Prison de Moulins, le 11 Août 1999
Nous, détenus condamnés à  la réclusion criminelle à perpétuité (R.C.P.), désirons, par ce communiqué,  faire savoir notre intention de nous réunir en un collectif, afin de dénoncer  l’inhumanité de notre condamnation qui, par le caractère même de  l’indétermination dans sa durée, fait que celle-ci, tout comme la peine de 30  ans est totalement contraire à l’esprit et à la philosophie de la Déclaration  des Droits de l’Homme (D.D.H.).
Que par ailleurs, avec le renforcement des  peines de sûreté, l’indétermination de notre emprisonnement s’oppose à la prise  en compte de l’amendement du condamné, pour privilégier la vengeance social par  l’enfermement.
Si notre situation de réclusionnaire nous retire nos droits  civiques, nous n’en resterons pas moins des citoyens.
Les textes  internationaux ont consacré des droits et des libertés, et, même s’ils ne sont  pas expressément visés par la déclaration de 1789, cela ne signifie nullement  qu’elle les exclut. Il s’agit, notamment de la " prohibition de la torture, des  traitements inhumains ou dégradants. "
La Déclaration Universelle de 1948, de  même que Convention Européenne de 1950, se montreront plus précises dans leurs  contenus, en condamnant la torture, l’inhumanité, en reconnaissant le droit à  l’inviolabilité de la vie familiale .
Les Droits de l’Homme sont les droits  de tous les citoyens.
Ils ne doivent souffrir d’aucune exception, de quelques  sortes que ce soit…
Tout être humain doué de vie est un citoyen dont le  devoir est de réclamer le respect de ses droits.
Nous EXISTONS !!!
N’en déplaise aux Hautes Instances du Pouvoir… Nous  existons car nous PENSONS !
Penser, voilà un droit qu’aucune mesure  d’exclusion ne pourra jamais aliéner.
Depuis de trop nombreuses  années, nous nous sommes cantonnés dans une inertie malsaine, nourrie d’un  pessimisme ambiant dont elle provient tout autant, et se faisant le principale  ennemi de nos droits.
Aujourd’hui, alors que l’on ne cesse de spéculer sur la  prochaine ouverture de l’Europe, que les D.D.H. dans cette perspective, tiennent  une place importante dans le débat politique, en redevenant, depuis quelques  années, une cause internationale, nous sommes décidés à vaincre ce pessimisme,  cet étouffement de notre liberté d’expression, en instruisant contre l’Autorité  toutes les violations de nos droits et de nos libertés auxquelles nous soumet  l’inhumanité de notre condamnation.
L’intention de notre  collectif est donc d’attirer l’attention des pays membres de la Communauté  Européenne sur l’application que fait la France de la réclusion perpétuelle  comparée à la moyenne en usage dans ces même pays. Mais également d’appeler  l’opinion publique à une prise de conscience globale. Il serait incongru de  notre part de chercher à promouvoir des idées ou des émotions. D’utiliser un  thème à sensation pour faire entendre notre appel. Nous inscrivons simplement  notre lutte dans un processus qui s’amplifie depuis quelques années. Un  mouvement d’ensemble, qui, dans un grand nombre de milieux sociaux exprime, sous  des formes variés, des revendications spécifiques : Mouvement des Femmes ,  Luttes des Jeunes, des Travailleurs, des Personnes Handicapées, etc.
Que le  milieu carcéral n’attire pas la compassion ne retire rien a l’intérêt de nos  revendications. Qui sont des revendications de droit.
Le but de ce communiqué  n’est pas de faire un tour d’horizon des violations des droits de l’Homme par  notre pays. Tout au plus pourrions-nous poser les questions :
Pourquoi  réserver, en effet, comme l’usage semble à tort l’établir la référence " droit  de l’homme " aux situations les plus tragiques existantes dans le monde ?
Et  considérer comme des accrocs secondaires les violations qui peuvent être  relevées dans l’ensemble des pays européens, et, en particulier, en France ?
Serait-ce admettre qu’il faille excuser les si nombreuses violences  physiques commises dans les commissariats de police, les " bavures meurtrières "  qui se multiplient ces dernières années, les expulsions arbitraires et… brutales  de milliers d’étrangers ? Ou tenir comme nulle l’existence de prisonniers  d’opinions, naturelle la " psychiatrisation " des quartiers d’isolement  (nouvelle définition des ex-QHS) ?
Comme symbolique, enfin, l’inhumanité de  la réclusion perpétuelle ?
Nous pourrions essayer  d’apporter un élément de réponse. Une marque suffit : dans un système  totalitaire, les Droits de l’Homme sont faits pour la scène internationale. Pas  pour ses propres ressortissants. Ce qui n’empêche pas la France d’avoir  souscrit, sans difficulté, aux différents Pactes relatifs aux D.D.H.
Il est  vrai que, dans l’esprit du pouvoir, il n’est pas pensable que les citoyens  puissent en réclamer le respect. S’il est de la nature du droit écrit de limiter  le Pouvoir de l’Etat ; il est également de la nature de ce pouvoir d’être sans  limite.
Nous ne nous étendons pas d’avantage sur la totalité de ces  considérations, notre désir n’étant pas de souscrire à une mode, mais de clamer  notre existence.
Et le droit inhérent à celle-ci. Un droit logiquement  affirmé dans l’art.5 de la Déclaration Universelle, qui condamne la torture,  ainsi que " les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. "
Si,  dans notre situation, nous estimons déplacé d’élever des idées ou des émotions,  nous affirmons la nécessité, d’apporter une précision à cet art.5.
A savoir, qu’en  1947, René CASSIN, Prix Nobel de la Paix en 1969 , éminent juriste ayant  activement participé à l’élaboration de la Déclaration, avait estimé qu’aucun  individu " même coupable de crime " ne pouvait être soumis à des peines  cruelles, inhumaines ou dégradantes.Qu’un criminel, même s’il est disqualifié en  tant être social, conserve son humanité qui, elle, est intouchable. Qu’il ne  peut-être exclu de la communauté humaine.
A cette précision, nous ajouterons  une dernière question :
Quelle est la différence entre un criminel " civil "  et un criminel de " guerre " ?
Ce n’est pas appeler à la compassion de  répondre que la différence est énorme. Le premier peut toujours bénéficier de  circonstances atténuantes, puisque le système en tant que tel est, la plupart du  temps, responsable, en partie, du crime qu’il a commis. Le second, au contraire,  n’est jamais pardonnable, car il a tué dans un but FONDAMENTALEMENT  EXTERMINATOIRE.
Et pourtant…
L’anéantissement social, familial, moral, physique et juridique auquel nous soumet l’indétermination de la durée d’exécution de notre peine témoigne clairement que la législation française ne reconnaît aucune différence entre ces deux cas.
Ou alors…
Nous parlions, au début de  ce texte, de l’époque propice à l’argumentation sur la prochaine ouverture de  l’Europe. L’argument, dans le discours du Pouvoir a généralement pour objet de  comparer, avantageusement, la situation intérieure avec celle des autres pays.  C’est alors, également, un renouveau de faveur dont font l’objet les Droits de  l’Homme.
Thème a propagande et argument polémique ? 
Les protestations qui  s’élèvent des differents milieux sociaux répondent d’elles-mêmes à cette  question. Pour notre part, nous nous limiterons à ne relever du discours  politique que le terme : ALIGNEMENT.
Alignement des pays concernés, en  matière économique (surtout), sociale (ensuite).
Terme qui trouve son  amalgame dans l’expression maintes fois prononcée : création d’une Europe à une  seule vitesse. Ceci, du vœu même du Chef de l’Etat Français.
Alignement, oui…  mais sur la vitesse de qui ?
Doit-on supposer l’égalité desdroits entre ces  divers pays ?
Nous sommes amenés à nous interroger sur ce que sera  l’alignement de la France en matière de Justice, et notamment au sujet de la  réclusion criminelle à paerpétuité (?). Les statistiques sont édifiantes et nous  imposent une affolante réalité.
En ce qui nous concerne,  la République Française n’est pas l’égale des pays européens de caractère dits "  Libéraux ".
En France, actuellement, la durée de cette peine, avec  l’établissement de la sûreté de 18 et 22 ans, assure le condamné à perpétuité  d’un minimum de 22 longues années d’enfermement.
Sans parler de la peine  incompressible de trente ans !!! Cette affolante réalité et les interrogations  s’y rapportant, justifient déjà à elles seules notre désir de vaincre l’inertie  dans laquelle nous étions cantonnés.
Nos droits n’ayant aucune chance de  trouver un écho auprès des Hautes Instances de notre pays, tant que celle-ci ne  seront pas mises en demeure de les respecter, et comme l’époque est aussi aux  sous entendus…nous pensons qu’il est de notre devoir, de notre intérêt et de  notre espoir de rappeler notre existence aux représentants des pays membres de  la Communautés Européenne.
Nous concluons ce communiqué en résumant le projet  de notre Collectif et les articles sur lesquels nous appuyons notre  lutte.
Notre intention est donc  de déposer, en vertu de l’article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits  de l’Homme, une requête auprès de la Commission Européenne contre la Haute  partie contractante : France, pour l’application qu’elle exerce de la  condamnation à la R.C.P.
En vertu de l’Art. 3 de la convention et 5 de la  Déclaration qui condamnent la torture, " les peines et traitements inhumains et  dégradants ", nous arguons que la R.C.P. est une torture morale en ce sens que,  s’agissant d’une peine indéterminée dans sa durée , l’existence civile et  sociale de l’individu est totalement anéantie.
Il s’agit également d’une  peine inhumaine et dégradante, rejoignant en cela l’Art. 8, qui voue a toute  personne le droit aux liens familiaux, de même que l’Art.12, qui souligne  expressément le droit de fonder une famille.
L’exigence de pluralisme a  conduit les organes de la convention a définir le droit au respect de la vie  familiale, qui tend, pour l’essentiel, à préserver la liberté des comportements  intimes et à préserver l’individu contre des ingérences arbitraires. Le droit à  la liberté de la vie sexuelle fait partie intégrante du droit qui doit permettre  d’établir et d’entretenir des relation affectives avec d’autres êtres  humains.
Or, nonobstant l’indétermination de la durée de la R.C.P.  l’application française de celle-ci, non seulement interdit au condamné -souvent  jeune- de fonder une famille, mais provoque intrinsèquement la dislocation  progressive de celle qu’il pouvait avoir au moment de sa condamnation.
Dans  sa décision JOHNSTON (18 décembre 1986), la cour confirme son soucis de  renforcer le lien familial et matrimonial. Le maintient des relations conjugales  et non leur dissolution. Si l’Art. 5 de la Convention autorise à l’Etat le droit  de pouvoir priver de liberté ceux qui représentent une menace pour l’ordre  social, il ménage à l’Etat cette possibilité tout en accordant des garanties aux  personnes privées de liberté.
Dès 1962, la commission a jugé qu’une durée  excessive de détention pouvait constituer un traitement inhumain.
Voici les principaux points sur lesquels nous appuyons notre requête. Et notre lutte. Nous laissons aux connaissances de notre représentant le soin de combler certaines lacunes.
En France, nous sommes quelques centaines de " perpéts ", d’où le caractère de notre Collectif. Nous sommes évidemment disséminés dans différents Centres Pénitentiaire. Il nous faut donc une structure extra-muros qui fasse office de Coordination entre les divers établissements, afin, de tenir informés tous les intéressés de l’évolution de la situation. Et de se tenir en rapport permanent avec notre représentant auprès de la Commission. En même temps que notre Collectif, notre intention est donc de nous appuyer sur les fondements d’une association extérieure. Les coordonnées de celle-ci suivront ultérieurement.
Nous terminerons par une phrase de Monsieur Jacques DELORS ancien Président de la cour Européenne :
"[…] NOUS VIVONS SOUS L’EMPIRE DU DROIT 
A L’ECHELON EUROPEEN  COMME A L’ECHELON NATIONAL." 
(Propos tenus le 5 octobre  1991)
Moulins, le 11 août 1999



  
  
  