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Conclusion

Mise en ligne : 8 décembre 2003

Texte de l'article :

La mission pénitentiaire, à la fois noble et ingrate consiste à retenir pendant un certain temps des hommes que la société ne supporte plus. L’administration doit les préparer et leur donner toutes les chances de trouver (ou retrouver ) une place, un jour ou l’autre, dans ce corps social qui les a rejetés. Toute la complexité de la mission se trouve formulée dans la conciliation de ces deux impératifs : retenir et éduquer. De là vient le "malaise pénitentiaire”. Tributaire des aléas de la conjoncture et des fluctuations de la politique publique, l’institution pénitentiaire se trouve souvent dans l’obligation de favoriser l’une ou l’autre de ces deux conceptions, plus souvent la première que la seconde, faute de pouvoir assumer sa mission en totalité, car très souvent, les deux termes sont antinomiques. Certes, il est plus facile, et peu coûteux de garder des hommes que de mettre sur pied des actions de réinsertion sociale. Garder un homme emprisonné sans espoir et sans projet est une folie, mais il est utopique de vouloir éduquer un adulte qui n’adhère pas au projet qu’on lui a prévu ! L’extrême complexité de la tâche de réinsertion sociale des détenus ne permet pas sa réalisation au Maroc dans le contexte actuel, avec les moyens actuels et dans l’environnement social et juridique actuel. Pour que le projet pénitentiaire puisse un jour dépasser le seuil des bonnes intentions annoncées depuis des années par de discours officiel, il faudrait le définir avec précision dans un cadre législatif global. La réforme pénitentiaire devra commencer par la réforme des textes. Aucun autre domaine de l’activité publique ne souffre, autant que le domaine pénitentiaire, du vide juridique. Deux textes en 75 ans d’existence, c’est peu. Il faudra également penser sérieusement à doter l’institution des moyens adéquats et opérationnels. A savoir : des équipes compétentes, pluridisciplinaires et surtout bien motivées, des structures architecturales appropriées et des programmes de rééducation adaptés. Le détenu marocain ne profite pas de son séjour en prison. Nous pensons l’avoir démontré. Les études qu’il peut entreprendre ne lui permettent pas d’aborder le marché de l’emploi. Il ne peut pas non plus les poursuivre une fois libéré. Même lorsqu’il a appris un métier ou acquis une formation, sa qualification ne peut lui profiter, car elle ne répond pas aux besoins du marché. Certains métiers doivent être écartés du programme de formation pour absence ou dérision des débouchés qui ne peuvent pas permettre à ceux qui les pratiquent d’en faire leur principal gagne-pain. C’est le cas de la sparterie ou de la reliure qui fournissent plus de 50 % de la main d’œuvre masculine formée dans les ateliers-corvée pénitentiaires. Quel marché aborder avec une production de nattes en feuilles de palmiers ou de couffins en paille de maïs ? Quel avenir pour un relieur qui arrive dans un marché saturé à tel point que des institutions spécialisées dans cette branche (école du livre à Rabat par exemple) ont cessé toute activité dans ce domaine ? La formation professionnelle devrait être repensée et ses règles révisées. L’introduction de certaines branches modernes et attrayantes est plus que souhaitable. L’électricité domestique ou industrielle, l’électronique, l’électrotechnique, le froid, l’informatique ou la micro mécanique sont autant de domaines qui offrent une chance de réinsertion sociale certains à travers un emploi stable et bien rémunéré. Il faudra aussi à l’administration pénitentiaire faire un effort dans le sens de la généralisation de la formation professionnelle et de son étendue à un plus grand nombre de ses protégés que sont les prisonniers. Après leur libération, les détenus formés devront pouvoir bénéficier de structures d’accueil en mesure de leur assurer une transition souple entre la détention et la liberté. Ces organismes privés pourraient s’en charger. Les associations régionales avec leurs potentialités humaines, leurs possibilités matérielles et leur vocation régionale offrent une opportunité et un cadre de choix qui conviennent à ce genre de mission. Ainsi, chaque association prendra en charge, dans un cadre qui reste à déterminer, les détenus libérés de sa région. Tant que ces structures ne seront pas mises en place, les détenus continueront de subir à leur libération le choc du contraste entre le monde qu’ils se sont imaginé et pour lequel ils se sont préparés et formés et la réalité de leur environnement social hostile. Tant que personne ne s’occupera de ces grands enfants pour guider leurs premiers pas dans le monde de la liberté, toute action de rééducation sera vouée à l’échec, et la récidive sera le sort d’un grand nombre de libérés. La lutte contre la récidive et la criminalité par l’institution de structures d’accueil des libérés ne doit pas être envisagée seulement sous l’angle social ou humanitaire. Elle constitue en vérité un investissement rentable à moyen et surtout à long terme, économiquement s’entend. Enfin, la prison doit être replacée au centre des intérêts de la société. La société civile doit s’emparer de la question pénitentiaire. L’enfermement ne doit pas rester l’affaire de la seule administration et de ses « spécialistes » souvent incompétents, il est notre affaire à tous !