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De faux avis psychiatriques pour justifier des sanctions contre des détenus

Mise en ligne : 27 août 2006

Texte de l'article :

De faux avis psychiatriques auraient été établis pour justifier des sanctions contre des détenus. 

C’était en mars 2005, à la prison d’Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône), un détenu a foncé sur François Arnaud, son psychiatre, le chef de service du Spad [1]. « Il était fou de colère, raconte le médecin, il m’a lancé : "C’est scandaleux, vous avez violé le secret médical et en plus vous avez dit n’importe quoi !" » 
A sa grande stupeur, le médecin découvre l’imprimé que lui tend son patient et intitulé « rapport d’enquête », retraçant un incident en prison dans lequel était impliqué le prisonnier. Y figure un paragraphe intitulé : « Eléments de personnalité : maîtrise de la langue française, observations recueillies auprès du service médical, avis du psychiatre le cas échéant.  » Rien que cela est déjà très bizarre, puisque cela revient à demander aux médecins de violer leur secret professionnel. De balancer, en fait, des informations confidentielles dans le cadre d’une enquête interne à la prison, après une faute commise par un détenu. La finalité est une sanction, très souvent le mitard. Pire encore, le psychiatre peut y lire son prétendu avis : « Détenu qui connaît bien la détention et cherche toujours à se défiler. Il a toujours à l’esprit un scénario pour se disculper. » 
Cette fois, c’est le médecin qui est fou de rage. « Non seulement ce paragraphe nommé "Avis du psychiatre" est totalement antinomique avec notre éthique, nos missions et notre déontologie, mais en plus il s’agit de faux utilisés par l’administration pénitentiaire ! » 

« Un peu fourbe ».
 Le docteur Arnaud demande des explications au ministère de la Justice, à la direction de la prison, saisit le conseil national de l’ordre des médecins et les syndicats de psychiatres. Entretemps, lui parviennent d’autres comptes rendus, tout aussi bidons. Entre autres : « Le détenu X a des difficultés à respecter le règlement intérieur de l’établissement. Il est un peu fourbe. Il se dit influencé par la détention. » Et, moins comique, mais plus plausible de la part d’un psychiatre : « Détenu fragile psychologiquement . » 

« Détenu implosif ». Par la suite, François Arnaud et les autres psychiatres du Spad remarquent que, si certains de leurs patients viennent protester et leur montrer les rapports qui les concernent, « d’autres ne sont plus jamais venus nous rencontrer, car les détenus discutent entre eux, et il s’est dit que nous trahissions le secret. Cela a des conséquences inouïes sur notre travail ! » 
D’avril à novembre 2005, des courriers s’échangent entre le docteur Arnaud, l’ordre des médecins, la chancellerie et d’autres confrères qui travaillent en prison. « Cette question a déjà été soulevée [...], les tutelles Santé et Justice ont été interpellées... sans suite jusqu’à présent  », écrit ainsi une consoeur qui lui signale qu’à la prison des Baumettes, à Marseille, des patients se sont plaints de cette « violation du secret professionnel, voire de diffamation ». 
L’Ordre s’émeut aussi. « Souscrivant totalement aux réflexions du docteur Arnaud  », il proteste auprès de l’administration pénitentiaire. Le 31 mars 2006, le ministère de la Justice a donc envoyé une note aux directions régionales de l’administration pénitentiaire dans laquelle il était demandé de « supprimer ces imprimés s’appuyant sur des éléments recueillis auprès des services médicaux », explique-t-on au ministère. Mais, à la mi-août 2006, un détenu revient vers le docteur Arnaud et lui brandit un « détenu implosif  » écrit en dessous de l’avis médical. Rien n’a changé... « La modification devait se faire, mais c’est très lourd à changer, car l’imprimé est intégré dans le système informatique gérant le parcours des détenus, se justifie le ministère, mais ce sera chose faite début octobre. » 

Le docteur Arnaud ne décolère pas : « Cette histoire est très grave. Il est indispensable que nous travaillions de façon très distincte des autres intervenants de la prison, c’est la seule manière d’être en confiance avec nos patients. Mais cet imprimé est emblématique de l’attitude de l’administration pénitentiaire qui tente de tout maîtriser ! » Et en plus de fabriquer des faux...

Dominique SIMONNOT
Source : Libération

Notes:

[1] SPAD Service psychiatrique de soins ambulatoires aux détenus