Arles, communiqué
Avant de lire le communiqué qui suit, il nous faut préciser que si nous nous présentons à vous encagoulés c’est pour éviter la personnalisation de l’action en cours. Nous ne sommes que des détenus longues peines parmi d’autres. Le message que nous portons est celui de milliers d’hommes et de femmes "sans voix", enfermés dans les prisons de France.
Par ailleurs, nous tenons à indiquer que c’est pour des raisons de sécurité que nous portons des cagoules. Inutile de préciser que les autorités pénitentiaires n’apprécieront pas notre initiative, que la répression qui s’abattra suite à la diffusion publique de ce document sera importante. Les mesures de sécurité que nous avons prise risquent d’ailleurs de ne pas nous épargner les sanctions, c’est pourquoi nous demandons par avance aux associations et citoyens soucieux de la défense des droits de l’homme de veiller sur la centrale d’Arles dans les jours et semaines à venir. Cela évitera que ne se produisent des violences et des abus divers, commis par des tenants de la répression.
Bien, évidemment, si le monde carcéral n’était pas ce lieu de non droit où le droit d’expression, d’association, étaient interdits aux détenus, nous n’aurions pas été obligés de mener pareille action. C’est la nature anti démocratique de la prison qui nous amène à agir de la sorte !
Enfin, nous tenons ici à préciser que le matériel utilisé pour effectuer ce reportage a été pris sans le consentement de quiconque, pour être plus précis, nous avons détourné le matériel en question sans que le détenu en charge de l’atelier vidéo de la maison centrale ne le sache.
L’année 2000 aura été, entre autres, l’année de la révélation au grand public de l’horreur carcérale en France. Une "honte pour la république" a t’il été dit par beaucoup. Nombre de problèmes ont été soulevés, dénoncés. Des parlementaires à l’Église, en passant par diverses associations, tous ont eu l’occasion de s’exprimer sur le sujet dans une certaine unanimité.
Nous en prenons acte.
Mais comme toujours, la parole n’a pas été accordée aux principaux intéressés, à ceux et celles pour qui le quotidien est l’infamie carcérale, c’est à dire les détenu(e)s eux-mêmes !
La parole ne nous est pas donnée. Jamais . C’est pourquoi nous avons décidé de la prendre, ici et maintenant.
C’est particulièrement au nom des détenu(e)s "longues peines" que nous nous exprimons, nous, les laissés pour compte, ceux pour qui l’horizon n’est que désespoir et haine.
Nous sommes là, face à vous, pour exiger que nous soient appliquées des mesures justes, équitables, qui nous permettent de croire que nous n’avons pas été condamnés à la mort lente, à des peines qui ne sont qu’un substitut à la peine de mort.
Nous sommes là pour dire haut et fort que nul n’a intérêt à ce que nous nous transformions en " bombes humaines ", car viendra le jour où nous serons libérés, où nous réintégrerons le corps social.
Qu’en sera t-il si des années durant, le système carcéral nous meurtrie, nous avilie, nous blesse jusqu’au plus profond de notre être ? Il est temps que cette réalité cesse, il est grandement temps que cette prison mangeuse d’hommes soit l’objet d’une révolution culturelle qui lui permette d’entrer dans ce 3ème millénaire de façon plus digne.
Forts de notre expérience et au nom du respect de la dignité humaine et des droits fondamentaux de la personne humaine, nous exigeons que le gouvernement français prenne les mesures suivantes :
- Premièrement : refonte de l’échelle des peines et alignement sur les pays aux conceptions pénales les moins répressives. En clair, nous revendiquons l’abolition des " longues peines ", la fin des cumuls de peines qui font que des hommes et femmes aient des décennies de prison à purger, mais également abolition de l’insupportable peine de perpétuité. Il est reconnu par tous les spécialistes en la matière que passé un certain temps, la durée de la peine n’a plus aucun sens, qu’elle n’est qu’acharnement, vengeance, destruction de l’individu.
L’an 2001 verra commémorer le vingtième anniversaire de l’abolition de la peine de mort. Voici l’occasion d’en finir avec les longues peines qui ne sont rien d’autre qu’un substitut à la peine de mort.
- Deuxièmement : libération immédiate de tous les détenu(e)s atteints de maladies incurables. Mourir en prison est le sort le plus infâme que puisse vivre un être humain. Nous demandons que soit respecté le droit à mourir dignement, parmi les siens, hors du contexte carcéral.
- Troisièmement : abolition des quartiers d’isolement et des mitards.
C’est la fermeture pure et simple de ces outils ultra répressifs que nous exigeons. Ces lieux où bien trop souvent le droit est celui du plus fort, où le fonctionnaire devient bourreau, les morts suspectes trop nombreuses. Il faut en finir !
Voilà pour les mesures à prendre qui tiennent de l’urgence, car chaque jour qui passe est un jour que nous vivons comme une vengeance sociale qui nous serait appliquée et non pas comme une mesure de justice.
Mais la réalité carcérale présente est composée de bien d’autres mesures que nous tenons à dénoncer et voir changer dans les délais les plus brefs.
Il s’agit par exemple de l’impossibilité d’avoir des relations sexuelles, d’avoir des enfants, ou tout simplement d’avoir le droit à la tendresse. Autant d’éléments qui sont constitutifs des droits élémentaires de la personne humaine. Le projet extrêmement limité des Unité de Vie Familiale (UVF) qui toucherait 3 établissements sur les 187 actuels est une insulte qui nous est faite.
Sachant que nombre de pays ont déjà doté leurs établissements pénitentiaires de lieux de rencontres spécifiques pour les rapports intimes, pourquoi la France ne se lance dans pareil projet qu’à titre expérimental et donc limité ? Combien de décennies nous faudra t-il encore attendre pour que ces droits élémentaires nous soient reconnus ? Combien de familles, de couples, devront-ils se disloquer encore, avant que les décideurs politiques et autres fonctionnaires agissent de façon responsable, ou tout simplement humaine ?
Autre souci majeur ; la transformation des maisons centrales en annexes d’asiles psychiatriques.
De plus en plus de détenus n’ont rien à faire en prison. Leur état psychologique est incompatible avec la prison. Nous demandons qu’ils soient soignés dans des lieux adaptés. Nous tenons également à dénoncer le scandale des usages de produits de substitution dans le monde carcéral. Bien trop souvent, la tranquillité en détention a pour prix le maintien de détenus en état de dépendance à des drogues de substitution. Certains détenus se transforment même durant leur détention en drogués alors qu’ils ne l’étaient pas lors de leur incarcération.
Que penser d’une institution qui maintient et encourage des hommes et des femmes à la toxicomanie, avec les deniers de la nation ?
Nous exigeons également que l’on en finisse avec les mesures de censure. La violation permanente de notre courrier, de nos rencontres avec nos proches, nos familles, n’ont qu’un objectif ; nous imposer une autocensure qui aboutie à l’aliénation de la pensée et l’anesthésie des sentiments, mais également à terme à la disparition des liens familiaux. A qui fera-t-on croire que l’on veut nous réinsérer alors que l’administration pénitentiaire n’a de cesse que de nous couper de la famille en nous incarcérant à des centaines de kilomètres du lieu d’habitation de nos proches et que tout le fonctionnement de l’institution ne mène qu’à l’infantilisation et à la déresponsabilisation du détenu.
Dans la rubrique des réalités scandaleuses, comment ne pas évoquer le travail pénal ?
Pourquoi le droit du travail n’est-il pas appliqué aux personnes détenues ? Pourquoi le patronat français trouve t-il parfois plus d’intérêt à donner du travail aux prisons françaises plutôt que de délocaliser vers un pays du tiers monde ? La réponse est simple ; parce que le détenu est corvéable à merci et que les conditions offertes par l’administration pénitentiaire sont celles dont rêvent tous les esclavagistes modernes. Est-ce dans de telles conditions que l’on voudrait nous inciter à nous réinsérer dans la société par le travail ? Et que dire de ces salaires misérables qui ne nous permettent pas de rembourser décemment les dites parties civiles. Les décisions de justice en la matière sont sacrifiées sur l’hôtel du profit.
Autre motif d’exaspération, le désintérêt que porte l’administration pénitentiaire à la culture, à l’art, à ces aliments de l’esprit et des sens. Comment peut-on se construire ou se reconstruire si nous est niée cette part vitale de notre être, notre pouvoir de création, notre sensibilité, si la culture et l’art ne nous sont pas accessibles ?
Nous tenons à dénoncer ici, avec force, I’activité nocive d’une minorité extrêmement agissante du personnel surveillant pour qui le détenu est l’ennemi à abattre. Ces fonctionnaires refusant de respecter l’esprit des Lois, voire même souvent leur simple application, représentent un danger permanent pour l’institution en général, mais plus prosaïquement, pour la population pénale et pour leurs propres collègues. Il est temps que ces gens soient neutralisés par ceux dont la mission est la mise en application des textes et le suivi du bon fonctionnement des établissements pénitentiaires.
Par ailleurs, nous tenons à attirer l’attention sur la mise en application de la nouvelle loi dite de la présomption d’innocence. Nous craignons que là encore le corps des magistrats chargés de l’application des peines ne continue dans sa grosse majorité à appliquer les textes de façon on ne peut plus restrictive. Voilà des années que la politique menée en matière d’application des peines est un désastre. Il faut que cela cesse. Il faut que cesse l’acharnement dont les longues peines sont victimes de la part du secteur ultra répressif de la magistrature française. Nous refusons d’être plus longtemps les victimes de ces bourreaux assermentés.
Pour conclure cette liste non exhaustive, nous souhaitons dire combien il nous semble nécessaire, vital, que les autorités pénitentiaires s’attachent à remplir leur mission d’aide à la réinsertion des détenu(e)s. Force est de constater que nous, détenu-e-s des maison centrales de France, ne bénéficions pas de mesures allant en ce sens. Manifestement, la volonté politique n’existe pas, et les moyens mis en place sont quasi inexistants. Il nous paraît clair que l’on nous sacrifie, que l’on nous destine à la récidive systématique. Nous refusons de servir de matière première à la politique sécuritaire de l’État.
Bien évidemment, nous saluons tous nos camarades qui se trouvent présentement emmurés vivants dans les quartiers d’isolement, ainsi que ceux et celles qui subissent l’insupportable sanction du Mitard. Force, courage et détermination à toutes et à tous.
Un salut empreint de solidarité également pour tous les détenus se trouvant en maison d’arrêt. Les détestables conditions de vie en maison d’arrêt sont aujourd’hui connues de tous. Les changements s’imposent et vite !
Enfin, nous souhaitons adresser un message à tous les jeunes des cités, à tous les enfants du prolétariat et du sous prolétariat, à tous ceux et celles appartenant à la classe des sacrifiés du système. Hier, vos parents et grands parents, nos parents et grands parents, étaient transformés en "chair à canon", envoyés au front pour y crever en défendant des intérêts qui n’étaient pas les leurs. Aujourd’hui, c’est le destin de "chair à prison" qui nous est offert, qui vous est offert. Refusez cette tragédie, refusez cette logique. Prenez conscience de tout cela avant qu’il ne soit trop tard. Car les portes de prison se referment de plus en plus sur vous et de plus en plus longtemps, alors que les véritables délinquants, ceux qui vivent sur le dos de la misère, de notre misère, de toute leur arrogance, se goinfrent en rigolant de nos malheurs, de nos vies sacrifiées.