COMMUNIQUE N°1
Bruxelles : Suicide d’un jeune nigérien sans papiers à la prison de Forest
Extrait d’une lettre d’un co-détenu :
Le 10 août 2004
Je viens de rentrer du "préau" et j’apprends qu’un jeune nigérien entré il y a 4 jours, s’est pendu le lendemain de son incarcération à la prison de Forest (le 6-8 ?). Il était isolé en cellule, sans livres, radio ou télé.
A son arrivée, il n’aurait vu ni médecin, ni assistant social.
C’est la deuxième fois, depuis que je suis ici, qu’il y a un suicide "réussi" dans "ma prison" et aucune info dans les medias.
Forest voulait étouffer le suicide de ce jeune nigérien qui était emprisonné en attente de savoir s’il était "expulsable".
Quelle mauvaise presse, un type retrouvé mort dans sa cellule, un noir sans papiers, qui n’avait commis aucun délit.
Mais bof, on n’en a pas parlé à la télé, ça passera bien...
Un autre détenu vient d’être mis au mitard, suite à une tentative de suicide. D’après les matons, " c’est le seul endroit où il ne risque pas de se suicider"...
? ? ? ? ?
Ngklumma Ogubunka a été interpellé et arrêté par la police. Etant sans papiers, donc probablement clandestin, il aurait dû être remis à la police des étrangers, conduit à l’Office des Etrangers.
Mais non, il est incarcéré à la prison de Forest. Pourquoi ?
Beaucoup de questions se posent sur les circonstances de son incarcération et de sa mort.
Pourquoi a-t-il été conduit directement à Forest et non dans un centre pour réfugiés ?
Sur l’ordre de quelle instance juridique a-t-il été incarcéré ?
Dans quelles conditions peut-on mettre un "sans papiers" en prison ?
Sa mise en détention était-elle légale ?
Son ambassade a-t-elle été contactée ?
Pourquoi n’a-t-il pas été vu par un médecin à son arrivée, alors que c’est réglementaire et systématique ?
Dans quel état physique est-il arrivé à la prison ?
Pourquoi était-il seul en cellule, alors que les prisons sont surpeuplées ?
Etait-il mineur ?
Comment s’est-il pendu ?
Y a-t-il un rapport d’un médecin légiste ?
Ce jeune sans papiers, n’ayant probablement pas de famille en Belgique pour réclamer son corps, qu’en a-t-on fait ?
Ces questions auront-elles un jour une réponse ?
Affaire à suivre...
Passe muraille ?
COMMUNIQUE N° 2
Samedi 21 août 2004
Suite à une lettre de détenu, recoupée par un entrefilet paru dans la Dernière Heure du week-end passé, annonçant la mort d’un jeune nigérien à la prison de Forest , nous avons voulu réagir, n’acceptant pas qu’une fois encore, ce "petit incident" passe inaperçu.
Nous avons donc posé une série de questions que nous avons envoyées à diverses organisations travaillant sur les prisons, les droits de l’homme et les sans papiers.
Nous voulions que ces questions interpellent et soient posées à qui de droit.
Ce qui fut fait par Marie-Pierre de Buisseret, que nous remercions.
Cependant, les réponses de la direction de la prison de Forest ne nous satisfont guère et suscitent d’autres réflexions qui nous semblent importantes.
D’abord les réponses de la directrice de Forest transmises par Marie-Pierre de Buisseret :
Je me suis renseignée à propos de ce triste fait à la direction de la prison de Forest.
Voici quelques éléments d’information.
- Il s’agit d’un jeune nigérien majeur arrivé lundi dernier vers 17 h de l’après midi à la prison de Forest, en détention préventive et sous le coup d’un mandat d’arrêt d’un juge d’instruction bruxellois en raison de délit(s). la détention était judiciaire et non pas administrative)
- Il a été vu par l’infirmier de la prison qui n’a pas constaté de problème médical particulier. Il était prévu qu’il soit examiné par le médecin le lendemain (cfr règlement)
- Il a été mis dans une cellule normale (non dans une cellule d’isolement) mais seul parce qu’il ressortait du mandat d’arrêt qu’il présentait des risques de dangerosité pour autrui. (Dans ces cas là, la prison observe si la personne fait preuve de dangerosité pendant les trois jours qui suivent avant de prendre la décision de le mettre dans une cellule avec une autre personne)
- Trois heures après son arrivée à la prison de Forest, il a été retrouvé pendu dans sa cellule. Pas eu le temps donc de voir un assistant social de la prison parce qu’après 17 heures il n’y en a pas de permanence (effectif réduit de personnel)
- La direction de la prison a tout de suite entamé des recherches pour savoir s’il avait des proches en Belgique et pour retrouver sa famille au Niger en vue de l’inhumation.
- Contacts ont été pris avec des association nigériennes et l’ambassade du Niger à Bruxelles, ainsi qu’avec la prison néerlandophone où il avait précédemment purgé une peine d’emprisonnement suite à une condamnation (il venait de sortir de prison lorsqu’il a de nouveau été arrêté pour d’autres faits - détention de 8 mois)
- Il s’est avéré que durant sa détention de 8 mois, il n’avait reçu aucune visite. Il n’avait donc aucun proche en Belgique et semblait tout à fait abandonné du monde extérieur.
- Lorsque les associations nigériennes et l’ambassade ont été prévenues de son décès, elles ont réagi très durement vis-à-vis de la prison, affirmant qu’il ne pouvait certainement pas s’agir d’un suicide, et cherchant un coupable.
- A la demande de l’ambassade, une autopsie est en cours.
- La direction de la prison dit que des rumeurs ont commencé à circuler autour du décès.
- L’Office des étrangers (OE) n’était pas prévenu de sa détention parce qu’il s’agissait d’une détention judiciaire et non administrative. (la prison contacte l’OE lorsque se pose la question de la mise en liberté d’un détenu en situation illégale)
Voici les éléments de fait qui m’ont été communiqués.
L’autopsie devrait pouvoir révéler la cause du décès et si éventuellement il y a eu maltraitances lors de l’arrestation.
Les informations données par un autre détenu (ci-dessous) ne sont donc pas tout à fait correctes...
Personnellement, je n’ai pas senti de souhait particulier de la direction de la prison de cacher quelque chose. J’ai obtenu une réponse à toutes mes questions et ai perçu un souhait de transparence par rapport à ce qui s’est passé. Il y a, il est vrai, une crainte de la prison que les informations données soient déformées et donnent lieu à des rumeurs.
Pour l’instant, il est à mon avis prématuré de rejeter la faute sur quelqu’un, si fautif il y a. L’autopsie pourra peut-être nous en dire plus.
Ce qui est en tout cas interpellant c’est la situation de solitude totale dans laquelle il s’est trouvé pendant 8 mois (aucun contact avec l’extérieur ni visites durant sa détention, aucun soutien affectif).
Bien à vous,
Marie-Pierre de Buisseret
Nos réactions :
- Nous sommes "rassurés" sur les premières questions : oui, son incarcération aurait été effectuée "légalement"
- Oui son ambassade a été contactée... après sa mort. Mais nous sommes étonnés, que même l’Ambassade ose mettre en doute les affirmations de l’administration et ait "réagi très durement vis-à-vis de la prison"...
- Par contre, il n’a été vu par aucun médecin et un "infirmier" n’est pas qualifié pour juger si une personne est apte a être seule en cellule, surtout si "il ressortait du mandat d’arrêt qu’il présentait des risques de dangerosité pour autrui". Il ne faut pas être psy, pour savoir qu’en prison, sa violence potentielle est souvent retournée contre soi-même !
- "Il a été mis dans une cellule normale... Trois heures après son arrivée à la prison de Forest, il a été retrouvé pendu dans sa cellule.", nous dit la direction. Heureusement qu’il était en "observation" et dommage qu’un médecin n’aie pas pu juger du danger que cette personne représentait pour elle-même.
- Quelqu’un qui se suicide 3 heures après son arrivée en prison, n’est pas chose courante, on peut donc se poser des questions quant aux conditions de son arrestation et de sa garde à vue.
Son avocate rentre bientôt de vacances, nous en saurons donc peut-être plus quant aux raisons de l’arrestation de ce jeune sans papiers, de son état psychologique et de sa "dangerosité"
Nous saurons peut-être, dans quelles conditions de dénuement moral et physique, cette personne est sortie de Bruges en juillet dernier. Avait-il de l’argent pour prendre un tram, pour se nourrir, pour se loger ? Mille explications possibles aux "délits" qu’il aurait commis.
Nous ne voulons mettre personne en cause, en particulier, mais nous voulons dénoncer un système intrinsèquement violent.
Nous ne voulons plus que les trop fréquents suicides dans les prisons soient banalisés.
Nous refusons que ces morts ne soient que des statistiques, sans visage humain !
Nous ne voulons plus de cette politique de harcèlement et de criminalisation des sans papiers, les poussant à la clandestinité, la marginalisation, voire à la délinquance.
Nous dénonçons, ces lois, ces directives, ces règlements, qui appliqués "normalement", mènent au désespoir, à la mort !
Il y a 6 ans, Semira Adamu mourait légalement étouffée par un coussin, appliqué légalement sur son visage... procédure normale...
Passe Muraille
Le 21 août 2004
Passe Muraille est une émission de Radio Air Libre Bxl et un collectif de soutien aux détenus
http://www.radioairlibre.be/