Lille 2, université du droit et de la santé
Ecole doctorale des sciences juridiques, politiques et de gestion (n° 74)
Faculté des sciences juridiques, politique, économique et sociales
Le droit de la récidive
Mémoire présenté et soutenu en vue de l’obtention du Master droit
« recherche », mention « droit pénal »
Droit privé par Céline Jacques
Sous la direction de Monsieur Jean-Pierre Brouillaud
Année 2005-2006
Ce mémoire a été publié le 29 novembre 2006 avec l’autorisation de l’auteur et l’approbation du jury de soutenance sur http://edoctorale74.univ-lille2.fr
REMERCIEMENTS
Je tiens à exprimer mes plus vifs remerciements à Monsieur Brouillaud, dont la disponibilité et les précieux conseils m’ont permis de concrétiser ce projet intellectuel qui me tenait particulièrement à coeur.
LISTE DES ABREVIATIONS
AJP : Actualité juridique « pénal »
Bull.crim. : Bulletin criminel
Cass.crim. : Cour de cassation, chambre criminelle
CEDH : Cour européenne des droits de l’Homme
Cons.const. : Conseil constitutionnel
D : Dalloz
Gaz.Pal. : Gazette du Palais
JCP : Jurisclasseur « pénal »
JNLC : Juridiction nationale de libération conditionnelle
RS : Recueil Sirey
RSC : Revue de science criminelle
RPDP : Revue pénitentiaire et de droit pénal
INTRODUCTION
« Qu’un criminel ne présentant qu’un faible risque de récidive soit qualifié par le législateur ou par le juge de dangereux et ce sont les libertés individuelles qui en pâtissent car ce criminel se verra infliger des mesures pénales injustifiées ou excessives. A l’inverse, qu’un délinquant dont la récidive est probable soit considéré comme inoffensif et c’est la protection de la société qui sera mise à mal [1] ».
Face à la montée croissante et à la généralisation du sentiment d’insécurité, la notion de dangerosité a pris « une importance croissante au niveau de la justice [2] ». Przygodzki voit dans ce sentiment d’insécurité « un besoin fondamental de l’homme ». Pour répondre à ce besoin de contrôler son environnement, l’être humain a recours à diverses mesures concrètes mais également à un mécanisme de rationalisation à l’origine de ce que l’on peut qualifier de catégorisation sociale [3], réalisée en fonction du degré de dangerosité de chaque individu.
Or, la subjectivité de ce processus remet en cause la fiabilité des jugements. En effet, catégoriser un individu, le qualifier de dangereux, implique un jugement de valeur synonyme de discrimination, et fondé sur des critères qui peuvent entraîner des conséquences graves pour les personnes jugées comme telle. Un a priori négatif va naître à son égard alors même que rien ne permet de certifier cet état, le risque zéro n’existant pas. Les psychologues et les psychiatres participent largement à cette catégorisation des individus grâce à la mission d’expertise qui leur est confiée par la justice. Ce rôle a été accentué par la loi du 9 septembre 2002 qui a prévu que les condamnés seront désormais affectés dans les établissements pour peines sur la base de « critères liés à leur éventuelle dangerosité et à leur personnalité ». Le degré de dangerosité influe donc à la fois sur le choix de la peine mais également des modalités d’exécution.
La question du délinquant dangereux préoccupe fortement différentes professions ces dernières années, qu’il s’agisse des psychologues, des psychiatres, des magistrats, des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. Quant au législateur, son comportement à l’égard de cette notion est paradoxal dans la mesure où il recourt régulièrement à ce concept dont aucune définition claire et précise ne peut être apportée.
Comment définir la dangerosité ? En fonction de quels critères ? Une telle définition peut-elle être fiable « à cent pour cent » ?
Toutes ces questions sont autant de difficultés auxquelles il faut trouver une solution. La difficulté est encore accrue lorsqu’il s’agit d’entrer dans le for intérieur d’un être humain.
Un certain nombre de travaux en matière psychiatrique et psychologique ont tenté de rédiger une définition de la dangerosité qui favoriserait sa prédiction. C’est à partir de plusieurs critères permettant d’établir un profil de la personne dangereuse qu’est née la technique dite du « profilage », s’agissant notamment des multirécidivistes et des tueurs en série.
Certains auteurs ont démontré que la réalisation d’un acte criminel grave devait être considéré comme hautement diagnostique d’une disposition à la récidive. Cependant, d’autres, comme Cusson [4] considèrent que bien que la récidive puisse constituer un critère pertinent en soi, qualifier un individu de dangereux sur le seul fondement du passé pénal, de cette répétition d’infractions, apparaît comme insatisfaisant dans la mesure où la dangerosité ne peut se définir qu’au travers de différents éléments propres à chaque être humain.
Il n’existe donc pas une seule et unique définition de la dangerosité. Des définitions très différentes ont été proposées, des définitions en application desquelles un individu sera qualifié de dangereux selon certaines mais pas selon les autres. Le législateur voit généralement dans ce concept la probabilité que l’individu ne commette une nouvelle infraction. Seul le récidiviste serait donc dangereux et mériterait de bénéficier d’un traitement particulier. Au début du siècle, était considéré comme dangereux celui qui présentait une prédisposition à commettre une infraction. Tous les délinquants étaient donc dangereux, ce qui faisait perdre tout intérêt à la notion même de dangerosité. A l’opposé de cette définition critiquée par sa largeur excessive, une définition trop étroite qui serait limitée à la certitude d’une nouvelle violation de la loi était tout autant remise en cause dans la mesure où on ne peut jamais être certain qu’une personne commettra un jour une infraction. Ce concept de dangerosité doit s’apprécier au regard de l’infraction elle-même. Il ne doit pas s’agir de simples inconduites, d’incivilités, de simples déviances, ni même d’actes dangereux pour le délinquant. C’est ainsi par exemple que les actes autodestructeurs, comme la mutilation voire le suicide, en prison notamment, relèvent du droit pénitentiaire plutôt que du droit pénal. Cette limitation peut encore être accentuée par le fait que l’acte délictueux doit être d’une certaine gravité pour que son auteur puisse être qualifié de dangereux. Il semblerait, en effet, excessif de déclarer comme tel un individu qui a l’habitude de pratiquer la fraude au stationnement payant, par exemple. Houchon va jusqu’à proposer une limitation de la liste des infractions redoutées. Seraient ainsi concernées les infractions contre les personnes et les biens [5]. Selon Koupernik, la dangerosité constitue « le degré du risque d’une conduite, mettant autrui en danger d’atteinte à l’intégrité corporelle et à la vie » [6].
Cependant, Arnaud Coche fait remarquer, à juste titre il est vrai, qu’une telle restriction ne correspond pas à la réalité juridique dans la mesure où le droit moderne lutte contre d’autres types de délinquance, notamment dans le monde de l’entreprise, de la délinquance « en col blanc [7] ». Quant à Loudet [8], il considère que le délinquant dangereux est celui qui, ayant déjà commis une infraction, est en mesure d’en commettre une autre. Il parle de dangerosité post delictum, et exclut ainsi toute dangerosité qui serait concomitante au passage à l’acte délictueux.
Enfin, un dernier aspect de cette notion ne peut être oublié, il s’agit de ce que certains qualifient de dangerosité carcérale ou pénitentiaire [9]. Un détenu peut, en effet, être un danger pour ses co-détenus et les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire sans l’être pour autant pour la société. Les personnes dangereuses, dans ce contexte, sont exclusivement celles qui risquent de commettre une infraction pénale autre que l’évasion ou encore qu’une infraction qui violerait les règles de sécurité qui règnent dans la prison [10].
En psychologie criminelle, la dangerosité est la probabilité du passage à l’acte d’un individu.
Il faudra donc rechercher les indices révélateurs de cette probabilité de dépasser ce que l’on appelle « le seuil délinquanciel ». Cette notion existe dans chacun d’entre nous, tous les sujets peuvent présenter des intentions délictueuses. Il existe des critères de dangerosité classiques tels que les antécédents judiciaires, les antécédents psychiatriques, la possession et le goût des armes, l’abus d’alcool et de substances psychotropes, ou encore la faiblesse des facultés intellectuelles. Une personne dite dangereuse présentera généralement un certain nombre de traits de personnalité : immaturité, pauvreté affective et éthique, absence de culpabilité, la présence d’hallucination, des idées d’auto-accusation, un sentiment de revendication et de vengeance chez ceux qui se sentent persécutées... Chez les tueurs en série, par exemple, l’énurésie, une tendance à la pyromanie, la cruauté envers les animaux sont des éléments de personnalité très fréquents. Selon les théories de psychologie criminelle modernes, la dangerosité présente quatre points cardinaux qui sont l’alcoolisation, ou la prise de substances psychotropes, la persécution, la dépression et la désocialisation.
Le phénomène de la dangerosité est déjà ancien. Il est en plein coeur de la criminologie, et plus précisément de la criminologie dite criminelle, une science qui cherche à découvrir les causes qui conduisent certains individus à commettre des infractions alors que d’autres réussissent à s’abstenir. Le 19ème siècle a été le siècle des évolutions en ce domaine. Plusieurs auteurs se sont, en effet, penchés sur la question du criminel et ont chacun apporté des conclusions qui sont à l’origine de grandes avancées en matière répressive. Tout comme aujourd’hui, l’individu dangereux était celui qui était en mesure de récidiver, celui qui n’avait pas tiré les enseignements des peines précédentes, celui qui était donc incurable. Tous ces auteurs se sont accordés à dire que la récidive devait être luttée efficacement pour protéger la société et que ces délinquants dangereux devaient être écartés du « monde civilisé ».
F.J Gall [11] (1728-1828), docteur en médecine, s’est intéressé au cerveau humain et plus précisément aux localisations cérébrales. Ainsi, l’étude du crâne, c’est-à -dire la phrénologie, a permis de repérer les tendances d’un individu, les penchants qui pourraient le conduire à commettre une infraction. Selon lui, sa théorie pouvait servir à la détermination de la peine et de sa modulation. Pour cela, il a opéré une distinction entre le crime qui résulte directement du penchant auquel l’homme n’a pu résister et celui dans lequel le penchant fait défaut et dont les seules circonstances de l’infraction ont entraîné le passage à l’acte. Il en déduisait que, dans la première hypothèse, la récidive était un risque à ne pas prendre à la légère car la probabilité qu’elle ne se réalise était très élevée. Pour protéger la société du récidiviste, l’idée était déjà de prononcer une longue peine d’emprisonnement à son encontre.
Cesare Lombroso (1835-1909), médecin de formation, puis professeur de psychiatrie clinique et d’anthropologie criminelle, est l’un des plus éminents membres de l’école positiviste italienne. A partir de ses recherches sur l’anatomie de crânes de milliers de criminels, il a dégagé sa théorie dite de l’homme criminel, du « criminel-né », qui est un être irrécupérable, une erreur de la nature qui doit disparaître.
Selon lui, un délinquant est un homme en voie de régression vers le stade atavique, c’est-à dire un retour en arrière jusqu’à une époque primitive [12]. C’est un individu qui a subi un arrêt dans l’évolution normale qui mène à « l’honnête homme ». Ses observations lui ont permis de mettre en exergue les stigmates physiques du criminel-né. La taille des yeux et des mains, la forme du visage et du nez, le port ou non d’une barbe... sont autant d’éléments qui permettent de décrire un individu qui sera ou non un délinquant et même un récidiviste potentiel. Ce criminel-né est, selon lui, voué au crime car sa régression le rend inapte à s’adapter aux règles qui gouvernent la société et aux lois. Il parle alors de déterminisme. Il porte en lui les signes de sa folie mentale, c’est-à -dire l’absence de prédispositions qui l’auraient rendu accessible aux sentiments moraux.
Dans son ouvrage L’homme criminel, il a fait un relevé du taux de récidive en France pendant une période comprise entre 1826 et 1879.
« En France, les accusés récidivistes (Cours d’Assises) n’atteignaient que le chiffre de 10010 en 1826 et celui de 28010 en 1850 ;- mais en 1867, c’est-à -dire 17 ans après l’introduction du casier judiciaire, ils se sont élevés à 42010. Ils étaient de 44010 en 1871-76, de 48 en 1877, de 49 en 1878, de 50 en1879. Ceux qui ont comparu devant les tribunaux correctionnels, et qui figuraient pour 21010 en 1851-55, ont atteint, au cours des cinq années suivantes les 37, 31, 36, 38, 40, pour 010 (REINACH). Les prévenus récidivistes se sont élevés de 7 à 27010 en 1856-60, à 31 en 1860-65, à 30 en 1866-70, à 38 en 1871, à 40 en
1877-78. » [13]
A partir de ces chiffres, il a constaté que les récidivistes avaient pour la plupart subi une peine d’emprisonnement inférieure à un an (64%). Viennent ensuite ceux qui ont subi une peine d’emprisonnement supérieure à un an (20%), ceux condamnés à une amende (13%), et enfin ceux qui proviennent de la réclusion (2%) et des travaux forcés (1%) [14].
Il a remarqué que la plupart de ces individus, qu’il qualifiait de « misérables » [15], étaient dépourvus de tout sens moral et qu’ils étaient dans l’impossibilité de comprendre l’immoralité de la faute commise [16]. « Ils croient avoir le droit de voler, de tuer, et rejettent la faute sur les autres qui ne les laissent point agir à leur guise » [17].
Enrico Ferri (1856-1928), professeur de droit pénal en Italie et homme politique socialiste, a développé le concept de la sociologie criminelle [18] qu’il a fondé sur la distinction entre le crime comme fait individuel et le crime comme phénomène social. A partir des facteurs anthropologiques, physiques et sociaux, il a établi une classification en cinq catégories : les criminels-nés, les criminels fous, les criminels d’habitude, les criminels d’occasion, et les criminels passionnels. Selon lui, les récidivistes appartiennent à la troisième catégorie, c’est-à dire à celle des criminels d’habitude. Ce sont ceux qui sont ancrés dans un processus de criminalité permanente en raison de différents facteurs sociaux comme le chômage, la précarité, la misère. Grâce à cette grille il a remis en cause les fondements de la responsabilité pénale, en écartant l’idée d’une faute et donc d’un libre arbitre pour privilégier celle du risque qui pèse sur la société. Les peines n’ont plus lieu d’être, il faut recourir à des mesures de défense sociale ayant pour objectif l’élimination pure et simple du délinquant. Il émet l’hypothèse de substituts pénaux destinés à protéger la société en neutralisant la dangerosité de l’individu, ce qui permettra par la même occasion de prévenir une éventuelle récidive.
Ferri s’est attelé à relever les proportions spéciales de la récidive pour chaque crime entre 1877 et1881. Il en a déduit que :
« La statistique de la récidive générale et spécifique nous confirme donc indirectement que la masse des criminels n’est pas anthropologiquement uniforme et que les caractères et les anomalies bio-psychiques appartiennent plus spécialement à la catégorie des criminels nés et d’habitude. » [19]
Ses recherches ont permis d’aboutir à un constat : les vols sont les formes les plus répandues en cas de récidive, ils sont suivis par le vagabondage et les escroqueries.
Ferri a ainsi introduit l’idée de proportionnalité des peines. Selon lui, « le problème pénal ne doit pas consister dans la fixation de telle ou telle dose de peine, qu’on suppose proportionnée à la culpabilité morale du criminel, mais il doit se réduire à établir si, par les conditions réelles et par les conditions personnelles, est nécessaire la séparation de l’individu du milieu social, pour toujours, ou pour une période plus ou moins longue, selon que le criminel est jugé ré-adaptable ou non à la vie sociale, ou bien à établir s’il ne doit point suffire d’imposer au délinquant la réparation rigoureuse du dommage causé » [20].
En d’autres termes, il ressuscite un principe qui existait déjà , à savoir celui de l’indétermination de la peine. Il prend l’exemple de la libération conditionnelle qui peut être prononcée avant le terme préfixé de la peine si le condamné semble prouver sa volonté d’amendement. Selon lui, il en résulte que la peine devrait être prolongée s’il s’avérait être trop dangereux. En matière de récidive, le constat est similaire. « Si on admet une aggravation de peine pour la première récidive, il est logique que cette aggravation soit proportionnée au nombre des récidives, pour arriver jusqu’à la réclusion ou déportation perpétuelle, et même à la mort » [21].
Ces trois auteurs ne sont pas les seuls à s’être intéressés à la question du criminel. Cependant, leurs apports ont été essentiels, et ont permis de développer le concept de récidiviste et de les « étudier d’un peu plus près ». Au début du 20ème siècle, Edmond LOCARD a publié un ouvrage : « L’identification des récidivistes » [22], dans lequel il a exposé les systèmes d’identification utilisés à l’époque par la police et les laboratoires de médecine légale de police scientifique. Il cite notamment le bertillonnage, du nom de son créateur, Alphonse Bertillon, système dans lequel on retrouve des mesures anthropométriques, un signalement scientifique sous forme de portrait et la description de marques particulières. L’échec de ce procédé a conduit les têtes pensantes de l’époque à en trouver d’autres, pour lutter notamment contre les professionnels du crime. La solution fût celle d’une entente entre les diverses polices et un accord sur le choix des modes d’identification. C’est en d’autres termes l’adoption d’un fichier international.
Les Etats-Unis ont été précurseurs sur cette question de l’étude de la dangerosité et plus précisément sur l’étude des traits caractéristiques des individus dangereux : les tueurs en série.
Il est certain que la France n’a pas été épargnée par ce phénomène du multirécidivisme, bien au contraire. Cependant, les Américains se sont très tôt penchés sur ce problème et ont dégagé une science très particulière connue sous le nom de « profilage ».
La criminologie, qui comme nous l’avons vu, est la science du phénomène criminel, connaît une perpétuelle évolution qui se traduit notamment par la diversité des domaines qu’elle recouvre, que l’on peut qualifier de sciences criminelles. L’une d’elle est la criminalistique.
Michèle Agrapart-Delmas la définit comme « l’ensemble des sciences et des techniques utilisées pour établir des faits matériels » [23]. L’envol de cette discipline est considérable depuis quelques années, notamment depuis les débuts des empreintes digitales, de l’entrée de la science « pure et dure » dans les locaux de la police scientifique. « C’est tout cet apport scientifique s’ajoutant à l’enquête criminelle et à la démarche psychologique qui constitue le « profilage » [24] ». [25]
Le profilage criminologique est une méthode qui est principalement utilisée dans les affaires criminelles violentes, multiples ou non, avec ou sans mobile évident et surtout non élucidées.
Cette dernière condition peut s’expliquer assez aisément dans la mesure où le profil psychologique perdrait tout intérêt si les indices, en quantité et en qualité suffisantes, permettraient la désignation d’un coupable. Son champ d’application n’est pas limité à celui des récidivistes car le profilage a déjà fait ses preuves dans bien d’autres domaines tels que les affaires d’incendie, de découvertes de cadavres dont les causes restent suspectes. Le profilage peut donc être défini comme un outil complémentaire d’investigation criminelle qui repose sur l’étude du dossier d’enquête, l’analyse du passage à l’acte, l’évaluation des mobiles et des éventuelles motivations... Grâce au décryptage de ces informations, les spécialistes vont tenter de cerner au mieux la personnalité de l’auteur et de dresser son profil. Ils pourront ensuite orienter les investigations en proposant des recommandations dans la conduite des enquêtes grâce, notamment, aux sciences humaines et criminelles. Le profilage pourra permettre le rapprochement d’affaires, les similitudes entre elles, et peut-être la détection d’éventuels récidivistes.
Etudier le phénomène récidiviste, c’est donc s’intéresser aux intérêts juridiques qu’attache le droit pénal à la distinction entre les criminels qui sont encore dangereux lorsqu’ils sortent de prison et ceux qui semblent ne l’avoir jamais été. Bien que cette considération semble d’une importance capitale dans une société dans laquelle le droit pénal revêt une fonction préventive croissante, le législateur emploie rarement [26] les termes « dangereux » ou « dangerosité ». Il a plutôt tendance à les remplacer par d’autres notions qui laissent supposer un certain degré de dangerosité telle que « mesure de sûreté », « prévenir le renouvellement de l’infraction »,
« période de sûreté »... Ce trait de personnalité du délinquant qu’est la dangerosité permet une personnalisation de la répression. La peine choisie devra tenir compte de cette nocivité éventuelle. Cela entraînera le plus souvent un allongement de la durée de la peine d’emprisonnement, ou encore le prononcé d’une période de sûreté. Cette sévérité accrue, tant dans un objectif répressif que préventif, se retrouve également au stade de l’aménagement de la peine.
Comme nous venons de le voir, le passé pénal d’un délinquant ou au contraire un casier judiciaire vierge sont les principaux critères de la dangerosité, et ce, depuis déjà longtemps.
La présence de condamnations antérieures à la commission d’une nouvelle infraction aura, en effet, tendance à inciter le magistrat à juger, non pas un simple primo-délinquant qui a peutêtre agi sous le coup d’une pulsion sans intention réelle de porter atteinte à la société, mais à un délinquant d’habitude, un délinquant professionnel. Pour apprécier le degré de dangerosité, il va se fonder sur un certain nombre de critères. Le juge tiendra compte de la nature des infractions commises, de leur nombre et de leur fréquence, de leur réelle gravité... Ainsi, plus les infractions seront graves et rapprochées dans le temps, plus l’individu a de chance d’être qualifié de dangereux. D’autres éléments entrent en ligne de compte, éléments qui leur permettent de nuancer leur opinion au cas par cas. Il s’agira notamment des efforts de réadaptation et de réinsertion entrepris depuis la dernière infraction commise, et plus généralement des preuves de cette volonté de quitter le monde de la délinquance. D’autres éléments d’ordre plus intime interviendront également tels que l’existence d’une famille et d’enfants, l’âge du récidiviste. « Beaucoup de magistrats, autant par pragmatisme que par fidélité à l’idéal de réinsertion, se montrent sensibles à ces arguments » [27].
L’importance de tenir compte de cette caractéristique dans les meilleures conditions pour permettre un traitement efficace de la récidive est essentielle et c’est tout l’intérêt de la loi du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive. Le législateur a ici voulu répondre à un phénomène de société qui a touché de plein fouet la France depuis 2004. La récidive d’anciens détenus, libérés précocement en application des dispositions sur les crédits de peine, a soulevé un sentiment national d’effroi et surtout d’incompréhension.
Comment expliquer qu’à l’aube du 21ème siècle, le récidivisme [28] soit toujours d’actualité ?
Faut il y voir un échec de la politique pénale et plus particulièrement de l’incarcération ?
Pourquoi le législateur a-t-il été amené à légiférer en 2005 ? La relation entre médecine et droit doit elle être remise en cause ?
En d’autres termes, la loi du 12 décembre 2005 est-elle le reflet d’un échec de la politique pénale ? Comment faut-il interpréter son adoption ?
La question qui va donc nous intéresser tout au long de cette étude est de comprendre les objectifs de ce texte : cet excès de répression dans le pays des Droits de l’Homme est il l’image de la société française ?
Notre étude sera en partie consacrée à ce nouveau texte de loi destiné à palier les carences déjà anciennes de l’arsenal répressif en matière de récidive. Cette loi apparaît comme un compromis entre répression et prévention, bien que ce second objectif soit difficile à cerner. Il conviendra de s’intéresser d’un peu plus près à l’évolution de cet arsenal depuis l’Ancien régime notamment, ce qui nous permettra de comprendre comment notre droit pénal actuel n’a pas pu faire face aux difficultés qui existaient déjà à l’époque. D’une répression cruelle et barbare, nous sommes passés à des peines spécifiques aux récidivistes, puis le principe d’individualisation de la peine est venu révolutionner la matière en introduisant d’autres mesures comme le suivi socio-judiciaire ou la libération conditionnelle. Le nouveau code pénal de 1994 a marqué une étape importante mais toutes les difficultés n’ont pas disparu pour autant, bien au contraire. Nous nous intéresserons à ces problèmes actuels que rencontre le législateur qui concernent des domaines très variés tels que le monde médical avec les expertises psychiatriques, ou encore le domaine plus technique de la statistique.
La première partie de cette étude sera consacrée à cette période de doutes, d’incertitudes, durant laquelle le législateur est intervenu pour tenter de répondre à ce besoin croissant de sécurité. Puis, il conviendra dans notre seconde partie, de procéder à l’étude détaillée de la loi du 12 décembre 2005, loi censée apporter une réponse efficace à cette demande du citoyen français.
PARTIE I - LE TEMPS DES DOUTES
Criminalité, justice pénale, prison, victime... sont autant de notions qui se rapportent à un seul et même mot : la sécurité. Le sentiment sécuritaire qui règne dans l’esprit des citoyens français est un des domaines de prédilection du monde politique. Cette préoccupation est liée
à l’émotion suscitée par la souffrance des victimes, mais également par la lassitude face à cette criminalité montante.
Notre société connaît depuis quelques années une augmentation du phénomène criminel, qui se traduit le plus souvent par la violence.
Les chiffres eux-mêmes permettent de juger de la situation [29]. Entre mars 2005 et février 2006, ce sont 414000 atteintes volontaires à l’intégrité physique qui ont été enregistrées par les services de police et de gendarmerie. Cela représente une hausse de 7,5% par rapport aux faits constatés un an auparavant pendant la même période. Les violences non crapuleuses, c’est-à -dire celles qui n’ont pas pour objet le vol, représentent en 2005 plus de 45% de ces atteintes volontaires à l’intégrité physique. Ce taux s’est accru de plus de 13600 faits en un an, soit une augmentation de 7,8%. S’agissant des violences physiques crapuleuses, leur nombre a connu une hausse de 4,1% en 2005. En revanche, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les violences sexuelles, qui représentent moins de 6% des atteintes volontaires à l’intégrité physique connaissent une baisse de 9%.
Cependant, il faut reconsidérer ces données dans la mesure où le nombre des plaintes enregistrées est toujours inférieur au nombre total des faits subis. On peut supposer, en effet, que la honte ou la peur de se déclarer officiellement victime peut être à l’origine d’un nombre important de faits non reportés. Depuis février 2005, le nombre des atteintes volontaires à l’intégrité physique avait connu une baisse régulière d’environ 2%, mais il s’est à nouveau affiché en hausse sur douze mois consécutifs depuis juin 2005 [30]
Face à un tel phénomène, le gouvernement ne peut rester insensible. Le gouvernement se doit alors de répondre aux attentes de ses citoyens en quête de sécurité. Pour cela, il est amené à prendre des mesures de plus en plus sévères. C’est le débat sur l’utilité de la peine qui est alors relancé. La question est de savoir si notre arsenal juridique est suffisamment efficace pour endiguer le crime. Est-il en mesure de sanctionner les personnes qui troublent l’ordre public, de les empêcher de récidiver ? Si tel n’est pas le cas, la politique pénale sera directement sanctionnée.
Cette première partie sera consacrée aux difficultés auxquelles le législateur a dû faire face avant d’aboutir à la loi du 12 décembre 2005, qui sera l’objet de notre seconde partie. Nous étudierons, tout d’abord, dans un premier chapitre, l’évolution du phénomène récidiviste à travers les siècles et les solutions adoptées par le législateur. Le second chapitre sera consacré, quant à lui, aux obstacles qui empêchent une lutte efficace contre la récidive.
Chapitre I - Une construction progressive du droit de la récidive
Dans l’esprit du non juriste, le terme de récidive prend la forme d’un drame répétitif commis par un même individu sur des personnes différentes. L’efficacité de la justice française mais également le sens de la peine et surtout de l’emprisonnement est alors remis en cause.
Ces mêmes personnes s’interrogent alors sur l’utilité d’un jugement, ou d’une peine.
« Comment une personne qui a été condamnée par un juge, puis incarcérée, puisse en sortir précocement en raison de lois qui permettent des libérations conditionnelles, des réductions de peine... », voilà ce qui résonne dans leur tête et surtout dans celle des victimes et de leur famille.
Bien que la récidive apparaisse comme un phénomène récent dans l’esprit des citoyens français, la réalité est toute autre. La lutte contre la récidive est en effet une ancienne, une très ancienne histoire. Il y a deux siècles, ce combat était déjà placé au coeur de la politique pénale.
Or, aujourd’hui, il semble que la situation ait peu évolué, aucun enseignement, ou presque, n’a été tiré du passé, et ce, malgré les efforts d’un législateur qui se voulait de plus en plus répressif [31]. Le récidiviste est d’abord apparu comme l’homme à éliminer, puis il est devenu un individu dangereux pour la société qu’il fallait écarter le plus longtemps possible. Plus récemment encore, grâce aux progrès de la médecine, on s’est attaché à l’aspect psychologique du problème.
Dans ce premier chapitre, nous allons nous intéresser au récidiviste lui-même qui, comme nous le verrons dans un premier temps, a fait l’objet de nombreuses études, plus ou moins remises en cause, mais qui prouvent la permanence du phénomène depuis plusieurs siècles.
Cela nous permettra de dresser un panorama des mesures que le législateur a eu l’occasion de prendre pour lutter contre la récidive et de son évolution jusqu’à la consécration du principe d’individualisation de la peine. Il conviendra ensuite de traiter de l’arsenal répressif instauré plus récemment, et des difficultés qui en ont découlé, difficultés qui sont à l’origine de la loi du 12 décembre 2005.
Section 1 - Une évolution législative sans conteste
La récidive criminelle est devenue progressivement synonyme de l’échec de la peine corrective. Sont alors évoquées les notions de milieu social, de précarité, de misère. Comme nous l’avons vu dans l’introduction, certains penseurs, qui appartenaient à l’école de l’Anthropologie criminelle, se sont, à leur façon, lancés dans cette chasse contre le récidiviste sur la base de données scientifiques et biologiques. Ces recherches ont permis au législateur de faire évoluer son arsenal répressif. Nous nous intéresserons, dans un premier temps, aux efforts législatifs qui ont eu lieu pour faire face à ce problème de société avant l’adoption du code pénal de 1994 (I), puis dans un second paragraphe à la consécration du principe d’individualisation, principe essentiel de notre droit pénal (II).
I - L’état du droit avant le nouveau code pénal
Comme nous l’avons déjà dit, le récidiviste est apparu à travers les siècles comme un individu anormal qu’il fallait écarter de la société pour que les habitudes nocives de ce dernier pour elle ne déteignent pas sur ses membres. Face à cette exigence soutenue par les citoyens français, le législateur a dû y répondre à toutes les époques, chacune d’elle s’étant distinguée par leurs pratiques. Nous nous intéresserons à la législation adoptée sous l’Ancien régime (A), puis à l’émergence de peines spécifiques pour les récidivistes (B).
A - Une répression cruelle et barbare sous l’Ancien Régime
La récidive a toujours été au coeur des débats politiques et des politiques pénales. Les magistrats de l’Ancien Régime s’inquiétaient déjà de la montée du phénomène criminel. Il fallait trouver des mesures suffisamment efficaces pour l’éradiquer totalement. La solution trouvée était fondée sur une répression excessive.
Cette répression était marquée par la cruauté et l’élimination sociale : galères, peine capitale, bannissement... D’anciennes coutumes prévoyaient par exemple qu’en cas de vol, la deuxième condamnation -la première étant punie d’une amende et d’une peine de fouet- était sanctionnée par l’essorillement. Le troisième passage à l’acte était synonyme de pendaison
après que l’autre oreille ait été coupée [32].
Les coutumes, différentes selon les régions, avaient pour point commun de prôner la cruauté et même la barbarie. La répression était progressive et dépendait du nombre d’infractions commises. En matière de blasphème, une ordonnance de 1511 prévoyait une amende qui était doublée, triplée puis quadruplée avant de conduire à l’emprisonnement, au carcan puis à la suppression de la lèvre supérieure et au perçage de la langue. En cas de vol, les anciennes coutumes furent abandonnées puisqu’une pratique fût instituée : la lettre « V », comme vol, était marquée sur l’épaule du délinquant, qui était envoyait aux galères dès la première récidive.
Une loi du 13 mai 1801, en continuité avec les pratiques déjà existantes, prévoyait le marquage de la lettre « R » sur l’épaule de tous les récidivistes. Toutes ces mesures se sont avérées inefficaces, mais elles permettaient de satisfaire l’opinion publique. La Révolution et le début des droits de l’Homme n’ont pas changé les données. Le récidiviste était stigmatisé et réduit à l’état de bête, et la peine de marquage subsistait.
Le code pénal de 1810 instaura une peine de réclusion criminelle et correctionnelle à perpétuité en cas de récidive. Le 19ème siècle vit la naissance d’un mouvement dans lequel répression et barbarie ne sont plus associées face à la récidive. Une loi de 1832 a, en effet, généralisé les circonstances atténuantes et une autre a enfin supprimé la flétrissure [33]
B - L’apparition de peines spécifiques aux récidivistes
La loi du 27 mai 1885 sur la relégation des récidivistes avait prévu leur internement perpétuel sur le territoire des colonies ou possessions françaises. L’objectif de ce texte était de les écarter de la métropole le plus longtemps possible car ils étaient marqués par une présomption irréfragable d’incorrigibilité dès qu’un certain quantum était dépassé.
Le point de départ de cette loi est la récidive [34], qui ne cesse de croître depuis près d’un siècle.
D’après le Compte de l’administration de la justice criminelle, en 1850, le nombre de récidivistes était de 28% de l’ensemble des accusés et de 20% du nombre des prévenus. Moins de trente ans plus tard, ces chiffres atteignaient respectivement 50 et 40%.
La récidive, puissant moteur de réflexion, a entraîné un certain nombre d’innovations pénales tout au long du 19ème siècle. Cependant, elle appelle à une réforme d’ampleur capable de combiner deux objectifs : l’élimination du délinquant d’habitude d’une part, et la prévention de la récidive auprès des « petits délinquants », d’autre part. A partir de 1880, elle devient un thème d’actualité incontournable et une véritable urgence politique. Depuis 1873, l’éventualité d’un transport de ces délinquants dans les colonies d’outre-mer est évoquée.
Parallèlement, diverses mesures de prévention sont proposées : la société de patronage, le secours à l’enfance et à la vieillesse abandonnées, la réforme de l’encellulement des prisons...
Une réforme est pressentie. Léon Gambetta ira même jusqu’à inscrire l’idée de ces convois dans son programme électoral. Il faut écarter ces incurables de la société pour maintenir sa cohésion, telle était l’idée principale. C’est donc l’opinion publique qui dirigeait indirectement la politique pénale. Cette loi de 1885 est considérée comme un symbole du gouvernement qui se veut attentif aux demandes de ses citoyens en quête de sécurité. Il faut rassurer la population dont les membres sont de potentiels électeurs et par là même protéger les classes laborieuses de ces citoyens nuisibles.
Cependant, cette loi ne sera pas exempte de critiques, dont Clemenceau se fera l’un des porteparole.
Ce dernier considérait, en effet, que l’exclusion des plus faibles revenaient à se délester d’une responsabilité à savoir celle d‘aider les plus démunis. Face à ce mouvement, le gouvernement ne reste pas de marbre mais réagit rapidement. Son objectif étant l’instauration de mesures de prévention, il vote la loi du 5 août 1885 sur la libération conditionnelle. Ainsi, le but est atteint : d’un côté la société dispose d’un moyen d’éliminer les plus dangereux et de l’autre d’une mesure préventive pour les délinquants primaires.
La relégation se voulait une peine pragmatique par excellence combinant l’élimination des indésirables du territoire français, mais également la mise à disposition d’une main d’oeuvre bon marché dans les colonies et enfin la possibilité pour les déportés amendés de se reconstruire une vie nouvelle. La Guyane et la Nouvelle-Calédonie [35] sont alors devenues des terres d’accueil pour ces délinquants qui viennent subir une peine perpétuelle ne pouvant être relevée que par grâce administrative.
La relégation s’avère être un échec, et ce à différents niveaux. Tout d’abord, cette sanction ne dissuade pas puisque le taux de récidive n’a pas diminué depuis son entrée en vigueur. De plus, au plan purement pratique, les magistrats ont participé à son échec de façon indirecte. Ne l’utilisant qu’à de très rares occasions, ils ont alimenté la récidive en ayant recours à de courtes peines d’emprisonnement.
En 1936, le Front populaire décida de suspendre les convois de forçats, et en 1938, la relégation outre-mer est abolie. Jusque 1970, elle s’effectuera sur le territoire national, date à laquelle elle sera supprimée [36].
La dernière tentative pour endiguer la récidive fût instaurée par la loi du 17 juillet 1970 sur la tutelle légale [37]. Cette peine complémentaire était facultative. Elle ne pouvait être prononcée que pour une durée maximum de dix ans. L’objectif était encore une fois de protéger la société contre les agissements des multirécidivistes en leur offrant une chance de se réinsérer.
Seules cinq cent personnes y ont été soumises avant que la mesure ne tombe en désuétude et qu’elle soit supprimée par la loi du 2 février 1981. La tutelle pénale n’était pas perpétuelle puisqu’elle ne pouvait excéder une durée de dix ans à compter de l’expiration de la peine principale. Le principe d’individualisation de la peine [38] obligeait les magistrats à ordonner une enquête de personnalité et une expertise médico- psychologique. Son exécution s’effectuait soit dans un établissement pénitentiaire, soit en milieu ouvert.
Progressivement, c’est dans un souci d’individualisation de la peine, de prise en compte de la personnalité du délinquant que le législateur a opéré.
II - L’individualisation de la peine dans le code pénal de 1994
Le principe d’individualisation de la peine est un principe fondamental du Droit pénal (A) car la réinsertion du délinquant dans la société rend indispensable la diversification du traitement pénal39. Cette personnalisation de la peine a été en partie rendue possible grâce à l’instauration du casier judiciaire (B), mémoire écrite du passé pénal d’un individu.
A - Un principe essentiel du droit pénal
L’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des
droits de l’homme dispose que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement, et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et
impartial ». Cela implique qu’à l’issue d’un débat contradictoire, le juge doit être en mesure
de prononcer une peine qui ne soit pas prédéterminée, et qui tienne compte de la personnalité
de l’auteur de l’infraction, et ce même s’il s’agit d’aggraver la peine en cas de récidive.
Pour éviter les injustices de traitement entre les citoyens, il est moralement nécessaire de tenir
compte des différences entre les individus. Le code pénal prévoit que le juge se doit de tenir
compte de plusieurs critères lorsqu’il prononce une peine : les circonstances de l’infraction, la
personnalité du délinquant et les ressources et charges du prévenu40. Ce principe n’est pas
nouveau. Saleilles41 en 1897 évoquait déjà la nécessité d’individualiser les peines. Selon la
doctrine positiviste, la responsabilité pénale devait être déterminée en fonction de la gravité
du fait accompli. Puis on a cherché à décrypter le phénomène criminel par le biais de l’action
consciente de son auteur42. Ce principe de personnalisation intervient aujourd’hui dans un
cadre légal profondément modifié : disparition des minimas et des circonstances atténuantes,
introduction de la responsabilité pénale des personnes morales, introduction de nouvelles
peines privatives ou restrictives de droits, disparition de l’emprisonnement pour les
contraventions...
L’application effective de ce principe d’individualisation de la peine suppose donc que le juge
soit en mesure de connaître les différents éléments énoncés par l’article 132-24 du code pénal,
et notamment s‘agissant des circonstances de l’infraction. C’est à ce stade que le rôle du
39 DREAN-RIVETTE (I.), La personnalisation de la peine dans le code pénal, L’Harmattan, Paris, DL2005.
40 Art 132-24 du Code pénal
41 SALEILLES (R.), L’individualisation de la peine, Paris, 1898.
42 PAPATHEODOROU (T.), La personnalisation des peines dans le nouveau CP, RSCDPC, 1997, N°1, p.15-28.
21
casier judiciaire est très important, concernant notamment les récidivistes. En déterminant le
quantum de la peine, l’une des modalités du principe de personnalisation de la peine, le juge
tiendra compte des éléments contenus dans les fichiers du casier qui l’informeront sur le passé
pénal du délinquant auquel il a à faire. Un récidiviste verra ainsi sa peine d’incarcération
augmentée en application de ce principe. S’agissant de la personnalité du délinquant, en
matière criminelle, le juge d’instruction devra constituer un dossier de personnalité
comprenant un certain nombre d’éléments tels qu’une expertise psychiatrique, un examen
médico-psychologique, l’audition des personnes connaissant l’intéressé, l’interrogatoire de ce
dernier...
Or, le parcours pénal ne s’arrête pas au jour du prononcé de la peine. En effet, l’exécution de
la peine mérite également qu’on s’y intéresse. L’objectif d’une sanction pénale est entre autre
de permettre au délinquant de s’amender en réfléchissant sur la portée de ses actes et en tirant
les enseignements de cette période de solitude. Ce but peut être atteint bien avant le terme fixé
par le juge43. C’est pourquoi la peine, qui a déjà été personnalisée le jour de son prononcé, doit
pouvoir l’être à tout moment de son exécution si le comportement de l’auteur de l’acte
l’exige44.
Cette modulation de la peine peut se faire dans les deux sens, c’est-Ã -dire que l’auteur se soit
amendé précocement et que ses efforts le justifient, ou qu’au contraire, il n’ait pas compris le
sens de sa sanction et qu’il n’en n’ait pas respecté les modalités d’exécution. L’adaptation de
la peine à l’évolution du condamné est aujourd’hui un thème d’actualité délicat45 qui remet en
cause l’efficacité de la justice. Il est difficile pour les citoyens français et encore plus pour les
victimes d’admettre qu’un individu qui a été condamné et incarcéré pour des actes graves
comme un viol ou un meurtre puisse bénéficier d’une éventuelle atténuation de sa sanction
parce qu’il s’est bien conduit lors de son séjour dans l’enceinte d’un établissement
pénitentiaire. Cette question a fait l’objet d’une lente évolution. Alors que seule
l’administration aurait dû être compétente en matière d’exécution des décisions, l’autorité
judiciaire s’est sentie concernée par ce problème dans la mesure où ayant prononcé la peine
initiale, elle s’est avérée être la mieux à même pour s’occuper de l’évolution du condamné et
donc de sa sentence.
43 CABANEL (G.-P.), Pour une meilleure prévention de la récidive : rapport au premier ministre, La
documentation française, Paris, 1996.
44 PORTELLI, Op. cit., note 31, p. 893 et s.
45 SANCHEZ, Op. cit. note 34.
22
Le principe d’individualisation de la peine a désormais une valeur constitutionnelle, et est
reconnu à l’échelle européenne. Le comité des ministres du Conseil de l’Europe a, en effet,
adopté une recommandation relative à la cohérence dans le prononcé des peines, le 19 octobre
199246, dans laquelle il a rappelé l’importance de ce principe. Le Conseil constitutionnel47 a, Ã
son tour, reconnu la valeur de ce principe48 dans une décision de 1994.
B - Le casier judiciaire : un inventaire des condamnations
Celui qui récidive a nécessairement commis plusieurs infractions de même nature. Or, pour
que le magistrat puisse établir cet état de récidive, il doit être en mesure de connaître le passé
pénal du prévenu ou de l’accusé.
Le code de l’instruction criminelle de 1808, pour répondre à ce souci d’information, avait mis
en place des « sommiers judiciaires », c’est-Ã -dire des registres dans lesquels figuraient toutes
les condamnations prononcées à l’encontre du délinquant.
La loi du 5 août 1899 instaura le « casier judiciaire » qualifié de décentralisé, dans la mesure
où les informations n’étaient plus centralisées à Paris mais au greffe du tribunal du lieu de
naissance. Elle fût complétée par la loi du 11 juillet 1900 qui s’intéressait au droit de
communication en limitant les possibilités de divulgations des informations. Cette
organisation du système a ensuite évolué, en raison, notamment du développement de
l’informatique.
La loi du 4 janvier 1980 a remplacé le casier judiciaire décentralisé par le « casier judiciaire
automatisé » ayant son siège à Nantes.
Cette individualisation de la peine, s’agissant notamment des récidivistes, implique, comme
nous l’avons vu, que le casier judiciaire de l’intéressé soit tenu à jour pour permettre au juge
qui aurait à connaître d’une autre infraction de se faire une opinion sur son état. Cependant,
cela ne suffit pas. Le « mouvement de la défense sociale » du milieu du 20ème siècle avait
instauré un dossier de personnalité sur les délinquants dans un souci de rendre la justice plus
humaine49. Ce dernier comprenait un certain nombre d’informations sur divers éléments tels
que le milieu social, familial et professionnel, sur son passé, son état de santé physique mais
46 Recommandation n°R(92)17 du conseil des ministres du Conseil de l’Europe du 19 octobre 1992.
47 Cons. Const., n°93-334 du 20 janvier 1994, sur la loi instituant une peine incompressible.
48 « L’exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non
seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser
l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion »
49 PORTELLI, Op. cit. note 31, p.38
23
aussi psychique. Le code de procédure pénale de 1958 avait inséré dans son article 81,
l’obligation de constituer un dossier de personnalité à la suite d’une enquête qui portait le
même nom et d’une enquête médico-psychologique en matière criminelle.
Sa durée d’existence fût brève et rapidement remise en cause par les juges de cassation qui se
justifiaient par la nécessité de respecter le pouvoir souverain du juge50. A l’heure actuelle, ce
dossier de personnalité n’a toujours pas été réintroduit dans notre législation, ce que
M.Portelli51 n’hésite pas à condamner.
Toutes ces mesures ont participé à la lutte contre la récidive, certaines, comme le casier
judiciaire, ont même subsisté. Depuis une vingtaine d’années, l’évolution s’est faite encore
plus ressentir.
La récidive et les réponses apportées au phénomène ont toujours été un champ d’investigation
historique essentiel de la politique pénale52 ou plutôt des politiques pénales qui se sont
succédées. Or, l’enracinement progressif de la criminalité dans notre société a fait échec aux
diverses mesures adoptées
Section 2 - Le législateur français face à la récidive
En abordant la question de la récidive pénale, le gouvernement français a manifesté sa volonté
de s’attaquer aux « gros délinquants », c’est-à -dire à ceux qui sont ancrés dans une
délinquance d’habitude contre laquelle les premiers messages et avertissements de la justice
n’ont été d’aucune utilité. Aussi, face aux attentes des Français, en quête de sécurité, les
politiques ont compris que ce combat était un enjeu électoral primordial, surtout à un an des
élections présidentielles. L’impunité des délinquants, la possibilité de prononcer des
réductions de peines sont à leurs yeux des incohérences inacceptables dans une démocratie
comme la France, « patrie des droits de l’homme ». La récidive doit être punie, les textes
doivent être appliqués à la lettre.
Après un long combat mené, entre autre par Robert Badinter53, la peine capitale est supprimée
en 1981. Une autre question s’est alors posée : celle de la peine de remplacement. Or, le
50 Cass. Crim., 29 avril 1960, Bull. crim. N°223
51 PORTELLI, Op. cit., note 31.
52 EMSLEY (C.), PORRET (M.), Récidive et récidivistes : de la Renaissance au XXe siècle, texte diponible Ã
l’adresse suivante : http://calenda.revues.org.
53 BADINTER (R.), L’abolition, Fayard, 2000
24
législateur n’a pas tiré les conséquences de l’abolition puisqu’il s’est contenté de la remplacer
par la peine qui lui était immédiatement inférieure : la réclusion ou la détention criminelle Ã
perpétuité.
Deux problèmes se sont posés. L’absence de nouvelle peine a, tout d’abord, entraîné un
nivellement de la répression des crimes les plus graves. De plus, dans l’esprit des Français, il
manquait une peine qui éliminerait les criminels les plus dangereux de la société. Pour
répondre à la première difficulté évoquée, il aura fallu attendre la réforme du code pénal,
c’est-à -dire plus de dix ans après l’abolition de la peine de mort pour qu’une solution soit
enfin envisagée : la réclusion criminelle d’une durée de 30 ans. Ainsi, la perpétuité fût
réservée aux crimes les plus graves.
La prison est devenue la clef de voûte de la répression. La perpétuité fût ainsi réservée aux
crimes les plus graves. S’agissant de la seconde préoccupation, la loi du 9 septembre 198654
fixa une période de sûreté de 30 ans. Cet aménagement était envisageable pour les faits
antérieurement punis de la peine de mort. Ainsi, l’élimination des criminels les plus
dangereux était assurée.
Nous diviserons notre étude de façon chronologique en étudiant, dans un premier temps, les
conséquences de l’adoption du nouveau code pénal (A), puis dans un second temps, la
nouvelle approche de la récidive depuis la loi du 15 juin 2000 (B).
I - La lutte contre la récidive dans le nouveau code
pénal
Le code pénal de 1994 a marqué une rupture avec l’arsenal répressif antérieur. Bien que la
sévérité soit toujours d’actualité, le débat sur la récidive n’a pas conduit à l’adoption de
mesures spécifiques pour ces délinquants. Le législateur a même été jusqu’à renoncé aux
peines dites « plancher », ne conservant que la possibilité de fixer une peine maximum. Le
législateur en a fait une circonstance aggravante (A), puis, dans un souci de prévention plus
que de répression, il a instauré le suivi socio-judiciaire (B).
A - La récidive : une circonstance aggravante
Le législateur de 1994 a fait de la récidive une circonstance aggravante qui, comme son nom
l’indique, a pour but d’augmenter le quantum de la peine prévue pour la même infraction qui
ne serait pas commise dans un état de récidive. La justification donnée à cette technique est
54 Texte disponible à l’adresse suivante : http:// www. legifrance.gouv.fr
25
que l’individu est ancré dans un processus de délinquance et ce, malgré les avertissements de
la justice. Elle peut être considérée comme une mise à l’épreuve, période pendant laquelle le
délinquant doit faire ses preuves, et éviter toute déviance.
Le code pénal a largement simplifié le régime de la récidive mais il reste marqué par une
réelle sévérité55. Le législateur a prévu un doublement des peines correctionnelles et élargi le
champ d’application du dispositif aux personnes morales.
Quatre types de récidive doivent être distingués, selon qu’elle est générale ou spéciale, et
qu’elle est perpétuelle ou temporaire. Elle est générale quand elle peut être constituée par la
commission d’une infraction différente de celle qui a donné lieu à la première condamnation,
et spéciale, lorsqu’au contraire, la deuxième infraction doit être nécessairement identique à la
précédente. Elle sera perpétuelle lorsqu’elle est constituée quel que soit le délai dans lequel la
nouvelle infraction a été commise, et temporaire si la seconde infraction a été commise dans
un certain délai à compter de la première condamnation.
Il y a tout d’abord l’hypothèse de la récidive générale et perpétuelle dans laquelle une
personne qui est condamnée pour un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement
commet un nouveau crime, quel que soit le temps écoulé entre les deux infractions. Le
maximum de la peine encourue est alors de la réclusion à perpétuité s’il est puni de 20 ou 30
ans de réclusion criminelle, ou de 30 ans de réclusion criminelle s’il est puni d’une peine de
15 de réclusion criminelle.
En cas de récidive générale et temporaire, il y aura doublement du quantum des peines
d’emprisonnement et d’amende encourues si après avoir été condamné pour un crime ou un
délit puni de dix ans d’emprisonnement, il commet, soit dans un délai de dix ans suivant
l’expiration ou la prescription de la précédente, un autre délit puni de dix ans
d’emprisonnement, soit dans un délai de cinq ans après l’expiration ou la prescription de la
précédente, un délit puni d’une peine d’emprisonnement comprise entre un an et dix ans.
Le troisième cas est celui d’une récidive spéciale et temporaire. Ici, les peines encourues sont
doublées si la personne, déjà condamnée pour un délit puni d’une peine d’emprisonnement
inférieure à dix ans, commet, dans les cinq ans qui suivent l’expiration ou la prescription de la
peine précédente, le même délit ou un délit qui lui est assimilé par la loi.
Enfin, on parle de récidive spéciale, temporaire et expresse dans l’hypothèse dans laquelle le
doublement du maximum de l’amende est encouru si la personne, déjà condamnée pour
55 PORTELLI, Op. cit., note 31, p. 825 et s.
26
contravention de cinquième classe, commet, dans le délai d’un an à compter de l’expiration ou
la prescription de la précédente peine, la même contravention.
A ces quatre hypothèses s’ajoute une autre situation, celle dans laquelle la contravention « se
transforme » en délit en cas de récidive. Ce dernier cas n’était pas prévu dans le code pénal de
1994, mais un certain nombre de textes de droit pénal spécial traitaient de cette question. De
l’ancien code pénal, il subsistait une dizaine de contraventions qui devenaient des délits en cas
de récidive, dans un délai souvent fixé à un an à compter de la première condamnation. C’était
par exemple le cas de la conduite sans permis et de la plupart des infractions au code de la
route. La loi du 18 juin 1999, sur la sécurité routière, a ajouté un article L413-1 au code de la
route qui prévoit qu’un excès de vitesse, s’il est important, constitue une circonstance
aggravante qui transforme une contravention en délit. Puis la loi du 12 juin 2003 est venue
consacrer ces hypothèses d’infractions au code de la route dans la partie générale du code
pénal en complétant l’article 132-11. Ainsi, le second alinéa de cet article dispose que « dans
les cas où la loi prévoit que la récidive d’une contravention de la cinquième classe constitue
un délit, la récidive est constituée si les faits sont commis dans le délai de trois ans Ã
compter de l’expiration ou de la prescription de la précédente peine ».
B - Une nouvelle approche de la récidive : le suivi sociojudiciaire
Le code pénal n’a pas marqué une pause dans le débat sur la récidive, loin de là . Une
Commission instaurée par Pierre Mehaignerie56 préconisait, dans son rapport publié en 1994,
l’introduction dans le code d’une peine complémentaire de suivi post-pénal applicable à toutes
les infractions criminelles. Ce fût un échec. Cependant, quelques années plus tard, la loi 98-
458 du 17 juin 199857 fût adoptée58. Celle-ci concernait la répression des infractions sexuelles
et la protection des mineurs. Elle institua le suivi socio-judiciaire dans le paysage répressif
français. L’objectif était de répondre à l’émotion suscitée dans l’opinion publique suite aux
meurtres accompagnés de viols par des récidivistes sur des enfants.
Le suivi socio-judiciaire est défini par l’article 131-36-1 alinéa 2 du Code pénal comme
« l’obligation (pour le condamné) de se soumettre, sous le contrôle du juge d’application des
56 Commission d’étude pour la prévention de la récidive des criminels
57 Texte disponibleà l’adresse suivante : http:// www. admi.net/jo/19980618/JUSX9700090L.html
58 PORTELLI, Op. cit. note 31.
27
peines et pendant une durée déterminée par la juridiction de jugement, à des mesures de
surveillance et d’assistance destinées à prévenir la récidive ».
Cette mesure est apparue comme une « copie revue et corrigée » du sursis avec mise Ã
l’épreuve, dans la mesure ou le texte lui-même renvoie directement aux articles du code
relatifs à cette autre mesure59.
L’individu condamné à un suivi ou à un sursis devra obligatoirement répondre aux
convocations du juge de l’application des peines, accepter de recevoir des visites, le prévenir
de ses changements d’emploi ou de résidence et enfin, obtenir du juge d’application des
peines l’autorisation préalable pour tout déplacement à l’étranger. Il pourra être soumis à une
ou plusieurs obligations : exercer une activité professionnelle ou suivre une formation, se
soumettre à des mesures d’examen médical, de traitement ou de soins, justifier une
contribution aux charges familiales ou le paiement d’une pension alimentaire, réparer les
dommages causés par l’infraction. Le caractère médical du suivi socio-judiciaire n’est pas
obligatoire60, mais dans la plupart des cas les dispositions de l’article 131-36-4 du code pénal
qui prévoit que cette mesure « peut comprendre une injonction de soins » s’appliquent.
L’injonction de soins ne pourra être prononcée par le juge de jugement que si une expertise
médicale la propose. Dans les cas les plus graves, la présence de deux experts sera
nécessaire61. La relation entre médecine et justice est ici très importante puisque la décision
judiciaire repose sur la décision médicale. L’injonction de soins pourra également être
prononcée par le juge de l’application des peines après que la mesure de suivi socio-judiciaire
ait été accordée. Cette seconde hypothèse est envisageable lorsque la personne soupçonnée
d’avoir commis une infraction à caractère sexuel niait son implication au moment des faits
mais qu’elle a reconnu sa culpabilité quelques temps plus tard.
Il pourra également être soumis à des obligations négatives : ne pas conduire certains
véhicules, ne pas se livrer à l’activité professionnelle dans l’exercice de laquelle l’infraction a
été commise, ne pas paraître en certains lieux ; ne pas engager de paris ; ne pas fréquenter de
débits de boisson, ne pas fréquenter certains condamnés, s’abstenir d’entrer en relation avec
59 Articles 132-44 à 132-45 sur les mesures de surveillance générales ou particulières.
60 Avant 1998, une « peine de suivi médico-social » était envisagée. Elle aurait nécessairement comportée un
aspect thérapeutique.
61 S’il s’agit d’un cas de meurtre ou d’assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de torture, ou
d’actes de barbarie.
28
certains individus (notamment la victime), ne pas détenir ou porter une arme. La cour de
cassation a considéré que cette liste d’obligations devait être considérée comme limitative62.
Ces similitudes ont amené les juges à préciser que le cumul de ces deux mesures était
interdit63. Cependant, d’autres obligations peuvent être prononcées dans le cadre du suivi.
Elles sont prévues à l’article 131-36-2 alinéa 2 : s’abstenir de paraître en tout lieu
spécialement désigné, notamment les lieux accueillant habituellement des mineurs, s’abstenir
de fréquenter certaines personnes ou certaines catégories de personnes et notamment des
mineurs, ne pas exercer d’activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel
avec des mineurs. Ces interdictions sont significatives d’une volonté de prévenir le risque de
récidive, notamment chez les pédophiles.
Sur le plan de la pratique, le suivi socio-judiciaire ne peut être prononcée qu’à l’encontre des
personnes condamnées pour un crime ou un délit de nature sexuelle, en cas de meurtre ou
assassinat précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie64, de viol ou
agression sexuelle, y compris en cas d’exhibition sexuelle65, ou encore d’infractions mettant
en péril des mineurs66.
De plus, en vertu de l’article 763-1 du Code de procédure pénale, « la personne condamnée a
un suivi socio-judiciaire est placée sous le contrôle du juge de l’application des peines dans
le ressort duquel elle a sa résidence habituelle ou, si elle n’a pas en France de résidence
habituelle, du juge de l’application des peines du tribunal dans le ressort duquel a son siège
la juridiction qui a statué en première instance (...) ».
Ce magistrat joue donc un rôle essentiel dans le bon déroulement de la mesure puisqu’il peut
supprimer, modifier ou ajouter une obligation qui avait été décidée par le tribunal, ou encore
prononcer une injonction de soins si une nouvelle expertise conclut que le condamné est
accessible à un traitement pénal. Il peut en cas d’inobservation de ses obligations par le
condamné, d’office ou sur réquisition du procureur de la République, ordonner par décision
motivée la mise à exécution de l’emprisonnement tel qu’il avait été prononcé par le tribunal
en application de l’article 131-36-1 alinéa 267. Le juge de l’application des peines a également
62 Cass.crim., 14 mars 1963 et 2 avril 1963 cités par PRADEL (J.) in Droit pénal général, Cujas, 1996.
63 Article 131-36-6 du Code pénal.
64 Article 2 de la loi du 17 juin 1998 instaurant l’article 221-9-1du Code pénal.
65 Article 3 de la loi du 17 juin 1998 se référant aux articles 222-23 à 222-32 du Code pénal.
66 Articles 227-22 à 227-25 du Code pénal.
67 Article 763-5 alinéa 1 du Code de procédure pénale.
29
un rôle à jouer en matière de libération du condamné dans la mesure où elle peut intervenir Ã
une date antérieure à celle prévue dans le jugement.
La loi du 17 juin 1998, modifiée par la loi « Perben II » du 9 mars 2004, a prévu que le suivi
socio-judiciaire pouvait s’appliquer à l’encontre d’un individu pendant une durée de 10 ans
en matière correctionnelle et 20 ans en matière criminelle68. En cas de non-respect des
obligations, l’emprisonnement sera encouru. Elle prévoyait que la juridiction de jugement
pouvait prononcer, en cas d’inobservation des obligations imposées, de lourdes
peines d’emprisonnement : jusqu’à 2 ans en matière délictuelle et 5 ans en matière criminelle.
L’objectif de cette loi était clair : prévenir la récidive des délinquants sexuels. Cette
disposition avait le mérite de prendre en considération la question de la récidive dès
l’apparition du risque et non pas uniquement quand ce risque s’est concrétisé. Elle ne
s’intéressait pas à la récidive dans sa globalité mais à un type précis de récidive. Cette
remarque fût à l’origine d’un certain nombre de critiques fondée sur son inutilité au regard des
statistiques. Le taux de récidive des délinquants sexuels était en effet à l’époque très faible.
Annie Kensey et Pierre Tournier ont constaté, dans une étude publiée en 199469, que les
condamnés pour viol n’étaient pas ceux qui commettaient à nouveau le plus d’infractions.
Parmi les 96 ex-détenus pour viol, seuls 3 ont été à nouveau condamnés pour une nouvelle
infraction sexuelle70.
Depuis la loi du 15 juin 200071 sur la présomption d’innocence et le renforcement des droits
de la défense, le débat sur la récidive a été relancé et redirigé vers un objectif de réinsertion du
condamné plutôt que d’une répression accrue.
II - Le renouveau de la libération conditionnelle
Le rôle de la libération conditionnelle en matière de lutte contre la récidive n’a pas toujours
été reconnu. Il a fallu attendre la loi du 15 juin 2000 pour que sa participation dans ce combat
soit enfin soulignée. Or, force est de constater, que cette libération anticipée joue en faveur du
reclassement du délinquant, élément essentiel pour éviter la récidive. En lui permettant de « se
prendre en mains », de gérer ses faits et gestes tout en étant surveillé, le délinquant a
68 Article 131-36-1 alinéa 2 du Code pénal.
69 KENSEY (A.), TOURNIER (P.), Libération sans retour ?, Travaux et documents (SCERI), n°47 et Etudes
et données pénales (CESDIP), n° 69, ministère de la justice, oct. 1994, 1994.
70Dans le groupe qu’ils ont examiné, les condamnés libérés les plus réitérants étaient d’abord ceux précédemment
condamnés et détenus pour vol (72 % de délinquants, 59 % de criminels) ; venaient ensuite les ex-détenus pour
violences volontaires (51%), pour viol (38 %), pour meurtre (32 %), pour attentat à la pudeur (31 %), les exdétenus
pour trafic de stupéfiants arrivant en septième et dernière position (14 %)
71 Texte disponible à l’adresse suivante : http:// www. legifrance.gouv.fr
30
l’occasion de s’amender en prouvant sa volonté de s’en sortir. Nous étudierons tout d’abord
l’évolution historique de la mesure, ce qui nous permettra de mieux comprendre les raisons du
faible recours à la libération conditionnelle (A), avant de voir ensuite les effets qu’elle a eu sur
la récidive (B).
A - Evolution historique de la libération conditionnelle72
La libération conditionnelle fût introduite dans notre arsenal répressif par une loi du 14 août
1885, dans un contexte économique, social et politique sensible dans la mesure où pauvreté,
vagabondage et insécurité constituent le quotidien des Français. Ces derniers appellent à plus
de répression, à des mesures sécuritaires. C’est dans cet objectif, que quelques mois plus tôt
fût adoptée la loi sur la relégation qui prévoit, comme nous l’avons vu, « l’internement
perpétuel sur le territoire des colonies ou possessions françaises des condamnés », qu’ils
soient criminels ou récidivistes73. Cette mesure, qui satisfait en grande majorité la population
est un obstacle à l’application de la libération conditionnelle. A l’époque, le gouvernement
dispose donc de deux mesures symétriquement opposées : la première visant le criminel et
surtout le récidiviste et leur éloignement de la société, et la seconde prônant, au contraire
l’amendement de la personne. Robert Badinter pour résumer la situation a écrit que « la
majorité républicaine avait inscrit dans ses lois la parabole du bon et du mauvais larron : au
premier, sinon le paradis, du moins le purgatoire de la libération conditionnelle ; au second,
l’enfer de la relégation perpétuelle 74 ». Progressivement, alors que la relégation s’essouffle, la
libération conditionnelle prend, quant à elle son essor. Les oppositions s’estompent peu à peu
jusqu’à ce que la mesure apparaisse, aux yeux notamment de l’administration pénitentiaire, un
bon moyen de gestion des prisons. Elle apparaît alors plus comme une mesure de faveur
pénitentiaire que de prévention de la récidive75.
La libération conditionnelle s’est peu à peu creusée une place dans notre droit, changeant
rapidement de perspectives. Dans les années 50, il ne s’agissait plus de gérer la population
carcérale mais plutôt de récompenser le condamné en fonction de sa capacité d’amendement.
En 1958, le code de procédure pénale confie à un nouveau magistrat, le juge de l’application
des peines, le suivi de ces mesures. La mesure subit alors plusieurs modifications successives.
72 Rapport de la Commission de la libération conditionnelle du conseil supérieur de l’administration
pénitentiaire de février 2000.
73 Article 1er de la loi du 29 juin 1885.
74 BADINTER (R.), La prison républicaine, Fayard, 1992, p.169.
75 FIZE (M.), Il y a 100 ans la libération conditionnelle, In revue de science criminelle, 1985, n°4, p.764 et s.
31
Ce n’est que récemment, en 2000, que sa place est remise en cause. En effet, la libération
conditionnelle est rarement, et de moins en moins prononcée.
L’un des objectifs de la loi de 2000 était de relancer la pratique de la libération conditionnelle.
Ce projet avait déjà été proposé il y a maintenant une vingtaine d’années par Robert Badinter,
mais il s’est conclu par un échec.
La mise en place du placement sous surveillance électronique en 199776 et du placement sous
surveillance judiciaire en 1998 ont marqué les premiers pas du processus qui ont mené
quelques années plus tard à l’adoption de la loi du 15 juin 2000.
Le rôle du juge de l’application de peines s’est progressivement développé avant d’être
concrétisé dans cette dernière. Elle a fait des différentes modalités d’application des peines,
qui n’étaient jusque-là que des mesures d’administration judiciaire non susceptibles d’appel,
des véritables décisions juridictionnelles prises après un débat contradictoire, au cours duquel
le détenu peut se faire assister d’un avocat, et susceptibles d’appel devant la chambre des
appels correctionnels.
S’agissant de la lutte contre la récidive, cette loi a eu une importance capitale en revisitant les
principes qui gouvernaient jusqu’alors la libération conditionnelle. L’article 729 du code de
procédure pénale dispose, en effet, que « la libération conditionnelle tend à la réinsertion des
condamnés et à la prévention de la récidive ». Son objectif est simple : éviter les « sorties
sèches » de prison, c’est-à -dire non préparées par le condamné qui, à sa sortie de prison se
retrouve seul, sans soutien et qui rapidement risque de retourner à ses anciennes habitudes.
Le législateur a étendu la compétence du juge de l’application des peines, qui peut désormais
accorder cette mesure aux personnes condamnées à dix ans d’emprisonnement ou ayant une
peine restant à subir inférieure à trois ans. Les demandes des autres détenus sont, elles,
examinées par une juridiction régionale de la libération conditionnelle, présidée par un
président de chambre ou un conseiller de cour d’appel et composé de deux juges de
l’application des peines. L’intervention du garde des Sceaux, compétent jusque là à l’égard des
détenus condamnés à plus de cinq ans d’emprisonnement, est supprimée. Les décisions de la
juridiction régionale sont susceptibles d’appel devant la juridiction nationale de la libération
conditionnelle.
Les critères d’octroi de la libération conditionnelle ont également été élargis. Pour en
bénéficier, le condamné doit, selon l’art 729 al 1er du code de procédure pénale77 présenter des
76 Texte disponible sur : http:// www. legifrance.gouv.fr
77 « La libération conditionnelle tend à la réinsertion du condamné et à la prévention de la récidive. Les
condamnés ayant à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d’une libération
32
efforts sérieux de réadaptation sociale. Avant la loi de 2000, la loi parlait de gages sérieux,
expression souvent qualifiée de trop restrictive car limitée à l’exigence d’une promesse
d’emploi. La loi du 15/06/2000 a par ailleurs donné une liste non limitative de ce qui constitue
de tels efforts de la part du condamné : activité professionnelle, stage, vie de famille, nécessité
de subir un traitement...
De plus, il doit avoir déjà accompli un temps d’épreuve, c’est-à -dire une partie de sa peine.
S’agissant des peines à temps, la durée de la peine accomplie doit être au moins égale à la
durée de la peine qui lui reste à accomplir. Si le condamné était en état de récidive, il doit
avoir accompli une durée d’incarcération au moins égale au double de la peine restant à subir.
S’agissant des condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, elle ne peut intervenir avant
l’expiration d’un temps d’épreuve de 15ans.
Pendant la période de libération conditionnelle, le condamné est soumis à un régime proche
de celui du sursis avec mise à l’épreuve. Il bénéficie de mesures d’assistance et se trouve
soumis à des mesures de contrôle et éventuellement à des obligations particulières, destinées Ã
faciliter et à vérifier le reclassement du libéré. Leur suivi est assuré par le juge de l’application
des peines avec l’assistance du service pénitentiaire d’insertion et de probation.
Les mesures d’assistance ont pour objet de susciter et de seconder les efforts du condamné en
vue de son reclassement social et notamment de sa réadaptation familiale et professionnelle.
La durée de l’ensemble de ces mesures générales et particulières est fixée par la décision de
libération conditionnelle. Leur durée et leur nature peuvent être modifiées pendant toute sa
durée dans les mêmes formes qu’elles ont été ordonnées. Elle peut être révoquée dans les
mêmes formes qu’elle a été ordonnée en cas de nouvelle condamnation, d’inconduite notoire
ou d’inobservation des conditions imposées par le juge. Elle doit être ordonnée par
ordonnance motivée du juge de l’application des peines ou de la juridiction régionale de
l’application des peines, prise à l’issue d’un débat contradictoire et susceptible d’appel.
Si, pendant le délai d’application des mesures de contrôle et d’assistance, le condamné s’est
bien comporté, il est définitivement libéré. La peine est alors réputée avoir été exécutée dès la
date du jugement et depuis l’expiration de la période de liberté sous condition. Elle laisse
conditionnelle s’ils manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment lorsqu’ils justifient
soit de l’exercice d’une activité professionnelle, soit de l’assiduité à un enseignement ou à une formation
professionnelle ou encore d’un stage ou d’un emploi temporaire en vue de leur insertion sociale, soit de
leur participation essentielle à la vie de famille, soit de la nécessité de subir un traitement, soit de leurs
efforts en vue d’indemniser leurs victimes »
33
subsister les interdictions, déchéances et incapacités qui étaient attachées à la condamnation.
De plus, elle compte pour la récidive et peut faire obstacle à l’octroi d’un sursis simple.
La loi du 9 mars 200478 a crée, dans le ressort de chaque Cour d’Appel, un ou plusieurs
tribunaux de l’application des peines, composés des juges de l’application des peines, qui
viennent en remplacement des juridictions régionales de la libération conditionnelle, dont il
reprend les compétences, avec quelques attributions annexes.
Il a fallu attendre cette loi, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité,
pour que la phase de l’exécution des peines devienne une véritable phase du procès pénal. Les
juges doivent désormais prendre en charge la phase de l’exécution des peines en orientant et
en contrôlant les aménagements qui peuvent être apportés jusqu’à l’expiration de la peine
prononcée. L’article 707 du code de procédure pénale79 prévoit que la mise à exécution se fait
sur décision ou sous le contrôle des autorités judiciaires, que le but est la réinsertion du
condamné et la prévention de la récidive et que les moyens utilisés doivent être fonction de
l’évolution de la personnalité et de la situation du condamné.
B - Libération conditionnelle et prévention de la récidive
Depuis le début des années 70, les admissions à la libération conditionnelle n’ont pas cessé de
diminuer, alors que paradoxalement, le nombre de détenus admis à en bénéficier a
progressivement augmenté. En vingt-six ans, le taux d’admission à la libération
conditionnelle, prononcée par des juges de l’application des peines, est passé de 29,3% en
1973 Ã 14% en 199880.
En 2001, 5680 condamnés ont été admis à la libération conditionnelle par le juge de
l’application des peines, et 167 par le Garde des Sceaux ou la juridiction régionale de
78 COUVRAT (P.), Dispositions générales et nouvelle organisation judiciaire de l’application des peines,
chronique de la RSC, juillet/septembre 2004, p.685 Ã 687
79 « Sur décision ou sous le contrôle des autorités judiciaires, les peines prononcées par les juridictions
pénales sont, sauf circonstances insurmontables, mises à exécution de façon effective et dans les meilleurs
délais. L’exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes,
l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive. A cette fin, les peines
peuvent être aménagées en cours d’exécution pour tenir compte de l’évolution de la personnalité et de la
situation du condamné. L’individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le
retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi
judiciaire ».
80 Op.cit. note 45.
34
l’application des peines81. Sur 203 révocations, seules 93 l’ont été en raison d’une nouvelle
condamnation.
Pierre Tournier et Annie Kensey82 se sont intéressés à cette relation entre libération
conditionnelle et récidive. Pour cela, ils ont étudiés le taux de retour en prison d’un groupe de
détenus, déjà condamnés pour des peines d’au moins trois d’incarcération. Ils ont ainsi fait
état d’un taux de retour en prison qui va du simple au double selon que la personne a bénéficié
ou non d’une libération conditionnelle83. Quatre années après leur libération84, ils se sont
interrogés sur les mêmes personnes et ont pu constater que dans 50% des cas, une nouvelle
infraction a été commise pendant ces quatre années. Environ 40% d’entre eux ont récidivé
dans les six mois de leur sortie. Ils ont fait remarquer que l’influence du mode de sortie est
importante puisque le taux de nouvelles affaires commises par les libérés après une libération
anticipée est de 39,6% contre 54,5% pour les libérés en fin de peine.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, il n’est nul doute que la libération conditionnelle a un effet
bénéfique sur les détenus. Alors que l’élaboration d’un projet de reclassement engage
pleinement la personne et réclame des efforts de sa part, l’incarcération joue le rôle contraire,
elle la fragilise mentalement, et la laisse dans un milieu dont les vertus criminogènes ne sont
plus à prouver.
Cependant, les objectifs de cette mesure, aussi louables soient ils, se heurtent à une actualité
de remise en cause permanente. En effet, la montée du sentiment d’insécurité, et
l’augmentation des infractions sexuelles, souvent commises par des récidivistes, lui font
échec. Réinsertion et réadaptation des condamnés, amendés ou non, sont loin d’être les
priorités des citoyens français. La libération conditionnelle, crée avant tout pour récompenser
les détenus ayant faits des efforts considérables lors de la détention, devient une mesure dont
le prononcé dépend désormais du passé judiciaire et des risques de récidive.
La libération conditionnelle, dont l’objectif final est la réinsertion du condamné, doit pouvoir
compenser les effets difficiles de la sortie de prison. En effet, quelle que soit la durée de la
peine purgée, la libération est un moment délicat à vivre. La personne libérée sans
81 Rapport de la mission parlementaire auprès de Dominique Perben, Les alternatives à la détention, les
modalités d’exécution des courtes peines, la préparation des détenus à la sortie de prison, Avril 2003
82 KENSEY (A.), TOURNIER (P.), Le retour en prison, analyse diachronique (détenus libérés en 1973- détenus
libérés en 1982, initialement condamnés à trois ans ou plus », Direction de l’administration pénitentiaire,
Travaux et documents n°40, 1991.
83 23% en cas de libération conditionnelle contre 40% pour les libérations en fin de peines.
84 KENSEY (A.), TOURNIER (P.), Libération sans retour ? Devenir d’une cohorte de sortants de prison
condamnés à une peine à temps de trois ans et plus, Ministère de la Justice.
35
préparation ni accompagnement risque de se retrouver dans un environnement familial ou
social dangereux, voire criminogène, ou bien au contraire dans un isolement total, alors
qu’elle aurait besoin de soutien pour se réadapter à la vie libre. Tout ceci peut l’amener à la
récidive85.
La libération conditionnelle est l’une des mesures les plus connues par les Français au travers
des médias notamment. Cette mesure soulève souvent l’opinion surtout lorsqu’il s’agit de
récidivistes. La libération de Lucien Léger, après quarante et une années passées derrière les
barreaux a récemment fait la une des médias. A soixante huit ans, et après près de dix sept
demandes de mise en libération conditionnelle, une décision judiciaire en sa faveur est tombée
en 2005. Condamné à perpétuité en 1966 pour le meurtre d’un garçon de onze ans, le tribunal
de l’application des peines d’Arras a accordé cette mesure de libération conditionnelle au plus
ancien des détenus de France et à l’un des plus anciens d’Europe.
Une autre libération conditionnelle célèbre est celle de Patrick Trémeau. C’est cette dernière
qui, comme nous le verrons ultérieurement, a relancé le débat sur la question de la récidive.
Ce violeur multirécidiviste, en effet, a été interpellé quelques mois après sa libération pour le
viol de trois femmes en région parisienne. D’anciennes victimes de Trémeau se sont révoltées
contre cette mesure de clémence injustifiée, critiquant le fait que bien qu’ayant averti les
pouvoirs publics du risque de récidive de cet individu, il n’y a eu aucune volonté politique,
aucune mesure de surveillance d’instaurées. « Les politiques, en laissant sortir Trémeau sans
condition, l’ont autorisé à recommencer », a déclaré l’une d’elles86.
La libération conditionnelle la plus récente concerne Jean-Marc Deperrois87. Ce dernier fût
condamné à vingt de réclusion criminelle dans l’affaire de la Josacine empoisonnée au
cyanure. C’est au début d’avril 2006 que le tribunal de l’application des peines d’Evreux a
accepté sa demande de libération conditionnelle. Il fût condamné le 25 mai 1997 par la cour
d’assises de la Seine-Maritime pour l’empoisonnement de la petite Emilie Tanay avec du sirop
de « Josacine » contaminé au cyanure. La présence de poison dans le flacon de « Josacine » fût
rapidement décelée. Selon l’accusation, Jean-Marc Deperrois avait introduit le cyanure de
sodium dans le sirop en pensant que celui-ci était destiné au mari de sa maîtresse, Jean-Michel
Tocqueville, chez qui séjournait Emilie Tanay. L’accusé a quant lui toujours clamé son
innocence.
85 Op. cit. note 72.
86 BONNEFOUS (B.), Nous savions qu’il allait recommencer, 20 minutes, 27 septembre 2005, p.8.
87 Josacine : libération conditionnelle pour Deperrois, appel suspensif du parquet, sur le figaro.fr, 6 avril
2006.
36
Maintenant que nous nous sommes intéressés à l’instauration progressive d’un droit de la
récidive, il conviendra ensuite de traiter des difficultés pratiques rencontrées à cet effet.
Chapitre II - Une construction délicate du droit
de la récidive
Pédophiles en série arrêtés plusieurs années après les faits, violeurs rechutant à leur sortie de
prison... Les scandales de ce type se sont multipliés depuis quelques années.
Le Procureur général de Reims, Yves Charpenel a eu l’occasion de connaître d’une telle
histoire : le 7 septembre 2002, un individu de 45 ans, arrêté par les policiers, avoua avoir
commis quatre crimes à caractère sexuel depuis sa libération la même année. Après avoir
passé douze années de sa vie derrière les barreaux, il en était sorti sans la moindre mesure de
suivi post-sentenciel. Ce fait divers, parmi tant d’autres a conduit Dominique Perben, alors
ministre de la justice, à adopter la loi du 9 mars 2004, à l’origine d’un arsenal plus répressif Ã
l’égard des délinquants sexuels. Ce dernier a opéré dans la continuité de ses prédécesseurs :
après la perpétuité réelle pour les violeurs d’enfants, le suivi médico-social ou encore le suivi
socio-judiciaire, il fallait une nouvelle mesure permettant de les repérer plus facilement.
Alors qu’en 2002, les infractions à caractère sexuel représentaient près de 25% des
condamnations prononcées par les tribunaux français, selon Monsieur Lameyre, les pouvoirs
publics et les autorités judiciaires ont répondu aux plaintes de plus en plus nombreuses des
victimes par « un accroissement sans précédent de la répression de la criminalité sexuelle »88.
Les arrestations, trop tardives, de ces récidivistes, ont ému l’opinion et ainsi relancé le débat
sur le suivi de ces personnalités à risques. Un fichier des délinquants sexuels vît alors le jour :
le fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles. Y seront recensées l’adresse et l’activité
des personnes condamnées pour un crime ou un délit sexuel. Accessible, en temps réel, par les
magistrats, les policiers et les gendarmes au cours d’enquêtes judiciaires, ce registre pourra
aussi être consulté « par l’intermédiaire de l’autorité administrative, à l’occasion d’embauches
dans des structures en relation avec l’enfance ou l’adolescence ».
Cependant, les magistrats eux-mêmes s’interrogent sur l’utilité de cette mesure. Evelyne Sire-
Marin, alors présidente du Syndicat de la magistrature, avait fait remarquer l’existence de
88 LAMEYRE (X.), Du régime spécial appliqué, en France, aux auteurs d’infractions sexuelles, Rev. sc. crim.
(3), juill-sept. 2002, p. 548.
37
« nombreux fichiers ainsi que du casier judiciaire » et se demandait en quoi la création de ce
nouveau dispositif pourrait être efficace pour lutter contre la récidive. « Avant de créer de
nouveaux outils, mieux vaudrait améliorer l’emploi de ceux qui existent déjà 89 ».
La France n’est pas le seul Etat à s’être interrogé sur la question du récidivisme. Depuis 1996,
les lois américaines dites de Megan imposent aux polices des 50 États l’obligation
d’« enregistrement » et de « notification publique » de la présence des ex-délinquants sexuels.
Une banque de données automatisée listant les condamnés depuis 1970 est tenue à la
disposition du public.
En Grande-Bretagne, un programme de surveillance électronique par satellite des délinquants
sexuels a été mis en place. Au Canada, les délinquants sexuels libérés subissent une thérapie
et un suivi pendant une période de dix ans. Quant à l’Allemagne, une loi du 15 août 1969
autorise la castration chimique volontaire des délinquants sexuels de plus de vingt-cinq ans.
Cependant, malgré tous ces efforts pour endiguer le problème, la réalité et les chiffres
prouvent que sa disparition n’est pas à l’ordre du jour, bien qu’on ne puisse pas parler
d’augmentation. Qu’il s’agisse des délinquants sexuels, ou des autres types de délinquance, la
récidive reste d’actualité. L’année 2005, malgré l’arsenal répressif à la disposition de la
justice, fût marquée par de nouveaux faits qui ont eu pour conséquence de remettre en cause
son efficacité.
Il conviendra de s’intéresser tout d’abord au récidiviste lui-même, et à ces rapports avec une
éventuelle maladie mentale, avant d’aborder, dans un second temps, les problèmes purement
techniques d’une lutte efficace contre la récidive, et au contexte d’adoption de la loi du 12
décembre 2005.
Section 1 - Le récidiviste : un homme dangereux ?
Le récidiviste lui-même a fait l’objet de nombreuses études. Certains se sont intéressés,
comme nous l’avons vu en introduction, à l’aspect médical du problème, en étudiant le crâne
du délinquant, ce qui a permis d’en dégager les spécificités. Plus tard, d’autres se sont
interrogés sur l’influence de son milieu social et environnemental sur son comportement.
Le récidiviste a toujours été considéré comme un être différent, à éliminer de la société,
définitivement ou non. Depuis quelques années, la lumière est portée sur la dangerosité du
délinquant. Monsieur Burgelin, président de la commission Santé-Justice chargeé de rédiger
89 FLEURY (E.), Le Parisien, le 23 septembre 2003.
38
un rapport sur l’aspect psychologique de la récidive, a donné une définition de la dangerosité
criminologique. Il s’agit d’ « un phénomène psychosocial caractérisé par les indices
révélateurs de la grande probabilité de commettre une infraction contre les personnes ou les
biens »90. Elle se distingue de la dangerosité psychiatrique définie comme « un risque de
passage à l’acte principalement lié à un trouble mental 91 ».
Ce rapport, publié en juillet 2005, fait état d’un nouveau risque pour la société, celui que
génère le malade mental, individu dangereux qu’il faut mettre à l’écart. Or, la réalité fait état
d’un certain nombre de difficultés sur la question (I). La loi du 12 décembre 2005 préconise
une évaluation préalable de la dangerosité du délinquant (II).
I - Un système lacunaire
La commission Santé-Justice a mis en évidence un certain nombre de lacunes en termes de
recherche sur la dangerosité, qu’elle soit criminologique ou psychiatrique (A). De plus, elle
révèle une mauvaise intégration de l’irresponsabilité pénale dans le procès (B).
A - Des erreurs en matière d’expertises
Les difficultés générées par les expertises ordonnées par des magistrats dans le cadre d’un
procès, ont été soumises au public avec l’affaire dite d’Outreau. Cette tragédie a mis en
exergue un certain nombre d’incohérences et d’erreurs majoritairement « constituées par les
évaluations cliniques partiellement ou totalement erronées, par des inadéquations entre les
constatations cliniques et ce que prescrit le droit92, ou par des positionnements personnelles ou
idéologiques nuisibles au devoir d’objectivité des experts de la Justice 93 ».
La pratique des expertises a toujours été très critiquée car le débat autour de la relation entre
maladie mentale et délinquance est très ancien. Sous l’Ancien régime déjà , grâce aux travaux
de Pinel, l’expert psychiatre jouait un rôle important lors des procès. Il avait pour obligation
tout d’abord de soigner le malade, mais également de démontrer la relation entre la maladie et
90 Définition de Christian DEBUYST, issue du IIème cours international de criminologie de Paris en 1953, In
Rapport d’information Assemblée nationale, n°1718, du 7 juillet 2004, sur le traitement de la récidive des
infractions pénales, p.45.
91 Rapport de la commission Santé-Justice de juillet 2005, p.10.
92 Article 122-1 du code pénal (ancien article 64)
93 BOUCHARD (J.-P.), L’expertise mentale en France entre « pollution de la justice » et devoir d’objectivité,
JCP, février 2006, p.15.
39
le passage à l’acte. Monsieur Seron94, professeur de psychiatrie et psychologie médicale,
rédigea un historique sur la question et rappela qu’à la fin du 18ème siècle, beaucoup, dont
Pinel, faisaient remarquer que les aliénés criminels étaient, depuis trop longtemps, négligés
par la médecine95. Le psychiatre se voyait revêtu d’une tâche primordiale, à savoir être capable
de prévoir les réactions d’un délinquant psychiquement anormal et les effets d’une sanction
sur son comportement, qu’elle soit sévère ou au contraire indulgente. Les spécialistes des 18
et 19ème siècle ont également rappelé que certains des criminels, déclarés responsables car
dépourvus de maladie mentale reconnue au moment des faits, pouvaient malgré tout,
présentaient de « simples » troubles qui, confrontés à la prison, seraient réactivés et
risqueraient de les conduire à récidiver.
Le législateur, au début du 20ème siècle, avait envisagé d’instaurer une responsabilité pénale
atténuée pour ces individus non malades au moment des faits mais souffrant cependant de
troubles qui, face à un enfermement ferme, risqueraient d’empirer. Ce projet « Chaumier » fût
un échec et ne vît pas le jour malgré grand nombre de rapports qui dénonçaient constamment
la situation dramatique de ces individus face à l’incarcération.
A l’heure actuelle, d’importants procès, comme celui de l’affaire d’Outreau, ont fait état
d’erreurs graves en matière d’expertises psychiatriques qui ont eu des répercussions
dramatiques sur les victimes de ces erreurs judiciaires et qui ont conduit au fiasco que tout le
monde connaît. Monsieur Bouchard parle de « pollution de la justice ». Or, la justice doit être
capable de tenir compte « de tous les éléments de vie et de personnalité des justiciables ». Il
n’y a pas de place pour les approximations et les erreurs sur l’état mental des personnes
soupçonnées.
Ce dernier préconise la suppression de la distinction entre expertise « psychiatrique » et
« psychologique » car il existe un chevauchement entre les questions posées aux psychiatres et
aux psychologues. Ces deux notions devraient être remplacées par une autre beaucoup plus
globale d’ « expertise mentale », qui serait réalisée indifféremment par l’un ou l’autre de ces
experts. En unifiant les deux types d’expertise, un effectif suffisant d’experts qualifiés et
compétents serait à la disposition de la justice.
On pourrait se demander en quoi le problème des expertises psychologiques est important
pour notre étude. La réponse apparaît dans la définition même de cette procédure. Elle sert en
effet à analyser « la personnalité des auteurs, des victimes et/ou pour établir le lien
94 SENON (J.-L.), Histoire de la psychiatrie en milieu pénitentiaire de Pinel à la loi du 18 janvier 1994,
Annales Médicopsychologiques, 1998, § 161 à 178.
95 SENON (J.-L.), L’expertise psychiatrique pénale : les données d’un débat, AJP, février 2006.
40
victimologique qui relie les deux »96. Elle est obligatoire en matière criminelle97 sur
réquisitions du procureur de la République, sur demande du juge d’instruction ou encore du
président de la chambre de l’instruction. Selon Michèle Agrapart-Delmas, il s’agit d’un long
examen psychologique au cours duquel le médecin « tente de tout savoir afin de
comprendre 98 ». L’objectif est que les facultés adaptatives de la personne soient repérées, c’està -
dire ses facultés intellectuelles et la réussite scolaire, ses projets, le cas échéant, son métier.
D’autres éléments plus personnels tels que sa sexualité, ses déviances, ses relations,
éventuellement l’existence d’enfants, son passé dans sa famille, seront recueillis. « Les
antécédents judiciaire, parentaux, collatéraux, qu’ils soient victimes ou auteurs, souvent les
deux chez les jeunes des banlieues, sont soigneusement évoqués 99 ». Pour se faire, un avis sur
la personne et la dimension cognitive sera systématiquement étudié, c’est-à -dire ses facultés de
compréhension et d’expression, mais également de perception, de concentration... La
connaissance des antécédents physiques et psychiatriques joue un rôle essentiel dans la
compréhension du passage à l’acte. Après cette analyse superficielle, intervient une analyse
plus profonde de la personnalité. Il s’agit à ce stade de détecter une éventuelle pathologie, ou
névrose. Chez la plupart des récidivistes criminels de sang, les antécédents des troubles du
comportement sont quasiment tout le temps les mêmes : énurésie tardive, cruauté envers les
animaux, pyromanie récidivante, instabilité comportementale, souffrances familiales pendant
la petite enfance, relations pathologiques avec une mère hyperprotectrice. Si le crime apparaît
le plus souvent sans motivation réelle, il relève donc le plus souvent de troubles mentaux. Les
schizophrènes seront souvent repérés lors d’un homicide par exemple.
L’importance de l’expertise est donc considérable en matière de récidive. De faibles moyens,
un manque de personnel qualifié participent donc directement à son échec. Détecter un trouble
mental c’est peut être sauver quelques vies, éviter quelques viols...
Si la présence d’un trouble mental est avérée, l’auteur de l’acte peut échapper à sa
responsabilité, « pour tomber dans l’escarcelle de la psychiatrie 100 ».
96 AGRAPART-DELMAS (M.), De l’expertise criminelle au profilage, Favre, 2005, p.18.
97 Article 156 et s. du code de procédure pénale
98 Op. cit., note 96, p.22.
99 Ibid, p.23.
100 Ibid, p.173.
41
B - La question de l’irresponsabilité pénale
Depuis 1999, le Parlement français s’intéresse de plus près à l’état des prisons. Le rapport
Floch, rédigé à cet effet, mettait le doigt sur un point sensible : « la prison est finalement
souvent le seul lieu d’accueil des personnes souffrant de troubles psychiatriques graves 101 ».
Monsieur Senon va même jusqu’à afficher un taux de détenus atteints de troubles mentaux
allant de 50 à 80%102. Dans une étude103 réalisée par messieurs Camilleri, Crochet, Gallet, et
Laurencin, il est fait état d’un taux de 46% des détenus qui auraient, selon eux, des
antécédents psychiatriques. Dans 31% des cas, les délits étaient révélateurs de la psychose.
Aujourd’hui, peu de pays industrialisés peuvent se vanter d’une absence de malades mentaux
dans leurs établissements pénitentiaires, et la France ne se démarque pas, comme nous venons
de le voir. Le rapport « Burgelin » n’hésite pas à le dénoncer. Le nombre sans cesse croissant
de personnes présentant des troubles psychologiques ou psychiatriques dans les prisons
françaises est alarmant, surtout quand on sait que dans la plupart des cas la présence d’une
psychose a été révélée par la commission de l’acte délictueux. Pourquoi de tels chiffres ?
Beaucoup, comme Monsieur Burgelin, Senon ou encore Bouchard, estiment que cette
augmentation constante est due, au moins en partie, à la diminution du nombre de prononcés
d’irresponsabilité pénale.
Le législateur, en 1810 était intervenu sur ce point en instituant, dans l’article 64 du code
pénal, le principe d’irresponsabilité pénale en cas de démence de l’intéressé au moment du
passage à l’acte. Une loi de 1838 prévoyait, quant à elle, les conditions du placement d’office
de ces individus, qui devaient être soignés avec ou contre leur gré.
Plus récemment, le code pénal de 1994104, repris le principe d’irresponsabilité pénale, en
substituant l’abolition du discernement à la présence d’une démence. En prononçant
l’irresponsabilité pénale d’un individu, celui-ci, au lieu d’être incarcéré, est placé dans un
centre chargé de lui apporter les soins dont il a besoin, ou subi une peine atténuée.
101 MANZANERA (C.), SENON (J.-L.), Psychiatrie et justice pénale : à la difficile recherche d’un équilibre entre
soigner et punir, AJP, octobre 2005, p. 354.
102 SENON (J.-L.), Psychiatrie et prison : toujours dans le champ de l’actualité, Annales
Médicopsychologiques 162, 2004, p. 646 à 652.
103 CAMILLERI (C.), CROCHET (F.), GALLET (E.), LAURENCIN (G.), Les psychotiques incarcérés, Forensic 2000, 2-
3, p.48 Ã 52.
104 Article 122-1 du code pénal.
42
L’avantage de cette solution est de ne pas le laisser en contact avec d’autres personnes qui,
elles, ne sont pas malades, et qui pourraient profiter de la situation pour entraîner le malade
dans un processus contraire à sa guérison, c’est-à -dire de récidive.
Parallèlement, prononcer l’irresponsabilité pénale d’un coupable est assez délicat vis-à -vis de
la victime et de sa famille. Ces dernières, en effet, auront certainement des difficultés Ã
comprendre que ce délinquant, qui a violé ou tué, puisse s’en sortir sans enfermement. Quoi
qu’il en soit, la loi prévoit cette éventualité. Le jugement apparaît comme une étape
essentielle au « travail de deuil » de la victime, qui a l’impression d’être vengée lorsqu’elle a
réussi à obtenir des renseignements plus précis sur les faits et lorsque sa qualité de « victime »
est reconnue.
Le rapport de la commission Santé-Justice signale que loin d’appliquer cette disposition du
code pénal qui prévoit une atténuation de la sanction, les juges, dès que le prévenu présente
des troubles mentaux, a plus souvent recours à une peine alourdie. Pour Monsieur Senon,
« cet effet pervers qui sur-responsabilise ceux qui, au contraire, devraient obtenir une
indulgence particulière de la justice est un problème majeur dans l’organisation judiciaire de
notre pays »105.
Le rapport « Burgelin » avait pour objectif de faire un certain nombre de propositions en vue
d’une meilleure prévention de la récidive. La commission qui a rendu le fruit de ses
recherches en juillet 2005, s’est fondée sur l’importance de la prise en compte de la
dangerosité des personnes condamnées, et ce, au delà même de l’exécution de la peine.
Le rapport entre ce concept d’irresponsabilité pénale et celui de récidive est assez délicat Ã
comprendre. Il s’avère, en effet, que cette question en entraîne une autre en relation directe
avec le problème des expertises psychologiques. Les lacunes observées dans le point
précédent106 en la matière ont des conséquences importantes sur l’efficacité de la pratique de
l’irresponsabilité pénale, dans la mesure où la faible valeur reconnue à la parole des experts,
compte tenu des moyens minimes dont ils disposent, limite le nombre de prononcés
d’irresponsabilité. De ce fait, les individus qui présentent les troubles caractéristiques des
récidivistes, des criminels de sang notamment107, et qui mériteraient d’être confiés à un
établissement psychiatrique adapté à leur pathologie, se retrouvent alors entre les quatre murs
d’une prison, lieu criminogène par excellence, et donc source de récidive.
105 Op.cit. note 102, p.356.
106 Voir p.42.
107 Voir introduction.
43
II - Une évaluation préalable de la dangerosité du
délinquant
La commission est partie d’un simple constat : la France, ou plus précisément, son système
judiciaire, a des carences en matière de recherches sur la dangerosité des délinquants. Pour
remédier à ces lacunes, elle propose quelques solutions. Elle préconise par exemple
l’instauration d’un centre de documentation psycho-criminologique qui regrouperaient
l’ensemble des expertises effectuées par les experts. Pour clarifier le rôle de ces derniers, il est
également proposé de limiter leur tâche à la délivrance d’un avis médico-psychologique sur la
nécessité de soins ou d’une hospitalisation, mais également sur l’opportunité d’ordonner
ultérieurement une réelle expertise108. A côté de ces mesures, deux autres sont mises en avant :
remettre en cause le principe d’irresponsabilité pénale (A), et placer la dangerosité du
délinquant au coeur de la peine (B).
A - « Vers le procès de l’irresponsabilité pénale »
Toute personne souffrant de troubles mentaux ne doit pas être systématiquement considérée
comme dangereuse, mais certaines le sont. La commission préconise que cette situation doit
être prise en compte, tant lors de l’éventuelle déclaration d’irresponsabilité pénale qu’au
moment et à l’issue de la mesure d’hospitalisation d’office ordonnée.
Comme nous l’avons vu, la responsabilité pénale de l’auteur d’une infraction est subordonnée
à sa faculté d’avoir pu décider librement de commettre les faits délictueux.
Le code pénal distingue ainsi, selon que le discernement de la personne a été aboli par un
trouble psychique ou neuropsychique, ce qui entraîne l’irresponsabilité pénale de
l’intéressé109, ou simplement altéré, ce qui atténue seulement sa responsabilité110. Le juge
apprécie souverainement, aidé par l’avis d’experts, si le trouble est concomitant aux faits et
s’il existe un lien de causalité direct entre les deux.
La commission, qui s’est fondée sur les travaux d’un groupe de travail111, recommande la mise
en place d’une audience ad hoc sur l’imputabilité des faits, devant une chambre spécialisée du
108 NADJAR (E.), LEMOUSSU (P.), Rapport Burgelin : des propositions en vue d’une meilleure prévention de la
récidive, AJP, septembre 2005, p.319.
109 Article 122-1 al 1 du code pénal.
110 Article 122-1 al 2 du code pénal
111 Direction des affaires criminelles et des grâces, Note d’orientation sur une possible réforme des règles
applicables en matière d’irresponsabilité pénale, décembre 2003
44
tribunal de grande instance, ce qui permettrait, selon elle, « un véritable débat judiciaire ».
Cette juridiction serait saisie par le juge d’instruction, qui clôturerait son information en
rendant une ordonnance de non-lieu fondée sur l’irresponsabilité pénale de l’intéressé et une
ordonnance motivée de cette chambre spécialisée. Si, à l’issue de cette audience, les faits
poursuivis sont imputables au mis en cause, la juridiction devrait pouvoir se prononcer sur
l’opportunité d’ordonner des mesures de sûreté à son encontre (placement sous surveillance
électronique, suivi de protection sociale, placement dans un centre fermé de protection social).
La commission souhaite entourée cette procédure de garanties. C’est pourquoi elle envisage la
comparution d’un individu que si son état mental le permet.
Cette mesure envisagée dans le rapport « Burgelin » doit permettre d’accroître le nombre de
recours au concept d’irresponsabilité pénale. Ainsi, en permettant un prononcé plus fréquent
de l’irresponsabilité pénale d’un individu, ce dernier qui, plus qu’un criminel, voire même
qu’un criminel récidiviste, souffre d’une pathologie grave, verra sa situation personnelle
étudiée scrupuleusement. Par conséquent, au lieu de se retrouver dans un établissement
pénitentiaire, dans lequel il ne serait pas à sa place, il sera accueilli dans un hôpital
psychiatrique où il bénéficiera de soins, d’un traitement personnalisé destiné à éviter de
nouveaux passages à l’acte et donc la récidive.
B - La dangerosité du délinquant au coeur de la peine
La commission préconise encore une fois un certain nombre de mesures afin de prendre
davantage en considération la dangerosité du délinquant lors du prononcé de la peine. A cet
effet, elle propose une meilleure intégration de l’atténuation de la responsabilité pénale pour
troubles mentaux, en application de l’article 122-2 alinéa 2. La prise en compte de cet élément
suscite rarement de diminution de la peine. Cela peut s’expliquer notamment par les craintes
du jury de laisser en liberté un individu qui semble souffrir de troubles du comportement. Une
solution serait de donner à la justice un élément sur lequel se reposer et appuyer sa décision,
comme l’avis délivré par un expert sur la question et sur ce qui peut concerner les traits de
personnalité du délinquant.
S’agissant du prononcé d’un sursis avec mise à l’épreuve portant obligations de soins, la
commission recommande que son prononcé, mixte ou total, ne soit pas limité aux
condamnations dont le quantum n’excède pas cinq ans, mais soit au contraire étendu à celles
comprises entre cinq et dix ans d’emprisonnement.
45
La commission propose de relancer la distinction entre peine et mesure de sûreté, ces
dernières étant définies comme une mesure de défense sociale destinée à prévenir la récidive
d’un délinquant ou à neutraliser son état dangereux.
Pour cela, l’instauration de trois mesures pouvant être prononcées par le juge contre un
individu qui présente une dangerosité criminologique après avoir purgé sa peine ou être sorti
de l’hôpital est évoquée. Il y aurait, tout d’abord, le placement sous surveillance électronique,
mais également le suivi socio-judiciaire, dont le champ d’application serait étendu puisqu’il
pourrait être accompagné d’une injonction de soins et d’une interdiction d’entrer en relation
avec certaines personnes, de paraître dans certains lieux, de détenir ou de porter une arme.
« La commission tient à souligner le caractère novateur du dispositif de l’injonction de soins,
en ce qu’il permet de clarifier les fonctions et d’instaurer une meilleure collaboration entre
l’autorité judiciaire, l’expert psychiatre et, par le biais du médecin coordonnateur, le praticien
assurant le suivi ».
La troisième mesure dont il est question est le placement dans des centres fermés de
protection sociale, c’est-à -dire « des lieux fermés et sécurisés d’hébergement spécialisés dans
la prise en charge d’individus particulièrement dangereux et ayant commis des faits criminels
d’une gravité singulière 112 ».
La stigmatisation du récidiviste en malade mental ne doit pas être généralisée, car la majorité
des crimes sont commis par des délinquants ne présentant pas de maladie mentale. Cependant,
la commission Santé-Justice, en s’intéressant à la question de la dangerosité du délinquant, et
donc, par là même, à l’aspect psychologique du problème, a relancé le débat sur l’efficacité
des liens entre justice et médecine, entre psychiatrie et délinquance.
Parallèlement à ces discussions qui sont loin d’être closes, le gouvernement se heurte Ã
d’autres difficultés, difficultés que le législateur va tenter de surmonter avec la loi 12
décembre 2005.
Section 2 - Un législateur soumis à des difficultés
Alors que Gérard Léonard, rapporteur de la commission des lois, avait déclaré que la
proposition de loi relative au traitement de la récidive était « le fruit d’une réflexion
approfondie fondée sur un diagnostic solide et incontesté 113 », M. Portelli, considère, quant Ã
lui, que « ce n’est qu’un coup de bluff médiatique ». Toujours est-il, que l’on soit d’accord
112 NADJAR (E.), LEMOUSSU (P.), Op. cit. note 61, p. 320.
46
avec l’une ou l’autre de ces conceptions, après près de deux ans d’études, de recherches et de
rapports, la loi fût finalement adoptée le 12 décembre 2005.
Dans cette section, nous allons concentrer nos efforts sur les difficultés, d’ordre matériel, qui
peuvent être considérées comme un ralentissement du système juridique (I), puis au contexte
d’adoption de cette loi, dans un second paragraphe (II).
I - Des difficultés techniques synonymes de
ralentissement
Si la question de la récidive est peu connue, elle est surtout mal mesurée par les outils
statistiques existants (A). La raison est simple : ayant une définition juridique particulièrement
stricte, aucune statistique n’est en mesure de l’évaluer avec précision. L’existence de concepts
voisins de la récidive, comme celui de la réitération, participent directement à cette difficulté
d’évaluation chiffrée du phénomène. S’agissant des pratiques judiciaires, la réalité montre
qu’à tous les stades du procès, la circonstance aggravante de récidive n’est pas suffisamment
prise en compte (B).
A - La récidive et les statistiques : une conciliation délicate
La notion de récidive est un concept délicat qui doit être distingué des notions voisines (1), et
dont l’étroitesse empêche une bonne évaluation du phénomène (2).
1 - Des notions difficiles à discerner
La première difficulté à évoquer est la délicate distinction à opérer entre récidive, concours
réel d’infractions et réitération. Dans les trois cas, en effet, il y a eu commission successive de
plusieurs infractions par un même délinquant. Là où le droit distingue ces trois hypothèses,
beaucoup les qualifient indistinctement de récidive.
La récidive légale est la situation dans laquelle, après avoir subi une première condamnation
pénale définitive, qu’on appelle communément le premier terme de la récidive, le délinquant
commet une nouvelle infraction, le second terme, qui va aggraver la peine initialement
prévue. Comme nous l’avons vu précédemment, les articles 132-8 et suivants du code pénal,
distinguent plusieurs hypothèses selon la nature de la nouvelle infraction et le délai dans
lequel elle a été commise : générale et perpétuelle, générale et temporaire, spéciale et
113 Rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale du 7 juillet 2004, disponible à l’adresse
suivante : assemblée-nationale.fr
47
temporaire, spéciale, temporaire et expresse.
On parlera de « concours réel d’infractions » lorsque plusieurs infractions ont été
commises par un même délinquant sans qu’aucun jugement de condamnation définitif ne soit
encore intervenu. L’auteur de ces infractions multiples subira la peine de l’infraction la plus
sévèrement réprimée par la loi114. Il pourra s’agir d’infractions qui ont été poursuivies en
même temps et qui ont fait l’objet d’un jugement unique, et dans ce cas, les juges saisis
pourront au stade du jugement et lors du prononcé de la peine régler les conséquences de la
pluralité d’infractions. Il pourra également s’agir d’infractions ayant fait l’objet de plusieurs
poursuites et jugements. Les conséquences d’une telle situation ne seront tirées que lors de
l’exécution des peines prononcées. Toutefois, l’article 132-4 du code pénal autorise, par
dérogation, les juridictions à ordonner la confusion des peines, pour éviter d’aboutir à un
résultat plus sévère que celui qui résulterait d’une procédure unique. La confusion des peines
est le procédé juridique par lequel une peine, qualifiée de peine absorbée, est réputée
s’exécuter en même temps qu’une autre peine de même nature mais plus forte, dite absorbante.
Enfin, la troisième hypothèse est celle de la réitération d’infractions. C’est la situation dans
laquelle, la personne déjà condamnée définitivement, commet une nouvelle infraction dans
des conditions ne correspondant pas au cadre de la récidive légale. Elle autorise le cumul des
peines sans limite, sans constituer pour autant une circonstance aggravante. Il s’agira d’un
délinquant, condamné définitivement pour un délit puni d’une peine inférieure à dix ans
d’emprisonnement qui commet, soit une nouvelle infraction au-delà du délai de cinq ans après
l’expiration ou de la prescription de la peine prononcée pour la première infraction ; soit une
nouvelle infraction qui n’est pas la même que la précédente ; ou encore une nouvelle infraction
qui n’est pas « assimilée » à la première au sens du code pénal115.
La réitération peut être définie sous un angle différent. En effet, son acception policière ne
correspond pas à sa définition judiciaire. Les services de police considèrent qu’il y a
réitération quand une même personne est signalée à plusieurs reprises comme auteur
d’infractions.
114 Articles 132-3 et 132-4 du code pénal.
115 -Ceux commis contre les biens qui sont le vol, l’extorsion, le chantage, l’escroquerie et l’abus de confiance
(article 132-16 du code pénal) ; -Les délits d’agressions ou d’atteintes sexuelles (article 132-16-1 du même
code) ; - Les délits d’homicide involontaire ou d’atteinte à l’intégrité de la personne commis à l’occasion de
la conduite d’un véhicule routier et par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement Ã
une obligation de sécurité ou de prudence (article 132-16-2 du même code).
48
Les similitudes entre ces trois notions empêchent de donner un état chiffré précis du taux de
récidive puisque selon les sources, mais également selon l’auteur du relevé, les résultats seront
différents.
2 - L’étroitesse de la notion de récidive
Selon Pierre Tournier116 :
« on ne distingue pas toujours ce qui est mesurable de ce qui ne l’est pas, ce qui a déjà été
mesuré de ce qui ne l’a pas encore été. Et quand on dispose de données, de résultats de mesures
effectuées avec la rigueur nécessaire, on ne se pose pas trop de questions sur les conditions de
la mesure » alors même que « il ne s’agit jamais, dans les enquêtes, de la récidive légale définie
dans le code pénal. » « Parmi les 326053 condamnés pour délits en 2001, 102127 avaient déjÃ
été condamnés au moins une fois sur la période 1997-2001 à une date antérieure aux faits
sanctionnés en 2001, ce qui situe le taux de récidive à 31,3% »117.
Citons le cas par exemple des études menées par Infostat Justice118, qui a publié en 2003 une
étude concernant la récidive observée au cours de l’année 2001. Claude Lecomte et Odile
Timbart considèrent, qu’un condamné est comptabilisé dans la catégorie des récidivistes si
l’infraction sanctionnée en 2001 a été commise après une précédente condamnation qu’elle
soit définitive ou non. Or, l’une des conditions de l’état de récidive est que la première
condamnation soit devenue définitive. M. Jean-Claude Marin, directeur des affaires
criminelles et des grâces, a fait remarqué qu’il existe de nombreuses situations pour lesquelles
le caractère définitif de la condamnation n’est pas acquis. C’est le cas par exemple du prévenu
qui ne comparaît pas à l’audience soit personnellement, soit représenté par son avocat car il
ignore la date de convocation devant le tribunal et que la signification du jugement ne lui a
pas été adressée directement. Dans cette situation119, l’opposition au jugement n’a pas à être
formée dans les dix jours comme le prévoit le droit commun, mais demeure recevable jusqu’Ã
l’expiration des délais de prescription de la peine120. Il faut ajouter que cette étude ne respecte
pas à la lettre de la définition de la récidive puisqu’elle ne retient pas la notion de délit
116 TOURNIER (P.), Mesure de la récidive, In Regards sur l’actualité, La documentation française, mars 1997,
pages 15 et 16.
117 INFOSTAT JUSTICE, par LECOMTE (C.), et TIMBART (O.), juillet 2003, n°63, disponible à l’adresse suivante :
www .justice.gouv.fr/publicat/Infostat68.pdf
118 Ibid
119 Pour l’année 2003, 24468 jugements devant les tribunaux correctionnels ont été rendus par défaut en 2001
et plus de 32400 condamnations ont été signifiées à parquet.
120 Article 492 du code de procédure pénale
49
similaire. Certains auteurs considèrent que le relevé ainsi effectué fait état de la réitération des
infractions et non de la récidive121.
Parmi les difficultés purement pratiques d’évaluation de la récidive, il ne faut pas oublier celle
qui concerne les mineurs et leur casier judiciaire. Jusqu’Ã la loi du 9 mars 2004, dite loi
« Perben II », les délais de conservation des informations figurant dans leur casier judiciaire
étaient très courts. Le code de procédure pénale prévoyait que les fiches relatives aux mesures
éducatives prononcées122, aux sanctions éducatives123, aux condamnations à des peines
d’amende ou d’emprisonnement n’excédant pas deux mois, seraient effacées à la date
d’expiration de la peine ou lorsque le mineur aurait atteint l’âge de la majorité.
En matière de statistiques, l’évaluation de la récidive ne pouvait donc pas être très précise
puisqu’à la majorité du mineur, une grande partie des informations contenues disparaissaient,
un mineur ayant récidivé avant ses dix-huit ans ne pouvant pas être considéré comme tel à sa
majorité. Depuis 2004124, la situation a évolué puisque désormais les fiches relatives aux
mesures et sanctions éducatives sont retirées à l’expiration d’un délai de trois ans à compter du
jour où elles ont été prononcées, ce qui permet d’aller au-delà de l’âge de la majorité, si la
personne n’a pas, pendant ce délai soit subi une condamnation à une peine criminelle ou
correctionnelle, soit exécuté une composition pénale, soit fait l’objet d’une nouvelle mesure
éducative. A défaut, les fiches seront donc désormais conservées dans le casier selon les
modalités de droit commun applicable aux majeurs
B - La récidive et l’application de la loi pénale
A tous les stades du procès pénal, le code pénal et le code de procédure pénale prévoient des
règles que les magistrats se doivent de suivre pour rendre leur procédure légitime et légale.
Or, la réalité est toute autre. Des exceptions de fait se font de plus en plus nombreuses.
121 MM. Michaël Janas et Éric Martin, membres de l’association nationale des juges de l’application des peines.
122 L’admonestation, la remise à parents, le placement, la liberté surveillée, la mise sous protection judiciaire,
la mesure d’aide ou de réparation.
123 La confiscation d’un objet, l’interdiction de paraître et de rencontre, une mesure d’aide ou de réparation, un
stage de formation civique.
124 Article 201 de la loi du 9 mars 2004, texte disponible à l’adresse suivante : www .legifrance .gouv.fr
50
1 - Un pratique pénale hétérogène
Alors que la loi doit être appliquée de façon uniforme sur l’ensemble du territoire grâce aux
instructions générales d’action publique125, et égalitaire entre les citoyens, « il semblerait que
les pratiques judiciaires en matière de récidive soient variables et que les parquets ne relèvent
pas systématiquement cette circonstance aggravante lorsqu’ils saisissent le tribunal »126.
Plusieurs situations méritent d’être distinguées. La première concerne celle des magistrats qui
dirigent les poursuites et qui ne relèvent pas l’état de récidive, synonyme d’aggravation de la
peine car le quantum de la sanction encourue est considéré comme suffisamment élevé. La
mission d’information sur le traitement de la récidive des infractions pénales estime qu’il
appartient au garde des sceaux de faire usage de ses prérogatives pour unifier les pratiques
pénales des parquets.
Une autre hypothèse est celle dans laquelle le parquet a recours aux procédures rapides
comme celle de la comparution immédiate, puisque ici, les parquetiers ne sont pas en mesure
d’obtenir les informations concernant le passé pénal du prévenu dans les délais.
Une autre difficulté se pose s’agissant du casier judiciaire et des informations qu’il contient.
En effet, sa mise à jour n’est pas automatique. La cour de cassation a, à plusieurs reprises,
relevé que le juge correctionnel ne pouvait pas ajouter de circonstances aggravantes sans
l’accord du prévenu. De ce fait, si l’état de récidive est connu après que le tribunal a été saisi
par le parquet, les juges du siège qui souhaitent la soulever doivent attendre que l’accord de
l’intéressé ait été recueilli, ce dernier ayant intérêt, bien sûr, à ne pas le donner, au vu de la
peine encourue127. Or, selon M. Jean-Claude Marin, directeur des affaires criminelles et des
grâces du ministère de la justice, le délai d’enregistrement128 des condamnations pénales par le
casier ne dépend pas que de la diligence de ses propres services mais résulte de la conjonction
de deux délais distincts : celui nécessaire au traitement et à la saisie du jugement par les
services compétents des juridictions, et celui relatif au traitement des ces informations par les
125 Article 30 du code de procédure pénale depuis la loi du 9 mars 2004.
126 Rapport d’informations de l’Assemblée nationale du 7 juillet 2004, texte disponible à l’adresse suivante :
www.assemblée.nationale.fr
127 Selon l’étude menée par Infostat justice, 39% des récidivistes ont été condamnés à un emprisonnement
ferme contre 10% pour les non récidivistes.
128 En 2001, ce délai atteignait 18,2 mois au TGI de Senlis, 17,4 mois à celui de Nantes, 13,4 mois à celui
d’Orléans et 12,9 mois à celui de Saint-Nazaire mais 8,4 mois à celui de Nancy. (Pôle Études et évaluations
(juin 2004)).
51
services du Casier. Jean-Luc Warsmann129a déclaré que l’incapacité de la justice à « être
renseignée en temps réel sur l’existence des condamnations qu’elle a elle-même prononcées [
...] a des conséquences graves sur la décision que le tribunal sera amené à rendre. Dans
l’ignorance d’une ou plusieurs condamnations, non encore parvenues au casier judiciaire, le
tribunal n’est pas non plus informé de l’éventuelle récidive commise par le prévenu. Il ne sait
pas, en outre, au cas où il prononce une peine d’emprisonnement ferme, si celle-ci révoque
des sursis qui ont été précédemment prononcés ». De plus, ce ralentissement de la
transmission des informations peut être reproché aux techniques elles-mêmes qui, à l’heure
d’Internet et des nouvelles technologies, se distinguent par leur archaïsme. Cette transmission
est en effet effectuée par courrier ou, exceptionnellement par télécopie.
2 - La question de l’exécution des décisions de justice
Le ministre de la justice a déclaré130 que « le rapprochement entre le nombre de peines
d’emprisonnement ferme et le nombre des incarcérations constatées en 1999 conduit à un taux
d’exécution apparent de 71 %. En tenant compte des situations particulières (plusieurs
condamnations pour une même personne exécutées en une seule fois ou encore des détentions
provisoires subies et non suivies d’une condamnation), ce taux a finalement été évalué à 68 %.
L’inexécution de 32 % des peines trouve son origine soit dans l’application de règles
juridiques soit dans des difficultés pratiques de mise à exécution. »
De plus, nous ne pouvons parler des difficultés d’exécution des peines sans évoquer ce que
Jean-Luc Warsmann a dénoncé sous la formule de « scandale des délais d’exécution »131des
peines, qui a pour conséquence d’affecter la crédibilité des différentes mesures, qu’il s’agisse
de l’emprisonnement, d’un amende, d’un travail d’intérêt général... Or, l’exécution de la
première sanction apparaît comme un élément essentiel dont les vertus pédagogiques et
préventives ne peuvent être ignorées. Il est indéniable que plus le retard s’accroît entre la
condamnation et son exécution, moins la peine est comprise. La victime, tout d’abord ne
comprend pas la raison de ces retards d’exécution, et ne réussit pas à oublier ce qu’elle a subi.
La peine apparaît comme un dénouement, comme une satisfaction. Le condamné ne comprend
pas non plus pourquoi son incarcération peut avoir lieu plusieurs mois après les faits alors
même que sa situation a changé, et qu’il a compris la portée de ses actes. Ce retard peut
129 WARSMANN (J.L.), Rapport sur les peines alternatives à la détention, les modalités d’exécution des courtes
peines, la préparation des détenus à la sortie de prison, la Documentation française, Avril 2003
130 Assemblée nationale, Journal Officiel des questions, 18 novembre 2002, page 4335
131 Op. cit. note 129, p.17 .
52
également être ressenti comme un échec aux yeux des officiers de police ou de gendarmerie
qui, bien qu’ayant identifié et interpellé l’auteur des fait, n’observent pas de résultat judiciaire
de leurs efforts.
Ces retards ou pire encore, la non-exécution des décisions de justice contribue largement Ã
décrédibiliser la justice et son efficacité aux yeux des citoyens. Face à cette criminalité et à la
montée de l’insécurité, cette situation nourrit le sentiment d’impunité. Or, une lutte efficace
contre la récidive nécessite l’application immédiate de la sanction prononcée pour la première
infraction132.
Le législateur de 2004 a bien compris l’enjeu puisqu’il a entrepris une réforme en matière
d’exécution des peines. Tout d’abord, les différents aménagements de peines133, pourront
désormais être prononcés dès l’audience du jugement pour prévenir l’effet désocialisant de la
prison qui est souvent à l’origine de la récidive. De plus, le juge de l’application des peines a
vu ses prérogatives augmenter puisqu’il peut désormais substituer une mesure d’aménagement
à une autre qui soit mieux adaptée au condamné. Une autre avancée est celle pour le
condamné à une peine d’emprisonnement n’excédant pas un an d’être convoqué par le juge de
l’application des peines dans un délai compris entre dix et trente jours. Enfin, le régime des
réductions de peine a été largement remanié. Le juge du siège pourra ordonner leur prononcé
et la mise à exécution de l’emprisonnement si le condamné commet un crime ou un délit au
cours de la période égale à la durée des réductions de peine dont il a bénéficié. Enfin, les
efforts de réinsertion sociale et professionnelle des condamnés seront davantage pris en
considération dans le barème d’octroi des réductions de peine supplémentaires.
II - Contexte d’adoption de la loi
Dès la fin de l’année 2003, Nicolas Sarkozy a pour ambition de s’attaquer aux récidivistes.
Pour cela, il émettait l’idée d’instaurer une peine plancher pour ces délinquants134. Selon lui,
cette solution devait leur faire comprendre que « le risque qu’ils prennent n’en vaut pas la
chandelle ». Cependant, il se heurtait à un obstacle de taille. Dominique Perben, Garde des
sceaux s’opposait, en effet, à cette idée, estimant que dans un Etat démocratique, il fallait
laisser au juge indépendant la possibilité de tenir compte de la personnalité du délinquant et
du contexte dans lequel le délit a été commis.
132 Assemblée nationale, Journal Officiel des questions du 29 décembre 2003, page 9992.
133 Tels que les placements extérieur, sous surveillance électronique ou en semi-liberté.
134 Le monde, 18-12-2003, 09-01-2004, 28601-2004
53
Ces oppositions n’ont pas empêché le législateur d’arriver à ses fins, mais le chemin fût long.
Il est nécessaire de s’interresser, dans un premier temps, au processus législatif (A), avant de
voir qu’il fût corroboré par l’actualité (B).
A - Le processus législatif
Christian Estrosi déposa la proposition de loi n°1399, le 29 janvier 2004. Ce dernier, assisté
par deux autres rédacteurs, s’est fondé sur les chiffres qui faisaient état d’un taux de récidive
de plus de 30%, et sur l’absence d’effet dissuasif du système. L’idée principale était la mise en
oeuvre automatique d’une aggravation de la peine, dotée d’un minimum, et ne pouvant faire
l’objet d’aucun aménagement, si un individu commettait un délit de même nature que certains
de leurs agissements passés. L’objectif n’était pas de déroger au principe d’individualisation
de la peine, mais d’instaurer un système de dissuasion fondé sur une répression accrue.
Le 4 mars 2004, une mission d’information sur le traitement de la récidive des infractions
pénales fût instaurée par la commission des lois. Après plus de trois mois de travaux et plus
de vingt-cinq auditions135, le rapport fût déposé le 7 juin.
Deux grandes idées ressortent de ce rapport : il faut sanctionner plus sévèrement les
récidivistes en mettant en place des procédures adaptées et en assurant une meilleure
formation des magistrats, il faut ensuite prévenir la récidive en faisant de l’application des
peines une priorité afin d’éviter les « sorties sèches » de prison et en prévoyant un suivi des
détenus les plus dangereux.
La vie politique, qui réserve bien des surprises, instaura un nouveau gouvernement le 31 mars
2004, avec à sa tête, M. Raffarin, M. Sarkozy décrochant alors le Ministère de l’économie, des
finances et de l’industrie. Dominique De Villepin le remplaça au Ministère de l’Intérieur.
L’opposition qui anime les deux hommes se retrouva dans la politique pénale. Le nouveau
ministre de l’Intérieur s’opposa radicalement aux idées de Sarkozy sur l’automaticité de la
peine.
Après l’échec de la proposition de loi de janvier 2004, une nouvelle proposition de loi vît le
jour en décembre, à l’initiative de Gérard Léonard et de Christian Clément. Le contenu de
cette dernière différait peu de celui de leur prédécesseur. Elle se contentait de reprendre les
grands principes de la première proposition et de les adapter. L’un des objectifs était d’inciter
135 De magistrats, de professeurs de droit, d’avocats, de policiers, de médecins pénitentiaires ou encore de
représentants d’association de victimes.
54
les juges à incarcérer davantage les récidivistes, tout en limitant les possibilités d’atténuation
ou d’individualisation de la peine.
M. Léonard, rapporteur de la commission des lois, a indiqué que la mission s’était attelée Ã
une analyse approfondie de la prise en considération de la récidive tout au long de la chaîne
pénale pour permettre une éventuelle identification des dysfonctionnements du système, allant
du prononcé de la peine à la libération du condamné.
Elle fût adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 16 décembre 2004. Le Sénat,
beaucoup plus méfiant, a préféré attendre les résultats des recherches confiées à une mission,
présidée par Georges Fenech, sur le placement sous surveillance électronique mobile.
La Commission nationale consultative des droits de l’Homme, en janvier 2004, s’est à son
tour intéressé à la question, en procédant à un examen de la proposition de loi. Après avoir
fait remarquer que la lutte contre la récidive était « un objectif légitime, répondant à la
préoccupation des citoyens, et participant à la sécurité des personnes et des biens, conditions
de l’exercice des libertés et des droits individuels 136 », elle a exprimé son soutien à toutes les
mesures qui permettent de combattre la récidive, et notamment des auteurs d’infractions
sexuelles. Cependant, elle n’a pas hésité à émettre quelques reproches ou plutôt quelques
recommandations. Elle a rappelé la nécessité d’avoir un système procédural stable, condition
sine qua non à sa cohérence, en relevant la proximité temporelle de cette loi avec celle du 9
mars 2004, ayant largement réformé notre droit. Elle a également émis sa méfiance face Ã
certaines dispositions, dispositions qui pourraient avoir pour conséquence de restreindre le
pouvoir d’appréciation de juge et son droit à l’individualisation des peines. Enfin, elle a ajouté
que l’emprisonnement n’était pas la meilleure solution dans ce combat, et qu’il fallait
davantage recourir à un accompagnement socio-éducatif en milieu ouvert.
Après son passage devant les députés, la proposition de loi se devait d’obtenir le
consentement du Sénat. Or, la lecture du texte devant la seconde chambre fût plus délicate.
Cette dernière a été, en effet, particulièrement sensible aux critiques émanant du monde
judiciaire, hostile à ce projet. Les sénateurs ont retenu certaines dispositions, mais se sont
opposés à la plupart d’entre elles. Ils ont ainsi fait obstacle à la disposition selon laquelle le
juge serait obligé de placer sous mandat de dépôt un délinquant sexuel violent récidiviste, ou
encore celle qui visait à limiter le crédit de réduction de peine.
136 Avis sur la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales de la Commission
nationale consultative des droits de l’Homme, adopté le 20 janvier 2005.
55
L’avenir de ce texte était donc en suspend. Le référendum de mai 2005 n’allait pas améliorer
la situation. Le « non » référendaire fût à l’origine d’une nouvelle dissolution du
gouvernement en place. Jacques Chirac se devait d’en désigner les nouveaux membres. Le 31
mai, Dominique De Villepin fût placé à sa tête, suivi de Nicolas Sarkozy qui décrocha le
ministère de l’Intérieur. Ce dernier ne comptait pas abandonner son projet de loi sur le
traitement de la récidive, loin de là , et c’était sans compter sur l’actualité qui allait lui donner
un « sérieux coup de pouce ».
B - Une nécessité justifiée par l’actualité
L’été 2005 est une période importante dans l’histoire de cette proposition de loi. Plusieurs
faits divers (1) allaient participer directement à sa survie et lui ont donné un second souffle.
Cette actualité fût corroborée par l’instauration d’une commission dite « santé-justice »
chargée d’étudier les voies d’amélioration de la prise en charge médico-judiciaire des auteurs
d’infractions atteints de troubles mentaux ou qui présentent un profil dangereux et de réfléchir
au suivi de ces personnes (1).
1 - Quand journalisme rime avec politique
La première affaire à avoir relancé le débat sur cette proposition de loi est celle qui concerne
Patrick Trémeau. Cet homme, déjà condamné pour viol à deux reprises, a récidivé à peine
sorti de prison. En effet, libéré depuis mai 2004, après plusieurs années passées derrière les
barreaux, il ne lui a fallu qu’un mois avant qu’il ne repasse « à l’action ». Trémeau avait déjÃ
été condamné à sept ans de réclusion criminelle en 1987 puis à seize années pour des viols
commis entre 1993 et 1995 à Paris. Durant cette période, il a violé pas moins de onze femmes
et tenté d’en violer deux autres. C’est grâce à l’utilisation d’un même système opératoire qu’il
fût reconnu par un enquêteur qui a déjà eu l’occasion de travailler sur son cas. Les
conséquences de cette affaire se sont rapidement répercutées sur les citoyens, qui ont vu dans
cet individu un monstre qui ne méritait pas de sortir de prison après les premiers viols qu’il
avait commis. De plus, elle a provoqué d’autant d’émotion que ses victimes avaient tenté
d’alerter les autorités sur les risques encourus par sa libération. Sorti de prison en mai, il a
bénéficié d’une libération anticipée suite aux remises de peine auxquelles il avait droit. Ayant
refusé toute mesure de libération conditionnelle, il n’a bénéficié d’aucun suivi.
56
Cette affaire illustre parfaitement les dangers d’une remise en liberté non suivie d’un contrôle
efficace, dangers qui sont à l’origine du projet de réforme du droit pénal concernant les
récidivistes.
Une seconde affaire concerne le meurtre de Madame Nelly Cremel, frappée à mort et tuée de
plusieurs balles dans la tête. Les soupçons se sont rapidement portés sur Patrick Gateau qui fût
placé en détention provisoire après sa mise en examen. Il avait été condamné en 1990 à la
réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre d’une femme qu’il avait tuée de deux coups
de fusil quelques années plus tôt. En 2003, il fût placé en libération conditionnelle.
Dans une dernière affaire dite « de la Courneuve », un enfant de onze ans est tué dans la Cité
des 4000. L’enquête démontrera quelques temps plus tard que les suspects qui furent
interpellés étaient aussi des récidivistes.
Ces faits divers ont permis aux victimes de faire entendre leur voix. Elles demandent un
durcissement de la législation et un renforcement des dispositions sur la surveillance des
libérés. Elles attendent beaucoup de la proposition de loi sur le traitement de la récidive.
2 - Un compromis entre justice et médecine comme enjeu de la
politique pénale
Le ministre de la justice et le ministre de la Solidarité, de la santé et de la Famille ont confié Ã
la commission Santé-Justice, en juillet 2005, le soin de faire une étude sur les délinquants les
plus dangereux qui présenteraient des troubles mentaux et sur les solutions de suivi de ces
personnes qui pourraient être apportées.
« La notion de dangerosité occupe à l’heure actuelle un rôle prépondérant en matière de
justice pénale au point de constituer l’un des critères sur lesquels les magistrats, voire les
autorités administratives, fondent leurs décisions portant sur la privation de liberté 137 ».
La question de la dangerosité de l’individu lors de l’incarcération est donc le centre de cette
étude. C’est dans une optique médicale et plus précisément psychiatrique, que les rédacteurs
du rapport ont mené leurs recherches. Ils se sont intéressés aux différents troubles du
comportement dont peuvent être atteints les individus et notamment les délinquants, qui
peuvent constituer l’expression d’un trouble, d’une maladie psychiatrique, ou encore d’un
trouble de la personnalité.
137 GIOVANNANGELLI (D.), CORNET (J.P.), MORMONT (C.), Etude comparative dans les 15 pays de
l’Union européenne : les méthodes et les techniques d’évaluation de la dangerosité et du risque de récidive des
personnes présumées ou avérées délinquants sexuels, Programme STOP de la commission européenne,
Université de Liège, septembre 2000.
57
Le pourcentage des sujets présentant à l’incarcération des troubles mentaux était compris, en
1997138, entre 14% et 25% chez les hommes, cette proportion pouvant atteindre 30% chez les
femmes. Ces chiffres ont été confirmés à plusieurs reprises par différentes études qui, Ã
chaque fois relever un taux anormalement élevé de personnes souffrant de troubles du
comportement parmi les détenus139.
Les auteurs de ce rapport donnent une définition de ce qu’est la dangerosité : elle peut se
définir comme « un phénomène psychosocial caractérisé par les indices révélateurs de la
grande probabilité de commettre une infraction contre les personnes ou les biens 140 ». Selon
eux, l’évaluation de cet état dangereux se confond avec le pronostic de la réitération ou de la
récidive.
C’est sous deux angles qu’ils ont divisé leur étude, en s’intéressant tout d’abord l’évaluation
de la dangerosité des auteurs d’infractions, puis dans un second temps à la prise en compte de
cette dangerosité dans le traitement judiciaire et médical de ces individus. C’est ainsi qu’ils en
sont arrivés à préconiser divers éléments tels que le renforcement des outils nécessaires aux
champs judiciaire et sanitaire, l’amélioration des expertises psychiatriques et psychologiques
et le développement de ce qu’ils appellent la psycho-criminologie. Ils ont également
remarquer que cette prise en considération de la dangerosité du délinquant doit se faire à tous
les stades du procès pénal et pas seulement lors du prononcé de la peine, notamment lors de
l’examen de la déclaration d’irresponsabilité pénale, de l’exécution et de l’aménagement de la
peine ou encore après la libération.
La proposition de loi a été adoptée en deuxième lecture par l’Assemblée nationale le 13
octobre 2005 et par le Sénat le 26 octobre. Le Conseil constitutionnel, par une décision en
date du 8 décembre 2005, a rejeté un recours déposé le 29 novembre par plus de 60 sénateurs.
La loi fût finalement promulguée le 12 décembre 2005 et publiée au Journal officiel du 13
décembre 2005.
138 Une nouvelle enquête en la matière a été réalisée en 2003, par la Direction de la recherche, de l’évaluation,
des études et des statistiques du ministère chargé de la Santé : La santé des personnes entrées en prison en 2003,
Etudes et Résultats n°386, mars 2005.
139 Selon une étude épidémiologique sur la santé mentale des détenus en France menée auprès de 998 personnes,
confiée en 2003 par les ministères de la Justice et de la Santé à une société indépendante. Les chiffres montrent
que plus d’un tiers des personnes détenues interrogées a consulté préalablement à son incarcération un
psychologue, un psychiatre ou un médecin généraliste pour un motif psychiatrique. Parmi eux, 69,9% ont
bénéficié d’un suivi psychiatrique ou psychologique régulier et 16% ont déjà été hospitalisés pour des raisons
psychiatriques. Environ 14% des détenus souffrent de schizophrénie ou de troubles psychotiques chroniques non
schizophréniques.
140 Définition de Christian DEBUYST, issue du IIème cours international de criminologie de Paris en 1953, in
Rapport d’information Assemblée nationale, n°1718, du 7 juillet 2004, sur le traitement de la récidive des
infractions pénales, p. 45.
58
Après l’étude de cette première partie, consacrée à la récidive comme phénomène de société,
et qui nous a permis de nous familiariser avec ce concept, de connaître son parcours législatif
et répressif, d’évaluer les difficultés d’appréciation qu’il suscite à l’égard du législateur, il
convient maintenant d’étudier en détail le contenu de ce texte, loi qui apparaît comme la
réponse à cette période de doutes et d’incertitudes sur l’arsenal répressif français.
59
PARTIE II - LE TEMPS DE LA RÉFORME
La récidive est, comme nous l’avons vu dans la première partie, un phénomène qui n’est pas
récent. Le législateur a toujours dû faire face à ce problème de société. D’une solution radicale
d’élimination du délinquant récidiviste, il est passé à une solution de mise à l’écart
perpétuelle. Aujourd’hui, en 2006, le législateur a changé d’optique. La loi du 12 décembre
2005 a marqué ce revirement. Le récidiviste apparaît désormais comme un individu dangereux
qu’il faut punir sévèrement, sans oublier, qu’au nom des droits de l’Homme, il a droit d’être
soutenu et assisté. Lui offrir une seconde chance est un des objectifs de ce texte.
Pour Pascal Clément, Ministre de la Justice, le but est « de mettre en oeuvre un dispositif
faisant baisser le taux de récidive, et non pas de le laisser se stabiliser. Il faut pour cela
prendre en compte la dangerosité de certains profils de délinquants afin de mieux défendre la
société. La lutte contre la récidive est une priorité de la lutte contre la délinquance »141.
A cet effet, la loi soumet le récidiviste « à des règles répressives qui traversent toute la matière
pénale »142, que ce soit le droit pénal de fond ou la procédure pénale. A côté de cet aspect
dissuasif, dans un but de répression accrue, cette loi revêt un aspect préventif. En effet, la lutte
contre la récidive implique de mieux détecter les délinquants qui pourraient être amenés Ã
recommencer, et de mieux suivre les condamnés ayant purgé leur peine.
Bien que ces deux objectifs soient clairement établis, classer les mesures proposées est une
tâche bien plus délicate, tant la frontière entre les deux notions, alors que littéralement elles
s’opposent, est fine. Pour éviter un classement artificiel et donc critiquable, nous préfèrerons
étudier le contenu de la loi de façon chronologique.
Ainsi, il s’agira dans le premier chapitre de cette seconde partie d’étudier les mesures
intervenant avant le prononcé de la peine. Le second chapitre sera logiquement consacré aux
apports de la loi du 12 décembre 2005 qui ont des conséquences importantes sur la période
postérieure au prononcé de la peine.
141 CLEMENT (P.), Récidive, quelles réponses judiciaires ? (Mieux prévenir la récidive), AJP, octobre 2005,
p.345.
142 HERZOG-EVANS (M.), Les dispositions relatives à la récidive dans la loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005,
D., 2006, n°3, Chronique p.182.
60
Chapitre I - Une prise en compte présentencielle
de la récidive
Ce premier chapitre sera consacré aux apports de cette nouvelle loi sur le traitement de la
récidive qui ont des conséquences importantes sur le prononcé de la peine.
L’une des ambitions de la loi n°2005-1549 était de créer des « sanctions post-carcérales et non
post-pénales, qui soient réellement punitives et préventives de la récidive »143, mais ce n’est
pas la seule. Elle entend également redonner un second souffle aux peines alternatives Ã
l’emprisonnement, et donc n’oublie pas de s’occuper de cette phase pré-sentencielle. De plus,
dans un souci de clarification du droit pénal, le législateur n’a pas hésité à remanier la
définition même de la récidive et des notions voisines.
Dans une première section, nous nous intéresserons à ce recadrage de la notion de récidive,
dont les conséquences procédurales ne peuvent être ignorées. Puis, il s’agira ensuite, de se
pencher sur les conditions du prononcé de la peine qui doivent répondre à une exigence
d’individualisation.
Section 1 - Un recadrage nécessaire de la notion de
récidive
La loi du 12 décembre 2005 se veut être une loi de clarification du droit pénal, et plus
précisément des notions pénales essentielles de la vie judiciaire. C’est ainsi qu’elle entend
définir ou plutôt redéfinir les notions qui concernent la répétition d’infractions. Comme l’a
déclaré Madame Herzog-Evans144, « Après le terrorisme, le trafic de stupéfiants, le délinquant
sexuel, puis le délinquant organisé, le récidiviste est devenu, au cours de l’année 2005, le
nouveau criminel objet de détestation des Français. »
La mission parlementaire présidée par Pascal Clément, Ministre de la Justice, souhaitait tout
d’abord revoir le concept de réitération, souvent ignoré et pourtant très fréquent, afin d’assurer
sa répression. La préparation de la seconde lecture de la proposition de loi par l’Assemblée
nationale fût l’occasion pour le gouvernement de déposer un amendement, que la commission
143 ROBERT (J.-H.), Les murailles de silicium, JCP, février 2006, p.4.
144 Ibid.
61
de lois de cette chambre a retenu, reposant sur une extension du domaine d’application de la
récidive (I).
Cet élargissement a eu pour conséquence de réformer la procédure pénale en la matière. En
effet, le dispositif de jugement des récidivistes a fait l’objet de quelques précisions, mais
également de quelques dérogations au droit commun (II).
I - Un remaniement des définitions
Dans l’esprit des non juristes, la récidive est la situation dans laquelle se trouve une personne
qui, déjà condamnée pour une première infraction à une peine, n’en a pas tiré les
enseignements, et préfère en commettre une autre. Cette condition est essentielle pour que
l’on soit en présence d’une récidive, à défaut de quoi, il s’agirait d’un concours réel
d’infractions ». La loi de 2005 a peu innové sur cette question. En revanche, s’agissant de la
réitération d’infractions, le législateur n’est pas resté muet, bien au contraire. En s’intéressant
à cette hypothèse (A), la notion même de récidive a pu être recadrée (B).
A - L’introduction de la « réitération » dans le code pénal
Jusqu’à la loi du 12 décembre 2005, la réitération n’était qu’une conception doctrinale,
dépourvue de définition légale145. Dans cette hypothèse, la Doctrine parlait de récidive
avortée, de récidive dans laquelle la condition de spécialité ou de délai est absente, bien que la
première condamnation soit devenue définitive146.
Quoi qu’il en soit, la réitération est considérée comme la situation intermédiaire entre le
concours réel d’infractions et la récidive. A défaut de définition légale, son régime n’a jamais
été clairement défini. Le principe instauré en la matière était la possibilité de prononcer
différentes peines pour chacune des infractions et de les additionner pour qu’elles soient
purgées successivement. Certains auteurs considèrent que la seule difficulté technique
soulevée par lé réitération est « la réalisation d’une addition »147. La question de l’introduction
de cette notion fût largement discutée lors des débats devant les deux chambres, le Sénat
reprochant aux députés de définir une notion déjà connue dans l’unique but de la sanctionner
plus sévèrement.
La loi a alors permis l’introduction d’un article 132-16-7 dans le code pénal, qui représente Ã
lui seul une nouvelle sous-section, insérée au sein du chapitre sur le « régime des peines
145 BOULOC (B.), Droit pénal général, Dalloz, 2005, 19ème ed., n°655.
146 ROBERT (J.-H.), Les murailles de silicium, JCP, février 2006, p.5.
147 DESPORTES (F.), LE GUNEHEC (F.), Droit pénal général, Economica, 2004, 11ème ed., n°893.
62
applicables », et intitulée « Des peines applicables en cas de réitération d’infractions ».
Cependant, avant d’aboutir à cette version de l’article 132-16-7, ce dernier a subi un certain
nombre de modifications. L’Assemblée nationale avait retenu une première définition qui
prévoyait qu’ « il y a réitération d’infractions pénales lorsqu’une personne a déjà été
condamnée définitivement pour un crime ou un délit et commet une nouvelle infraction sans
que les conditions de la récidive légale ne soient remplies ». Selon cette définition, le juge
« prend en considération les antécédents du prévenu pour prononcer la peine et en déterminer
le régime ». Les sénateurs craignaient que l’on aboutisse à « une dérive à l’américaine » en
mettant en place un système de cumul des peines « sans limitation de quantum et sans qu’il
soit possible d’ordonner leur confusion ». C’est pourquoi ils ont modifié cette rédaction en la
réduisant significativement, ne retenant que la partie de pure définition de la réitération.
Le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale a malgré tout réussi à ce
que soit rétablie la majeure partie des dispositions retenues par les députés en première
lecture. C’est ainsi que le texte définitif a repris la proposition des sénateurs, mais qu’il fût
complété par les éléments apportés par les députés avec quelques modifications. Après
quelques corrections, la dernière version148 retient que le juge peut prendre en considération
« l’existence de la dernière condamnation » du prévenu lorsqu’il prononce sa peine et
détermine son aménagement. S’agissant du cumul des peines, dénoncé par le Sénat, à la
différence de la première version, la confusion des peines n’est pas possible mais uniquement
« avec les peines prononcées pour l’infraction commise en réitération ». Cette disposition est
un compromis entre ce qui existait auparavant et les nécessités actuelles de lutte contre la
récidive. En effet, la définition retenue de la réitération d’infractions reprend très largement
les éléments que la jurisprudence elle-même retenait depuis déjà longtemps. De plus, le
dispositif de cumul n’est pas non plus une innovation. La seule nouveauté est l’obligation
pour le magistrat de prononcer une peine en tenant compte de la situation de réitération.
L’objectif de cet ajout dans le code pénal était de clarifier la situation et surtout la pratique des
juges eux-mêmes, qui, selon Madame Herzog-Evans149 « auront bien à l’esprit la nécessité de
148 « Il y a réitération d’infractions pénales lorsqu’une personne a déjà été condamnée définitivement pour un
crime ou un délit et commet une nouvelle infraction qui ne répond pas aux conditions de la récidive légale.
La juridiction saisie prend en considération l’existence de la précédente condamnation du prévenu pour
prononcer la peine et en déterminer le régime. Les peines prononcées lors de la précédente condamnation se
cumulent sans limitation de quantum et sans qu’il soit possible d’ordonner leur confusion avec les peines
prononcées pour l’infraction commise en réitération. ».
149 HERZOG-EVANS (M.), Récidive : quelles réponses judiciaires ?, Récidive : surveiller et punir plus plutôt que
prévenir et guérir, AJP, septembre 2005, p.306.
63
réprimer sévèrement » car « c’est partir de l’éternel postulat selon lequel accroître la sévérité
des sanctions pénales préviendrait la commission de nouvelles infractions ».
L’introduction de la notion de réitération dans le code pénal participe directement à cet
objectif de répression de la récidive, récidive, qui, pour l’occasion a été revisitée et a subi
quelques modifications, que nous allons voir maintenant.
B - Le recadrage de la notion de récidive
Comme nous l’avons déjà vu, la récidive exige la réunion de deux conditions, que l’on appelle
les termes de la récidive. Le premier correspond à l’infraction condamnée définitivement et le
second est constitué par la deuxième infraction, jugée en second lieu. De plus, la loi prévoit
que ces deux infractions soient d’une certaine nature et que la seconde infraction soit jugée
dans un certain délai. Une dernière condition était que les juridictions qui jugent soient
françaises.
La loi du 12 décembre 2005 n’a pas modifié la définition de la récidive. En revanche, le
législateur s’est intéressé aux deux termes en étendant le champ d’application du phénomène
récidiviste. Nous nous intéresserons tout d’abord à l’extension du domaine du premier terme
de la récidive (1), puis du second (2).
1 - Extension quant au premier terme de la récidive
L’extension du domaine d’application du premier terme de la récidive fût à l’origine de débats
parlementaires. Le gouvernement déposa un amendement lors de la seconde lecture de la
proposition de loi devant l’Assemblée nationale, qui fût retenu par la commission des lois.
La loi de 2005 a ajouté un alinéa à l’article 132-16-6 du code pénal150 en permettant aux juges
de prendre en compte, au titre de la récidive, les « condamnations prononcées par les
juridictions pénales d’un Etat membre de l’Union européenne ». Cette nouveauté contraste
avec la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation151, qui estimait que seules les
décisions rendues par des juridictions françaises pouvaient être prises en compte pour relever
150 « Les condamnations prononcées par les juridictions pénales d’un Etat membre de l’Union européenne
sont prises en compte au titre de la récidive conformément aux règles prévues par la présente soussection
».
151 Cass. Crim., 17 janvier 1947, RSC. 1947, p.438.
64
l’état de récidive, en application du principe de territorialité de la loi pénale. Cependant,
l’application de ce texte nécessite « l’interconnexion des casiers judiciaires nationaux152 ».
Cette disposition généralise une disposition qui s’appliquait déjà en matière de délit de fausse
monnaie, qui était insérée depuis début juillet dans notre code pénal153, et abroge du même
coup l’article 442-16 issu de cette loi.
Cependant, une difficulté se pose dans la mesure où tous les Etats n’appliquent pas le même
droit pénal. Tous, par exemple, ne retiennent pas la conception tripartite des infractions en
crime, délit et contravention.
2 - Extension quant au second terme de la récidive
S’agissant du second terme de la récidive, la loi a permis un assouplissement de la condition
de spécialité. En effet, il fût procédé à un allongement de la liste des délits qui « sont
considérés, au regard de la récidive, comme une même infraction », c’est-à -dire des délits
assimilés. Jusqu’alors, les articles 132-16 à -16-2 du code pénal retenaient trois séries
d’assimilations : le vol, l’extorsion, le chantage, l’escroquerie, et l’abus de confiance, ou
encore les délits d’agression et d’atteintes sexuelles, les délits d’homicide involontaire ou
d’atteinte involontaire à l’intégrité de la personne commis à l’occasion de la conduite d’un
véhicule terrestre à moteur prévus par les articles L.221-2, L.234-1, L.235-1 et L.413-1 du
code de la route154.
Le législateur a ajouté deux nouvelles séries d’assimilation. L’article 132-16-3, tout d’abord,
énumère ainsi une liste de délits, à savoir la traite des êtres humains et le proxénétisme prévus
aux articles 225-4-1, 225-4-2, 225-4-8, 225-5, 225-7 et 225-10 du code pénal, « de manière Ã
ce que la sanction de l’un quelconque d’entre eux constitue le premier terme de la récidive de
l’un quelconque des autres. 155 »
De plus, l’article suivant, 132-16-4 du code pénal, assimile quant à lui les délits de violences
volontaires aux personnes ainsi que les délits commis avec la circonstance aggravante de
violences. C’est une conception nouvelle de l’assimilation car elle se fonde sur une
circonstance aggravante et non sur les éléments constitutifs du délit. Cet article permet une
152 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), Mission d’information sur le traitement de la récidive des infractions pénales.
Vingt mesures pour placer la lutte contre la récidive au coeur de la politique pénale, Assemblée nationale,
2004, p.346.
153 Loi n°2005-750 du 4 juillet 2005 en matière de fausse monnaie, In AJP, septembre 2005, p. 304.
154 Loi n°2003-495 du 12 juin 2003.
155 Op. cit. note 149.
65
extension considérable du domaine d’application de la correctionnelle, bien que l’objectif de
la loi était principalement de lutter contre les gros délinquants. C’est dans le domaine des «
petits délits » qu’il est ici proposé d’agir.
S’agissant de la circonstance aggravante de violences, une difficulté se pose puisque le texte
ne la définit pas. Il peut aussi bien s’agir des délits contre les personnes, que contre les biens
ou encore contre l’Etat. Les articles 132-71 et suivants du code pénal ne la définissent pas, ni
même les dispositions relatives aux infractions que l’on peut retrouver dans le titre intitulé
« Des violences ». Il appartient donc à la jurisprudence de combler cette lacune, c’est ce que la
Cour de cassation s’est engagée à faire depuis déjà quelques années. C’est ainsi, qu’elle
assimile à la violence les coups infligés avec ou sans l’usage d’une arme ou d’un objet
quelconque, solide, liquide ou gazeux, ou encore des voies de fait qui peuvent causer un choc
émotif à sa victime, qu’il y ait eu ou non contact avec le corps de cette dernière156. Il peut
également s’agir d’un jet de pétards157 et même de l’envoi de nombreuses lettres anonymes
menaçantes158. Cet article a une importance considérable dans la mesure où, alors que de tels
chocs émotifs ne constituent, la plupart du temps qu’une contravention, s’il s’agit de la
circonstance aggravante d’une infraction plus sérieuse, la violence n’est pas oubliée, bien au
contraire. Comme nous venons de le préciser, la présence de violences prend de l’importance
lorsqu’elles constituent une circonstance aggravante. Cependant, cette efficacité est
conditionnée par le principe de légalité des délits et des peines. En d’autres termes, si le
législateur n’a pas prévu expressément que la violence puisse constituer la circonstance
aggravante d’une infraction, le délit en cause ne pourra pas être considéré comme assimilé.
La loi du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive a donc redéfini de façon plus
claire la notion de récidive, mais également celle de réitération. Ce remaniement des
définitions marquait un premier pas dans lé réforme, qui allait se poursuivre dans un autre
domaine : la procédure.
II - Les conséquences procédurales de la loi du 12
décembre 2005
La procédure pénale a fait l’objet depuis quelques années d’un certain nombre de
modifications, modifications qui sont à l’origine d’une instabilité du système judiciaire et de
difficultés croissantes pour les magistrats qui doivent sans cesse s’adapter aux nouvelles
156 Cass. Crim., 16 décembre 1953, D : 1954, p. 129.
157 Cass. Crim., 3 janvier 1936, DH 1936, p. 477.
158 Cass. Crim., 13 juin 1991, Bull.crim. 1991, n°253.
66
procédures issues des réformes successives. La loi du 12 décembre 2005 n’est pas une
exception puisqu’elle a aussi eu des conséquences procédurales importantes que nous allons
étudier maintenant. Il conviendra de s’intéresser successivement à la possibilité pour le juge
correctionnel de relever d’office la circonstance aggravante de récidive (A), puis les
conséquences de la loi sur le prononcé du jugement par le juge (B).
A - La constatation de l’état de récidive à l’audience
La loi du 12 décembre 2005 prévoit la possibilité pour un tribunal correctionnel de relever
d’office la circonstance aggravante de récidive, alors même qu’elle n’était pas visée dans
l’acte de poursuite. Deux conditions s’imposent cependant : l’accusé ou le prévenu doit avoir
accepté d’être jugé sur ce point, et doit avoir été en mesure de présenter ses observations159.
Dans son arrêt de 1979, la Cour de cassation avait interdit au juge correctionnel d’ajouter la
circonstance aggravante de récidive, qui n’aurait pas été relevée dans l’acte de poursuite sans
l’accord de l’intéressé, et au Ministère public d’invoquer pour la première fois en cassation
« le moyen tiré de ce qu’il n’aurait pas été tenu compte de cette cause d’aggravation 160 ».
Le législateur a ici consacré une jurisprudence récente de la Cour de cassation, qui se veut
plus respectueuse des droits de la Défense, en insérant l’article 132-16-5 dans le code pénal161.
Cette jurisprudence se borne à exiger que le prévenu ait pu s’exprimer162 et que le juge d’appel
ait clairement fait état de cette faculté pour l’intéressé163.
Cette règle constitue l’une des rares dispositions du texte qui n’ait pas été modifiée par le
Sénat en première lecture. Cependant, cette position n’ait pas retenue par tout le monde. Le
juge Portelli164, par exemple estime que « cet article est totalement inutile » car il se contente
de reproduire les enseignements tirés des différentes décisions de justice. En effet, la Cour de
cassation mais aussi la Cour européenne des droits de l’Homme étaient déjà intervenues sur le
problème qui se rattache au principe du procès équitable. La juridiction européenne avait eu
l’occasion de traiter du problème en 1999165. Elle en avait conclu qu’un tribunal correctionnel
pouvait requalifier les faits dont il était saisi si cette modification avait été précédée de débats
159 Cass. Crim., 20 février 1979, Bull. crim. 1979, n°74 ; Cass. Crim., 2 juillet 1991, Bull. crim. 1991, n°290.
160 Op. cit., note 31, p.307.
161 Cass. Crim., 22 mars 2000, Cass. Crim., 27 avril 2000
162 Cass. Crim., 20 mars 1996, Bull. crim., n°123.
163 Cass. Crim., 21 novembre 2000 ? Bull. crim., n°347.
164 Op. cit. note 31 , p.56.
165 CEDH, 25 mars 1999, Pélissier et Sassi contre France, n°2544-94, §62, D2002, note DOETS.
67
contradictoires au cours desquels l’intéressé avait pu préparer sa défense efficacement et que
la qualification retenue n’avait pas pour effet de substituer aux faits visés dans l’acte de
poursuite de nouveaux faits.
En 1991, la Cour de cassation166 s’était prononcée dans le même esprit, prévoyant que « tout
prévenu a droit d’être informé d’une manière détaillée de la nature et de la cause de la
prévention dont il est l’objet et qu’il doit, par la suite, être mis en mesure de se défendre tant
sur les divers chefs d’infraction qui lui sont imputés que sur chacune des circonstances
aggravantes susceptibles d’être retenues à sa charge ». Plus récemment encore, dans un arrêt
de 2003, la Cour de cassation167 s’est prononcée sur la question en statuant ainsi : « Si la
circonstance aggravante de la récidive n’a pas été mentionnée dans la citation et a été
relevée d’office par les juges du second degré, il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué
que le prévenu, comparant, assisté d’un avocat, a été préalablement informé de cet élément
modificatif de la prévention et ainsi a été mis en mesure de se défendre spécialement sur ce
point ; que dès lors, les droits de la défense n’ont pas été méconnus ».
Pour certains parlementaires, cette disposition est dangereuse car les suites d’une procédure
risquent de dépendre du prévenu qui aura intérêt de refuser à ce que la circonstance
aggravante de récidive soit soulevée. De plus, face aux délais d’inscription des condamnations
au Casier judiciaire qui ne diminuent pas, l’état de récidive ne pourra pas être observé
systématiquement dès qu’il y aura lieu de l’être puisqu’il n’apparaîtra que tardivement aux
yeux du magistrat en charge de l’affaire.
B - Le prononcé du jugement par le tribunal correctionnel
Le législateur de 2005 s’est lancé à l’attaque de la détention provisoire, comme il le fait
régulièrement, et ce, de deux manières. Tout d’abord, il a encore étendu le champ
d’application de la détention provisoire. A cet effet, il a ajouté, au 1° de l’article 144 du code
de procédure pénale relatif aux causes de placement en détention avant jugement, l’hypothèse
des risques de pression sur les familles des témoins et des victimes.
A côté de ce changement qui ne concerne qu’indirectement notre sujet, le législateur s’est
intéressé aux mandats de dépôt168 et d’arrêt169.
166 Cass. Crim., 2 juillet 1991, Bull. crim., n°290.
167 Cass. Crim., 13 février 2003, non publié, disponible à l’adresse suivante : www.legifrance.gouv.fr
168 Le mandat de dépôt est l’ordre donné par le juge des libertés et de la détention au chef de l’établissement
pénitentiaire de recevoir et de détenir la personne à l’encontre de laquelle il est décerné.
169 Le mandat d’arrêt permet d’arrêter l’individu et de le détenir de façon prolongée.
68
En application de l’article 465 du code de procédure pénale, le mandat de dépôt ou d’arrêt
peut être immédiatement délivré quand la peine prononcée est supérieure à un an. La loi de
2005 a ajouté l’article 465-1 qui énonce que lorsque les faits sont commis en état de récidive
légale, le tribunal pourra, par décision spéciale et motivée, décerner un mandat de dépôt ou
d’arrêt, quelle que soit la durée de la peine prononcée170.
La rédaction de cette disposition a été longuement discutée. L’Assemblée nationale en avait
proposé une autre version qui obligeait le juge à délivrer le mandat s’il avait à faire à un
récidiviste, dans les cas de répétitions d’infractions « assimilées ». Le Sénat a cependant réussi
à supprimer ce caractère d’automaticité, ainsi que le renvoi aux délits assimilés. En revanche,
les sénateurs ont ajouté un second alinéa à cet article 465-1171, ce qui revient finalement Ã
reprendre la disposition d’origine sur les délits assimilés.
Cet alinéa 2 a été soumis au contrôle du Conseil constitutionnel172, au motif qu’il était
contraire au principe de présomption d’innocence et à celui de l’indépendance de l’autorité
judiciaire. Cette disposition était considérée comme la consécration en principe du prononcé
du mandat de dépôt à l’audience alors que le principe est celui du maintien en liberté du
condamné. Le Conseil constitutionnel a rejeté ces moyens considérant que cette détention
provisoire n’est pas imposée sans remède au tribunal correctionnel et que le prévenu n’est pas
privé du droit d’obtenir sa libération en application du droit commun. Si une peine imposée
directement par le législateur et ne pouvant faire l’objet d’aucune appréciation de la part du
juge est contraire au principe de nécessité des peines173, tel n’est pas le cas en l’espèce car il ne
s’agit pas ici d’une obligation pour le juge de délivrer un mandat. Celui-ci a pour seule
obligation de motiver sa décision. Ainsi, ni le principe d’individualisation de la peine, ni celui
de l’indépendance de la justice, ou encore le principe d’égalité devant la justice ou les
exigences constitutionnelles sur les droits de la défense n’ont été contredits.
170 Article 464 du code de procédure pénale.
171 « Lorsque les faits sont commis en état de récidive légale, le tribunal peut, par décision spéciale et
motivée, décerner mandat de dépôt ou d’arrêt contre le prévenu, quelle que soit la durée de la peine
d’emprisonnement prononcée.
S’il s’agit d’une récidive légale au sens des articles 132-16-1 et 132-16-4 du code pénal, le tribunal délivre
mandat de dépôt à l’audience, quel que soit le quantum de la peine prononcée, sauf s’il en décide
autrement par une décision simplement motivée ».
172 Cons. const., 8 décembre 2000, Gaz Pal du 18 au 20 décembre 2005.
173 Article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.
69
Section 2 - L’importance de la personnalisation de
la peine lors de son prononcé
« Ce qui caractérise les criminels d’occasion c’est que chez eux le délit n’est qu’un accident
dans une vie d’ailleurs honnête. Ceux-là ont été entraînés soit par une passion violente, soit
par une défaillance momentanée de la volonté, soit même par l’exagération d’un sentiment
généreux. L’acte commis, ils le regrettent presque aussitôt. Chez eux, à la différence des
délinquants d‘habitude, il n’existe pas de tendance criminelle. La peine ne doit donc pas
avoir pour but de modifier en eux une prédisposition véritable au crime. Il faut prendre soin,
d’abord de ne pas les rendre pires par l’infliction même de la peine, et il faut cependant aussi
intimider ces natures, restées droites au fond, sur lesquelles la crainte du châtiment peut
avoir une action efficace174 ». Cette citation montre tout l’intérêt de la personnalisation de la
peine : elle permet de lutter contre le récidivisme des délinquants primaires, qui, s’ils
bénéficient d’une peine adaptée à leur personnalité et à l’infraction commise, aura des effets
beaucoup plus bénéfiques que si elle ne l’est pas. Bien que l’emprisonnement reste la peine «
de principe » en cas de récidive, la loi du 12 décembre 2006 va encore renforcer cette
affirmation (I). De plus, le sursis avec mise à l’épreuve, peine opposée à l’emprisonnement, va
subir certaines modifications qui vont corroborer cet « absolutisme » de la prison (II).
I - Une individualisation synonyme de sévérité
Le principe de personnalisation de la peine, quelle qu’elle soit, est un principe essentiel de
notre droit pénal, qui, comme nous l’avons vu précédemment, revêt une valeur
constitutionnelle et est reconnu à l’échelle européenne. Le législateur de 2005 n’y est pas resté
insensible, et s’est prononcé dans le sens de la sévérité. En effet, la circonstance aggravante de
récidive devient l’un des critères de personnalisation, c’est ce que nous verrons tout d’abord
(A). Si les magistrats disposent d’un large panel de mesures et de peines pour obéir à cette
exigence, il semble que le recours à l’enfermement reste la sanction la plus prononcée (B).
A - La récidive, critère d’individualisation de la peine
Le principe d’individualisation de la peine est posé à l’article 132-24 du code pénal qui
dispose que « dans les limites fixées par la loi, la juridiction prononce les peines et fixe leur
174 GEORGES (L.), Du sursis conditionnel à l’exécution de la peine (loi du 26 mars 1891), A. Rousseau, Paris,
1895, p.462.
70
régime en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur[...] ».
La commission des lois de l’Assemblée nationale, en étudiant le contenu de la proposition de
loi sur le traitement de la récidive, a adopté un amendement modifiant cette disposition. Le
juge devrait ainsi prendre en compte, s’il y a lieu, l’existence d’une ou plusieurs précédentes
infractions pour lesquelles la personne a déjà été condamnée, qu’il y ait réitération ou
récidive, afin d’apprécier la sévérité de la sanction. Ce texte n’a cependant pas été adopté, car
« il privait l’article modifié de la généralité qui lui convient à raison de sa place en tête des
règles de personnalisation des peines 175 ».
Finalement, une autre phrase fût retenue, qui forme désormais l’alinéa 2 de l’article 132-24 du
code pénal176. Ce dernier vise « la nature, le quantum et le régime des peines ». La
détermination de la peine doit se faire en fonction de toute une série d’impératifs : la
protection de la société, la punition du condamné, la protection des intérêts de la victime,
l’insertion ou la réinsertion du condamné et la prévention de la récidive.
Ces exigences sont pour la plupart des reprises d’une décision du conseil constitutionnel du
20 janvier 1994177, saisi pour se prononcer sur la proposition de loi relative à l’instauration de
la perpétuité dite réelle.
Madame Herzog-Evans178 considère que cette modification crée une harmonie entre cet article
et l’article 707 du code de procédure pénale qui dispose que « l’exécution des peines favorise,
dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l’insertion ou la réinsertion
des condamnés ainsi que la prévention de la récidive ». Le législateur en introduisant ce
second alinéa marque sa volonté d’accroître sa répression à l’égard des récidivistes, de les
punir réellement.
Cette sévérité apparaît également dans une mesure qui concerne plus précisément les violeurs
« en série ». A cet effet, le législateur ajoute un alinéa à l’article 222-24 du code pénal qui
permet de porter la peine encourue à vingt ans de réclusion criminelle lorsque le viol a été
commis « en concours avec un ou plusieurs viols commis sur d’autres victimes ». La
répétition de viols devient donc une circonstance aggravante.
175 ROBERT (J.-H.), Les murailles de silicium, JCP, février 2006, p.6.
176 « La nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection
effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser
l’insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions ».
177 Cons. Const., 20 janvier 1994, n°93-334, Journal officiel du 26 janvier 1994, p.1380.
178 HERZOG-EVANS (M.), Récidive : quelles réponses judiciaires ? (Récidive : surveiller et punir plutôt que
prévenir et guérir), AJP septembre 2005, p.309.
71
S’agissant de cette modification de l’article 224-24 du code pénal, il est nécessaire pour
mieux la cerner de comprendre la notion de concours d’infractions et les conséquences qui en
découlent. « Il y a concours d’infractions lorsqu’une une infraction est commise par une
personne avant que celle-ci ait été définitivement condamnée pour une autre infraction 179 ».
C’est donc la situation dans laquelle les deux infractions commises ne sont pas séparées par
une condamnation devenue définitive. Le législateur de 1994, qui a tranché un long débat
doctrinal et jurisprudentiel sur la question du régime à adopter dans cette situation, a opté pour
le principe du cumul des peines, principe pourtant limité de telle sorte que les anciennes
solutions sont pour la plupart conservées. Ainsi, selon l’article 132-3 du code pénal, en cas de
procédure unique, chacune des peines encourues, qui sont de même nature, pourront être
prononcées dans la limite du maximum le plus élevé. L’article 132-4 du même code dispose
quant à lui qu’en cas de procédures séparées, « les peines prononcées s’exécutent
cumulativement dans la limite du maximum légal ». L’hypothèse envisagée par la loi concerne
plus précisément les criminels sexuels. Le viol simple est puni par la loi d’une peine de
réclusion criminelle de quinze ans. Selon le principe applicable en cas de concours
d’infraction faisant encourir des peines de même nature, l’article 132-2 alinéa 1er dispose que
« toutefois, lorsque plusieurs peines de même nature sont encourues, il ne peut être prononcé
qu’une seule peine de cette nature dans la limite du maximum légal le plus élevé ». De ce fait,
en cas de concours d’infractions, l’infraction étant un viol, la peine encourue restera de quinze
ans. Or, la loi du 12 décembre 2005 préfère alourdir la peine dans cette hypothèse, en
prévoyant une peine de vingt années de réclusion criminelle, faisant ainsi de la répétition de
viols une circonstance aggravante.
Nous ne pouvons conclure ce paragraphe sans évoquer la question de la motivation des
décisions d’emprisonnement. En effet, alors que les magistrats se devaient de motiver le
prononcé d’une peine d’emprisonnement, en application de l’article 132-19 alinéa 2 du code
pénal, la commission des lois de l’Assemblée nationale a jugé utile de supprimer cette
exigence de motivation pour les peines correctionnelles. Madame Herzog Evans dénonce cette
mesure qui s’oppose au caractère pédagogique de la motivation180.
Ces deux formalités sont des exemples de cette répression accrue, et montrent que
l’emprisonnement reste la peine la plus prononcée à l’égard des récidivistes.
179 Article 132-2 du code pénal.
180 HERZOG-EVANS (M.), Op. Cit. note 178, p.309.
72
B - L’emprisonnement : peine par excellence malgré les
critiques
Lombroso, dans son ouvrage L’homme criminel, avait déjà entrevu les difficultés qui se sont
rapidement avérées être vraies dans la réalité pénitentiaire. « Et ce n’est point, certes, le
système pénitentiaire qui prévient les récidives ; les prisons en sont, au contraire la cause
principale 181 ». « En France, sur 100 individus, sortis des maisons centrales, en 1859, on put
compter 33 hommes et 23 femmes qui y retournèrent l’année suivante 182 ».
La politique de la fin du 19ème siècle reposait sur une distinction entre le récidiviste, c’est-à dire
le délinquant d’habitude, inamendable et incorrigible, et le délinquant primaire qu’il
fallait protéger des premiers pour éviter qu’ils n’entrent dans un processus de délinquance
d’habitude. « Le nombre croissant des récidivistes attestant, malgré ces efforts, la faillite du
système pénitentiaire, on s’est avisé que le problème de la criminalité ne pouvait être résolu
que par la séparation des délinquants primaires des récidivistes. Essayer, tout en punissant
les premiers, de leur éviter la prison, retirer les seconds hors du milieu social où ils ne
peuvent vivre sans reprendre leurs habitudes d’activité malfaisante, tel paraît avoir été le
programme que la loi du 26 mars 1891, créatrice du sursis à exécution, et la loi du 27 mai
1885, sur la relégation des récidivistes, ont tenté de réaliser 183 ».
A l’époque, l’un des grands noms de la politique pénale est René Béranger, qui est à l’origine
des lois du 14 août 1885 et du 26 mars 1891. Il était persuadé du bien-fondé de la valeur
morale de la peine. Il était favorable à une limitation du recours aux peines, qu’il qualifiait de
matérielles, comme l’emprisonnement, car selon lui, elles ont pour conséquences de créer de
l’exclusion et de conduire à la récidive. Au contraire, les peines dites « morales », comme la
libération conditionnelle ou encore le sursis à exécution, permettent de lutter contre ces effets
néfastes. Lors de la commission d’enquête sur l’état des prisons de 1873, il fût proposé, pour
faire face à l’augmentation croissante de la récidive, de procéder à un encellulement de jour et
de nuit des condamnés à de courtes peines. Selon lui, c’est la multiplication de ces courtes
peines d’emprisonnement qui conduit le condamné à récidiver. A plusieurs reprises il s’est
181 LOMBROSO (C.), L’homme criminel, Alcan, Paris, 1887, p. 381, texte disponible à l’adresse suivante :
http://visualiseur.bnf.fr
182 Ibid, p.385.
183 GARRAUD (R.), Précis de droit criminel, RS, 14ème ed., Paris, 1926, p.1118.
73
opposé au système de la transportation, et a proposé au contraire, un système d’aggravation de
la peine en cas de récidive184.
Or, aujourd’hui, « un libéré de prison sur deux récidive dans les cinq ans 185 ». Préparer la
sortie et éviter les sorties dites sèches, c’est réhabituer le condamné à une vie normale, lui
réapprendre les gestes du quotidien. M. Warsmann avait déclaré, dans un rapport au ministre
de la justice que « la personne libérée sans préparation ni accompagnement risque de se
retrouver à nouveau dans un environnement familial ou social néfaste, voire criminogène, ou
bien au contraire dans un isolement total, alors qu’elle aurait besoin de soutien pour se
réadapter à la vie libre. Tout ceci peut l’amener à la récidive ». Or, face à cette constatation,
force est de constater le faible recours aux dispositifs progressifs de préparation à la sortie,
qu’il s’agisse de la libération, dont le nombre ne cesse de décroître, du placement à l’extérieur
ou encore des mesures de semi-liberté. Pour éviter ces sorties non préparées, la loi du 9 mars
2004 a introduit ce qu’on appelle le « sas de sortie ». Celui-ci organise la libération
progressive et accompagnée du condamné186. Depuis le début des années 70, les admissions Ã
la libération conditionnelle187 n’ont pratiquement pas cessé de diminuer. Le nombre des
condamnés remplissant les conditions légales pour être proposables à la libération
conditionnelle et relevant du juge de l’application des peines a triplé entre 1973 et 1992,
passant de 10162 à 34373. Jusqu’en 1996, ce chiffre a augmenté dans des proportions plus
faibles, atteignant les 41624 personnes, puis a décliné en 1998 (36466). Le taux d’octroi,
calculé par rapport au nombre de détenus remplissant les conditions légales pour être proposés
184 BERANGER (R.), Proposition de loi sur l’aggravation progressive des peines en cas de récidive et sur leur
atténuation en cas de premier délit, RPDP, tome 8, 1883, p.550-562.
185 GUIBERT (N.), Un libéré de prison sur deux récidive dans les cinq ans, selon une étude inédite du ministère
de la justice, Le Monde, le 7 mai 2004.
186 Les articles 723-20 à 723-28 du code de procédure pénale prévoient que les condamnés détenus pour
lesquels il reste trois mois d’emprisonnement à subir (si la peine d’emprisonnement prononcée est inférieure
à deux ans) ou six mois de détention à subir (si la peine prononcée est supérieure à deux ans
d’emprisonnement et inférieure à cinq ans) doivent bénéficier, dans le mesure du possible, du régime de la
semi-liberté, du placement à l’extérieur ou sous surveillance électronique. La charge de cette activité revient
au directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation. Celui-ci se doit d’examiner le dossier du
condamné afin de déterminer la mesure adéquate, avant de saisir le juge de l’application des peines par
requête d’une proposition d’aménagement de peine. Le magistrat dispose à ce stade d’un délai de trois
semaines pour accepter ou non la proposition. A défaut de réponse de ce dernier dans le délai de trois
semaines, le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation peut décider de mettre en oeuvre la
mesure d’aménagement de peine.
187 Tous les chiffres qui vont suivre sont issus du rapport de la commission sur la libération conditionnelle du
Ministère de la Justice de février 2000, p.15.
74
à la libération conditionnelle a mis en exergue la faiblesse des propositions : en 1997 et1998,
9 à 10% des détenus concernés seulement ont été proposés à la libération conditionnelle. En
26 ans, le taux d’admission des condamnés à des peines de réclusion criminelle supérieures Ã
dix ans relevant de la compétence du juge de l’application des peines est passé de 29,3% en
1973 à 14% en1998. S’agissant des condamnés à perpétuité, cette baisse est encore plus
flagrante. Alors que le nombre de condamnés à perpétuité a doublé en moins de trente ans,
passant de 305 à 597 entre 1970 et 1999, les décisions d’admission à la libération
conditionnelle était de une à cinq mesures par an entre 1978 1987, de huit à seize entre 1988
et 1992, de deux à quatre entre 1993 et 1999. En 1997, aucune mesure n’a été accordée. En
2003, 5286 personnes ont été admises à la libération conditionnelle par un juge de
l’application des peines et 223 par les juridictions régionales de l’application des peines. En
2004188, 6003 personnes étaient concernées.
Claude Lecomte et Odile Timbart, dans le bulletin d’information statistique du ministère de la
Justice sur « les condamnés de 2001 en état de récidive »189 font remarquer que « la part des
récidivistes est plus importante quand la peine est lourde ». Les chiffres font état d’un taux de
64,5% de récidivistes parmi les condamnés à un emprisonnement ferme ou mixte. Selon eux,
cela s’explique par les caractéristiques des condamnés à des peines fermes. Ainsi,
l’emprisonnement s’applique le plus souvent à des infractions particulièrement graves ou Ã
des personnes dont le passé pénal est important. Grâce à la palette de sanctions à la
disposition des magistrats, ces derniers peuvent moduler la sanction en fonction des
antécédents. « Plus le taux d’antécédents est faible, plus la peine prononcée (en 2001) est
légère ou peu contraignante ». En 2001, sur les 40000 personnes condamnées à l’enfermement
ferme, 14700 avaient déjà subi une peine de cette nature, soit un taux de retour en prison de
36,7%. Ils rappellent que cette situation se rencontre beaucoup plus rarement chez les
personnes ayant subi une peine d’emprisonnement avec sursis.
Maintenant que nous avons étudié de façon plus précise cette question de la personnalisation
de la peine et plus précisément de la peine d’emprisonnement, nous allons nous intéresser
dans le second paragraphe à l’application de ce principe sur le sursis avec mise à l’épreuve.
II - Les outils à la disposition du juge
Le juge dispose d’un certain nombre d’outils pour individualiser une peine. Il peut s’agir de
mesures qui concernent directement le condamné, comme le sursis avec mise à l’épreuve (A),
188 Les chiffres-clefs de la Justice, octobre 2005, Ministère de la Justice, p.30, disponible à l’adresse suivante :
www.justice.gouv.fr
189 Infostat Justice, les condamnés de 2001 en état de récidive, juillet 2003, n°68.
75
ou encore de moyens matériels qui permettent au juge de mieux connaître la personne et
d’adopter la mesure la plus adaptée (B).
A - Le sursis avec mise à l’épreuve
Le sursis à exécution a été introduit dans notre droit pénal avec la loi du 26 mars 1891.
L’objectif était de redonner à la peine un autre objectif : l’amendement. Progressivement, la
mesure s’est diversifiée : il existe le sursis dit simple, le sursis avec mise à l’épreuve, le sursis
avec obligation d’accomplir un travail d’intérêt général. Ce paragraphe sera consacré au sursis
avec mise à l’épreuve, mesure que la loi du 12 décembre 2005 a modifié quelque peu. Il
conviendra d’étudier tout d’abord l’objet et le régime de la mesure (1), puis, dans un second
temps les modifications apportées par le législateur en 2005 (2).
1 - Objet du sursis avec mise à l’épreuve
Les modalités du sursis avec mise à l’épreuve sont fixées dans les articles 132-40 à 132-53 du
Code pénal et 739 à 747 du Code de procédure pénale. Le sursis avec mise à l’épreuve est une
peine applicable aux condamnations à l’emprisonnement prononcées pour une durée de cinq
ans au plus, en répression d’un crime ou d’un délit de droit commun190. Il n’est applicable
qu’aux seules personnes physiques et peut bénéficier aux récidivistes, contrairement au sursis
simple.Le probationnaire ne subit pas la peine assortie de sursis pendant la durée de l’épreuve.
Les autres peines non assorties de sursis sont exécutoires. Le condamné est dispensé
d’exécuter la peine privative de liberté, à la condition de se soumettre à certaines obligations
ou interdictions fixées par le tribunal correctionnel, la cour d’assises ou le juge de
l’application des peines pendant un délai d’épreuve déterminé, qui ne peut être inférieur à dixhuit
mois, ni supérieur à trois ans191. L’épreuve contient des mesures de contrôle imposées par
la loi, des obligations particulières déterminées judiciairement et des mesures d’aide. Tous les
condamnés sont soumis impérativement aux mesures de contrôle de l’article 132-44 du Code
pénal : répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou du travailleur social
désigné, recevoir les visites de l’agent de probation et lui communiquer toutes les
informations utiles, prévenir l’agent de probation de ses changements d’emploi, prévenir
l’agent de probation de ses changements de résidence et de déplacement supérieur à 15 jours
et rendre compte de son retour, solliciter l’autorisation du JAP pour se rendre à l’étranger ou
190 Article 132-41 du code pénal.
191 Article 132-40 du code pénal. Le seuil plancher de dix-huit mois sera ramené à un an à compter du
31 décembre 2006.
76
en cas de changement de résidence qui ferait obstacle à l’exécution des obligations de
l’épreuve. Les obligations particulières figurent dans la liste de l’article 132-45 du Code
pénal. C’est une liste limitative et non automatique. Il s’agit de démarches positives soit pour
favoriser sa réinsertion (établir une résidence, exercer une activité professionnelle, suivre un
enseignement ou se soumettre à un traitement médical) ; soit pour le contraindre à acquitter ses
dettes (contributions aux charges familiales, réparation du dommage causé par l’infraction ou
paiement des sommes au Trésor). Les autres obligations sont des interdictions portant sur des
activités, des déplacements ou des rencontres dangereuses pour le condamné ou des tiers. Les
mesures d’aides ont pour objet de seconder les efforts du condamné en vue de son
reclassement social. Le contrôle du respect des mesures imposées est confié au juge de
l’application192 des peines, assisté du service pénitentiaire d’insertion et de probation. Le juge
peut toujours modifier la liste des obligations particulières mises à la charge du probationnaire
par la juridiction de jugement ou prévoir lui-même certaines obligations193.
Le délai d’épreuve peut être réduit en cas d’exécution parfaite des obligations de l’épreuve par
le tribunal correctionnel statuant comme juridiction d’application des peines194 après un an
minimum d’épreuve. Le délai peut également être prolongé, de trois ans maximum, en cas de
non respect des mesures de contrôle et obligations ou en cas de commission d’une infraction
suivi d’une condamnation n’ayant pas entraîné la révocation du sursis. En cas de non respect
des obligations, le sursis prononcé peut être totalement ou partiellement révoqué.
2 - Une mesure mise à l’épreuve par le législateur
Le sursis avec mise à l’épreuve a fait l’objet d’une modification de son champ d’application
(a). De plus, l’allongement de la période sûreté pouvant être prononcée à l’égard des
récidivistes participe à la mise à l’écart progressive du sursis avec mise à l’épreuve (b).
a - La modification du champ d’application du sursis avec mise à l’épreuve
Le sursis avec mise à l’épreuve a subi une double modification. En effet, les travaux
parlementaires ont conduit à une réduction d’une part, et à une extension d’autre part de son
champ d’application. L’Assemblée nationale avait fait une proposition, adoptée en première
lecture par le Sénat, qui consister à interdire le recours à cette mesure si le délinquant avait
192 Article 740 du code de procédure pénale.
193 Article 739 du code de procédure pénale.
194 Article 743 du code de procédure pénale.
77
déjà fait l’objet de deux condamnations assorties d’un tel sursis195. Il justifiait cette
proposition par le fait que sursis avec mise à l’épreuve ne permettait plus un encadrement
suffisant du délinquant si celui-ci avait récidivé. Le manque de moyens matériels à la
disposition des services pénitentiaires d’insertion et de probation apparaît comme la raison de
cet échec196. Une autre raison invoquée pour justifier cette modification est la lutte contre le
sentiment d’impunité et la valorisation du principe d’interprétation souveraine des juges.
Cependant, cette disposition se limite à la récidive des délits identiques ou assimilés des
articles 132-16 à 132-16-4 du code pénal. S’agissant par contre, des crimes, des délits de
violences volontaires, des délits d’agressions ou d’atteintes sexuelles ou encore des délits
commis avec la circonstance aggravante de violence, l’interdiction du prononcé d’un sursis
s’applique dès qu’il y a déjà eu une condamnation assortie d’un sursis197. Il faut enfin préciser
que cette disposition ne s’applique pas lorsqu’il s’agit d’un sursis partiel198. S’agissant
maintenant de l’extension du domaine d’application du sursis avec mise à l’épreuve, les
débats parlementaires ont conduit à la rédaction d’un complément à l’article 132-41 du code
pénal. « Lorsqu’une personne est en état de récidive légale, il (le sursis avec mise Ã
l’épreuve), est applicable aux condamnations à l’emprisonnement prononcées pour une durée
de dix ans au plus ». En revanche, ce délai passerait à cinq ans et même à sept ans pour les
« multirécidivistes ». L’article 132-42 est en effet complété par la phrase suivante : « Lorsque
la personne est en état de récidive légale, ce délai peut être porté à cinq ans. Ce délai peut
être porté à sept ans lorsque la personne se trouve à nouveau en état de récidive légale ».
Cette phrase, dont la formulation est loin d’être claire, a pour objectif d’assurer un minimum
d’enfermement ferme au récidiviste.
195 Article 132-41 du code pénal, dispose « La juridiction pénale ne peut prononcer le sursis avec mise Ã
l’épreuve à l’encontre d’une personne ayant déjà fait l’objet de deux condamnations assorties du sursis
avec mise à l’épreuve pour des délits identiques ou assimilés au sens des articles 132-16 à 132-16-4 et se
trouvant en état de récidive légale [...] ».
196 HERZOG-EVANS (M.), Récidive : quelles réponses judiciaires ? (Récidive : surveiller et punir plutôt que
prévenir et guérir), AJP septembre 2005, p.309
197 Article 132-41 du code pénal dispose que « Lorsqu’il s’agit soit d’un crime, soit d’un délit de violences
volontaires, d’un délit d’agressions ou atteintes sexuelles ou d’un délit commis avec la circonstance
aggravante de violences, la juridiction ne peut prononcer le sursis avec mise à l’épreuve à l’encontre
d’une personne ayant déjà fait l’objet d’une condamnation assortie du sursis avec mise à l’épreuve pour
des infractions identiques ou assimilées et se trouvant en état de récidive légale [...] ».
198 Article 132-41 du code pénal dispose que « Toutefois, ces dispositions ne sont pas applicables lorsque le
sursis avec mise à l’épreuve ne porte que sur une partie de la peine d’emprisonnement prononcée en
application des dispositions du dernier alinéa de l’article 132-42 ».
78
b - L’allongement de la période de sûreté
Ce souci d’un enfermement minimal avant que le délinquant puisse bénéficier de mesures de
faveur est également celui du législateur qui, en créant la période de sûreté voulait assurer un
minimum de répression. En effet, comme l’individualisation d’une peine en cours d’exécution
apparaît souvent, lorsqu’elle bénéficie aux auteurs d’infractions graves, comme une marque
d’indulgence, d’impunité, la loi du 22 novembre 1978 institua la période de sûreté dans notre
droit. La période de sûreté est la période pendant laquelle le délinquant ne peut pas bénéficier
de mesures de faveur. Elle est applicable de plein droit si la juridiction a prononcé une peine
privative de liberté, non assortie de sursis, d’une durée supérieure ou égale à dix ans. L’article
132-23 du code pénal prévoit que pour certaines infractions, la durée de cette période est de la
moitié de la peine à temps ou de dix-huit ans en cas de condamnation à la perpétuité. La cour
d’assises pouvait cependant élever cette durée jusqu’à vingt deux ans ou la diminuer. Ces
infractions sont précisées dans le code pénal. Il s’agit par exemple du crime contre l’humanité,
des meurtres aggravés ou d’empoisonnement, des tortures et actes de barbarie, des violences
aggravées ayant entraîné la mort, une mutilation ou une infirmité permanente, des violences
sur mineurs par un ascendant ayant entraîné une incapacité temporaire de travail de plus de
huit jours... La loi du 12 décembre 2005 a porté la période de sûreté à vingt cinq ans.
Cependant, cet allongement ne concerne pas les récidivistes directement, il s’agit simplement
de renforcer la répression des crimes les plus graves. Cette possibilité est soumise Ã
l’appréciation spéciale de la cour d’assises.
B - Le « fichage » des individus
Jusqu’à la loi du 9 mars 2004, les instruments destinés à ficher les individus ne faisaient pas
défaut en France. En effet, tout d’abord, nous disposons du casier judiciaire, dans lequel
figure l’identité de tous les condamnés pour crime ou délit. Le fait qu’ils aient bénéficié d’une
amnistie, d’une grâce ou encore d’une réhabilitation ne fait pas disparaître les condamnations
du bulletin numéro 1, c’est-à -dire de celui qui peut être consulté par des magistrats ou des
officiers de police judiciaire sous l’autorité d’un juge. De plus, depuis 1987, s’est ajouté le
fichier des empreintes digitales au casier judiciaire. S’agissant plus particulièrement des
délinquants sexuels, il existe depuis 1998 un fichier des empreintes génétiques. Enfin, un
nouveau fichier a vu le jour en 2001 : il s’agit du système de traitement des infractions
constatées. La loi du 9 mars 2004 a crée le fichier judiciaire national des auteurs d’infractions
79
sexuelles199. L’objectif de ce nouveau dispositif est, selon Pascal Clément, d’améliorer la
sécurité quotidienne des Français. Opérationnel depuis le 30 juin 2005, ce fichier se présente
comme un outil informatique à la disposition des autorités judiciaires, de police et de
gendarmerie. Le but final du fichier est de prévenir le renouvellement des infractions Ã
caractère sexuel et de faciliter l’identification de leurs auteurs. Le ministre de la justice y voit
un outil psychologique à effet dissuasif. Ainsi, toute personne coupable d’infraction Ã
caractère sexuel sera inscrite dans ce fichier. Cela permettra aux enquêteurs qui recueillent des
plaintes de viol d’interroger le fichier pour identifier le plus vite possible d’éventuels suspects.
Dès sa mise à disposition de la justice, plus de 20000 délinquants y étaient répertoriés. Ces
derniers se doivent de justifier régulièrement200 leur adresse et de signaler tout changement de
domicile dans les quinze jours du déménagement. Ce fichier est alimenté par les procureurs de
la République et les juges d’instruction mais également par les services de police et de
gendarmerie. Les informations sont conservées pendant vingt ou trente ans selon la gravité de
l’infraction commise, sauf en cas de non lieu, relaxe ou acquittement, de cessation ou
mainlevée d’une mesure de contrôle judiciaire, de décès de l’intéressé ou encore sur ordre du
procureur de la République.
La loi du 12 décembre 2005 est venue compléter la loi de 2004 sur la question des fichiers.
Elle a en effet modifié le régime applicable au fichier national automatisé, en étendant la liste
des infractions concernées et le droit de consultation des officiers de police judiciaire.
Désormais, toutes les infractions violentes et pas seulement sexuelles sont concernées. De
plus, les officiers de police judiciaire ont désormais le droit de le consulter à partir de
l’identité d’une personne gardée à vue pour une enquête de flagrance ou préliminaire ou
encore sur commission rogatoire, sur instruction soit du procureur de la République, soit du
juge d’instruction, et ce, quelque soit l’infraction en cause201.
199 Article 706-53-1 et suivants du code de procédure pénale
200 Une fois par an ou tous les six mois selon la gravité des faits commis.
201 Article 706-53-7 du code de procédure pénale.
80
Les procédures spéciales de l’article 706-47 du code de procédure pénale202 sont étendues aux
auteurs de meurtres ou assassinats commis avec tortures ou actes de barbarie, de crimes de
tortures ou actes de barbarie et même de meurtres ou d’assassinats commis en état de récidive
légale.
De plus, les agents de police et de gendarmerie sont désormais admis à constituer de
nouveaux fichiers automatisés grâce aux informations collectées au cours de leurs enquêtes, si
ces dernières concernent des crimes ou délits qui portent atteinte aux personnes et qui sont
punis de plus de cinq ans, ou portent atteinte aux biens et sont punis de plus de sept ans
d’emprisonnement. Ces informations peuvent être recueillies au cours des enquêtes, ou dans
le cadre de commissions rogatoires, ou au cours des recherches sur une mort ou une
disparition inquiétante.
S’agissant des personnes qui peuvent apparaître dans ce fichier, la loi ne prévoit pas de limites
quant à leur âge. Les mineurs auteurs de ces infractions n’y échappent donc pas. De plus, les
suspects ne sont pas les seuls à pouvoir y être répertoriés. En effet, les personnes susceptibles
de pouvoir fournir des renseignements, les victimes et même les personnes qui font l’objet
d’une recherche pour cause de mort ou de disparition inquiétants pourront apparaître. La
liberté individuelle ne sort pas indemne de cette réforme.
Depuis quelques années, la sécurité est devenue une préoccupation politique primordiale Ã
l’origine d’une consécration législative progressive. Il y a d’abord eu la loi du 21 janvier 1995
d’orientation et de programmation de la justice, puis la loi du 15 novembre 2001 relative à la
sécurité quotidienne, et enfin la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure. Pour répondre
à ce courant sécuritaire, la tendance a été d’accroître la place accordée à l’enquête de police et
l’augmentation des pouvoirs confiés aux forces de sécurité. Ces derniers ont obtenu la
maîtrise croissante de l’information, et ce, grâce à l’outil informatique. La loi de 2003 est la
consécration maximum de ce droit à l’accès à l’information. En effet, elle a largement élargi
le contenu du fichier national automatisé des empreintes génétiques en l’étendant aux
personnes à l’encontre desquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner
202 Les dispositions du présent titre sont applicables aux procédures concernant les infractions de meurtre ou
d’assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie ou pour les
infractions d’agression ou d’atteintes sexuelles ou de proxénétisme à l’égard d’un mineur, ou de recours à la
prostitution d’un mineur prévues par les articles 222-23 à 222-31, 225-7 (1º), 225-7-1, 225-12-1, 225-12-2
et 227-22 à 227-27 du code pénal.
Ces dispositions sont également applicables aux procédures concernant les crimes de meurtre ou
assassinat commis avec tortures ou actes de barbarie, les crimes de tortures ou d’actes de barbarie et les
meurtres ou assassinats commis en état de récidive légale.
81
qu’elles ont commis l’une des infractions visées. Auparavant, il ne concernait que les
personnes condamnées pour des crimes sexuels, homicides volontaires, actes de terrorisme et
crimes graves portant atteinte aux personnes et aux biens. Les empreintes génétiques d’un
simple suspect pourront donc être conservées, alors même qu’il n’a pas été reconnu coupable
de quoi que ce soit. C’est ici le principe de la présomption d’innocence qui est bafoué. De
plus, ces empreintes pourront être comparées à celles du fichier à la libre initiative d’un
officier de police.
La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés, en octobre 2002, s’était
prononcée sur la question, condamnant notamment la possibilité de conserver des
informations sur des personnes sans limitation d’âge, ce qui pose le problème du signalement
des mineurs au regard des dispositions relatives à la responsabilité pénale des mineurs. Dans
une décision du 13 mars 2003, le conseil constitutionnel a considéré que cette loi ne
méconnaissait en rien les principes constitutionnels applicables à la responsabilité pénale des
mineurs203.De plus, la commission relève le risque de faire jouer aux fichiers un rôle de casier
judiciaire parallèle moins contrôlé.
Cette extension du champ d’application du fichier national automatisé marque un glissement
vers une plus large place à l’appréciation subjective du policier. Il semble, en effet, que la
notion de vraisemblance ne repose plus sur la base d’indices, signes apparents et objectifs,
mais sur l’apparence de la réalité204.
Le problème de la durée de conservation des données en entraîne un autre : celui du droit Ã
l’oubli. Cette question se rapproche de celle de la prescription qui repose sur l’idée selon
laquelle au bout d’un certain temps, il est préférable d’oublier l’infraction plutôt que d’en
raviver le souvenir. Les progrès de l’informatique ont été à l’origine d’un certain nombre
d’atteintes au droit à la protection de la vie privée puisqu’il permet une conservation illimitée
des informations. L’informatisation nécessite donc une procédure de destruction de
l’information205, à défaut de quoi le droit à l’oubli, que Kayser définit comme le « droit
indispensable pour que le poids du passé n’écrase pas un homme en lui faisant perdre le
sentiment de sa liberté et en l’empêchant d’amender sa personnalité 206 », serait violé. Selon
203 Cons. Const., Dec° n°2003-467DC du 13 mars 2003, loi sur la sécurité intérieure, Considérant 37.
204 BERTRAND (M.), VERPEAUX (M.), in Petites Affiches, 18 septembre 2003.
205 CHARBONNEAU (C.), PANSIER (F.-J.), Le système de traitement des infractions constatées ou les faits
infractionnels à l’épreuve de la « memory STIC », Petites Affiches, 24 août 2001, p.3.
206 KAYSER (P.), La protection de la vie privée par le droit, Protection du secret de la vie privée, Economica,
3ème Ed., 1995, p.605.
82
l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978, modifiée en 2004, les données ne doivent pas être
conservées pendant une durée supérieure à celle nécessaire aux finalités du fichier. Cette
nouvelle version du texte n’a pas repris cette ancienne disposition qui imposait la fixation de
la durée de conservation des informations lors de la création du fichier. S’agissant du fichier
national automatisé, les informations peuvent être conservées jusqu’à quarante ans selon la
gravité de l’infraction, ce qui est très long.
Ces remarques sont applicables aux différents fichiers crées depuis, comme le fichier
judiciaire national des auteurs d’infractions sexuelles, dont le champ d’application a été élargi
par la loi du 12 décembre 2005, s’agissant notamment du fichage des mineurs, mais
également de la durée de conservation des informations qui peut apparaître comme une
violation du droit à l’oubli.
Il conviendra maintenant d’étudier de façon plus précise les conséquences de la loi du 12
décembre 2005 sur la période qui suit le prononcé du jugement.
Chapitre II - L’après jugement, étape
essentielle du processus
Comme nous l’avons vu dans la première partie, la loi du 15 juin 2000, complétée par celle du
9 mars 2004, ont permis ce qu’on appelle la juridictionnalisation de l’application des peines.
La période postérieure au prononcé d’un jugement est devenue une véritable phase du procès
pénal. « C’est une discipline répressive comme les autres 207 ». Depuis la généralisation des
recours contre toutes les décisions d’aménagement de peine, Madame Herzog-Evans
considère que le législateur traite la matière « à la même aune que le droit pénal de fond et le
droit pénal processuel 208 ». Cette discipline n’est plus exempte de réforme. La loi du 12
décembre 2005 illustre parfaitement cette remarque. En effet, ce texte a contribué à la
modification de plusieurs mesures d’aménagement, qu’il s’agisse de la libération
conditionnelle, des crédits de réduction de peine, ou encore de la suspension de peine pour
raisons médicales. Nous nous intéresserons dans ce chapitre à tous ces changements.
207 HERZOG-EVANS (M.), Récidive : quelles réponses judiciaires ? (Récidive : surveiller et punir plutôt que
prévenir et guérir), AJP septembre 2005, p.310
208 Ibid.
83
De telles modifications ne pouvaient avoir lieu sans avoir de répercussions sur le travail du
juge de l’application des peines. Ce dernier, en effet, comme son nom le rappelle, est chargé
du suivi des condamnés et surtout de leur peine. Il se doit de s’assurer des mesures imposées
par le condamné, mais également de vérifier que la mesure reste adaptée à son bénéficiaire si
celui a évolué, dans un sens ou dans l’autre. Le large éventail dont dispose le juge de
l’application des peines doit lui permettre de répondre à toutes sollicitations. Il a donc un rôle
essentiel.
De plus, la spécificité du récidiviste a conduit le législateur, et ce, depuis plusieurs années Ã
rechercher des mesures qui leur seraient applicables après qu’ils ont purgé leur peine. Ces
mesures sont destinées au suivi post-pénal du délinquant. La mesure phare en la matière est le
suivi socio-judiciaire. Ce dernier a subi également quelques modifications par la loi de
décembre 2005, ajoutant des modalités d’aménagement telles que le placement sous
surveillance électronique.
Il s’agira donc de s’intéresser tout d’abord à l’aménagement de la peine en cours d’exécution,
puis, dans un second temps, Ã ce que certain qualifie de double peine, c’est-Ã -dire le suivi
postérieur des délinquants.
Section 1 - Dangerosité et suivi nécessaire de
l’application des peines
L’article 707 du code de procédure pénale209, issu de la loi du 9 mars 2004, a pour objectif de
concilier deux notions radicalement opposées : récidive et réinsertion. Cette opposition résulte
directement de la solution apportée au récidivisme qu’est la répression. En effet, récidiver,
c’est s’exposer à un peine plus sévère mais également à un emprisonnement plus contraignant.
Selon cette disposition, le juge de l’application des peines se doit de tenir compte de
l’évolution de la personnalité et de la situation du condamné. Ainsi, « chaque fois que c’est
possible », il doit permettre « le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise
en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire ». L’objectif de la loi de 2004 est donc
209 « L’exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes,
l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive. A cette fin, les peines peuvent
être aménagées en cours d’exécution pour tenir compte de l’évolution de la personnalité et de la situation du
condamné. L’individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif
du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire ».
84
d’éviter les sorties de prison dites « sèches » et de privilégier la réinsertion même s’il s’agit de
récidivistes.
« L’aménagement et l’individualisation de la peine constituent un moyen puissant pour
prévenir la récidive 210 ».
Dans cette section, il conviendra d’étudier successivement l’importance du rôle du juge de
l’application des peines dans ce processus d’aménagement de peine (I), puis les changements
apportés à certaines mesures destinées à cet aménagement (II).
I - « Un pari sur l’humain 211 »
Le récidiviste est le plus souvent soumis à l’emprisonnement, une détention de longue durée
par ailleurs. Bien qu’une sanction lourde semble méritée au vu de la gravité des faits commis
et surtout de leur répétition, toute peine a une fin. Cette fin est synonyme de libération et donc
d’éventuels dangers pour la société. La question est de savoir si un encadrement, un retour
progressif vers la liberté ne serait pas plus efficace qu’une sortie directe de prison, pour éviter
la récidive.
Pour répondre à cette question, nous étudierons tout d’abord l’intérêt de ce glissement
progressif vers la liberté (A), avant de voir ensuite, les difficultés que peut susciter cet
aménagement malgré les efforts accomplis par les différents intéressés pour aboutir à une
véritable relation de confiance. (B).
A - Un glissement progressif vers la liberté
Ce retour à la liberté est une étape souvent difficile pour le condamné qui a perdu une partie
de ses repères suite à l’incarcération. C’est à ce moment qu’intervient le juge de l’application
des peines, sur qui repose une tâche délicate : redonner confiance au nouveau libéré (1). Cette
tâche est cependant plus délicate à réaliser que ce qu’on pourrait être amené à croire (2).
1 - Le juge de l’application des peines : moteur essentiel de
l’aménagement de peine
La mission première de ce magistrat est d’éviter une sortie de prison sèche, c’est-à -dire, sans
aucune préparation mais également sans aucun suivi judiciaire postérieur à la libération. C’est
210 JANAS (M.), Le juge de l’application des peines : un acteur essentiel pour lutter contre la récidive, AJP,
octobre 2005, p.347.
211 LAFLAQUIERE (P.), Un pari sur l’humain, AJP, octobre 2005, p.358.
85
à cette fin qu’il peut utiliser un large panel de mesures de substitution à l’emprisonnement.
Une lourde tâche repose alors sur ses épaules mais également une lourde responsabilité. Il doit
s’interroger sur la personnalité de l’individu, sur ses capacités de réinsertion, ou encore sur le
comportement qu’il risque d’adopter en dehors des quatre murs d’une prison.
De plus, cette fonction demande une réelle organisation. Compte tenu des faibles moyens
matériels à la disposition du juge de l’application des peines, celui-ci doit être en mesure de
mettre en place un suivi qui fait intervenir un certain nombre de travailleurs sociaux. Ces
derniers sont chargés de contrôler le bon comportement du libéré, mais également de l’assister
dans ses agissements quotidiens.
Pour éviter la désocialisation des personnes condamnées et commencer le processus de
réinsertion, les courtes peines d’emprisonnement peuvent être aménagées avant leur mise Ã
exécution par le juge de l’application des peines. Celui-ci peut leur octroyer une semi-liberté,
un placement à l’extérieur ou encore un placement sous surveillance électronique. Aux côtés
de ce dispositif, la loi du 9 mars 2004 a créé une nouvelle procédure destinée à favoriser
l’individualisation des fins de peine de prison. Ainsi, pour les condamnations comprises entre
six mois et deux ans d’emprisonnement, cette procédure est applicable aux détenus dont le
reliquat de peine est de trois mois au plus, mais également pour les condamnations comprises
entre deux et cinq ans d’emprisonnement, Ã ceux dont le reliquat de peine est de six mois
maximum. Le service pénitentiaire d’insertion et de probation peut proposer au magistrat un
aménagement de la fin de la peine pour que celle-ci soit exécutée en semi-liberté, ou encore
en placement à l’extérieur ou sous surveillance électronique. Le juge de l’application des
peines décide alors d’homologuer ou de refuser cette proposition.
L’objectif de cet aménagement de peine est de concentrer les efforts du condamné, non sur un
éventuel ancrage dans la délinquance, mais dans un processus de réinsertion. Pour Michael
Janas, juge de l’application des peines, « cette quête de l’insertion n’est pas une fin en soi
mais un moyen performant pour éviter la réitération des infractions 212 ». Il fait remarquer, Ã
juste titre d’ailleurs, que les chiffres eux-mêmes prouvent l’efficacité de cette technique.
Pierre Tournier, dans ses différentes études sur le sujet, a mis en exergue un taux de récidive
deux fois plus élevé chez les individus n’ayant pas bénéficié d’un aménagement de peine213.
212 JANAS (M.), Op. Cit. note 206, p.349.
213 TOURNIER (P.), Peines d’emprisonnement ou peines alternatives : quelle récidive ?, AJP, septembre 2005,
p.315.
86
L’importance du rôle du juge de l’application des peines est indéniable. Cependant, pour
répondre à cette demande d’aménagement, il doit obéir à une procédure très pointilleuse, qui
rend difficile ce besoin de lutter contre la récidive.
2 - Un aménagement délicat
Comme nous venons de le voir, le juge de l’application des peines doit permettre un suivi du
condamné pendant qu’il purge sa peine afin de lui conférer un maximum d’efficacité.
Cependant, il se heurte parfois à un refus ou à un abandon du condamné qui, face aux
conditions contraignantes auxquelles il est soumis, préfère terminer de purger sa peine initiale.
Il doit par exemple se présenter régulièrement aux services de l’application des peines pour
faire « le point » sur l’avancée de la mesure, il doit rendre des comptes aux différents
travailleurs sociaux qui le suivent. Cet aménagement, constitué par une nécessité de contrôle
mais également d’assistance est donc bien plus délicat qu’il n’y paraît.
S’agissant de l’assistance, tout d’abord, les contraintes sont, il est vrai, beaucoup moins
pesantes, voire même inexistantes. Les travailleurs sociaux vont suivre l’individu dans ses
démarches quotidiennes et le soutenir dans son objectif d’insertion. Leur aide intervient dans
des domaines très divers : demande d’aide de toute sorte, difficultés pour trouver un logement,
etc...
La contrainte existe dans le fait que l’individu est privé d’une certaine liberté d’action, mais
n’a pas pour but d’être ressentie comme telle. Il s’agit de lui redonner confiance en lui afin
que ces actions, qui paraissaient insurmontables jusqu’alors, redeviennent une habitude qui lui
fasse oublier son passé de délinquant.
A côté de ces mesures d’assistance, un certain nombre de mesures de contrôle s’imposent Ã
lui. Le juge de l’application des peines fixe, en effet, des obligations destinées à mobiliser
toute sa concentration et ses efforts. Il s’agira par exemple de l’obliger à justifier son assiduité
professionnelle, Ã suivre des soins ou un traitement pour le faire sortir de l’emprise de l’alcool
ou de la drogue, de l’obliger à indemniser régulièrement ses victimes.
« A chaque fois, il s’agira de mettre en place une dynamique qui permettra d’essayer de traiter
et d’enrayer les causes de la récidive 214 ».
214 JANAS (M.), Op. Cit. note 206.
87
B - Redonner confiance : atout essentiel de l’aménagement de
peine
L’intérêt de ce paragraphe est de mettre en exergue l’importance de la relation qui naît entre le
juge de l’application des peines et le condamné, relation essentielle pour éviter tout ancrage
dans la délinquance.
Nous verrons donc, tout d’abord, en quoi cette relation est importante (1), puis nous nous
intéresserons aux difficultés qui empêchent une individualisation des peines dans les
meilleures conditions. (2).
1 - La confiance, une relation indispensable
La libération conditionnelle, par exemple, est au coeur même d’un conflit d’intérêt entre deux
considérations : d’une part, c’est le meilleur moyen, en termes d’efficacité pour enrayer le
récidivisme, et d’autre part, c’est parfois une incompréhension aux yeux des citoyens qui
n’admettent pas qu’un individu, récidiviste qui plus est, puisse encore bénéficier de mesures
de faveur après le mal commis.
Pour trouver une solution qui soit un juste milieu entre ces deux exigences, les différents
intervenants, juges et travailleurs sociaux, agissent à partir d’enquêtes effectuées
« directement sur le terrain ». Ainsi, le passé judiciaire du délinquant est scrupuleusement
étudié. Rien ne doit être oublié dans l’analyse, chaque élément a son importance. La
personnalité de l’intéressé est sans cesse évaluée.
Cependant, évaluer le risque de récidive est une étape très difficile à réaliser car il s’agit
d’entrer dans le for intérieur de l’individu. Le juge tient compte de différents critères : la
récidive constatée, d’une part, et l’éventualité d’une évolution dans un sens favorable à sa
réinsertion, d’autre part. Ainsi, celui qui a commis une infraction alors qu’il était en état de
récidive légale, purgera une peine d’incarcération plus longue, il bénéficiera de moins
d’aménagements de peine destinés à l’amoindrir. Par contre, le juge devra tenir compte des
efforts du condamné, et d’un éventuel « déclic215 ». Pour évaluer ces efforts, le juge de
l’application des peines se doit de connaître la personne qui lui est déférée, de créer une
certaine complicité, c’est-à -dire une relation de confiance.
« Dire que, dans certains dossiers, la responsabilité de libérer est d’une grande lourdeur relève
de l’euphémisme : cette responsabilité est écrasante. Parce qu’elle exige de la clarté, une
215 JANAS (M.), Op. Cit. note 206, p.348.
88
lucidité acérée, de la détermination et bien souvent du courage 216 », Monsieur Laflaquière,
Vice-président du tribunal de grande instance de Toulouse et Président du tribunal de
l’application des peines, est fier de « cette justice de réhabilitation ». C’est pourquoi, à défaut
de relation de confiance entre le magistrat et le condamné, ce travail perdrait une partie de son
sens. Cette relation entre deux êtres humains est forcément orientée en fonction d’un certain
nombre de considérations. En effet, le juge, pour se faire une opinion sur la personne qui lui
est présentée, et créer ce sentiment d’intimité, de confidentialité, doit se fonder sur un
« tressage serré, associant les éléments techniques et objectifs 217 ». Ces éléments sont issus du
casier judiciaire, des informations recueillies par les différents intervenants sociaux. A partir
de ces renseignements, le juge est en mesure de prononcer des permissions de sortir, ou
encore des travaux d’intérêt général, et ce, même pour des criminels qui ont commis des
infractions d’une gravité importante. Pour Monsieur Laflaquière, ces mesures sont devenues
de véritables institutions pour des détenus de longue durée qui peuvent ainsi « faire la
démonstration de leurs capacités de réinsertion sociale et professionnelle 218 ». Cette confiance
mutuelle est donc essentielle, elle conditionne l’efficacité de la mesure prononcée par le juge
de l’application des peines après une longue réflexion.
2 - Des difficultés matérielles
La mesure de libération conditionnelle illustre parfaitement la nécessité de cette relation de
confiance. Pour Monsieur Laflaquière, « ce n’est pas par hasard si cette institution plus que
centenaire, une doyenne d’humanité en quelque sorte, a survécu aux coups bas portés par
quelques récidivistes, et demeure le meilleur outil de prévention de la récidive 219 ». Ce dernier
avoue ne pas être plus inquiet à l’égard des récidivistes qui bénéficient d’une libération
conditionnelle que des autres.
Cependant, si l’individualisation de la peine est le principe général, et un principe aux vertus
indéniables, il semble qu’il soit peu appliqué. Or, la récidive est favorisée par une justice qui
se refuse à individualiser les peines. Il faut cependant relativiser cette affirmation, qui ne
justifie pas l’incompétence ou l’absence d’efforts des magistrats eux-mêmes. Il faut savoir que
sur les 8 364 emplois de magistrats comptabilisés en 2002220, les juges de l’application des
216 LAFLAQUIERE (P.), Un pari sur l’humain, AJP, octobre 2005, p.358.
217 Ibid.
218 Ibid.
219 Ibid, p.359.
220 Annuaire statistique de la Justice, année 2003, page 15.
89
peines n’étaient que 250, soit 3,5 % du corps des magistrats. Or, au 1er juillet 2003, 170000
personnes étaient sous leur autorité. Une simple division permet de faire état de la situation :
un juge de l’application des peines était à cette date chargé de 680 dossiers. Un suivi
personnalisé efficace du condamné apparaissait comme une illusion.
Monsieur Clément, ministre de la Justice, avait dénoncé en juillet 2004, dans le cadre de la
mission parlementaire, « la misère de l’application des peines ». Alors que la place du juge de
l’application doit être mise à l’honneur, ils sont désignés comme « les grands oubliés de la
justice pénale 221 ».
« Comme l’ont souligné tant le rapport de M. Jean-Luc WARSMANN222, que celui de la
commission des lois de l’Assemblée nationale sur la prévention de la récidive223, sans un
nombre suffisant de professionnels, aucun suivi efficace des peines alternatives à la détention,
aucune préparation des détenus à la sortie de prison, ni aucun aménagement de peine ne seront
possibles ou, en tout cas, ne constitueront un gage satisfaisant de prévention de la récidive ».
Ce problème d’effectif ne concerne pas que les magistrats, il touche également les conseillers
d’insertion et de probation chargés d’une double mission : le suivi en milieu fermé mais aussi
en milieu ouvert des condamnés., qui n’étaient que 2473 en 2003, et 2518 en 2004.
Dans le second paragraphe, nous nous intéresserons aux modifications apportées par la loi du
12 décembre 2005 sur certaines modalités d’aménagement de peines et les conséquences
engendrées sur le travail du juge de l’application des peines.
II - Les apports de la loi du 12 décembre 2005 sur
l’aménagement de peine
Depuis que la phase exécutoire du procès est devenue une véritable partie du procès, le
législateur est intervenu à plusieurs reprises. La loi du 12 décembre 2005 ne fait pas
exception. Ce sont les concepts de suspension et de réduction de peines (A), d’une part, qui
ont été modifiés, puis le régime de la libération conditionnelle (B), d’autre part.
221 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), La lutte contre la récidive au coeur de la politique pénale, Assemblée
nationale, Rapport juillet 2004, p.50-51.
222 Rapport de la mission parlementaire auprès de M. Dominique PERBEN, garde des Sceaux, ministre de la
Justice, confiée à M. Jean-Luc WARSMANN, député des Ardennes, 28 avril 2003.
223 Rapport d’information de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration
générale de la République.
90
A - Les concepts de suspension et de réduction de peine
La suspension de peine (1) est conditionnée par des raisons médicales. Cette mesure fût
instauré par la loi du 4 mars 2002 et ajoutée à l’article 720-1-1 du code de procédure pénale.
Le régime des réductions de peine fût quant à lui récemment modifié par la loi du 9 mars 2004
qui les a transformées en crédits de réductions de peine. Nous nous intéresserons à cette
question dans un second temps (2).
1- La suspension de peine pour raison médicale
L’ancien article 720-1-1 du code de procédure pénale avait placé ces considérations sanitaires
comme une condition d’ordre ou de sécurité publique. En 2004, une opposition est née entre
la juridiction nationale de libération conditionnelle et la cour de cassation à ce sujet. La
question était de savoir si un individu malade, proche de la mort était susceptible de récidiver
ou méritait-t-il une suspension de sa peine pour finir ses jours auprès de ses proches comme
tout être humain digne de ce nom ? La juridiction nationale de la libération conditionnelle
avait retenu224 cette condition de sécurité publique alors que la cour de cassation l’avait
rejetée225. Il a fallu attendre la loi « Perben II » pour que la question soit clairement tranchée.
Depuis cette loi, les suspensions de peine, en tant que mesure d’aménagement de peine,
doivent tenir compte de cet impératif de sécurité publique.
Le législateur de 2005 est cependant intervenu pour modifier le régime de cet aménagement
de peine concernant plus particulièrement les récidivistes. L’article 720-1-1 contient
désormais une nouvelle disposition qui prévoit que la suspension de peine pour raison
médicale est prononcée en fonction de l’état de santé du condamné « sauf s’il existe un risque
grave de renouvellement de l’infraction 226 ». Ce complément montre la volonté du législateur
de tenir compte de la dangerosité du délinquant, considération sur laquelle repose toute la loi.
De plus, le texte précise le rôle du juge de l’application des peines en la matière. En effet,
alors que ce dernier pouvait jusqu’alors exiger une expertise du condamné à tout moment pour
224 JNLC, 11 juillet 2003, affaire 03LC056, AJP 2003, p.31.
225 Cass. Crim., 12 février 2003, D 2003, p.1065, note M.Herzog-Evans.
226 Article 720-1-1 alinéa 1er du code de procédure pénale : « Sauf s’il existe un risque grave de
renouvellement de l’infraction, la suspension peut également être ordonnée, quelle que soit la nature de la
peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n’a pas à être déterminée, pour les
condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur
état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention, hors les cas d’hospitalisation des
personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux. »
91
s’assurer du respect des conditions posées par l’article 720-1-1, cette faculté est désormais
limitée à un expertise tous les six mois227. Ces dispositions ne sont applicables qu’aux
suspensions de peine en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi, quelle que soit la date
des faits ayant donné lieu à la condamnation.
2 - Les crédits de réduction de peine
Les modifications apportées aux crédits de réductions de peine peuvent apparaître comme
surprenantes puisqu’ils ne furent introduits dans notre droit que quelques lois plus tôt.
La loi du 9 mars 2004 a instauré, depuis le 1er janvier 2005, le crédit de réductions de peine.
Ce système prévoit que les réductions de peine, qui étaient jusque là consenties en raison de la
bonne conduite du condamné, seront désormais déduites de la période d’emprisonnement
restant à subir. Cependant, ce dispositif repose encore une fois sur cette relation de confiance
dans la mesure toute nouvelle infraction commise pendant une période égale à la durée du
crédit de réductions de peine obtenu pourra entraîner l’incarcération de la personne pour un
laps de temps équivalent, en plus de la condamnation prononcée pour les nouveaux faits
commis.
L’intérêt est de permettre au nouveau détenu de connaître, dès son arrivée dans l’enceinte de
la prison, sa date prévisionnelle de sortie. L’autre objectif est de favoriser la gestion de la
population carcérale et de conférer aux travailleurs sociaux des bases certaines pour orienter
l’accompagnement du condamné. Ce dernier se sent pleinement mobilisé et est incité à un
meilleur comportement en milieu fermé. Ainsi, il peut refaire des projets et imaginer sa
nouvelle vie en dehors de la détention. Enfin, l’effet dissuasif du procédé ne peut être ignoré
puisque reposant sur la responsabilisation de l’individu, il contribue directement à prévenir la
récidive.
Le législateur de 2005 décida de réduire la portée de la loi du 9 mars 2004 sur ces nouveaux
crédits concernant les récidivistes. Jusqu’alors, la spécificité de ces délinquants apparaissait Ã
travers une restriction sur les réductions de peine supplémentaires uniquement. En effet, il
existe un double système de réduction de peine. L’article 721 du code de procédure pénale
prévoit tout d’abord un dispositif de réduction de peine quasi-automatique et surtout valable
227 Article 720-1-1 avant dernier alinéa du code de procédure pénale dispose que « si la suspension de peine a
été ordonnée pour une condamnation prononcée en matière criminelle, une expertise médicale destinée Ã
vérifier que les conditions de la suspension de peine sont toujours remplies doit intervenir tous les six
mois ».
92
pour tous les détenus, à défaut de mauvaise conduite de leur part. Désormais228, les détenus
récidivistes ne pourront bénéficier de crédits de réduction de peine qu’à hauteur de deux mois
par année, un seul pour la seconde, et de cinq jours par mois pour les peines ou reliquats
inférieurs à un an, contre trois mois puis deux mois par an ou sept jours par mois pour les
primo délinquants. Le second procédé repose quant à lui sur les efforts de réinsertion de
l’intéressé229. La loi de mars 2004 l’avait également modifié en pénalisant sévèrement les
récidivistes, ces derniers ne pouvant bénéficier que de la moitié des réductions possibles. Le
législateur de 2005 vise donc à pénaliser encore plus les récidivistes en réduisant
considérablement les réductions de peine du premier système.
Cette modification a été très discutée lors des débats parlementaires. Le Sénat notamment,
avait dans un premier temps décider de supprimer cette proposition et ce pour deux raisons.
228 Article 721 alinéa 1er 3° du code de procédure pénale dispose que « Lorsque le condamné est en état de
récidive légale, le crédit de réduction de peine est calculé à hauteur de deux mois la première année, d’un
mois pour les années suivantes et, pour une peine inférieure à une année pleine, de cinq jours par mois ;
pour les peines supérieures à un an, le total de la réduction de peine correspondant aux cinq jours par mois
ne peut toutefois excéder un mois. Il n’est cependant pas tenu compte des dispositions du présent alinéa
pour déterminer la date à partir de laquelle une libération conditionnelle peut être accordée au condamné,
cette date étant fixée par référence à un crédit de réduction de peine qui serait calculé, conformément aux
dispositions du premier alinéa ».
229 Une réduction supplémentaire de la peine peut être accordée aux condamnés qui manifestent des efforts
sérieux de réadaptation sociale, notamment en passant avec succès un examen scolaire, universitaire ou
professionnel traduisant l’acquisition de connaissances nouvelles, en justifiant de progrès réels dans le cadre
d’un enseignement ou d’une formation, en suivant une thérapie destinée à limiter les risques de récidive ou
en s’efforçant d’indemniser leurs victimes. Sauf décision du juge de l’application des peines, prise après avis
de la commission de l’application des peines, les personnes condamnées pour une infraction pour laquelle le
suivi socio-judiciaire est encouru et qui refusent de suivre le traitement qui leur est proposé pendant leur
incarcération, ne sont pas considérées comme manifestant des efforts sérieux de réadaptation sociale.
Cette réduction, accordée par le juge de l’application des peines après avis de la commission de
l’application des peines, ne peut excéder, si le condamné est en état de récidive légale, deux mois par année
d’incarcération ou quatre jours par mois lorsque la durée d’incarcération restant à subir est inférieure à une
année. Si le condamné n’est pas en état de récidive légale, ces limites sont respectivement portées à trois
mois et à sept jours.
Elle est prononcée en une seule fois si l’incarcération est inférieure à une année et par fraction annuelle
dans le cas contraire.
Sauf décision du juge de l’application des peines, prise après avis de la commission de l’application des
peines, les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux personnes condamnées pour l’une des
infractions mentionnées à l’article 706-47 si, lorsque leur condamnation est devenue définitive, le casier
judiciaire faisait mention d’une telle condamnation.
93
La première est que la durée de la détention apparaît aux yeux des sénateurs déjà assez longue
lorsqu’il s’agit de récidivistes. De plus, les empêcher de bénéficier des mêmes réductions de
peine que les primo délinquants est contraire à l’esprit de cette mesure qui est de mieux gérer
la population carcérale. Malgré ces remarques, l’Assemblée nationale a quant à elle adopter la
mesure en l’amendant quelque peu.
B - Les conséquences de la loi sur la libération conditionnelle
La libération conditionnelle est, comme nous l’avons répété à plusieurs reprises la mesure
phare de la lutte contre la récidive. Or, la loi du 12 décembre 2005 a modifié le régime de
cette mesure, contribuant à réduire encore son prononcé, en diminution constante, et ce,
malgré ses atouts.
En effet, la commission des lois de l’Assemblée nationale a décidé, en adoptant un
amendement du gouvernement, d’allonger le temps d’épreuve de la libération conditionnelle
des récidivistes. Ainsi, la loi 230le fait passer à vingt ans lorsqu’il s’agit d’une peine à temps,
alors qu’il était des deux tiers auparavant. S’agissant de la réclusion criminelle à perpétuité,
les réclusionnaires ne pourront demander la libération conditionnelle qu’après une période de
dix huit ans minimum et de vingt deux ans en cas de récidive, contre quinze ans avant cette
loi. De tels seuils sont dangereux car ils risquent de rendre plus difficiles qu’auparavant « la
détection du bon moment pour la libération, qui peut survenir à des moments très variables
d’un individu à un autre 231 ».
En dehors de cet allongement du temps d’épreuve de la libération conditionnelle, le
gouvernement a également voulu supprimer l’une des mesures de la loi du 15 juin 2000 et
insérée à l’article 729-3 du code de procédure pénale. Cette disposition permettait, en effet, Ã
la personne condamnée à une peine inférieure ou égale à quatre ans de bénéficier d’une
libération conditionnelle, sans exigence de temps d’épreuve, si elle exerçait l’autorité
parentale ou qu’elle résidait avec son enfant âgé de moins de dix ans. Cette mesure a été
purement et simplement supprimée pour les récidivistes.
Cet abandon peut surprendre puisque cette faculté ne concernait que les condamnés à de
courtes peines (quatre ans d’incarcération maximum), et donc par définition des personnes qui
vraisemblablement ne sont pas des récidivistes.
230 Article 729 du code de procédure pénale.
231 LAFLAQUIERE (P.), Un pari sur l’humain, AJP, octobre 2005, p.359.
94
De plus, le législateur a ajouté certaines modalités à la libération conditionnelle. En effet, il a
permis au juge de pouvoir prononcer des obligations du suivi socio-judiciaire comme par
exemple l’injonction de soins ou encore le placement sous surveillance électronique mobile, si
l’intéressé a été condamné pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est
encouru.
Pour Monsieur Portelli232, cette réforme « va tout droit dans le mauvais sens ». Elle « démontre
avec force une totale incompréhension de la question puisque [...] la libération conditionnelle
est la meilleure réponse à la récidive. Tout ce qui tend à la restreindre est mauvais. »
De manière générale, la mise en oeuvre de mesures d’individualisation des peines privatives
de liberté dès la sortie de prison, participe de la prévention de la récidive, en ce qu’elle évite
les « sorties sèches ». Certains aménagements tels que la semi-liberté, le placement Ã
l’extérieur ou sous surveillance électronique et la libération conditionnelle, ne sont accordés
qu’aux condamnés qui manifestent des efforts sérieux de réinsertion sociale : ils doivent
justifier, par exemple, d’un emploi ou d’une recherche active d’emploi, d’une indemnisation
des victimes, et/ou d’un suivi médical, ou encore d’une participation essentielle à la vie de
famille.
Ces aménagements permettent d’imposer aux condamnés le respect de mesures de contrôle et
d’obligations particulières. La réussite de la mesure dépend ainsi des efforts de l’intéressé, du
respect des différentes obligations imposées. La dangerosité de l’individu peut ainsi être prise
en compte à tout moment par l’imposition, par exemple d’une d’interdiction d’entrer en
relation avec les victimes, d’une interdiction de paraître dans certains lieux, de détenir ou
porter une arme, ou d’une obligation de soins.
Cependant, comme nous l’avons fait remarqué à plusieurs reprises, la réussite de
l’individualisation des peines dans la lutte contre la récidive dépend des moyens mis à la
disposition des magistrats et des autres intervenants sociaux.
Section 2 - Le suivi postérieur à l’exécution de la
peine
Punir, prononcer une sanction à l’encontre d’un individu a pour objectif l’amendement de ce
dernier mais également, dans une autre mesure, sa réinsertion, surtout s’il a été condamné Ã
232 PORTELLI (S.), La récidive mobiliser l’intelligence, non la peur, p. 63. Texte disponible à l’adresse suivante :
http://comm.justice.lesverts.fr/articlephp3?id_article=126
95
l’incarcération. Cependant, au regard de l’actualité récente, les Français et les politiques
croient de moins en moins aux bienfaits de la détention. La prison devient un lieu criminogène
où beaucoup apprennent les rudiments de la délinquance au contact des « grands » de la
discipline. Pour pallier à ces lacunes, la loi du 12 décembre 2005 sur le traitement de la
récidive, entend instituer un certain nombre de mesures de traitement en milieu libre. Le
condamné ne doit pas être lâché « dans la nature » sans aucun suivi. Il nécessite des mesures
de contrôle et d’assistance. Ce système se veut répressif et préventif à la fois, pour ne pas
effrayer les citoyens. En effet, pour ces derniers, aménager une peine, permettre son exécution
en liberté est considéré comme une mesure de faveur synonyme d’indulgence excessive et
d’impunité.
Cette section sera consacrée à la principale innovation de la loi, c’est-à -dire l’institution du
placement sous surveillance électronique mobile des détenus, qui peut être appliqué en tant
que composante du suivi socio-judiciaire ou comme élément constitutif d’une nouvelle
mesure de sûreté : « la surveillance judiciaire des personnes dangereuses ».
Nous évoquerons tout d’abord un certain nombre de généralités sur le placement sous
surveillance électronique mobile (I), puis nous étudierons ensuite le contexte d’application de
la mesure (II).
I - Généralités sur le placement sous surveillance
électronique mobile
Le législateur de 2005 avait en tête d’instaurer la possibilité d’une surveillance des
délinquants dangereux après leur sortie de prison. Le placement sous surveillance électronique
mobile est la réponse donnée à ce projet. Cependant, un certain nombre de problèmes d’ordre
constitutionnel, plus que pratiques se sont posés (A). Comme nous allons le voir dans le
développement, le placement sous surveillance électronique mobile peut être prononcé dans le
cadre d’un suivi socio-judiciaire ou d’une surveillance judiciaire. Qu’il s’agisse de l’une ou
l’autre de ces mesures, la mise en oeuvre du placement est la même (B).
A - Les difficultés d’adoption
La loi du 19 décembre 1997 avait consacré le placement sous surveillance électronique
comme modalité d’exécution des peines privatives de liberté. A cette fin, il est censé faciliter
l’aménagement de peine, et le développement des alternatives à l’incarcération visant à la
réinsertion de la personne placée sous main de justice et par là même à la réduction du risque
96
de récidive. Lancée en octobre 2000, l’expérimentation du placement sous surveillance
électronique s’est progressivement répandue sur tout le territoire. Dominique Perben, alors
ministre de la Justice, avait souligné le bien-fondé du bracelet relevant un coût presque trois
fois moins élevé que celui de la prison. Si l’objectif était que trois mille condamnés portent le
bracelet d’ici 2005, la réalité est toute autre. En effet, selon l’Observatoire international des
prisons, au 1er février 2004, la population carcérale était de 60905, soit une hausse de 7,3% par
à février 2003. Le taux d’occupation des établissements pénitentiaires était de 124,5%. Et sur
ces 60905 détenus, seuls 369 portés un bracelet, 698 en juin 2004. Monsieur Portelli parle
d’échec de cette mesure233. « Elle n’a absolument rien changé au problème pénitentiaire et n’a
strictement aucun effet sur la population carcérale ». Il lui reproche de n’être « qu’un mode de
répression supplémentaire, mordant encore un peu plus sur le champ de la liberté ».
Comment expliquer alors, dans un tel contexte, que le gouvernement ait voulu développer le
système en créant le placement sous surveillance électronique mobile ?
Les différentes missions qui furent chargées d’étudier le problème de la récidive proposèrent
de placer sous surveillance électronique, à titre de mesure de sûreté, les délinquants sexuels
les plus dangereux. Cette proposition fût largement corroborée par les évènements d’actualité
qui ont choqué les Français. En avril 2005, le rapport Fenech234 fût rendu. Dans cette étude, le
député Georges Fenech confirme largement le contexte d’adoption du bracelet mobile : il faut
renforcer la sécurité. Le projet « s’inscrit dans un mouvement général de notre société qui
réclame toujours plus de sécurité par le renforcement de la surveillance ».
Votée une première fois par l’Assemblée nationale en décembre 2004, une proposition de loi
de l’UMP avait été allégée par le Sénat, notamment concernant le recours au bracelet
électronique. Le texte a alors été largement remanié pour être réexaminé par l’Assemblée
nationale les 12 et 13 octobre 2005. L’adoption de la loi a soulevé un problème de taille : son
inconstitutionnalité. En effet, la démarche du ministre de la Justice a été largement critiquée,
dans la mesure où bien qu’ayant conscience du risque de violation de cette règle fondamentale
de notre droit qu’est le principe de non rétroactivité, Pascal Clément demanda aux
parlementaires de voter la loi et de faire en sorte qu’elle ne puisse être déférée devant le juge
constitutionnel.
Les divergences entre les deux chambres ont finalement été surmontées en commission mixte
paritaire le 9 novembre 2005. Mais le 29 novembre, une saisine sénatoriale du Conseil
233 PORTELLI (S.), Op. cit., p.228.
234 Texte disponible à l’adresse suivante :
http://lesrapports.ladocumentationfrançaise/BRP/053000267/0000.pdf
97
constitutionnel fût enregistrée pour contester l’application du placement sous surveillance
électronique mobile aux personnes actuellement incarcérées ou susceptibles de l’être en
exécution d’une condamnation prononcée pour des faits commis antérieurement à l’entrée en
vigueur de la loi. Les sénateurs avaient constaté que le placement sous surveillance
électronique mobile ordonné dans le cadre de la surveillance judiciaire était une peine, et que,
de ce fait, le principe de non rétroactivité de la loi pénale s’appliquait. Dans le cadre d’un
placement sous surveillance électronique mobile ordonné comme composante d’un suivi
socio-judiciaire, la rétroactivité du placement est interdite car le suivi socio-judiciaire est une
peine complémentaire, et non une mesure de sûreté.
Le Conseil constitutionnel235 a cependant rejeté cette argumentation, et ce, pour plusieurs
raisons. Tout d’abord, ce placement n’est qu’une mesure d’exécution de la peine et non une
peine car sa mise en oeuvre ne peut se poursuivre au-delà de la durée de la peine initialement
prononcée. Le placement sous surveillance électronique mobile infligé dans ces circonstances,
n’a pas de caractère punitif ni disciplinaire. Il n’est pas décidé par un juge de jugement mais
par un juge de l’application des peines. Le Conseil constitutionnel retient que cette mesure en
relation avec la dangerosité du délinquant, et non avec sa culpabilité, poursuit un but préventif
et non punitif. Le principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère ne s’applique donc
pas. Par contre, les principes de nécessité et de proportionnalité de la peine s’imposent. Tel est
le cas en l’espèce. Le juge constitutionnel constate que le but du placement sous surveillance
électronique traduit un souci de protection imminente des personnes. De plus, la portée de
cette mesure est limitée à des situations très graves, puisqu’elle ne concerne que des individus
condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement chez qui un ancrage dans la délinquance ne
peut être écarté. Au vu de l’objectif poursuivi et des conditions restrictives pour prononcer le
placement sous surveillance électronique mobile, la coercition qui existe, à savoir la
contrainte physique procurée par le port du bracelet n’est pas excessive et les garanties
procédurales permettraient d’éviter d’éventuels abus. Le Conseil constitutionnel a retenu le
même raisonnement s’agissant de l’application immédiate du placement sous surveillance
électronique mobile à la libération conditionnelle.
Les difficultés d’adoption de la loi, et plus particulièrement les dispositions relatives au
placement sous surveillance électronique mobile furent donc effacées par le Conseil
constitutionnel, qui rejeta l’idée d’une éventuelle inconstitutionnalité de la mesure.
235 Cons.Const., 8 décembre 2000, Gaz Pal du 18 au 20 décembre 2005.
98
B - La mise en oeuvre du placement sous surveillance
électronique mobile
La placement sous surveillance électronique mobile, mieux connu sous le nom de « bracelet »
est une mesure juridictionnelle qui permet de surveiller à distance les allées et venues d’un
individu.
Le placement sous surveillance électronique mobile permet de localiser une personne soumise
à cette mesure à chaque instant et en tous lieux. Ainsi, l’administration pénitentiaire est en
mesure de notifier sans difficulté toutes les violations des obligations imposées et les services
de police et de gendarmerie peuvent intervenir rapidement. Contrairement au placement sous
surveillance électronique classique, qui ne peut que faire état de la présence ou de l’absence
du condamné dans certains lieux déterminés sans préciser où il se trouve, la surveillance
devient mobile grâce au système de détection par satellite. La personne n’est pas surveillée
continuellement par un policier. Tous ses déplacements sont enregistrés automatiquement par
des ordinateurs grâce au bracelet qu’il porte. Cette mesure est censée avoir un effet dissuasif.
L’aspect purement technique du bracelet peut être confié à des concessionnaires privés, en
application de l’article 763-14 du code de procédure pénale236.
Tout comme le bracelet statique, le bracelet mobile est installé au plus tard une semaine avant
la remise en liberté, et sera porté continuellement jusqu’au terme de la mesure237.
S’agissant de la nature du placement, la réponse est délicate. En effet, alors que le placement
sous surveillance électronique classique est une modalité d’exécution des peines privatives de
liberté238, le placement sous surveillance électronique mobile, qui est en lui-même une
nouvelle peine insérée dans le chapitre du code pénal consacré à la nature des peines, il peut
236 « Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions d’application du présent titre. Ce décret précise
notamment les conditions dans lesquelles l’évaluation prévue par l’article 763-10 est mise en ouvre. Il
précise également les conditions d’habilitation des personnes de droit privé auxquelles peuvent être
confiées les prestations techniques détachables des fonctions de souveraineté concernant la mise en oeuvre
du placement sous surveillance électronique mobile et relatives notamment à la conception et à la
maintenance du dispositif prévu à l’article 763-12 et du traitement automatisé prévu à l’article 763-13. »
237 Article 763-12 du code de procédure pénale : « Le condamné placé sous surveillance électronique mobile
est astreint au port, pendant toute la durée du placement, d’un dispositif intégrant un émetteur permettant Ã
tout moment de déterminer à distance sa localisation sur l’ensemble du territoire national.
Ce dispositif est installé sur le condamné au plus tard une semaine avant sa libération.
Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre de la justice. Sa mise en oeuvre doit garantir
le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne et favoriser sa réinsertion sociale ».
238 Article 723-7 à 723-14 du code de procédure pénale
99
être imposé sous deux qualifications. Il peut s’agir d’une composante du suivi socio-judiciaire
ou encore d’un élément constitutif de la surveillance judiciaire des personnes dangereuses. La
qualification retenue fût choisie comme un juste milieu entre les deux contextes, c’est-à -dire la
mesure de sûreté. Il s’agit d’ « une sanction à caractère préventif et dépourvue de but
rétributif et de caractère afflictif et infamant, fondée sur la constatation d’un état
dangereux239 ».
Si le placement sous surveillance électronique mobile est une composante du suivi sociojudiciaire,
la durée du placement, fixée par le juge de l’application des peines, ne peut excéder
deux ans, renouvelable une fois si le condamné a commis un délit et deux fois en cas de
crime. Quoi qu’il en soit, la durée sera inférieure à celle du suivi socio-judiciaire, qui est de
dix ou de vingt ans selon l’infraction240.
S’il s’agit d’un élément de la surveillance judiciaire des personnes dangereuses, ce délai de
deux ans renouvelable s’applique également. Cependant, il ne peut dépassé la durée totale de
la mise sous surveillance judiciaire, qui est limitée par la durée des réductions de peine ou de
la libération conditionnelle sur laquelle elle est imputée.
239 Lexique des termes juridiques, Dalloz, 12ème ed., p.342.
240 Article 131-36-1 du code pénal : « Dans les cas prévus par la loi, la juridiction de jugement peut
ordonner un suivi socio-judiciaire.
Le suivi socio-judiciaire emporte, pour le condamné, l’obligation de se soumettre, sous le contrôle du
juge de l’application des peines et pendant une durée déterminée par la juridiction de jugement, à des
mesures de surveillance et d’assistance destinées à prévenir la récidive. La durée du suivi socio-judiciaire
ne peut excéder dix ans en cas de condamnation pour délit ou vingt ans en cas de condamnation pour
crime. Toutefois, en matière correctionnelle, cette durée peut être portée à vingt ans par décision
spécialement motivée de la juridiction de jugement ; lorsqu’il s’agit d’un crime puni de trente ans de
réclusion criminelle, cette durée est de trente ans ; lorsqu’il s’agit d’un crime puni de la réclusion
criminelle à perpétuité, la cour d’assises peut décider que le suivi socio-judiciaire s’appliquera sans
limitation de durée, sous réserve de la possibilité pour le tribunal de l’application des peines de mettre fin Ã
la mesure à l’issue d’un délai de trente ans, selon les modalités prévues par l’article 712-7 du code de
procédure pénale.
La décision de condamnation fixe également la durée maximum de l’emprisonnement encouru par le
condamné en cas d’inobservation des obligations qui lui sont imposées. Cet emprisonnement ne peut
excéder trois ans en cas de condamnation pour délit et sept ans en cas de condamnation pour crime. Les
conditions dans lesquelles le juge de l’application des peines peut ordonner, en tout ou partie, l’exécution
de l’emprisonnement sont fixées par le code de procédure pénale.
Le président de la juridiction, après le prononcé de la décision, avertit le condamné des obligations qui
en résultent et des conséquences qu’entraînerait leur inobservation. »
100
Le port du bracelet se doit de garantir le respect de la dignité et de l’intégrité humaine, mais
également de la vie privée. S’agissant de l’intégrité, la science ne permet pas encore d’évaluer
la nocivité de l’émetteur sur le corps de son porteur. Quant à garantir la dignité et le respect de
la vie privée, ce procédé y porte fortement atteinte puisque les moindres faits et gestes de la
personne sont enregistrés et ce, même dans la plus profonde intimité. De plus, le port du
bracelet peut devenir au quotidien un poids considérable eu égard au regard des individus que
l’intéressé aura l’occasion de côtoyer, ou simplement des passants. Le regard moqueur, et
curieux des êtres humains pourrait apparaître comme une peine supplémentaire, peine morale
seulement, il est vrai, mais peine quand même. Cependant, il s’agit d’une décision de justice
qui concerne un individu dangereux qui n’en n’est pas à sa première infraction. Une telle
restriction à la liberté semble donc justifiée.
Il a en outre un impact sur la vie de famille et de ce fait présente le caractère d’une peine. En
effet, bien qu’ayant un aspect préventif, il ne peut être conçu comme une simple mesure de
sûreté et doit être clairement rattaché à la notion de peine241. Un certain nombre de questions
ont été soulevées à ce sujet. Comment est-il possible de parler de mesure de sûreté lorsque la
mesure en question s’applique après l’exécution de la peine ? Certains magistrats et avocats
considèrent que ce serait contraire à la tradition française. D’autres ont été jusqu’à invoquer
une disproportion entre la restriction de liberté d’aller et venir, la liberté d’avoir une vie privée
et le respect de la dignité humaine d’un côté, et la protection de la société d’autre part.
Monsieur Pallez, secrétaire général de la Commission Nationale de l’Informatique et des
Libertés, considère « qu’il peut paraître disproportionné de surveiller de façon continue des
individus dans un but de prévention de la récidive alors que l’efficacité d’une telle mesure
n’est pas suffisamment démontrée242 ». Cette mesure qui peut être imposée à des individus
ayant déjà purgé leur peine procède selon lui « d’un déterminisme contraire à la capacité des
individus à s’amender ». Les représentants de la Commission Nationale de l’Informatique et
des Libertés rappellent notamment, à juste titre il est vrai, que " le droit à l’oubli " prévu par la
loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 est incompatible avec une surveillance
électronique qui durerait trente ans. Cependant, d’un autre côté, qui est celui des victimes
elles mêmes, cette mesure apparaît comme une certaine garantie de sécurité à leur égard. C’est
pourquoi, Nicole Guedj, secrétaire d’Etat aux droits des victimes, n’hésite à défendre le
placement sous surveillance électronique mobile qui représente selon elle « une atteinte
limitée à la liberté individuelle puisqu’il ne fait pas totalement obstacle à la liberté d’aller et
241 Rapport de Monsieur Fenech : Le placement sous surveillance électronique mobile, avril 2005, p.54.
242 Ibid.
101
venir et qu’il n’empêche pas la poursuite d’une vie normale243 ». Si un individu, en raison de
son passé pénal ou encore de son profil psychologique semble représenter un danger pour la
société, cette mesure ne contrevient pas au principe de nécessité et de proportionnalité de
l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.
Finalement, la loi du 12 décembre 2005 a adopté cette mesure restrictive de liberté
supplémentaire non prévue par le jugement de condamnation, mesure que certains qualifient
de double peine. Le placement sous surveillance électronique mobile apparaît comme une
mesure acceptable dans l’ordre juridique français.
La loi ne prévoit pas d’obligations propres au placement sous surveillance électronique
mobile. Il est fait implicitement référence aux obligations et mesures de contrôle rattachées au
suivi socio-judiciaire et à la surveillance judiciaire. En effet, les articles 763-11 et 723-34 du
code de procédure pénale se réfèrent de manière très allusive aux obligations résultant dudit
placement, mais l’article 763-11 énoncé cependant que le juge de l’application des peines peut
modifier, supprimer ou compléter à tout moment les obligations du placement et ce, d’office,
sur réquisition du Parquet ou encore à la demande du condamné ou de son avocat.
En cas de non respect des obligations imposées, le condamné serait obligé de terminer de
purger sa peine d’emprisonnement.
II - Contextes d’application du placement sous
surveillance électronique mobile
Le placement sous surveillance électronique mobile peut s’appliquer dans deux hypothèses :
en cas suivi socui-judiciaire (A), ou dans la cadre d’une mesure de surveillance d’une
personne dangereuse (B).
A - Dans la cadre du suivi socio-judiciaire
Nous verrons successivement les caractéristiques du placement sous surveillance électronique
en tant que composante du suivi socio-judiciaire (1), puis les modifications mineures
apportées à la mesure de suivi par la loi du 12 décembre 2005 (2).
243 Ibid.
102
1 - Le placement sous surveillance électronique : une composante du
suivi socio-judiciaire
Sous cette forme, la loi du 12 décembre 2005 voit dans le placement sous surveillance
électronique mobile une peine qui n’est pas autonome244, mais qui dépend du suivi sociojudiciaire
puisqu’il ne peut être prononcé que si la condamnation principale est supérieure Ã
sept ans245, et n’est pas assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve, sauf si ce dernier est partiel.
Si la décision de placement est prise par le juge de jugement, celle-ci doit être expresse et être
fondée sur une expertise médicale qui fait état de la dangerosité du délinquant246. Le
législateur exige une motivation spéciale du juge au regard d’une seule considération : la
prévention de la récidive. Le placement doit apparaître comme indispensable dans ce
processus préventif. La mesure ne peut être prononcée sans le consentement éclairé de
l’intéressé prononcé en présence de son avocat. Si celui ci refuse, il retourne en prison purger
sa peine. Le cas échéant, le placement dure trois ans si le condamné est coupable d’un délit ou
sept ans s’il s’agit d’un crime.
Le prononcé de la mesure par le juge de jugement ne suffit pas. Il doit être corroboré par la
décision du juge de l’application des peines. Celui-ci peut également intervenir lorsqu’un
suivi socio-judiciaire a été prononcé mais sans qu’il soit assorti d’un placement sous
surveillance électronique. Il peut ainsi modifier les épreuves auxquelles la personne est
condamnée247. Dans cette situation, la décision prend la forme d’une ordonnance de
244 Article 131-36-9 du code pénal : « Le suivi socio-judiciaire peut également comprendre, à titre de mesure
de sûreté, le placement sous surveillance électronique mobile, conformément aux dispositions de la
présente section ».
245 Article 131-36-10 du code pénal : « Le placement sous surveillance électronique mobile ne peut être
ordonné qu’à l’encontre d’une personne majeure condamnée à une peine privative de liberté d’une durée
égale ou supérieure à sept ans et dont une expertise médicale a constaté la dangerosité, lorsque cette
mesure apparaît indispensable pour prévenir la récidive à compter du jour où la privation de liberté prend
fin ».
246 Ibid.
247 Article 763-3 alinéa 4 du code de procédure pénale : « Le juge de l’application des peines peut également,
après avoir procédé à l’examen prévu par l’article 763-10, ordonner le placement sous surveillance
électronique mobile du condamné. Le juge de l’application des peines avertit le condamné que le
placement sous surveillance électronique mobile ne pourra être mis en oeuvre sans son consentement mais
que, à défaut ou s’il manque à ses obligations, l’emprisonnement prononcé en application du troisième
alinéa de l’article 131-36-1 du code pénal pourra être mis à exécution. Les dispositions du deuxième
alinéa du présent article sont applicables ».
248 Article 712-6 alinéa 3 du code de procédure pénale
103
Dans les deux cas, le juge de l’application des peines se doit d’établir de façon claire et
précise la dangerosité de la personne et se persuader du « risque de commission d’une
nouvelle infraction ». A cette fin, la loi lui impose de procéder à des enquêtes, auditions,
examens, et expertises249, et ce, au moins un an avant la sortie de prison. La décision finale est
prise à l’issue d’un débat contradictoire, après avis de la « commission pluridisciplinaire des
mesures de sûreté », formation spéciale créée par la loi de 2005. De plus, dans les deux
hypothèses, le prononcé du placement n’est possible que pour les infractions commises après
l’entrée en vigueur de la loi.
2 - Autres modifications apportées au suivi socio-judiciaire
Le suivi socio-judiciaire, institué par une loi du 17 juin 1998, avait pour objectif de permettre
la surveillance et la réinsertion des condamnés ayant commis des infractions à caractère
sexuel. La loi du 12 décembre 2005 est intervenue pour en modifier quelque peu le champ
d’application et le contenu.
C’est ainsi qu’elle a considérablement allongé la liste des infractions qui font encourir un
suivi socio-judiciaire. Il concerne désormais toutes les atteintes criminelles à la vie de l’article
221-9-1 du code pénal, les enlèvements et séquestrations des articles 224-1 et 225-2 du code
pénal, les actes de torture et de barbarie250 et la destruction volontaire de biens par explosif ou
incendie251.
L’article 717-1 du code de procédure pénale recommande d’affecter ces différents
délinquants, qu’ils soient des criminels violents, meurtriers ou assassins, tortionnaires,
ravisseurs ou terroristes poseurs de bombes, dans des établissements pénitentiaires spécialisés
qui assureront un suivi médical et psychologique adapté.
Comme nous l’avons vu, son contenu a également été élargi puisque le placement sous
surveillance électronique peut être prononcé comme composante d’un suivi socio-judiciaire.
249 Article 763-10 du code de procédure pénale : « Un an au moins avant la date prévue de sa libération, la
personne condamnée au placement sous surveillance électronique mobile en application des articles 131-
36-9 à 131-36-12 du code pénal fait l’objet d’un examen destiné à évaluer sa dangerosité et à mesurer le
risque de commission s’une nouvelle infraction ».
250 Article 222-48-1 du code pénal : « Les personnes physiques coupables de tortures ou d’actes de barbarie
ou des infractions définies aux articles 222-23 à 222-32 peuvent également être condamnées à un suivi
socio-judiciaire selon les modalités prévues par les articles 131-36-1 à 131-36-13 ».
251 Article 322-18 du code pénal : « Les personnes physiques coupables des infractions définies aux
articles 322-6 à 322-11 peuvent également être condamnées à un suivi socio-judiciaire selon les modalités
prévues par les articles 131-36-1 à 131-36-13 ».
104
Cette mesure n’est pas la seule puisque la loi donne la possibilité au médecin traitant de
prescrire des « médicaments qui entraînent une diminution de la libido 252 ». Le consentement
écrit du patient est nécessaire et doit être renouvelé au moins une fois par an. Cependant, la
nocivité de ce traitement, notamment sur les cancers de la prostate a été prouvée. La mise sur
le marché du produit est exclusivement réservée au traitement des délinquants sexuels dans le
cadre d’un suivi socio-judiciaire.
Les parlementaires se sont accordés à dénoncer le nombre insuffisant de psychiatres dans le
secteur public. C’est pourquoi, ils ont décidé que le recours à des psychologues en plus ou en
remplacement du médecin traitant était possible. La décision appartient au condamné luimême
qui choisira le praticien.
En application du nouvel article 731-1 du code de procédure pénale253, qui concerne les
« personnes condamnées pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est
encouru », mais contre lesquelles il n’a pas été prononcé car l’infraction a été commise avant
l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 1998, et que la condamnation est en cours d’exécution
après l’entrée en vigueur de la loi de 2005, le juge peut prononcer une libération
conditionnelle soumise à l’observation des obligations du suivi socio-judiciaire. Le non
respect des obligations entraîne seulement révocation de la libération conditionnelle.
252 Article L3711-3 du code de la santé publique : « Le médecin traitant est habilité, sans que puissent lui être
opposées les dispositions de l’article 226-13 du code pénal, à informer le juge de l’application des peines
ou l’agent de probation de l’interruption du traitement. Lorsque le médecin traitant informe le juge ou
l’agent de probation, il en avise immédiatement le médecin coordonnateur.
Le médecin traitant peut également informer de toutes difficultés survenues dans l’exécution du
traitement le médecin coordonnateur qui est habilité, dans les mêmes conditions qu’à l’alinéa précédent, Ã
prévenir le juge de l’application des peines ou l’agent de probation.
Le médecin traitant peut également proposer au juge de l’application des peines d’ordonner une
expertise médicale.
Lorsqu’il a été agréé à cette fin, le médecin traitant est habilité à prescrire au condamné, avec le
consentement écrit et renouvelé, au moins une fois par an, de ce dernier, un traitement utilisant des
médicaments dont la liste est fixée par arrêté du ministre de la santé et qui entraînent une diminution de la
libido, même si l’autorisation de mise sur le marché les concernant n’a pas été délivrée pour cette
indication ».
253 « La personne faisant l’objet d’une libération conditionnelle peut être soumise aux obligations qui sont
celles du suivi socio-judiciaire, y compris l’injonction de soins, si elle a été condamnée pour un crime ou
délit pour lequel cette mesure était encourue.
Cette personne peut alors être également placée sous surveillance électronique mobile dans les conditions et
selon les modalités prévues par les articles 763-1à à 763-14. »
105
Enfin, s’agissant de l’obligation de soins, la loi prévoit que la thérapie pourra commencer
dans l’enceinte pénitentiaire254. La disposition est étendue par la loi de 2005 à toutes les
personnes coupables d’infractions qui font encourir cette peine complémentaire, même si elles
n’ont pas été condamnées255.
B - Dans le cadre d’une surveillance judiciaire
A côté du placement sous surveillance électronique, le législateur de 2005 a crée une autre
mesure : la surveillance judiciaire des personnes dangereuses. L’article 723-29 du code de
procédure pénale qualifie expressément la mise sous surveillance de « mesure de sûreté, pour
une raison simple : s’il s’agissait d’une peine, elle ne pourrait pas rétroagir.
La qualification de mesure de sûreté n’a posé aucun problème pour le Conseil constitutionnel
pour qui, la durée de la mesure reposant sur les réductions de peine rattachées à la peine, ne
constitue pas une peine privative de liberté supplémentaire. Comme elle n’est pas prononcée
254 Article 763-7 du code de procédure pénale : « Lorsqu’une personne condamnée à un suivi socio-judiciaire
comprenant une injonction de soins doit subir une peine privative de liberté, elle exécute cette peine dans
un établissement pénitentiaire prévu par le second alinéa de l’article 717-1 et permettant de lui assurer un
suivi médical et psychologique adapté.
Elle est immédiatement informée par le juge de l’application des peines de la possibilité d’entreprendre
un traitement. Si elle ne consent pas à suivre un traitement, cette information est renouvelée au moins une
fois tous les six mois.
En cas de suspension ou de fractionnement de la peine, de placement à l’extérieur sans surveillance ou
de mesure de semi-liberté, les obligations résultant du suivi socio-judiciaire sont applicables ».
255 Article 717-1 alinéa 3 et 4 du code de procédure pénale : « La répartition des condamnés dans les prisons
établies pour peines s’effectue compte tenu de leur catégorie pénale, de leur âge, de leur état de santé et de
leur personnalité.
Dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat, les personnes condamnées pour une infraction
pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru exécutent leur peine dans des établissements
pénitentiaires permettant d’assurer un suivi médical et psychologique adapté.
Sans préjudice des dispositions de l’article 763-7, le juge de l’application des peines peut proposer Ã
tout condamné relevant des dispositions de l’alinéa précédent de suivre un traitement pendant la durée de
sa détention, si un médecin estime que cette personne est susceptible de faire l’objet d’un tel traitement.
Les dispositions des articles L. 3711-1, L. 3711-2 et L. 3711-3 du code de la santé publique sont
applicables au médecin traitant du condamné détenu, qui délivre à ce dernier des attestations de suivi du
traitement afin de lui permettre d’en justifier auprès du juge de l’application des peines pour l’obtention des
réductions de peine prévues par l’article 721-1 ».
106
au titre de sanction par le juge de l’application des peines mais dans l’unique but de prévenir
la récidive, il s’agit bel et bien d’une mesure de sûreté256
Elle peut être prononcée par le juge de l’application des peines à l’encontre des personnes
condamnées à une peine privative de liberté d’une durée supérieure ou égale à dix ans pour un
crime ou un délit pour lequel le suivi judiciaire est encouru. Elle s’applique immédiatement
aux individus dont le risque de récidive est constaté, après l’entrée en vigueur de la loi de
2005.
Madame Herzog-Evans reproche au Conseil constitutionnel de ne pas avoir tenu compte du
fait que bien qu’il ne s’agit pas d’une peine, la surveillance judiciaire constitue malgré tout
« une obligation imposée dans le cadre d’un aménagement de peine, ce qui aurait dû, en bonne
logique, conduire à observer la règle de l’application immédiate exclusive des mesures plus
sévères 257 ».
Pour éviter d’éventuelles critiques, le législateur lui-même a prévu un palliatif à cette
rétroactivité. En effet, l’article 42 de la loi prévoit que « s’il s’agit de personnes condamnées
pour des faits commis avant cette date, les compétences confiées au juge de l’application des
peines par les articles 723-29 et 723-31 sont exercées par le tribunal de l’application des
peines ». De plus, s’agissant des personnes dont la condamnation a été mise à exécution avant
le 1er juin 2005, il sera tenu compte des réductions de peine dont le condamné a bénéficié
conformément à la version antérieure à la loi du 9 mars 2004 de l’article 721 du code de
procédure pénale258. De même, pour les personnes condamnées avant l’entrée en vigueur du
nouveau code pénal, « il est tenu compte de la nature des faits pour lesquels elles ont été
condamnées sous l’empire des dispositions du code pénal applicables avant cette date, au
regard des qualifications prévues par les dispositions du code pénal applicable à compter de
cette date ».
Si cette mesure ne peut être prononcée que pour prévenir la récidive, la loi exige que ce risque
soit avéré259 et vérifié par une expertise médicale conduite selon l’article 712-16 du code de
256 Cons. Const., 8 décembre 2005, Gaz. Pal., du 18 au 20 décembre 2005, p.9.
257 HERZOG-EVANS (M.), Les dispositions relatives à la récidive dans la loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005,
D.2006, n°3, p.187.
258 Ancien article 721 du code de procédure pénale : « Une réduction de peine peut être accordée aux
condamnés détenus en exécution d’une ou plusieurs peines privatives de liberté, s’ils ont donné des preuves
suffisantes de bonne conduite [...] ».
259 Article 723-29 du code de procédure pénale : « Lorsqu’une personne a été condamnée à une peine
privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à dix ans pour un crime ou un délit pour lequel le suivi
socio-judiciaire est encouru, le juge de l’application des peines peut, sur réquisitions du procureur de la
107
procédure pénale et dont la « conclusion fait apparaître la dangerosité du condamné ». Le juge
de l’application des peines sera tenu par les conclusions de l’expert.
La surveillance judiciaire peut apparaître comme un « sosie » du suivi socio-judiciaire260. La
mesure est principalement destinée à infliger à des délinquants qui purgent leur peine
d’emprisonnement auxquels le suivi socio-judiciaire n’a pas été infligé parce que l’infraction
a été commise avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 1998.
Le juge de l’application des peines, saisi sur réquisitions du Procureur, statuera par voie de
jugement rendu à l’issue d’un débat contradictoire, en présence de l’avocat. L’intéressé devra
obligatoirement donné son consentement, même si on peut pensé qu’il est obligé de le donner
dans la mesure où à défaut, tout ou partie de ses réductions de peine lui sera retirée. La durée
maximale de la mesure correspond au temps des réductions de peine obtenues durant la
détention.
Concrètement, la personne placée sous surveillance judiciaire sera sujette à un certain nombre
d’obligations, tout comme le suivi socio-judiciaire. Il pourra s’agir du placement sous
surveillance électronique mobile, d’une obligation de répondre aux convocations du juge, de
recevoir les visites d’un travailleur social, d’obtenir l’autorisation du juge pour d’éventuels
déplacements, d’une interdiction d’entrer en relation avec certaines personnes... Ces
obligations sont prévues aux articles 132-44 et -45 du code pénal, à quelques exceptions,
puisque, en effet, seules les obligations prévues au 2°, 3°, 8°, 9°, 12°, 13°, et 14° du second
alinéa peuvent être imposées. De plus, s’ajoutent des mesures d’assistance et de contrôle
destinées à faciliter et à vérifier la réinsertion de l’article261, c’est-à -dire les mesures de l’article
142-46 du code pénal, 132-44 du code pénal, sans oublier celles du suivi socio-judiciaire, de
l’article 132-3-262, -2, et -3 du même code.
Le placement sous surveillance électronique mobile peut, comme nous l’avons rapidement
mentionné, être prononcé comme élément de la surveillance judiciaire. Dans cette hypothèse,
République, ordonner à titre de mesure de sûreté et aux seules fins de prévenir une récidive dont le risque
paraît avéré, qu’elle sera placée sous surveillance judiciaire dès sa libération et pendant une durée qui ne
peut excéder celle correspondant au crédit de réduction de peine ou aux réductions de peines
supplémentaires dont elle a bénéficié et qui n’ont pas fait l’objet d’une décision de retrait ».
260 ROBERT (J.H.), Les murailles de silicium, JCP, février 2006, p.9.
261 Article 723-33 du code de procédure pénale : « Le condamné placé sous surveillance judiciaire fait
également l’objet de mesures d’assistance et de contrôle destinées à faciliter et à vérifier sa réinsertion.
Ces mesures et les obligations auxquelles le condamné est astreint sont mises en oeuvre par le juge de
l’application des peines assisté du service pénitentiaire d’insertion et de probation, et, le cas échéant, avec
le concours des organismes habilités à cet effet ».
108
la peine privative de liberté doit être inférieure à dix ans et avoir été prononcée pour une
infraction qui fait encourir le suivi socio-judiciaire.
Dans tous les cas, la mesure sera suivie par le juge de l’application des peines et le service
pénitentiaire d’insertion et de probation. Il pourra être mis fin à la mesure si le juge considère
que la réinsertion est acquise. Par contre, en cas de violation des obligations imposées, le
magistrat est en mesure de lui retirer tout ou partie de ses réductions de peine.
109
CONCLUSION
La récidive, phénomène bien plus ancien que ce qu’on pourrait croire, est devenue au fil du
temps un problème de société considérable exacerbé, depuis quelques années, par les médias.
Bien que le législateur soit intervenu à plusieurs reprises pour tenter d’y faire face, avec des
moyens souvent insuffisants compte tenu de la gravité du problème, le législateur, en 2005, a
préféré intervenir une fois de plus.
L’année 2004 a été sujette à un certain nombre d’infractions commises par des récidivistes Ã
peine libérés de prison. Un sentiment d’effroi est alors né chez le citoyen français qui se
retrouvait dans une situation d’incompréhension totale vis-à -vis de la justice française.
La mission parlementaire chargée d’étudier la question de la récidive a alors opéré une analyse
complète et approfondie de la prise en compte de ce problème tout au long du parcours
judiciaire, c’est-à -dire du prononcé du jugement à la libération. L’objectif était de détecter
d’éventuels dysfonctionnements dans la chaîne pénale.
La place de la médecine fût remise en cause. Gérard Léonard, rapporteur de la mission, a fait
état d’un système psychiatrique en faillite au regard du constat selon lequel près d’un détenu
sur deux souffre de troubles du comportement.
La question de l’actualisation des données figurant au Casier Judiciaire ne fût pas oubliée, loin
de là . L’objectif était d’améliorer les modalités de consultation du casier en ayant recours aux
nouvelles technologies de l’information tout en garantissant une actualisation plus rapide.
S’agissant du principe d’individualisation de la peine, la mission n’a pas hésité à proclamer
son attachement à ce principe à valeur constitutionnelle, reconnu par les plus hautes autorités
européennes. L’interprétation de ce concept a conduit à mettre en exergue l’importance du
suivi postérieur à la libération du condamné. Le placement sous surveillance électronique
mobile est alors apparu comme l’une des solutions les plus efficaces pour garantir un suivi
effectif de l’intéressé et donc une réduction du risque de récidive pour les plus dangereux.
C’est à propos de cette technique du placement sous surveillance électronique mobile que les
débats furent les plus houleux, en raison notamment du risque d’inconstitutionnalité du
prononcé de la mesure. La question était donc de savoir s’il s’agissait plutôt d’une peine ou
d’une mesure de sûreté. C’est la seconde possibilité qui fût choisie, et le placement sous
110
surveillance électronique mobile fût qualifié de mesure de sûreté. Le Conseil constitutionnel
a validé cette réponse dans une décision de décembre 2005262. La Cour de cassation ne s’est
quant à elle pas encore clairement prononcée sur la question depuis la promulgation de la loi.
La Cour européenne des droits de l’Homme s’est trouvée récemment confrontée au problème
de l’application du principe de non-rétroactivité de la loi pénale à un cas de récidive.
En l’espèce, Monsieur Achour fût condamné une première fois en en 1984 pour trafic de
stupéfiants, puis en 1995 pour des faits similaires. En novembre 1997, il fût condamné par le
tribunal correctionnel puis par la cour d’appel de Lyon à douze années d’incarcération au
motif qu’il avait agi en état de récidive légale. L’accusé forma un pourvoi en cassation qui fût
rejeté. En application des anciennes dispositions du code pénal, en vigueur lors de la
commission de la première infraction en 1984, la période de récidive légale était de cinq ans et
devait s’achever en juillet 1991. Or, les juges se sont fondés sur les dispositions du nouveau
code pénal, entré en vigueur en 1994, soit à peine un an avant la seconde infraction et ont
donc porté la période de récidive légale à dix ans pour ce type d’infraction. La cour de
cassation263, pour fonder son rejet avait rappelé une jurisprudence constante selon laquelle
lorsqu’une loi institue un nouveau régime de récidive, il suffit que l’infraction constitutive du
second terme soit postérieure à son entrée en vigueur pour qu’il s’applique immédiatement.
Devant la cour européenne des droits de l’Homme, M. Achour faisait valoir que c’était de
façon erronée que la récidive légale avait été relevée à son encontre : celle-ci, éteinte le 12
juillet 1991, ne pouvait revivre par l’effet du nouveau code pénal.
Dans un arrêt du 10 novembre 2004264, les juges de Strasbourg avaient condamnés la France.
"La chambre, après avoir constaté une application rétroactive des dispositions de l’article
132-9 du nouveau code pénal, a conclu que le requérant aurait dû, lors des secondes
poursuites, être traité en délinquant primaire et non en récidiviste. Elle a estimé que la
question qui lui était soumise renvoyait aux principes généraux du droit et que le principe de
sécurité juridique commandait que le délai de récidive légal, apprécié conformément aux
principes du droit, notamment d’interprétation stricte du droit pénal, ne soit pas déjà échu en
vertu de la précédente loi." Ils ont estimé qu’une telle application du nouveau régime de
récidive, alors même que le délai de récidive était échu en vertu de la précédente loi était
262 Cons.Const., 8 décembre 2000, Gaz Pal du 18 au 20 décembre 2005
263 Cass.crim., 29 fevrier 2000, dec° n°98-80518, disponible à l’adresse suivante : www.legifrance.gouv.fr
264 CEDH, Achour c/ France, dec° n°67335/01 du 10 décembre 2004, disponible à l’adresse suivante :
www.echr.coe.int
111
contraire au principe de sécurité et que les juges français avaient donc fait une application
rétroactive de la loi pénale.
La décision de la cour européenne ne fût pas prise à une majorité écrasante : elle conclut par
quatre voix contre trois à la violation de l’article 7 de la Convention. C’est pourquoi,
l’examen par la Grande Chambre, apparu nécessaire, risquait de marquer, à n’en pas douter,
une étape décisive.
Le 29 mars 2006 [39], les juges se sont de nouveau prononcés sur la question et ont rendu un arrêt qui contredit pleinement la décision de 2004. Les juges ont relevé que la première condamnation de Monsieur Achour, figurant toujours dans son casier judiciaire n’était pas oubliée, et que l’expiration du délai de récidive n’avait pas crée de droit à l’oubli. De plus, la loi nouvelle n’a nullement changé ou étendu la peine prononcée par les premiers juges : la loi n’a pas touché à une décision définitive. Enfin, ils relèvent et concluent par là que la loi n’est nullement rétroactive : il ne s’agit pas d’un problème de rétroactivité de la loi, mais d’application successive dans le temps des lois nouvelles.
Eté 2005, l’état des lieux réalisé, deux axes se sont alors dégagés : la nécessité de sanctionner plus sévèrement les récidivistes, en prévoyant notamment l’incarcération immédiate des récidivistes sexuels ou violents, d’une part, et prévenir plus efficacement le phénomène, en mesurant la dangerosité du délinquant et surtout son évolution tout au long du processus judiciaire.
Bien que les termes de répression accrue et de prévention s’opposent radicalement, c’est sur jeu de mots que le législateur a misé pour lutter contre la récidive. Tout repose en réalité sur un processus de dissuasion destiné à faire réfléchir chaque détenu sur les conséquences de ses actes et les risques encourus.
Cependant, en étudiant d’un peu plus près le texte même de la loi du 12 décembre 2005, il s’avère que la répression ait pris le pas sur la prévention. Le sentiment d’insécurité qui règne depuis quelques temps en France et dans l’esprit d’une grande partie de la population française semble exiger un surplus de répression plutôt que de prévention. L’égoïsme ou l’individualisme de chacun a conduit à ce texte, largement critiqué pour sa proximité à la violation de certains droits fondamentaux comme le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit à l’oubli...
Ce constat fait, un autre s’impose. Prendre le risque de se retrouver de nouveau devant un juge pour avoir récidivé est un choix personnel. Les médias traitent régulièrement du problème, en tout cas suffisamment pour que chacun puisse connaître les conséquences encourues par la commission de certains actes. A côté du délinquant lui-même, il ne faut pas oublier la victime éventuelle, qui elle a été sujette à une agression contre sa personne ou contre ses biens alors qu’elle ne s’y attendait certainement pas, qu’elle vivait normalement son « train-train » quotidien. Les souffrances entraînées doivent être punies qu’il s’agisse d’un primo délinquant et encore plus s’il s’agit d’un récidiviste. Si ce dernier n’a pas compris la première fois la portée de ses actes il semble nécessaire de tenter de lui faire comprendre une seconde fois afin d’éradiquer définitivement son ancrage dans la délinquance.
Le double objectif de la loi est donc respecté puisqu’il s’agit de réprimer plus sévèrement pour le punir des souffrances qu’il a causées, mais également d’éduquer ou plutôt de rééduquer la personne afin de la remettre sur le droit chemin.
Le fait que certains droits fondamentaux accordés à chaque être humain soient entravés peut donc se comprendre et n’apparaît pas forcément comme une erreur inconcevable. En effet, en se plaçant de l’autre côté de « la barrière », c’est-à -dire du côté de la victime ou de se proches, le problème est tout autre. Comment leur expliquer que celui qui a violé pour la « X » fois, ou qui a tué une fois de plus un individu de sang froid puisse sortir indemne du processus judiciaire, sans qu’aucun de ses droits ne soit bafoué, au moins en partie. La personne violée devra, quant à elle, vivre le reste de sa vie avec le souvenir de cet instant atroce pendant lequel un être humain, en qui la justice a rendu sa confiance en le libérant prématurément de prison, n’a pas hésité à recommencer. Pire encore est le cas des proches d’une victime décédée qui devront vivre avec à l’esprit l’idée selon laquelle celui qui a pris la vie du membre de leur famille est toujours là , et pourra être amené à recommencer une fois de plus si la peine et le traitement auxquels il sera soumis ne sont pas adaptés.
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Cons. Const., Dec° n°2003-467DC du 13 mars 2003, lo i sur la sécurité intérieure.
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Cons.Const., 8 décembre 2000, Gaz Pal du 18 au 20 décembre 2005
CEDH, Achour c/ France, dec° n°67335/01 du 10 décem bre 2004, disponible à l’adresse suivante :
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CEDH, Achour c/ France, dec° n°30324/96 du 29 mars 2006, disponible à l’adresse suivante :
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www.assemblée.nationale.fr http://hstl.crhst.cnrs.fr/research/aci/criminocorpus/www/article.php3?id_article=4
ANNEXES
LOI n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales