3) Discipline, mesures de contrainte et de sécurité à l’égard des mineurs détenus
Les Règles des Nations Unies énoncent que « Toutes les mesures disciplinaires qui constituent un traitement cruel, inhumain ou dégradant, telles que les châtiments corporels, la réclusion dans une cellule obscure ou en isolement, et toute punition qui peut être préjudiciable à la santé physique ou mentale d’un mineur doivent être interdites. (...) L’interdiction des contacts avec la famille doit être exclue, quelle qu’en soit la raison. »
De son côté, le CPT s’est déclaré « tout particulièrement préoccupé par le placement de mineurs dans des conditions s’apparentant à l’isolement, une mesure qui peut compromettre leur intégrité physique et/ou mentale. Le Comité estime que le recours à une telle mesure doit être considéré comme très exceptionnel. Si des mineurs sont hébergés à l’écart des autres, ceci devrait être pour la période la plus courte possible et, dans tous les cas, ils devraient bénéficier de contacts humains appropriés, disposer de lecture et se voir proposer une heure au moins d’exercice en plein air par jour. Toutes les procédures disciplinaires appliquées aux mineurs devraient être accompagnées de garanties formelles (...) En particulier les mineurs devraient avoir le droit d’être entendus au sujet de l’infraction qui leur est reprochée, et de former un recours contre une instance supérieure contre toute sanction prononcée à leur encontre » [1].
S’agissant du régime disciplinaire des détenus mineurs, la procédure concernant le déroulement des poursuites, définie par le Code de procédure pénale [2], est commune aux adultes et aux mineurs. Lorsqu’il est appelé à comparaître devant la commission de discipline, le mineur peut être assisté d’un avocat ou d’un mandataire agréé, en application de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 [3]. Il est prévu que, « dans toute la mesure du possible », le chef d’établissement informe des poursuites disciplinaires « les titulaires de l’autorité parentale afin qu’ils se prononcent sur la désignation éventuelle d’un avocat ou d’un mandataire pour assister le mineur au cours de la procédure » et ce, « par l’envoi d’un document » [4]. L’imprimé prévu à cet effet mentionne la possibilité de bénéficier de l’aide juridique pour la rémunération de l’avocat. Il indique également qu’en l’absence de réponse des titulaires de l’autorité parentale, un avocat sera désigné par le Bâtonnier. L’obligation qui est ainsi faite au chef d’établissement de suppléer à l’abstention des parents est la bienvenue. Elle mériterait d’être affirmée expressément dans les textes. Il serait également souhaitable de préciser que l’intervention d’un avocat est obligatoire à peine de nullité de la procédure.
La sanction la plus lourde pouvant être prononcée à l’encontre d’un mineur de seize ans ou plus est le placement au quartier disciplinaire pour une durée de 15 jours maximum en cas de faute du premier degré avec violence contre les personnes, huit jours pour les fautes du premier degré sans violence, et cinq jours et trois jours respectivement pour les fautes du deuxième et du troisième degrés. Les mineurs de moins de seize ne peuvent faire l’objet d’une mise en cellule disciplinaire. Le confinement en cellule ordinaire, la mise à pied ou le déclassement d’un emploi et la privation d’activités de formation ne sont pas applicables aux mineurs de moins de seize ans.
Proposition 3
La CNCDH considère que les garanties accordées aux mineurs dans le cadre des poursuites disciplinaires doivent être prévues dans une loi. Ces garanties doivent inclure l’assistance systématique d’un avocat. La CNCDH souhaite que soit facilitée l’information et amélioré l’accès à l’avocat dont l’assistance devrait être rendue obligatoire pour toutes les procédures concernant le mineur détenu (disciplinaire, aménagement des peines,...). De plus, La Commission rappelle qu’elle a recommandé la substitution des sanctions de confinement en cellules ordinaires au placement au quartier disciplinaire. Cette recommandation vaut a fortiori pour les détenus mineurs.
En outre, la CNCDH insiste sur les nouvelles dispositions qui vont être mises en œuvre à compter du mois de janvier 2005. Elle sera particulièrement attentive à leur application. [5]
Parallèlement à la procédure disciplinaire, des établissements ont recours à un régime de détention différencié pour les mineurs. Suivant le comportement adopté par le jeune en détention, il est affecté dans des unités dont le fonctionnement est plus ou moins « libéral ». La différence s’opère essentiellement par le nombre d’heures consacrées aux activités collectives, et bien souvent - ce qui n’est pas dépourvu de signification - du caractère plus ou moins récent du modèle de console de jeux mise à la disposition des jeunes. L’affectation dans telle ou telle partie de la détention s’effectue sans contradictoire et sans possibilité de recours. La « rétrogradation » d’une catégorie à une autre n’est pas suffisamment expliquée pour être comprise par celui qui en fait l’objet.
L’organisation de ce régime répond à la volonté de réduire les désordres au sein de la détention. Il est pour le moins improbable que ce système d’avantages accordés ou retirés soit véritablement pédagogique et structurant pour les intéressés. Il est par ailleurs certain que les décisions d’affectation ne sont pas toujours prises dans l’intérêt de l’enfant alors qu’il convient de faire prévaloir les exigences de son développement personnel sur les techniques de gestion de la détention. En toute hypothèse, l’administration étant volontiers conduite à mettre en œuvre une procédure qui n’est soumise à aucune formalité,- à l’inverse de celles prévues dans le cadre du régime disciplinaire, ce dispositif présente le risque d’une utilisation abusive. D’autant plus qu’il ne repose sur aucun fondement juridique, le régime de détention des mineurs devant être défini à tout le moins par décret en Conseil d’Etat.
D’une manière générale, les mineurs détenus peuvent faire l’objet de mesures leur faisant indéniablement grief, telles que le transfert, le déclassement d’un emploi, l’interdiction de correspondance, etc., qu’ils ne peuvent contester devant les tribunaux, n’ayant pas la capacité juridique d’agir en justice. Il convient pourtant qu’ils puissent faire contrôler la légalité de ces décisions par un juge.
Proposition 4
La CNCDH considère que l’accès aux activités des jeunes ne doit pas être retiré ou restreint en fonction de considérations tenant à la gestion de l’ordre interne. Le traitement réservé aux mineurs détenus doit coïncider avec leurs besoins éducatifs et sociaux. Un suivi personnalisé des jeunes serait beaucoup plus respectueux des principes consacrés par le droit international. Elle recommande également la représentation du mineur dans le cadre des procédures administratives pouvant aboutir à des décisions qui lui sont défavorables.
Les conditions d’utilisation de la contrainte constituent un autre motif de préoccupation pour la CNCDH. Des pratiques comme la mise à nu de mineurs au quartier disciplinaire n’ont, malheureusement, pas totalement disparu. Plus largement, des cas où il a été fait un usage de la force manifestement disproportionnée à l’encontre de mineurs ont été rapportés. Ces interventions ont créé un climat délétère durable au sein des quartiers concernés. L’usage de matraques, gaz lacrymogènes et, a fortiori, d’armes à feu dans les quartiers pour mineurs doit être absolument proscrit, tout comme le recours à la « gifle pédagogique ». Ces évidences ne devraient pas nécessiter d’être rappelées.
De même, au sein de certaines directions régionales, il est fréquent que des mineurs soient transférés à la suite d’incidents disciplinaires. Des détenus considérés comme particulièrement difficiles par l’administration pénitentiaire font l’objet de transferts successifs. Il arrive que le juge des enfants ne soit pas consulté ou même tenu informé lors de la mise en œuvre de ces mesures qui peuvent anéantir le travail éducatif accompli jusque-là et rompre totalement les liens familiaux des jeunes détenus. Il convient en la matière de se rappeler que les Règles des Nations Unies établissent que « les mineurs ne doivent pas être transférés arbitrairement ».
En ce qui concerne l’utilisation des menottes, une note de l’administration pénitentiaire du 14 octobre 2004 indique que « A compter de ce jour, tous les détenus, quelle que soit leur dangerosité, leur catégorie ou leur situation pénale, devront être menottés dans le dos en permanence (pendant leur trajet et à l’hôpital) sauf impossibilité liée à des motifs d’ordre physique et médical. » Désormais, les mineurs se trouvent donc menottés systématiquement lorsqu’ils sont extraits pour une consultation à l’extérieur. Cette disposition est manifestement contraire à l’article 803 du Code de procédure pénale qui prévoit que « Nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s’il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite ». La circulaire générale du 1er mars 1993 relevait au sujet de cette dernière disposition qu’« A l’égard des mineurs, le caractère d’exception conféré par la loi au port des menottes et des entraves doit être plus marqué. L’appréciation du risque devra donc être particulièrement attentive. »
Proposition 5
La CNCDH rappelle que l’usage de la force à l’égard de mineurs est en principe exclu, sauf situation insurmontable mettant en danger la sécurité des personnes. Des consignes en ce sens devraient régulièrement être adressées aux agents. Les incidents à répétition dans les quartiers de mineurs génèrent inévitablement un état de tension et d’épuisement chez les personnels qui peut conduire, en retour, à une recrudescence préjudiciable de l’agressivité générale. Il est important que les effectifs de surveillants en poste dans ces quartiers soient assez importants pour permettre des rotations et des temps de repos suffisants. L’interdiction du transfert à titre disciplinaire doit également être rappelée aux directions régionales. Pour ce qui est de l’utilisation des menottes à l’égard des mineurs détenus, la CNCDH recommande à l’Administration pénitentiaire de veiller au respect scrupuleux de l’article 803 du Code de procédure pénale.