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Extrait du "rapport France" d’Amnesty International 2001

Mise en ligne : 21 février 2003

Texte de l'article :

Auteur Amnesty International
 Editeur EFAI
 Nb Pages 3
 Parution 30/5/2001
 Réf POL 10/001/01EUR21
 
 
FRANCE

REPÈRES
République française
CAPITALE : Paris
SUPERFICIE : 543 965 km2
POPULATION : 58,9 millions
CHEF DE L’ÉTAT : Jacques Chirac
CHEF DU GOUVERNEMENT : Lionel Jospin
LANGUE OFFICIELLE : français
PEINE DE MORT : abolie

De nouveaux témoignages de brutalités policières, en particulier contre des demandeurs d’asile ou d’autres personnes originaires de pays non européens, ont été recueillis. Plusieurs coups de feu, dont certains mortels, ont été tirés par la police dans des circonstances controversées. Certains tribunaux ont continué à favoriser la persistance d’une impunité de fait, notamment dans les cas de morts en détention. Les conditions prévalant dans les zones d’attente pour demandeurs d’asile ont été qualifiées d’inhumaines et dégradantes. Le livre d’un médecin de l’administration pénitentiaire a relancé le débat sur l’état des prisons françaises. Des réfugiés étaient toujours soumis à une forme de détention administrative prolongée. Deux généraux français, entre autres, ont publiquement avoué avoir pratiqué la torture et des exécutions extrajudiciaires pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie.

Contexte
De nouvelles lois qui devraient modifier la situation en matière de droits humains ont été adoptées ou annoncées. En juin, le Parlement a voté une " loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes ". Parmi les nouvelles mesures qui en découlent, citons la possibilité d’interjeter appel devant une cour d’assises et la possibilité pour le détenu d’être assisté par un avocat dès la première heure de garde à vue, sauf dans les cas d’infractions liées au terrorisme ou au trafic de stupéfiants. L’enregistrement vidéo des interrogatoires de mineurs effectués par la police devrait contribuer à prévenir les actes de brutalité lors de la garde à vue. Cependant, un projet visant à étendre cette mesure aux interrogatoires des adultes a été repoussé devant la farouche opposition de la police.
En juin, le Parlement a aussi voté une loi créant une Commission nationale de déontologie de la sécurité pour veiller au bon fonctionnement des codes de conduite des agents de la force publique et à leur application.
À la suite de la publication d’un livre dans lequel le Dr Véronique Vasseur, alors médecin chef à la prison de la Santé à Paris, dénonçait les conditions de détention inhumaines et dégradantes qui régnaient dans cet établissement, deux commissions d’enquête ont été désignées et ont publié des rapports critiquant la situation existante. En octobre, la ministre de la Justice a annoncé qu’elle préparait une loi portant sur divers aspects du système pénitentiaire. En novembre, une loi prévoyant que les prisonniers soumis à une procédure disciplinaire pourraient se faire assister d’un défenseur est entrée en vigueur.
En décembre, à la suite de l’accord de Matignon sur le futur statut de la Corse, l’Assemblée de Corse a approuvé un avant-projet de loi qui prévoit le transfert à l’île de toute une série de pouvoirs législatifs et réglementaires. Certains actes de violence ont été attribués à des groupes nationalistes bretons, basques et corses, et le département d’outre-mer de la Guyane a été le théâtre de troubles et d’émeutes. En septembre et en octobre, les représentants de 18 mouvements indépendantistes et autonomistes de métropole et d’outre-mer se sont réunis à Paris pour discuter en commun des moyens d’avancer sur la voie de l’autodétermination.

Torture et homicides d’Algériens
Une pression accrue s’est exercée sur la Préfecture de police de Paris pour qu’elle ouvre ses archives sur le massacre d’octobre 1961, perpétré par des policiers français contre des Algériens qui manifestaient pacifiquement à Paris pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie (1954-1962). Le nombre de victimes n’a toujours pas été établi et les chiffres avancés varient de 32 à 200. En juin, le journal Le Monde a publié le témoignage de Louisette Ighilahriz. Cette femme, ancienne militante du Front de libération nationale (FLN), racontait comment elle avait été torturée par les parachutistes français en 1957. Après la publication de cet article, le général Massu a exprimé ses regrets pour la torture pratiquée en Algérie.
En octobre, 12 personnalités ont demandé aux autorités de reconnaître que la France avait eu recours à la torture pendant la guerre et de condamner cette pratique. Les généraux Jacques Massu et Paul Aussaresses ont tous deux admis leur participation personnelle à des actes de torture et à des exécutions extrajudiciaires. La torture, qui était aussi pratiquée par la police française avant le début de la guerre, consistait notamment à infliger aux victimes de violentes décharges électriques, à les suspendre par les bras et les jambes et à leur maintenir la tête enfoncée dans l’eau d’une baignoire. En novembre, Amnesty International a demandé que tous ceux qui s’étaient rendus coupables de crimes contre l’humanité pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie soient traduits en justice. Selon Amnesty International, le refus des gouvernements successifs d’aborder cette question avec franchise a conforté dans l’opinion l’idée que la torture, les exécutions sommaires et les " disparitions " étaient des " maux nécessaires ".

Coups de feu tirés par la police
On a continué à déplorer le recours fréquent des policiers à une force excessive et parfois meurtrière. Des faits de cette nature ont notamment eu lieu lors d’enquêtes sur des vols de voiture dans les grandes villes ou dans les quartiers défavorisés des banlieues où habitent de nombreux jeunes d’origine nord-africaine. En avril et en septembre, deux homicides commis par des policiers ont provoqué des émeutes dans les quartiers sud de Lille et dans deux villes de Seine-et-Marne.
En avril, à Lille, la mort de Riad Hamlaoui, résident algérien en France, a été suivie de deux nuits d’émeutes. Le jeune homme, qui circulait comme passager dans une voiture apparemment volée, a été abattu par un policier. La balle mortelle, tirée de très près, lui a traversé le cou. Ni Riad Hamlaoui ni le conducteur du véhicule n’étaient armés. Le conducteur était sorti de la voiture mais, selon le policier, Riad Hamlaoui, qui était resté à l’intérieur, aurait fait " un geste brusque ". Ce geste, aperçu par le policier alors qu’il faisait nuit et que les vitres étaient couvertes de buée, aurait amené ce dernier à craindre pour sa vie. Le policier a été écroué après avoir été mis en examen pour " homicide volontaire ". Deux reconstitutions des faits ont eu lieu en juin et le policier a été mis en liberté provisoire en juillet.

Mauvais traitements en garde à vue et en détention
De nombreux témoignages ont fait état de brutalités policières. Dans la plupart des cas, il s’agissait de coups de matraque ou de coups de poing. Parmi les victimes présumées figuraient des demandeurs d’asile d’origine cubaine ou africaine et plusieurs femmes, résidentes en France et originaires de pays non européens, qui affirmaient avoir été victimes d’agressions et d’injures racistes.
De nombreux cas de mauvais traitements et de harcèlement par des policiers se seraient produits à l’hôtel Ibis et dans d’autres lieux de détention de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. En février, Amnesty International a attiré l’attention du ministre de l’Intérieur sur ces allégations et déploré l’utilisation de ces locaux inadaptés et en piètre état. La tension existante risquait en effet de provoquer un affrontement entre demandeurs d’asile et policiers. L’organisation n’a reçu aucune réponse du ministère.
En septembre, des magistrats du département de Seine-Saint-Denis ont accusé des policiers de nombreux mauvais traitements à l’égard de mineurs soupçonnés d’actes de délinquance. Ces faits s’étendent sur plusieurs années et comprennent, entre autres, le cas d’un mineur qui a subi un jeu de roulette russe et celui de cinq jeunes Noirs utilisés comme punching-balls.
Shekuna Sumanu, originaire de Sierra Leone, fait partie d’un groupe de Sierra-Léonais qui ont affirmé avoir été victimes de mauvais traitements et d’injures racistes de la part de policiers à l’hôtel Ibis de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle quand, la veille du Nouvel An, ils se sont réunis dans un couloir pour prier et chanter comme l’exigent leurs rites religieux. Shekuna Shemanu aurait reçu des coups de matraque sur les cuisses et a dû être soigné.
Cornélie Chappuis, d’origine congolaise (RDC), a affirmé avoir subi des mauvais traitements de la part des policiers de Roubaix (Nord). En janvier, des policiers sont intervenus à la suite d’une dispute qui l’avait opposée à son mari, l’ont emmenée de force à l’hôpital, puis au commissariat de police de Roubaix où elle a été retenue jusqu’au matin. Pendant le trajet vers le commissariat, Cornélie Chappuis aurait été menottée, jetée sur le plancher du fourgon, tenue par les cheveux, la tête en arrière, et menacée, si elle n’arrêtait pas de protester, de subir le même sort que Semira Adamu, la jeune Nigériane morte en 1998 lors de son expulsion du territoire belge par des gendarmes. Par la suite, Cornélie Chappuis aurait été contrainte de se dévêtir et de subir les commentaires obscènes des policiers. L’un d’eux l’aurait désignée sous le nom de " négresse ". Le lendemain, son médecin traitant a constaté des hématomes et tuméfactions qui n’avaient pas été signalés lors de l’examen effectué la veille, avant son séjour au commissariat, à l’occasion de son passage à l’hôpital. Aucun fait n’a été retenu contre Cornélie Chappuis.

Procès des " réseaux islamistes "
En 1998, Isabelle Coutant-Peyre a participé en tant qu’avocate au procès collectif du " réseau Chalabi ". Elle y a défendu, en compagnie d’autres avocats, des membres présumés des réseaux de soutien à des groupes armés d’opposition algériens. En mai, elle a été condamnée à une amende par la 17 e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour avoir diffamé la police nationale. Elle avait déclaré publiquement que les arrestations massives effectuées avant le procès, en 1994 et 1995, étaient " des rafles, selon des méthodes dignes de la Gestapo et de la Milice, à toute heure du jour et de la nuit, contre des familles entières, y compris les enfants ". Le tribunal a estimé qu’elle avait porté atteinte à l’honneur de la police.
Les méthodes des juges français spécialisés dans l’instruction des affaires de terrorisme et des magistrats appartenant à la 14 e section du parquet de Paris n’ont pas cessé d’être remises en question par des décisions de justice d’où il ressort que ces juges abusent de la détention provisoire et utilisent de façon très large le chef d’" association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ".
Le procès en appel de 33 prévenus du procès " Chalabi " condamnés en 1999 s’est ouvert en janvier. En mars, la cour d’appel de Paris prononçait la relaxe de quatre d’entre eux. Au total, 55 prévenus sur 138 ont donc été innocentés. Par ailleurs, 35 personnes mises en cause avaient bénéficié d’un non-lieu en cours d’instruction. En 1998, Amnesty International avait critiqué l’ensemble de la procédure qui, sur de nombreux points, ne respectait pas les normes internationales d’équité. En novembre, la Commission nationale d’indemnisation de la détention provisoire (CNI) a accordé à 20 des personnes relaxées un total de près de deux millions de francs à titre d’indemnisation pour les longues périodes passées en détention provisoire.
En décembre, la chambre correctionnelle de Paris a relaxé 16 des 24 prévenus qui comparaissaient devant elle sous l’inculpation d’" association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ". Ils étaient soupçonnés de faire partie d’un autre réseau " islamiste " et accusés d’avoir préparé des attentats à l’occasion de la Coupe du monde de football en 1998.

Détention administrative
De nombreux réfugiés, des demandeurs d’asile et d’anciens détenus (qui avaient purgé leur peine dans des prisons françaises après avoir été condamnés pour " association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ") ont été assignés à résidence au lieu d’être expulsés. Cette forme de détention administrative restreint la liberté de mouvement du détenu : elle limite ses déplacements à une zone géographique précise et très réduite. Les personnes concernées, notamment des Nord-Africains et des Basques, n’avaient pas la possibilité de contester devant un tribunal l’injonction qui leur était faite.
En février, Amnesty International a renouvelé l’appel lancé en 1998 au ministre de l’Intérieur pour qu’il réexamine le cas de Salah ben Hédi ben Hassen Karker. Ce réfugié tunisien était assigné à résidence, loin de sa femme et de son enfant, depuis plus de six ans. Amnesty International a rappelé au ministre que Salah Karker n’a jamais eu l’occasion de contester les mesures d’expulsion ou de détention administrative prises à son encontre. L’organisation considère qu’il est " intolérable de soumettre indéfiniment Salah Karker à cette forme de détention ". L’appel de l’organisation est resté sans réponse.

Impunité
L’impunité de fait accordée par certains tribunaux aux policiers et aux gendarmes, notamment dans les cas de mort en détention, a de nouveau été un sujet de préoccupation.
En janvier, un arrêt de la Cour de cassation cassait l’arrêt d’une cour d’appel condamnant un gendarme qui, en 1993, avait abattu Franck Moret alors que ce dernier tentait de forcer un barrage routier. La famille de la victime n’a pas été autorisée à interjeter appel. En 1998, la cour d’appel de Grenoble (Isère) avait condamné le gendarme à une peine d’emprisonnement de dix-huit mois avec sursis, après avoir jugé que, si le gendarme était en droit de tirer pour contraindre le véhicule à s’arrêter, le tir mortel avait été porté " de manière particulièrement imprudente et maladroite ". Amnesty International a déploré que le décret qui laisse aux gendarmes une très grande latitude pour utiliser leurs armes à feu soit toujours en vigueur. Sa préoccupation était partagée par le Comité des droits de l’homme des Nations unies et le Comité des Nations unies contre la torture.
En juillet, deux policiers de la Brigade anti-criminalité (BAC) ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Lille à une peine de sept mois d’emprisonnement avec sursis pour " homicide involontaire ", à la suite de la mort en garde à vue de Sydney Manoka Nzeza, d’origine zaïroise. Trois autres policiers, mis en examen pour " non-assistance à personne en danger ", ont été relaxés. L’avocat de la famille a annoncé son intention de faire appel de peines aussi clémentes. En 1998, Sydney Manoka avait été appréhendé par plusieurs policiers alors qu’une altercation l’opposait à un automobiliste. Il avait été maintenu au sol de force, menotté aux poignets et aux chevilles, puis amené au commissariat de police, où il est mort. Une autopsie a établi que sa mort avait été causée par une compression thoracique.
En octobre, un juge a rendu une ordonnance de non-lieu dans une affaire d’" homicide volontaire et involontaire ", au bénéfice des policiers impliqués dans la mort de Mohamed Ali Saoud. En 1998, au cours d’une violente bagarre, Mohamed Ali Saoud, qui souffrait de troubles mentaux et avait besoin de soins médicaux, a été abattu au moyen de balles en caoutchouc et aurait été frappé à plusieurs reprises avant d’être maîtrisé, mais aussi après avoir été immobilisé. Le juge a estimé que les policiers s’étaient trouvés en situation périlleuse et n’avaient pas commis de délit. Un appel a été interjeté contre cette décision.

Visites d’Amnesty International
Un délégué d’Amnesty International s’est rendu en France en mars et avril pour y recueillir des informations.

Traités ratifiés ou signés en 2000
Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés. Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Pour en savoir plus
Préoccupations d’Amnesty International en Europe, janvier - juin 2000 (index AI : EUR 01/003/00).