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« Le service public pénitentiaire - Prévenir la récidive, gérer la vie carcérale »

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Rapport_2010

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Date : 3-08-2010

Cour des Comptes : « Le service public pénitentiaire - Prévenir la récidive, gérer la vie carcérale »

Rapport 2010

Mise en ligne : 5 août 2010

Dernière modification : 5 août 2010

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Texte de l'article :

Paris, le 20/07/ 2010

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Le service public pénitentiaire :

« Prévenir la récidive, gérer la vie carcérale »

Au 1er janvier 2010, l’administration pénitentiaire suivait près de 235 000 personnes (+26 % depuis 2000), dont 61 000 détenus et 174 000 personnes en milieu ouvert.

Quatre ans après la publication du rapport public intitulé « Garde et réinsertion – La gestion des prisons », la Cour des comptes revient sur les suites données par l’administration pénitentiaire à ses recommandations. Elle porte un regard d’ensemble sur « l’équation » posée par la politique suivie depuis quelques années et formalisée par la récente loi du 24 novembre 2009 relative au service public pénitentiaire : sanctionner sans désocialiser et prévenir la récidive.


Le contrôle de la Cour va donc au-delà des « murs » pour évaluer les enjeux et les risques de cette politique qui assigne aux aménagements de peines le double objectif de réduire le surpeuplement carcéral et de lutter contre la récidive.

La Cour s’est penchée sur les facteurs d’évolution de la politique pénitentiaire depuis 2006

1) La Cour constate un accroissement de la population pénale et un état de surpopulation particulièrement préoccupant dans les maisons d’arrêt (qui détiennent les prévenus en attente de jugement et les condamnés dont le reliquat de peine n’excède pas deux ans lors de leur condamnation définitive). Les prévisions pour 2012 font apparaître un déficit de 11 500 places, malgré la construction de nouvelles places engagée depuis septembre 2002.

Ce déficit ne pourrait être comblé que par un développement très significatif des aménagements de peine. Il rend problématique le respect du principe de l’encellulement individuel posé par le législateur.

2) En matière de sécurité, la Cour observe une dégradation du climat global en détention en 2009 et prend acte des réformes engagées par l’administration pénitentiaire pour : généraliser la séparation des prévenus et des condamnés, mettre en place une procédure d’accueil des arrivants et développer le cahier électronique de liaison permettant le suivi individuel du détenu.

3) Concernant les conditions de vie en détention, la Cour estime qu’elles constituent un élément essentiel, non seulement de la dignité et de la sécurité de la détention, mais également de la lutte contre la récidive par la prévention de la désocialisation des détenus. La prise en charge sanitaire souffre principalement de l’inadéquation entre l’offre et la demande de soins psychiatriques et de l’insuffisante adaptation à la prise en charge de la dépendance dans une population carcérale vieillissante. La projection de déchets au bas des bâtiments, dont le volume peut être réduit par l’installation de caillebotis en métal sur les fenêtres, est un problème récurrent : le ramassage doit être organisé par l’administration pénitentiaire ou le délégataire privé car l’accumulation de déchets provoque des problèmes d’hygiène et de salubrité.

La cantine est l’organisation qui permet aux détenus d’acquérir des biens, alimentaires ou autres, pour améliorer leur vie quotidienne. La Cour regrette que les pratiques aient peu évolué depuis 2006. De fait, des écarts de prix injustifiables sont relevés sur les produits cantinés. Par exemple, la pâte à tartiner Nutella© présente ainsi un écart de prix de 73% entre les deux extrêmes et des marges minimales supérieures à 20% et atteignant parfois près de 40%. L’administration pénitentiaire a néanmoins entrepris l’élaboration d’un catalogue standardisé de produits de cantine afin de permettre la passation d’un marché national. Les critiques portées par la Cour en 2006 sur la mise à disposition des téléviseurs aux détenus, par les associations socioculturelles créées dans chaque établissement, demeurent elles aussi d’actualité : les prix vont de 6 à 41 euros par mois, de tels tarifs permettant de financer les autres activités des associations, mais aussi dans certains cas de constituer d’abondantes réserves financières.

Enfin, la Cour souligne la persistance des difficultés que rencontre le nécessaire développement du travail en détention et les lacunes en matière de formation professionnelle ; elle regrette ainsi l’insuffisante valorisation du travail en détention : moins de 20 000 détenus auraient exercé une activité professionnelle en 2008.

4) S’agissant de la coexistence de deux modes de gestion (publique et mixte), la Cour observe que les observations qu’elle a formulées en 2006 demeurent d’actualité. En premier lieu, l’administration pénitentiaire ne dispose toujours pas d’outils ou d’indicateurs fiables permettant de comparer les deux modes de gestion. En second lieu, et malgré l’absence de données de comparaison, la gestion mixte a connu une extension décisive : les loyers contractuels versés aux prestataires privés ont ainsi connu une hausse sensible (+54% entre 2006 et 2009) et représentent une part croissante des crédits de fonctionnement de l’administration pénitentiaire (37% en 2009), ce qui fait courir le risque d’un système de prisons à deux vitesses en raison d’une insuffisance budgétaire pour la gestion publique.

La Cour a cherché à évaluer l’efficacité de la politique de prévention de la récidive

La prévention de la récidive est, depuis 2008, la principale finalité de l’action des 103 services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) créés en 1999, mais ceux-ci ne sont pas les seuls acteurs de la lutte contre la récidive, qui dépend largement des juges d’application des peines et de leurs partenaires socioprofessionnels. Malgré leur rôle pivot, les SPIP ne coûtaient en 2008 que 190 millions d’euros, soit près de 8% des crédits de l’administration pénitentiaire. Les 3 750 agents de ces SPIP assurent le suivi des 186 600 mesures en milieu ouvert en 2010. La Cour estime que les ressources humaines des SPIP sont dans une situation tendue et précaire.

Au total, la Cour dresse un bilan mitigé : tout en affirmant le bien-fondé des SPIP, elle regrette que les outils d’évaluation de cette politique n’aient pas été mis en place.

L’organisation pénitentiaire s’articule de manière schématique autour du milieu ouvert, qui recouvre l’essentiel des mesures suivies par les SPIP, et du milieu fermé, c’est-à-dire de la détention. Relèvent du milieu ouvert les personnes condamnées qui n’ont jamais été écrouées (bénéficiaires de mesures alternatives à l’incarcération) ou qui ont bénéficié d’une « levée d’écrou » (libération conditionnelle).

Le milieu ouvert occupe une place de plus en plus prépondérante dans le monde pénitentiaire (71,85% de la population pénale au 1er janvier 2010 et 186 600 mesures pour 174 000 personnes concernées). Toutefois, les « sorties sèches » (sorties de prison sans avoir bénéficié d’aménagement de peine) sont encore majoritaires, avec ce paradoxe que les condamnés concernés, parce qu’ils ne remplissent pas les conditions d’un aménagement de peine, du fait de leur profil criminologique, se trouvent amenés vers le mode de sortie de prison le moins préparé, ce qui induit le plus grand risque de récidive. Cependant, les aménagements de peine, qui constituent une solution pour réguler la population carcérale, ont connu une forte croissance (+94,2 % depuis 2002, qui s’explique pour l’essentiel par le quintuplement des aménagements de peine sous écrou – placement sous surveillance électronique mobile, semi-liberté, placement à l’extérieur).

La préparation à la sortie est un défi à poursuivre.

En détention, l’administration pénitentiaire explore de nouvelles pratiques d’accompagnement individuel et collectif, comme l’élaboration d’un parcours d’exécution de peine ou la spécialisation de certains établissements pénitentiaires à des catégories de détenus en vue d’une réinsertion plus efficace.

En milieu ouvert, plusieurs moyens de préparer les condamnés à leur sortie de prison coexistent. Le placement extérieur, qui a augmenté fortement depuis 2006 (+117 %), représente actuellement moins de 10 % des mesures prononcées par les magistrats.

Avec 2 255 places disponibles au 1er juillet 2009, la semi-liberté offre un fonctionnement et un maillage à optimiser. L’organisation des centres et quartiers « semi-liberté » (horaires d’entrées et de sorties) est bien souvent trop rigide pour s’adapter aux conditions de travail des condamnés détenteurs d’un emploi ou engagés dans un processus de reclassement professionnel. L’implantation des sites mériterait également d’être adaptée à la répartition des « semi-libres » sur le territoire et à leurs bassins de vie. Enfin, la semi-liberté est aujourd’hui la mesure d’aménagement de peine la plus coûteuse.

Enfin, depuis 2006, le placement sous surveillance électronique (PSE) est entré dans une phase de déploiement intensif. Il représentait ainsi 40 % des mesures d’aménagement de peine prononcées sur le territoire en 2008 (soit un total de 11 259 placements). Malgré cela, la rationalisation de la gestion des bracelets électroniques a tardé à se mettre en oeuvre.

En conclusion, la Cour estime que trois enjeux conditionnent la réussite de la politique pénitentiaire :

1. En premier lieu, le ministère doit éviter que ne se développe un système de prisons à deux vitesses, sous l’effet de la réduction tendancielle des moyens budgétaires affectés au secteur public face à l’augmentation des garanties financières fournies, à bon droit, aux prestataires privés.

2. En deuxième lieu, l’amélioration des conditions de vie en détention est un facteur déterminant pour limiter les tensions, préparer l’insertion ou la réinsertion sociale des détenus, et donc contribuer à la prévention de la récidive.

3.Enfin, en faisant des aménagements de peine un outil de régulation de la population carcérale et de préparation à la réinsertion, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 sort d’une logique de détention à tout prix. Ce « pari » repose principalement sur l’engagement et les moyens des personnels du service public pénitentiaire, notamment des SPIP.

Convaincue que le service public pénitentiaire français peut renforcer son efficacité et gagner en dignité, et ainsi mieux supporter les comparaisons avec les démocraties voisines, la Cour formule 28 recommandations, dont 16 sont prioritaires :

Première partie : Les facteurs d’évolution de la politique pénitentiaire
1. Etendre la mise en oeuvre des règles pénitentiaires européennes.
2. Poursuivre la différenciation des centres pénitentiaires, selon la dangerosité des détenus et les aménagements de peine possibles.
3. Achever l’harmonisation des règlements intérieurs des établissements, selon leur catégorie.

Deuxième partie : La coexistence de deux modes de gestion : gestion publique et gestion mixte
4. Professionnaliser les agents en charge de l’audit des fonctions externalisées et augmenter la fréquence des audits des prestations de gestion déléguée.
5. Elaborer une méthode fiable de comparaison entre la gestion déléguée et la gestion publique, en intégrant des indicateurs de coûts mais également de qualité de service.

Troisième partie : Les conditions de vie en détention
6. Améliorer la prise en charge de la santé des détenus.
7. Améliorer la collecte des déchets et renforcer le nettoyage des établissements.
8. Réduire les écarts de prix des cantines entre les établissements pénitentiaires.
9. Réformer et homogénéiser les conditions tarifaires de location de téléviseurs en détention.
10. Dans le cadre des marchés de gestion déléguée, inciter à investir davantage dans l’équipement des ateliers, à diversifier les activités et à mieux articuler travail et formation professionnelle.

Quatrième partie : Le rôle et le fonctionnement des SPIP
11. Répartir les effectifs et les crédits de fonctionnement des SPIP sur une base claire et normalisée.
12. Développer les études portant sur la prévention de la récidive.
13. Systématiser la coopération entre les missions locales et l’administration pénitentiaire pour améliorer l’insertion socioprofessionnelle des jeunes détenus.

Cinquième partie : La prévention de la récidive : une priorité à objectiver
14. Faire évoluer les modalités de suivi des personnes placées sous main de justice.
15. Revoir les implantations des CSL et des QSL en fonction des besoins et de leur efficience et adapter leurs conditions de fonctionnement au travail des détenus.
16. Finaliser l’application de l’accord cadre pour la fourniture et la gestion des stocks de bracelets électroniques.


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