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Date : 16-12-2003

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Concepts et méthodes

Mise en ligne : 23 décembre 2003

Texte de l'article :

3. Concepts et méthodes utilisés

Le suicide et sa prévention font appel à des concepts issus de champs nombreux. Les recherches sur le sujet se poursuivent et les connaissances ne sont pas stabilisées. Aucune discipline ne peut avoir un monopole, ni de la connaissance, ni de l’action sur un sujet qui touche les limites extrêmes de la souffrance humaine. Le sujet étant difficile, il serait tentant de croire qu’il y a des spécialistes détenteurs des meilleures réponses.

Les pays, les régions ou les milieux qui ont su conduire avec succès une politique de prévention du suicide ont toujours associé de très nombreuses personnes (100 000 pour un pays comme la Finlande) avec des actions dans des domaines divers. Pour faire le bilan des actions entreprises depuis des années au sein des établissements pénitentiaires, nous sommes référé aux concepts utilisés internationalement pour lutter contre le suicide.

La prévention du suicide repose sur quatre axes d’action :
- la promotion de la santé : tout ce qui permet de façon non spécifique de répondre aux besoins des individus en terme de bien-être physique, psychique et social ;
- la prévention du suicide : toutes les actions individuelles et collectives qui agissent sur les principaux déterminants du suicide, comprenant l’identification des personnes à risque, le diagnostic et le traitement des troubles psychiques susceptibles de créer une souffrance majeure ainsi que toutes les mesures générales qui limitent l’accès aux moyens du suicide ;
- l’intervention en cas de crise suicidaire comprenant les actions appropriées à chacune des étapes de la crise : la phase d’idéation, la phase où le suicide devient une intention et la phase de programmation de l’acte suicidaire ;
- la postvention suite à un suicide : ensemble des actions pour la prise en charge des personnes qui ont vu la scène, assuré des secours, ceux qui avaient noué une relation d’attachement avec cette personne (familles, amis, codétenus, professionnels) et pour limiter le phénomène d’imitation par suicide auprès des personnes vulnérables.

Dans le cadre précis de cette mission, nous proposons d’inclure dans la promotion de la santé tout ce qui est :
- en faveur de la santé positive ;
- tout ce qui vise à réduire au mieux les souffrances propres à l’incarcération ;
- et aussi tout ce qui limite les dysfonctionnements et les anomalies, sources de souffrances inutiles et évitables.

- Trajectoire de la personne détenue et approche par processus
Lors des visites des établissements, effectuées dans le cadre de la mission, une perspective dynamique a été utilisée pour évaluer comment est construite la sécurité et apprécier dans quelle mesure sont ordonnés les points forts et les points faibles.

L’examen du parcours du détenu est le fil conducteur des visites. L’objectif est d’être de percevoir au mieux les perspectives de l’ensemble des personnes, que ce soit les détenus ou les différents intervenants. Une attention particulière a été portée au vécu des personnes détenues dans ce parcours et aussi à celui des professionnels.
Des informations et des faits ont été recueillis au long de cette trajectoire, incluant l’amont immédiat de la détention jusqu’au projet de sortie, pour les éléments suivants :
- le développement de sa souffrance avec ses différentes formes d’expression ;
- l’organisation prévue pour détecter cette souffrance et protéger le détenu ;
- les différents professionnels et bénévoles qui se situent sur ce parcours avec leurs compétences, leur formation initiale et continue, les interventions pour détecter et protéger ;
- les actions réalisées dans cet objectif : nature, fréquence, caractère systématique ou aléatoire, problèmes de qualité, dysfonctionnements.
Le recueil d’informations est réalisé lors des visites d’établissement en empruntant physiquement ce parcours. Les méthodes de recueil sont : l’observation, l’écoute, le questionnement, le dialogue, des entrevues avec des membres du personnel et des détenus, le recueil de documents. Les aspects fondamentaux de la prévention sont ainsi appréciés par plusieurs canaux d’information. La stabilité et les variations du processus de détection protection ont été examinées 17 fois, consécutivement au cours de nos 17 visites d’établissement, l’objectif étant d’identifier les points forts et les points faibles pour faire des recommandations les plus à même d’améliorer le processus général de prévention.
Le schéma 1 indique les éléments essentiels afin que fonctionne le processus de détection protection pour prévenir le suicide. Si les lacunes ou déficiences sont alignées, une personne détenue en crise suicidaire risque de ne pas bénéficier des actions pertinentes.
L’examen des textes qui structurent la prévention du suicide au sein des établissements pénitentiaires et des supports d’information utilisés ainsi que les visites, les entretiens et les auditions ont servi de base pour apprécier cette « construction de la prévention ».

- Le processus suicidaire
La connaissance du processus suicidaire est importante pour concevoir la prévention du suicide et pour construire le dispositif adapté. Plusieurs faits méritent d’être rappelés [1] :
- la crise suicidaire débute lorsque le suicide devient une solution face à la souffrance ;
- la crise a des étapes identifiables qui définissent le degré d’urgence (schéma 2) ;
- elle a une durée moyenne de 6 à 8 semaines, elle peut se développer plus rapidement chez les personnes qui sont fragilisées par une maladie mentale et/ou en cas d’antécédents de tentative de suicide ;
- les personnes font en général tout pour éviter d’en arriver jusqu’à l’exécution de leur intention ;
- de ce fait la crise est un équilibre métastable, réversible jusqu’au dernier instant, les personnes appelant souvent au secours quand leur geste n’est pas immédiatement mortel ;
- en population générale (schéma 3) on estime qu’environ 4% de la population vit une crise suicidaire chaque année ;
- la très grande majorité des personnes en crise suicidaire ne font pas de tentatives, mais le taux de tentatives varie beaucoup selon l’âge, le sexe et la présence ou non de troubles psychiques ;
- parmi les personnes qui font une tentative, l’immense majorité en réchappe, mais le taux de rescapés dépend très fortement du moyen de suicide employé.


Pour la population pénitentiaire ces taux sont multipliés à chaque niveau, et plus particulièrement pour le suicide en raison de la létalité des moyens utilisés. Le coefficient de sur suicuidité, qui est le facteur multiplicatif entre le taux de suicide en prison par rapport à la population générale, varie de 4,1 à 24 dans les différents pays européens (source PMJ1 DAP, 1998). La France se situe en position médiane avec un coefficient autour de 12 mais avec un taux de suicide élevé en population générale même s’il diminue régulièrement en population générale depuis 1996. En 2002, le taux de suicide est 228 pour 100 000 détenus, l’usage étant en milieu pénitentiaire d’utiliser des taux sur 10 000 détenus soit 22,8, la population carcérale étant inférieure à 100 000 personnes.

Cette approche est complétée par les éléments d’analyse qu’apporte la Commission centrale de suivi des actes suicidaires en milieu carcéral. Cette commission tente d’apporter un éclairage sur ce qui pu se passer dans les jours qui ont précédé le suicide des personnes détenues.

- Le processus de prévention dans son contexte
Les établissements pénitentiaires, de par leur structuration de plus en plus complexe dans le souci d’apporter le maximum de services aux personnes détenues, sont des lieux multi cloisonnés, les cloisons n’étant pas que des portes à ouvrir. La gestion et la prévention d’un risque, et surtout celui qui a trait à la souffrance humaine, constituent un défi car elles imposent une collaboration et une synchronisation des services, des acteurs, des actions, notamment grâce à une fluidité, une fiabilité et une rapidité des circuits d’information et de transmission. Cette synchronisation doit être simultanée en cas d’urgence ; elle est aussi dans la succession cohérente d’actions pour être non seulement simultanément ensemble mais aussi successivement ensemble autour d’un détenu en détresse.

Nous avons été très vigilant au cours de la mission :
- aux représentations, aux conceptions et aux discours, aux mythes à propos du suicide et de sa prévention ;
- au fait que la prévention du suicide est en rapport direct avec le statut des signaux faibles dans l’établissement et avec leur traitement ;
- à la souplesse d’adaptation, à la réactivité et à la mobilisation des personnes et des organisations face aux signes de détresse et aux signaux d’alerte.

- Les références et recommandations
Les recommandations existantes dans les pays qui conduisent depuis des années des politiques de prévention du suicide pour les personnes détenues constituent un fonds de connaissances, d’expérimentations et d’actions considérable. La liste des sites Internet consultés figurant en annexe montre l’importance du sujet. Les missions réalisées par la Direction de l’administration pénitentiaire conduites à l’étranger avaient déjà fait largement entrevoir les différentes approches possibles. Le document de l’Organisation Mondiale de la Santé « La prévention du suicide : indication pour le personnel pénitentiaire » [2] est un exemple de synthèse de recommandations.

Les écrits des personnes détenues
Les ouvrages écrits par les détenus sont nombreux [3]. Ils nous ont permis d’appréhender le vécu en détention et nous ont servi pour préparer les visites. La DAP a mis à notre disposition les dossiers de l’enquête administrative conduite après un décès par suicide et les lettres éventuellement laissées par les personnes décédées.

Notes:

[1] Conférence de consensus La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge. Fédération française de psychiatrie, Paris, 2001, 45p. http://psydoc-fr.broca.inserm ; http://www.sante.gouv.fr

[2] La prévention du suicide : indications pour le personnel pénitentiaire, Organisation mondiale de la santé, Genève 2002, 22p

[3] En particulier, « Paroles de détenus », sous la direction de Jean-Pierre Guéno, éd Librio France Bleu, Paris, 2002, 189p. et « Evasions de plumes Poèmes et récits de détenus », Ed Autres Temps, Marseille, 2003, 147p