèdent l’audience j’ai fait le cauchemar que mon client était condamné à mort, que je devais un jour moi aussi me rendre à la Santé, ou à Fresnes, où ont en dernier lieu été entreposé les Bois de Justice, doux nom administratif de la guillotine, sans que jamais ils y aient servi. Les derniers moutons se sont abattus aux Baumettes, à Marseille.
C’est ce cauchemar que je raconte, transposé dans les années 70 où il était réalité. C’est ce à quoi j’ai échappé grâce à la loi du 9 octobre 1981. Ceux qui ont été touchés par ce récit ne se sont pas trompés : je l’ai écrit guidé par l’émotion, non par le calcul. Quel calcul, d’ailleurs ? On ne parle du rétablissement qu’à l’approche de chaque élection présidentielle. Ne rêvez pas : plus jamais on ne tuera en France. Trouverait-on une majorité suffisante pour voter cette loi, un gouvernement décidé à se mettre l’Europe à dos, à exposer son pays à l’opprobre du monde entier, à dénoncer la convention européenne des droits de l’homme, tout ça pour satisfaire les pulsions morbides de ses électeurs, il ne se trouverait jamais assez de jurés et de magistrats pour voter cette peine par deux fois, puisque désormais l’appel existe.
Oubliè-je les victimes ? Procès en sorcellerie qu’on m’a déjà fait mille fois et qu’on me refera dix mille fois. Non, je n’oublie pas les victimes. Je cite le nom d’Olibrius, qu’un commentateur plus prompt à trancher qu’à lire à hâtivement confondu avec le complice. La procédure est ainsi faite que la victime n’est pas associée au châtiment. Elle est l’une des dernières à s’exprimer au procès, avant l’avocat général qui parle au nom de la société, avant l’avocat de la défense, avant l’accusé qui a toujours la parole en dernier. Olibirus est mort puisque Quidam est condamné pour son assassinat. La famille d’Olibirus n’a pas été invité à l’exécution, depuis 1939 qu’elles ne sont plus publiques, les familles des victimes n’assistaient jamais à ces moments, et je ne crois pas qu’aucune en ait jamais exprimé le souhait. Les plus assoiffés de sang sont généralement des gens qui ne connaissaient ni l’auteur ni la victime.
J’aurais pu faire commencer mon récit deux ans plus tôt lors du crime, puis narrer l’instruction, et le procès par le menu. Et personne n’aurait lu cet interminable billet dont tout le début eût été hors sujet. Ne pas parler des victimes, ce n’est pas nier leur souffrance. Mais cette souffrance, quelle que soit la sympathie (du grec : souffrir avec) qu’elle génère en vous, n’est pas un argument en faveur de la peine de mort, sauf à ce que vous démontriez que la souffrance compense la souffrance, alors que tout le monde sait bien qu’elle s’additionne et ne se soustrait point.
Aucun des ardents partisans de cette peine, trop empressés à dénoncer mes manipulations imaginaires, n’a seulement eu la clairvoyance de relever que j’avais volontairement écarté l’argument abolitionniste le plus fort : celui du risque de l’erreur judiciaire. Quidam dans mon récit est coupable, ça n’est à aucun moment mis en doute. Même son avocat, lorsqu’il défend le recours en grâce, ne soulève pas cet argument. Oui, Quidam a tué Olibrius. C’est incontestable et incontesté. Je ne voulais pas créer de comité de soutien à Quidam ou d’association pour sa réhabilitation.
Mais mquand bien même serait-ce un assassin, le mettre à mort reste ignoble.
Quidam pleure en allant au supplice, sa mère pleure, et son avocat est bouleversé. Scandale chez les partisans du mouton, et d’invoquer encore le chagrin des victimes. Le chagrin, comme les souffrances, ne se soustraient pas mais s’additionnent, et si la mère d’Olibrius trouvait du réconfort dans les larmes de la mère de Quidam, malgré tout le respect que j’aurais pour sa souffrance, je dirais qu’elle ne vaut guère mieux que l’assassin de son fils, qui lui ne tire aucun plaisir de son chagrin.
Ces larmes de Quidam, qu’elles gênent les "rétablissionistes", pour qu’aussitôt ils invoquent celles d’Olibrius pour les balayer ! Car souvent, un argument invoqué est que l’assassin, le criminel est un "monstre froid", un "prédateur", un "animal", bref, "n’est pas humain". Toute trace d’émotion humaine chez lui est une idée insupportable, un sacrilège, une hérésie. Désolé, la réalité est têtue. Le condamné est un être humain. Il est terrifié à l’approche de la mort, terreur accentuée par son caractère inéluctable, car il sait quil n’a nulle pitié à attendre des gens qui l’entourent. Il ressent des émotions. Et il a une famille qui l’aime. C’est donc qu’il y a quelque chose à aimer chez lui. Le nier ne l’empêche pas d’être vrai.
La victime ! La victime ! Elle aussi avait des émotions, elle aussi a dû être terrifiée à l’idée de la mort, elle aussi a vu avec horreur qu’elle n’avait aucune pitié à attendre de Quidam. Et c’est vrai. Mais j’ai la faiblesse de croire la société moralement supérieure à un assassin. Et donc refuser de se comporter comme lui.
D’autant plus moralement supérieure qu’elle assume ses responsabilités. Son rôle est de garantir et protéger les droits de ses citoyens : la liberté, la propriété et la sûreté. En n’empêchant pas Quidam d’assassiner Olibrius, la société a failli à sa mission. Dès lors, de quel droit, pour réparer sa faute, perpétrerait-elle ce qu’elle devait empêcher Quidam de faire ? On nage en plein dans l’absurdité, et l’absurdité, pour justifier une mort, est un argument un peu trop léger.
Que la société sanctionne Quidam, oui. Qu’elle l’empêche de nuire, mille fois oui. Qu’elle indemnise sur les deniers publics la famille Olibrius au nom de la solidarité nationale, cent mille fois oui. C’est ce qu’elle fait désormais, mais depuis 1977 seulement (est-ce un hasard ? Dès que l’Etat a commencé à indemniser les victimes, il a cessé de tuer), cette indemnisation n’étant devenue digne de ce nom que depuis 1991.
Car l’ombre de la guillotine servait principalement à l’Etat pour se cacher derrière. La famille Olibrius aurait vu (au sens figuré) Quidam coupé en deux (au sens propre) ; mais elle n’aurait pas reçu le moindre centime d’ancien franc pour réparer la perte de cet être cher et surtout de faire face à la perte matérielle des revenus. L’Etat, en tuant en notre nom, s’estimait dégagé de toute obligation à l’égard des victimes. Comme c’est commode. Et c’est encore en leur nom qu’on veut faire à nouveau oeuvre de salubrité publique et reprendre des pratiques d’un autre temps. Et c’est moi qui méprise les victimes ?
Voilà ce que j’avais à ajouter à ce récit, n’ayant pas pensé sur le coup à devoir ainsi m’en expliquer tant il m’apparaissait clair dans son propos, qui n’était pas de déclencher un débat qui n’a pas lieu d’être. Néanmoins merci à ceux qui ont donné leur opinion : la mienne en est sortie revigorée.
Par Eolas le Mardi 10 octobre 2006 http://www.maitre-eolas.fr/post/200...