Guillaume Wilemme - La loi relative à l’individualisation des peines, entrée en vigueur le 1er octobre, prévoit des condamnations alternatives à l’emprisonnement. Un pas de plus vers la fin nécessaire de la prison.
La contrainte pénale consiste pour les condamnés à intégrer "un programme de suivi et de contrôle visant à [les] responsabiliser et à interrompre [leur] trajectoire de délinquance" (1). Les Français sont divisés à ce sujet alors que la peine de mort fait encore débat. Il suffit d’aller interroger quelques personnes dans la rue ou simplement de constater que son rétablissement fait partie du programme du Front National, parti arrivé en tête au nombre de voix lors des dernières élections.
Michel Foucault nous rappelle dans "S urveiller et Punir" que la prison n’avait vocation qu’à être une situation temporaire pour les condamnés en attente de l’exécution d’une véritable peine, allant du supplice à la peine capitale. Passer de la sanction physique à la peine de réclusion peut être considéré comme un progrès.
La prison est censée, à la fois, protéger les citoyens en contrôlant les individus dangereux et faire aussi office de punition en privant les détenus d’une partie de leur liberté. Son apparente commodité a fait son succès. Pourtant, ce système s’avère inefficace en pratique et il foule aux pieds les idéaux humanistes qui caractérisent notre civilisation depuis les Lumières. À défaut de lui trouver un remplaçant, il perdure. Les technologies du XXIe siècle appellent enfin ce progrès nécessaire, celui qui tournera la page de l’archaïque prison.
La prison ne remplit ses objectifs ni de réinsertion ni de sécurité
Il est bien connu que le retour au quotidien des ex-détenus est un échec. Préparer les condamnés à vivre normalement dans la société civile en les mettant à l’écart est paradoxal. Comment est-il possible d’enseigner à vivre de façon saine et équilibrée en rompant tout lien avec l’extérieur ? Trouver sa place dans la société et acquérir ses normes passe par un vécu de tous les jours, une expérience dont on les prive. L’incarcération et l’isolement produisent de la méfiance vis-à-vis du monde extérieur et conduisent à avoir une mauvaise lecture de la réalité.
La radicalisation d’une jeunesse dans les prisons, avec les dangers terribles que cela entraîne pour le reste de la communauté, ne doit pas nous étonner. Quant au risque de récidive, les chiffres parlent d’eux-mêmes : le taux de recondamnation dans les cinq ans d’un sortant incarcéré pour vol simple en 2002 était de 74 % (2). Les individus sortent de la prison totalement déconnectés des marchés du travail et du logement, quand ils n’avaient pas déjà perdu le contact avant même leur incarcération.
Il existe des dispositifs pour préparer la réinsertion comme la formation au sein de la prison ou l’accompagnement en milieu ouvert, mais ils restent insuffisants pour éviter les risques de chômage et de pauvreté. Aujourd’hui, la prison n’est plus le seul outil capable d’assurer une surveillance des condamnés.
De nouvelles technologies de surveillance ont émergé, du bracelet électronique au suivi des activités sur Internet. Ces moyens permettent de travailler avec les condamnés dans le but de les amener sur le bon chemin tout en étant contraignants, ce qui est impératif pour préserver un degré de sécurité.
Une voie pour changer la perception des condamnés et défendre notre idéal humaniste
Un individu ne nait pas délinquant ou criminel ex nihilo. L’environnement est un déterminant majeur. Comment se fait-il simplement que les prisonniers ne soient pas représentatifs du reste de la population ? Ils sont moins diplômés, issus de milieux sociaux plus modestes (3). L’École et la société ne jouent pas leurs rôles de créateurs de lien social.
Il en résulte une profonde hypocrisie de la société qui consiste à incriminer et sanctionner des comportements dont elle est responsable en partie. La prison s’apparente à une poubelle dans laquelle est jeté l’équivalent des "déchets de la société" qu’elle-même fabrique. C’est ainsi que sont perçus les prisonniers par la société et qu’eux-mêmes se perçoivent.
L’approche de la peine d’emprisonnement est en opposition avec nos valeurs humanistes. Il ne faut pas oublier qu’un délinquant ou un criminel est avant tout un Homme et doit être traité comme tel. La civilisation occidentale s’est fondée sur la croyance que l’Homme n’est pas prédéterminé et qu’il peut se changer, s’améliorer, se construire, se reconstruire.
C’est croire à la rédemption du pécheur, héritée du christianisme ! Au contraire, l’incarcération, quelle que soit sa durée, pénalise pour toute une vie. Pour filer la métaphore, l’alternative à la prison qu’un système de surveillance moderne propose intègre une logique de recyclage, dans l’idée qu’il est possible d’extraire du positif de chaque personne.
Inverser les priorités dans la prise en charge des condamnés
La structure et le fonctionnement de la prison se fondent sur les objectifs, premièrement, de contrôle des détenus et, deuxièmement, de préparation à la réinsertion. Avec les technologies de surveillance modernes, les priorités s’inversent au bénéfice de l’accompagnement des condamnés. Un suivi personnalisé, un projet d’avenir ne seraient plus envisagés en vue d’une libération à venir, mais seraient l’objectif même de la peine prononcée.
Alors que les détenus interagissent en premier lieu avec les surveillants pénitentiaires, les principaux intervenants auprès des condamnés seront des éducateurs spécialisés et des assistants de service social. Il s’agit de promouvoir un service à l’écoute des condamnés et de susciter des relations de confiance plutôt que de méfiance avec le personnel encadrant.
Si la punition est considérée comme nécessaire, ne serait-ce que pour motif de dissuasion, ce progrès modifie la forme de privation de liberté. De la prison qui entrave les libertés physiques de l’individu, la voie reposant sur la surveillance électronique et informatique pénètre dans la vie privée des condamnés et supprime leur anonymat. Mes connaissances en Droit et en technologie ne me permettent pas d’approfondir les conséquences et la mise en pratique d’un tel système.
Bien qu’imparfaites, des solutions de ce type doivent être étudiées et testées rigoureusement. Elles font des condamnés les acteurs de leur réinsertion. En travaillant avec eux, nous serons capables, d’une part, de leur proposer une place dans la société et, d’autre part, de garantir la sécurité de tous.
Guillaume Wilemme
(1) : Citation tirée du site du Ministère de la Justice, http://www.justice.gouv.fr/la-refor...
(2) : "Les risques de récidives des sortants de prison. Une nouvelle évaluation", Kensey et Benaouda, Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, 2011
(3) : "L’histoire familiale des hommes détenus", Cassan, Toulemon et Kensey, INSEE Première, 2000
En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/idees-debats...