Au terme de cette mission, quelques évidences se dessinent clairement :
- l’Administration pénitentiaire conduit depuis de nombreuses années des efforts importants pour assurer une réduction des suicides, sans le succès escompté ;
- le Ministère de la Santé s’associe de plus en plus à ses côtés dans cette lutte ;
- les recommandations émises par voie réglementaire portent plus sur les actions des personnels pénitentiaires que sur celles des personnels sanitaires ;
- les recommandations émises ont manqué de spécificité quant à la prévention du suicide, pour se tourner essentiellement vers l’amélioration des conditions de détention et l’amélioration du dépistage ;
- les visites des établissements ont montré que les actions de prévention étaient réelles mais non généralisées ;
- elles révèlent que les connaissances sur les méthodes de prévention du suicide sont peu maîtrisées ;
- il existe un important potentiel pour améliorer la prévention du suicide par une meilleure organisation qui s’étend de la garde à vue à la sortie de détention ;
- ce potentiel est limité par le phénomène de la surpopulation carcérale.
Les actions proposées peuvent paraître relativement réduites face à un problème d’une telle complexité. Nous insistons en effet sur ce qui manque au dispositif actuel tout en validant les nombreuses recommandations précédentes Par exemple, l’amélioration des conditions de vie des détenus est une recommandation faite par tous les rapports précédents. Nous la
reprenons totalement. Mais seule, elle est insuffisante pour réduire le suicide.
Les personnes sous main de justice ont de très nombreux facteurs de risque et des taux de suicides élevés. Réduire le suicide est donc difficile sans des actions spécifiques. Aussi, à des fins de réalisme et d’efficacité, nous avons insisté sur ce qui paraissait le plus régulièrement défaillant pour la prévention du suicide. De ce fait, la promotion de la santé est à situer en arrière plan par rapport à l’intervention de crise suicidaire et au traitement de la souffrance liée aux troubles psychiques pour atteindre cet objectif.
L’amélioration de la qualité des soins des troubles mentaux est un axe essentiel de tout programme de prévention du suicide. Un meilleur dépistage et un meilleur traitement de la dépression, sont des actions qui ont démontré leur efficacité pour réduire le taux de suicide en population générale. La réduction de la souffrance et du désespoir lié à la dépression qui touche les personnes détenues constitue une voie d’action prioritaire.
Le peu de place accordé au problème des moyens humains est lié au fait que les pratiques sont, à notre sens à modifier en premier, quand cela est nécessaire, avant d’envisager de corriger des carences en personnel connues de tous. Nous insistons sur les actes de prévention que chaque personne détenue doit pouvoir bénéficier si elle est de détresse.
Nous insistons aussi sur l’importance d’une prévention des dysfonctionnements de la vie en détention afin de ne pas faire évoluer des personnes vulnérables vers une crise suicidaire.
De même, les détenus dont la crise suicidaire prend le masque de l’agressivité, ne peuvent pas être mis au quartier disciplinaire sans risquer d’accélérer la progression de leur détresse.
La mise au quartier disciplinaire doit être réalisée seulement après s’être assuré que la personne détenue n’est pas dans une crise suicidaire
L’action de formation qui est proposée est la première étape qui devrait combler l’essentiel des lacunes en terme de connaissance et de pratique d’intervention face à une crise suicidaire. L’interactivité des formations devrait représenter une assise pour induire un changement culturel et de nouvelles pratiques. L’objectif est de passer d’une prévention intuitive à une démarche structurée et systématique.
La mise en place d’un document d’évaluation du potentiel suicidaire au long de la trajectoire de la personne, de la garde à vue, au parquet et en détention représente une prolongation et une amélioration des propositions faites par la circulaire santé/justice de 2002.
La prévention du suicide peut progresser avec un retour d’expérience sur chaque drame qui survient. En dehors de l’éventuelle recherche de responsabilité, comprendre ce qui a pu se passer est essentiel au niveau local et au niveau national. La compréhension qui est la base du travail de deuil tant de l’entourage que des professionnels est aussi garante de la
progression de la prévention.
Les possibilités d’accompagnement des familles endeuillées par suicide doivent être proposées dans les différentes régions pour aider les personnes qui le souhaitent. Ce soutien doit être intégré à celui qui devrait être proposé à l’ensemble des personnes endeuillées par suicide dont le nombre dépasse les 60 000 chaque année en France.
Le soutien des personnels pénitentiaires et sanitaires est nécessaire pour qu’ils continuent et améliorent ce qu’ils font déjà quotidiennement, c’est-à-dire prévenir le suicide en prison, mission considérée souvent de l’extérieur comme impossible, et pourtant bien réelle.
La prévention du suicide devient de plus en plus une priorité sanitaire partagée, dans laquelle s’engagent de très nombreux acteurs professionnels et bénévoles. La stratégie nationale doit servir cet espoir collectif en permettant la transition entre des actions expérimentales et des actions généralisées. Les efforts conduits et à conduire dans le monde pénitentiaire peuvent être exemplaires.