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L’accès aux soins des personnes privées de liberté

Mise en ligne : 3 mai 2008

Texte de l'article :

«  Si je suis condamné à une peine privative de liberté, je ne suis pas condamné à souffrir faute de soins ».
Extrait de l’audition d’un détenu (dossier 2007-24, rapport 2007)
Saisie depuis sa création de 127 dossiers où les questions relatives à l’accès aux soins des personnes privées de liberté se sont posées, la Commission nationale de déontologie de la sécurité a décidé, à partir de ses dossiers, de recenser les principes, les textes applicables et les manquements constatés.
L’article L.1110-1 du Code de la santé publique, réaffirmé clairement par la loi relative aux droits des malades du 4 mars 2002 [1], dispose que le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Cet article s’applique aussi à toute personne privée de liberté, qu’elle soit retenue, détenue ou gardée à vue, dans les lieux privatifs de liberté que sont les zones d’attente, les centres de rétention administrative (CRA), les locaux de police et de gendarmerie, ainsi que les établissements pénitentiaires.
La privation de liberté n’entraîne pas la suppression des droits de la personne malade. Le premier de ses droits est l’accès aux soins que son état nécessite. Il se décline d’abord par le droit à l’assistance d’un médecin, prévu par les textes, qui répond à différents objectifs suivant les lieux de privation de liberté.
Les étrangers maintenus ou retenus en zone d’attente ou en centre de rétention administrative bénéficient des garanties juridiques énoncées dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), tels que le droit à l’assistance d’un interprète, d’un conseil et d’un médecin (Art. L.221-4 et L.551-2 du CESEDA [2]). L’accès aux soins est guidé par un souci d’humanité. Il s’agit également de vérifier l’état de santé des personnes reconduites, afin qu’elles ne soient pas renvoyées malades vers un pays étranger.
Lors d’un placement en garde à vue, l’examen médical a pour principale finalité d’apprécier l’aptitude de la personne examinée à être maintenue en garde à vue dans les locaux de la police ou de la gendarmerie (Art. 63-3 du Code de procédure pénale [3]). La mission du médecin consiste à examiner la personne, à se prononcer sur la compatibilité de son état de santé avec une privation de liberté de vingt-quatre heures, et à décrire, le cas échéant, l’état de la personne.

Il examine la compatibilité de l’état de santé de la personne avec le lieu d’exécution de la garde à vue (hôpital, commissariat). Agissant en tant qu’auxiliaire de justice, il a une mission d’expertise, mais aussi de soins. Lorsque la personne est en état d’ébriété, malade physiquement ou psychologiquement, le médecin se trouve alors devant un patient.
En prison, l’objectif de la loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale est d’assurer aux personnes détenues une qualité et une continuité des soins équivalentes à celles offertes au reste de la population. Cette loi a affirmé le développement d’une véritable politique de santé publique adaptée au milieu pénitentiaire. Elle introduit une éthique des soins en détention et affirme l’égalité des droits aux soins des personnes incarcérées. Cette loi a confié au secteur public hospitalier la santé des personnes détenues. A ce jour, tous les établissements pénitentiaires relèvent du service public hospitalier pour la prise en charge sanitaire des personnes détenues. Malgré les efforts réalisés depuis la réforme de 1994, l’objectif d’une équivalence de soins entre l’intérieur et l’extérieur n’est pas atteint.
La réglementation actuelle en matière de soins pénitentiaires prévoit que, quelques heures après son arrivée, la personne incarcérée entre en contact avec un membre du personnel médical (Art. D.285 du Code de procédure pénale [4]). Cette visite est l’occasion de pratiquer un bilan de santé de la personne, de faire le point sur ses vaccins, d’organiser la poursuite des traitements en cours, de constater la présence de lésions traumatiques récentes ou de maladies transmissibles, et de proposer une consultation spécifique si le médecin constate certains troubles psychologiques ou certaines conduites addictives (alcool, drogue). La première question à se poser est de savoir s’il est nécessaire de placer l’arrivant en cellule individuelle ou non. En moyenne, les arrivants sont en plus mauvaise santé que la population générale [5].
D’après les termes de l’article D.381 du Code de procédure pénale [6], l’examen médical est systématique pour les personnes incarcérées entrant en détention. Le médecin doit, par ailleurs, visiter au moins deux fois par semaine les personnes détenues placées au quartier disciplinaire et à l’isolement. Par la suite, les personnes détenues peuvent obtenir un rendez-vous avec le médecin, sur demande écrite confidentielle ou lorsque leur état est signalé comme inquiétant par le personnel infirmier ou les surveillants, comme dans le cas du suivi des grévistes de la faim.
Pour la personne détenue, retenue ou gardée à vue, la privation de liberté peut entraîner de l’agressivité, de la nervosité, de l’angoisse, comme peuvent l’attester la fréquence des demandes de visites médicales, le recours aux somnifères ou tranquillisants en prison, et le nombre toujours élevé de tentatives de suicide et de suicides en garde à vue ou en détention.

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Sur les 127 saisines de la Commission traitant de problèmes relatifs à l’accès aux soins, 85 avaient trait à des affaires où l’accès aux soins avait été négligé par les services de police et de gendarmerie (65 avis concernant la police, et 3 impliquant la gendarmerie), dont 17 révélaient des manquements à l’accès aux soins en zone d’attente et en centre de rétention administrative ; 42 saisines soulevaient des problèmes d’accès aux soins en établissement pénitentiaire.
A travers l’étude de ses dossiers, la Commission a pu, dans la plupart des cas, constater que le système de soins pour les personnes privées de liberté comportait encore des défaillances, notamment s’agissant de la permanence des soins (absence d’assistance médicale la nuit et les week-ends), les problèmes d’escorte pour les consultations à l’extérieur, le suivi de l’état de santé des personnes, les délais d’attente (pour les soins spécialisés ou les hospitalisations), le respect du secret médical, et enfin le respect de la confidentialité durant l’examen médical.
Les conditions d’accès aux soins dans ces lieux privatifs de liberté sont souvent difficiles, mais malgré cela, la personne détenue, retenue ou gardée à vue, doit être traitée comme tout autre patient. Les médecins sont soumis aux mêmes impératifs que dans tout autre mode d’exercice. La conciliation de la permanence des soins avec les mesures de sécurité (pouvant altérer la prise en charge sanitaire) est un dilemme auquel les intervenants en milieu fermé sont confrontés. Ceci peut entraîner - et cela est regrettable - la mise en retrait de l’objectif de soins pour privilégier l’impératif de sécurité.
Nombre de difficultés sont la conséquence d’un cloisonnement entre les différents services dans l’accès aux soins. Des problèmes de communication et d’organisation existent entre les différents services, les services médicaux et le personnel de surveillance, ou encore les forces de police et de gendarmerie. Une collaboration
entre les services est nécessaire afin de réduire les dysfonctionnements.

L’accès au premier examen médical et la permanence des soins
Article 10 du Code de déontologie de la police nationale :
« Le fonctionnaire de police ayant la garde d’une personne dont l’état nécessite des soins spéciaux doit faire appel au personnel médical et, le cas échéant, prendre des mesures pour protéger la vie et la santé de cette personne  ».
À l’occasion de l’étude de plusieurs dossiers, la CNDS a pu noter le professionnalisme des fonctionnaires de police, des militaires de la gendarmerie et des surveillants de l’administration pénitentiaire qui ont, par leur action, assuré aux personnes l’accès à un examen médical.
L’examen médical est parfois demandé d’office par l’officier de police judiciaire (OPJ), au vu de l’état de santé de la personne, comme ce fut le cas dans la saisine 2006-8 (rapport 2007). Suite à l’interpellation d’un motard, celui-ci fut placé en garde à vue, mais rapidement emmené par les fonctionnaires de police à l’hôpital en raison de son état de santé. Le motard, qui saignait, a fait part aux agents de sa maladie (une sclérose en plaques). A son retour de l’hôpital, il a de nouveau été examiné par un médecin, et a reçu l’injection quotidienne dont il avait besoin pour le traitement de sa maladie.
De même, dans sa saisine 2004-56 (rapport 2004, p. 221), la Commission a souligné la diligence des agents qui avaient très rapidement sollicité les pompiers pour une personne victime d’une crise de tétanie en raison de son interpellation. Cette personne fut prise en charge par les pompiers dès son arrivée au commissariat.
Dans son avis 2007-8 (rapport 2007), la CNDS a estimé qu’un premier surveillant qui s’était montré attentif aux plaintes d’une personne détenue présentant une polypathologie complexe et lui avait proposé à deux reprises, après des contacts avec le SAMU, une extraction vers l’hôpital, avait exercé son métier avec humanité et professionnalisme.
Dans d’autres dossiers cependant, la CNDS a constaté des manquements à différentes étapes de la prise en charge sanitaire des personnes privées de liberté, et formulé des recommandations afin d’en prévenir le renouvellement.

L’ACCÈS AU PREMIER EXAMEN MÉDICAL
La première étape de l’accès aux soins est le droit à un premier examen médical. L’examen peut être demandé par la personne elle-même lors d’un placement en garde à vue, en zone d’attente ou en centre de rétention administrative, réalisé d’office pour les arrivants en détention au sein de l’unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA [7]) ou pour les mineurs placés en garde à vue de moins de 16 ans, mais aussi réclamé par l’OPJ. L’examen médical peut être fait sur place par un médecin généraliste, en provenance d’un centre médico-judiciaire ou exerçant en ville, dans le service d’urgence d’un hôpital ou au sein d’un service d’urgences médico-judiciaires (UMJ).
Le choix d’un médecin appartient à l’OPJ ou au procureur de la République. Pour s’assurer de la complète indépendance des médecins désignés, de leur disponibilité de jour et de nuit, y compris les fins de semaine et les jours fériés, les initiatives prises par certains parquets de confier ces visites médicales à un centre médico-judiciaire rattaché à un hôpital qui envoie des médecins spécialement recrutés et formés dans les commissariats et les brigades de gendarmerie, devraient être encouragées et développées.
La Commission a de nombreuses fois été saisie d’affaires dans lesquelles le droit à la visite d’un médecin n’avait pas été notifié lors d’un placement en garde à vue, ou n’avait pas été suivi d’effet. Dans plusieurs saisines relatives à des personnes placées en garde à vue (2002-18 [8], 2003-41 [9], 2006-63 [10], 2006-75 [11]), aucune notification des droits n’avait été faite. Les personnes n’ont alors pas pu accéder aux garanties qui découlent de ces droits, tel que l’examen par un médecin.
La CNDS a été saisie également, à plusieurs reprises, de réclamations concernant des personnes qui avaient été retenues dans des locaux de police et de gendarmerie sans jamais être placées en garde à vue. Elles ont dès lors été privées des garanties liées à cette procédure.
Dans la saisine 2004-54 (rapport 2005, p. 91), la CNDS a déploré le fait qu’une personne ayant eu le bras cassé pendant son interpellation n’a pas été placée en garde à vue, ni conduite à l’hôpital. La Commission a estimé que le fait qu’un OPJ, auquel est présentée une personne blessée en état d’arrestation, ne diligente pas de procédure et ne se soucie pas des conséquences médicales pour la personne, constitue un manquement grave aux règles de la déontologie.
De même, dans la saisine 2005-88 (rapport 2006, p. 354), un individu placé en garde à vue, blessé, n’a pas été présenté à un médecin. La raison invoquée par les deux OPJ intervenant dans la procédure fut l’absence de réponse de l’état-major de la police urbaine de proximité à une demande de transport aux UMJ. Pour la CNDS, cette justification n’est pas acceptable ; elle a recommandé que la hiérarchie policière veille au respect des obligations légales dont les OPJ ne peuvent se départir.
Le droit à un examen médical doit pouvoir être exercé dans un délai raisonnable. On ne peut en effet laisser une personne détenue, retenue ou gardée à vue, dans une situation dégradée susceptible de constituer une atteinte à sa dignité et à sa santé.
Dans la saisine 2003-11 (rapport 2003, p. 84), la Commission a constaté que la personne gardée à vue a attendu plus de six heures avant d’être conduite au service des UMJ de l’Hôtel-Dieu à Paris, alors qu’elle souffrait d’une fracture ouverte.

Enfin, dans la saisine 2005-20 (rapport 2007), une ressortissante victime de violences lors de son expulsion du territoire français n’a été transportée à l’hôpital que dix-huit heures après ces faits de violences, alors qu’elle était couverte d’ecchymoses.
Un problème se pose lorsqu’une personne est en état d’ébriété pour la notification de ses droits. Comme le rappelle la saisine 2006-27, traitée dans ce rapport d’activité, la procédure de dégrisement exige une vigilance et un suivi soutenus de la personne, en raison des risques permanents de malaises et de complications liés à cet état éthylique. La notification du placement en garde à vue ne peut intervenir que lorsque la personne est complètement dégrisée, pour qu’elle puisse ainsi prendre connaissance en toute lucidité de ses droits. Seul l’officier de police judiciaire est à même de juger si la personne est en état d’être entendue ou non. Mais en toutes hypothèses, et spécialement s’il décide de différer la notification de ses droits et le placement en dégrisement, l’OPJ doit requérir un examen médical, comme le prescrit la note de service de la Direction centrale de la sécurité publique du 18 décembre 2006.
Dans la saisine 2005-92 (rapport 2006, p. 280), suite à un tapage nocturne, une personne a été interpellée et conduite en état d’ivresse au commissariat de Toulouse. La Commission a regretté qu’au vu de l’état de cette personne, les fonctionnaires de police aient omis de la conduire immédiatement auprès d’un médecin hospitalier. Cette présentation en milieu hospitalier, qui permet de vérifier la compatibilité de la mesure de retenue avec l’état de santé de la personne qui en est l’objet, constitue une garantie aussi bien pour la personne interpellée en état d’ivresse publique et manifeste que pour les fonctionnaires qui en ont la charge, en ne faisant pas peser sur eux la responsabilité d’éventuelles complications.

LA PERMANENCE DES SOINS
Article R.4127-77 du Code de la santé publique : « Il est du devoir du médecin de participer à la permanence des soins dans le cadre des lois et des règlements qui l’organisent  ».
La première exigence en matière de soins médicaux consiste à avoir un médecin à disposition. Pour cela, des liens permanents doivent être assurés avec les services médicaux civils.
En zone d’attente ou en centre de rétention administrative, lorsqu’en dehors des heures de présence du médecin ou des infirmières, des soins s’avèrent nécessaires pour un étranger retenu, il est immédiatement fait appel au SAMU ou aux services d’urgence de l’aéroport. Le caractère d’urgence est laissé à la seule appréciation des fonctionnaires de police, qui, en cas de doute sur l’urgence, doivent consulter le SAMU. Dans les zones d’attente, un médecin et une infirmière sont présents tous les jours entre 8h00 et 20h00 [12]. De plus, depuis 2003, la Croix Rouge est présente dans la zone d’attente de Roissy.

Dans les centres de rétention administrative, le dispositif est plus réduit. Au CRA de Palaiseau par exemple, un médecin intervient deux fois par semaine et une infirmière est présente tous les jours dans les locaux de 9h00 à 16h45 [13].
Dans la plupart des établissements pénitentiaires, à l’exception des grands établissements qui bénéficient d’une garde médicale sur place ou d’une astreinte spécifique la nuit et les week-ends (Fresnes, Fleury-Mérogis et La Santé), les UCSA ne prévoient pas de garde médicale en dehors des heures d’ouverture. Le médecin de l’UCSA doit organiser les modalités de recours à un médecin en cas d’urgence. Cette organisation figure dans le protocole signé entre l’établissement pénitentiaire et l’établissement de santé. En cas de problème, le surveillant de garde doit appeler le centre 15. Le centre jugera de l’urgence ou non du problème et enverra éventuellement sur place le SAMU ou un médecin. Mais se pose alors la difficulté de l’accès aux soins d’urgence pendant la nuit. L’absence d’équipe médicale la nuit conduit à ce que l’appréciation des urgences revienne au gradé de nuit, qui devra, en cas de doute, consulter le SAMU. La Commission a ainsi été saisie de nombreuses fois d’affaires soulignant les difficultés d’accès aux cellules lors d’urgences la nuit.
Dans le dossier 2002-30 (rapport 2003, p. 251), une personne détenue de la maison d’arrêt de Bayonne s’était pendue dans sa cellule. Ses codétenus avaient appelé les surveillants, mais aucun des trois fonctionnaires présents ne disposait des clefs des cellules. Il a fallu attendre l’arrivée du responsable d’astreinte (pendant environ dix minutes) pour pouvoir ouvrir la cellule.
La Commission a rencontré un cas similaire dans la saisine 2003-26 (rapport 2004, p. 276), dans laquelle un jeune détenu de 19 ans avait été retrouvé pendu au quartier disciplinaire de la maison d’arrêt de Tarbes.
La CNDS a recommandé - comme elle l’avait déjà fait dans l’avis 2002-30 - que les quar tiers disciplinaires dépourvus de gradés la nuit soient dotés d’un dispositif d’accès en urgence à une clé des cellules dans une armoire vitrée (comme cela est prévu en détention ordinaire).
La Commission a été informée qu’un dispositif expérimental a été mis en place dès 2004, consistant, lors d’un incendie, à briser une boîte vitrée pour prendre une clef de cellule, en attendant l’arrivée du gradé d’astreinte. Ce dispositif s’est avéré efficace. Dès 2006, ont été mis en place, dans soixante-cinq établissements dépourvus de gradé la nuit, des armoires à clefs électroniques.
L’armoire s’ouvre grâce à un code, et l’ouverture déclenche automatiquement des alarmes vocales. De plus, le nombre de surveillants de nuit a été renforcé [14]. La CNDS regrette vivement cependant que le dispositif ne soit pas étendu aux cas d’atteintes corporelles (suicides ou tentatives, blessures,...). Elle insiste pour qu’une telle extension soit mise en place dans les plus brefs délais.

Le suivi et la continuité des soins
Article R.4127-47 du Code de la santé publique, et article 47 du Code de déontologie médicale : « Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée  ».
La continuité des soins et des traitements doit être assurée en toute circonstance : à l’entrée en détention, à l’occasion d’un transfèrement, durant une garde à vue ou une rétention. La continuité des soins ne peut se faire que grâce au suivi du dossier médical, mais aussi à la transmission des informations entre les services. Ainsi, le dossier médical doit suivre la personne détenue tout au long de sa détention, y compris lors d’un transfert ou d’une extraction. Dans ces hypothèses, le dossier est scellé. Lors d’une garde à vue, le suivi des soins est souvent assuré par les fonctionnaires de police ou les militaires de la gendarmerie qui délivrent les médicaments recommandés par le médecin. Or la connaissance du traitement permet souvent de déduire l’affection qui en est à l’origine. La confidentialité est rompue, au bénéfice de la santé de la personne. Les services doivent veiller à assurer la continuité et le suivi des soins, tout en préservant le secret médical.
L’efficience et la qualité de la prise en charge sanitaire des personnes détenues, retenues ou gardées à vue, reposent sur une dynamique partenariale qu’il convient d’instaurer et d’entretenir entre les services concernés : services hospitaliers, services pénitentiaires, police, gendarmerie, médecins. Pour l’administration pénitentiaire, les protocoles passés entre les établissements publics de santé et les établissements pénitentiaires constituent le cadre formel de ce partenariat institutionnel. Plusieurs difficultés dans la coordination et dans la transmission de l’information peuvent cependant être relevées dans l’organisation et le suivi des soins entre les différents services concernés.
La continuité et le suivi des soins doivent être assurés dans toutes les hypothèses d’extraction [15], de transfèrement [16], de transport, ou d’hospitalisation des personnes détenues.

ESCORTES ET EXTRACTIONS MÉDICALES
Les extractions en hôpital extérieur (avec lequel l’établissement pénitentiaire a signé un protocole et dont l’UCSA [17] dépend) doivent permettre aux personnes détenues d’accéder à l’ensemble des consultations ou examens spécialisés qui n’ont pu être réalisés dans l’établissement pénitentiaire. La continuité des soins peut alors être assurée. Mais un problème de coordination entre l’administration pénitentiaire et la police dans l’organisation des escortes a, de nombreuses fois, été souligné par la Commission.

Dans le dossier 2004-3 (rapport 2004, p. 323), la Commission a été saisie de la situation d’une personne détenue hospitalisée à Nice, dont les divers problèmes de santé faisaient suspecter l’existence de pathologies graves nécessitant des examens spécialisés et des interventions chirurgicales. Elle s’est plainte d’une part des nombreuses annulations d’examens et d’interventions du fait de l’absence d’escorte policière, d’autre part de l’insuffisance du suivi médical et de la continuité des soins à son retour en détention. La Commission a constaté que le suivi médical de la personne détenue et la continuité des soins avaient été insuffisants (lors de son retour en détention dans un autre établissement, le médecin de l’UCSA n’avait pu disposer de son dossier médical).
La CNDS a alors recommandé de rappeler aux personnels de l’administration pénitentiaire et aux personnels des unités d’hospitalisation des services de médecine légale qu’ils doivent veiller à ce que les dossiers médicaux des patients soient remis dans les plus brefs délais à l’UCSA de l’établissement où est incarcérée la personne détenue, afin de permettre une meilleure continuité des soins.
L’enquête administrative effectuée par l’Inspection générale de la police nationale sur les conditions dans lesquelles les escortes s’effectuent au sein de l’hôpital de Nice a établi qu’en 2003, 30 % des soins n’étaient pas assurés en raison de l’annulation des escortes, faute d’effectif suffisant. Mais la police, comme l’hôpital, ont souligné que jamais l’intégrité physique des malades ni le pronostic vital n’ont été en jeu.
Ces extractions, si elles sont demandées par le médecin, sont mises en œuvre par l’administration pénitentiaire et la police : les extractions ne peuvent en effet se faire sans la constitution d’une escorte et d’une garde statique pour le transfert et l’hospitalisation de la personne détenue. En raison du manque de moyens, certaines extractions sont annulées.
La Commission, dans ses avis 2004-2 (rapport 2004, p. 312) et 2004-3 (rapport 2004, p. 323), avait préconisé l’accélération du programme d’ouverture des unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI [18]), dont le protocole en matière d’escorte pose le principe d’un effectif de police ou de gendarmerie proportionnel aux besoins. Les hospitalisations excédant la très courte durée ou réclamant un plateau technique très spécialisé sont réalisées dans ces UHSI. Les escortes sont désormais organisées selon deux procédures : celles vers les UHSI sont effectuées par des policiers ou des gendarmes, alors que celles vers les hôpitaux sont assurées par le personnel pénitentiaire.
L’organisation des UHSI est bâtie de façon à limiter le déplacement des patients détenus au sein de l’établissement de santé. Leur bon fonctionnement nécessite l’intervention de plusieurs catégories de professionnels : hospitaliers, pénitentiaires et forces de police et de gendarmerie. Le personnel sanitaire assure l’ensemble des soins dispensés aux patients détenus hospitalisés à l’UHSI, comme dans les autres unités de soins. Le personnel pénitentiaire, travaillant au sein même de l’UHSI, s’intègre à son fonctionnement ; il garantit la prévention des évasions et concourt à la sécurité des personnes. Les forces de police et de gendarmerie assurent les escortes des patients détenus, à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement de santé, ainsi que le contrôle de l’accès à l’UHSI. Les différents personnels travaillent en coordination et en cohérence, dans le respect de leurs attributions et de leurs propres règles professionnelles.
Le fonctionnement de l’UHSI permet de concilier un programme sanitaire avec des mesures sécuritaires : au plan sanitaire, les UHSI facilitent l’accès aux soins des personnes détenues et devraient améliorer la qualité des soins ; au plan sécuritaire, elles permettent d’optimiser la gestion des personnels affectés aux escortes et aux gardes en milieu hospitalier. Huit UHSI sont prévues, pour une capacité globale de 181 places. A ce jour, six UHSI sont déjà en service : Nancy, Lille, Lyon, Bordeaux, Marseille et Toulouse. L’UHSI de Paris doit ouvrir en mai 2008, et celle de Rennes à l’automne 2009.

LES MOYENS DE CONTRAINTE LORS DES CONSULTATIONS MÉDICALES
La CNDS a été saisie, à plusieurs reprises, des difficultés occasionnées par l’usage des moyens de contrainte lors des consultations médicales à l’hôpital.
Il appartient au chef d’établissement, au regard de la dangerosité du détenu, de sa personnalité, des risques d’évasion et de son état de santé, de définir s’il doit ou non faire l’objet de moyens de contrainte lors de son extraction, et d’en préciser les modalités exactes (port de menottes et/ou d’entraves). Une circulaire du 18 novembre 2004 de la Direction de l’administration pénitentiaire, relative à l’organisation des escortes pénitentiaires des personnes détenues lors d’une consultation médicale, a mis en place trois niveaux de surveillance selon la dangerosité du détenu et les risques d’évasion, en précisant les différents moyens de contrainte à utiliser (port de menottes, entraves, et/ou surveillance par le personnel de l’administration pénitentiaire).
Dans l’avis 2007-24 (rapport 2007), deux détenus du centre pénitentiaire de Liancourt avaient fait l’objet d’examens médicaux menottés et en présence des surveillants. En général, lorsqu’une extraction médicale est programmée, le service des extractions organise l’escorte, les conditions matérielles d’organisation de la sortie, et évalue la disponibilité des chauffeurs et des escorteurs. La décision finale relève du directeur de l’établissement pénitentiaire.
Dans cette affaire, l’un des deux détenus, âgé de 82 ans au moment des faits, avec un bras en écharpe suite à une fracture et des problèmes de motricité, a été menotté lors de sa consultation, comme cela était mentionné sur sa fiche de suivi. Cette mesure, attentatoire à la dignité du détenu, ne pouvait être justifiée en l’espèce par un impératif de sécurité. De même, l’autre détenu, qui avait été jugé suffisamment peu dangereux pour que le juge d’application des peines lui accorde, quelques jours avant la consultation, une permission de sortie de trois jours, a été menotté et entravé lors de son transfert, puis menotté lors de sa consultation, alors qu’il devait faire l’objet d’une fibroscopie. La Commission a estimé que l’appréciation individualisée des mesures de sécurité à mettre en place lors d’une extraction, telle que prévue par la circulaire de novembre 2004, n’avait pas eu lieu.
La CNDS a recommandé que les mesures de sécurité décidées lors des extractions soient de la responsabilité de gradés désignés par le chef d’établissement, conformément à la circulaire du 18 novembre 2004.
De même, dans la saisine 2006-125 (rapport 2007), la CNDS a une nouvelle fois estimé que la situation d’une personne détenue n’avait pas été correctement évaluée au regard des mesures de sécurité mises en œuvre lors d’une extraction médicale. L’affaire concernait un homme incarcéré à la maison d’arrêt de Fresnes, âgé de 60 ans, qui présentait une surcharge pondérale majeure associée à une maladie coronarienne et qui avait des difficultés à se mouvoir. Ayant fait une tentative d’évasion quinze ans plus tôt, l’administration pénitentiaire craignait une éventuelle nouvelle tentative. Le port d’entraves était mentionné sur sa fiche de suivi.
La CNDS a réitéré ses recommandations au sujet de la stricte application de la circulaire du 18 novembre 2004, et a estimé que devraient être exclues les décisions fondées uniquement sur des critères administratifs sans corrélation avec l’état réel de la personne détenue.
Une note du 24 septembre 2007 de la Direction de l’administration pénitentiaire est venue rappeler les consignes à respecter quant aux escortes pénitentiaires des personnes détenues faisant l’objet d’une consultation médicale. En effet, après une évaluation sur l’utilisation des moyens de contraintes au cours des extractions médicales, il est apparu que de nombreuses erreurs d’appréciation avaient été faites concernant la dangerosité supposée des personnes détenues. La Direction a tenu à souligner que l’usage des moyens de contrainte devait systématiquement faire l’objet d’une appréciation individualisée et évaluée selon la dangerosité, la situation pénale, la personnalité, l’âge et l’état de santé de la personne détenue. Le port de menottes ou d’entraves ne peut en aucun cas constituer une règle générale.

La personne détenue qui nécessite des soins doit pouvoir y avoir accès dans des conditions qui respectent la recommandation R(98/7) du Comité des ministres du Conseil de l’Europe relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire [19] et les Règles pénitentiaires européennes révisées en janvier 2006 [20]. La France a été condamnée à quatre reprises, en 2002 (arrêt Mouisel, 14 novembre 2002), en 2003 (arrêt Hénaf, 27 novembre 2003) et en 2006 (arrêts Rivière, 11 juillet 2006 et Vincent, 24 octobre 2006), par la Cour européenne des droits de l’Homme pour des atteintes à la dignité humaine dans le cadre d’une prise en charge médicale de personnes détenues. Il importe d’ailleurs de souligner que la Cour européenne a annexé à ce dernier arrêt l’avis adopté par la CNDS le 9 janvier 2004 [21]. Pour la Cour, le fait notamment d’avoir menotté et enchaîné sur leur lit d’hôpital des détenus en phase terminale d’une affection, constituait une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme (interdiction des traitements inhumains ou dégradants).
La Commission a été saisie (avis 2004-6, rapport 2004, p. 305) des conditions d’accouchement en milieu hospitalier d’une femme détenue. Cette détenue de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis avait fait l’objet d’une extraction en vue de son accouchement. Une surveillance particulière était demandée, la détenue devant conserver en permanence les menottes. Durant son accouchement, elle a été menottée au poignet à la table de travail, et ce alors qu’elle ne présentait pas de signe de dangerosité particulière.
Une circulaire du 10 février 2004 du ministère de la Justice est venue compléter celle du 15 juillet 2003 relative à la garde des femmes enceintes dans les hôpitaux. Cette nouvelle circulaire édicte des principes intangibles en la matière : la personne détenue ne doit en aucun cas être menottée pendant l’accouchement, ni dans la salle de travail, ni pendant la période de travail elle-même. La surveillance pénitentiaire doit s’exercer à l’extérieur de la salle d’accouchement. L’escorte devra comporter nécessairement un personnel de surveillance féminin. Le cas d’accouchement est médicalement assimilable à une urgence, tout retard étant susceptible de mettre en danger la mère et l’enfant à naître.
La Commission a approuvé les instructions de la circulaire du 10 février 2004 et a recommandé leur application la plus stricte, dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.

LE RESPECT DES PRESCRIPTIONS MÉDICALES
La continuité et le suivi des soins ont pour corollaire le respect des prescriptions et des recommandations faites par les médecins. En effet, la personne privée de liberté doit pouvoir bénéficier des soins prescrits par le médecin et ainsi poursuivre ses traitements. La Commission a souvent été saisie de réclamations où il était fait état du non-respect par les fonctionnaires de police ou par le personnel de surveillance des prescriptions médicales, ou encore du nonrespect des certificats d’incompatibilité.
Dans la saisine 2003-25 (rapport 2003, p. 164), un mineur de 15 ans, non admis sur le territoire français, s’était opposé à son embarquement et avait reçu en retour de violents coups, notamment au visage. Un certificat médical d’incompatibilité avec la garde à vue avait été rédigé. Ce certificat aurait dû être suivi du transfert du mineur en milieu hospitalier pour des examens complémentaires. Or le mineur n’a été transporté à l’hôpital que plusieurs heures après l’avis du médecin, et, en dehors d’une prise de sang, n’aurait fait l’objet d’aucun soin. Il a, par la suite, été replacé directement en zone d’attente. La CNDS a rappelé le caractère impératif de l’avis médical d’incompatibilité, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un mineur.
Dans sa saisine 2004-90 (rapport 2006, p. 54), la Commission a regretté que les policiers n’aient pas adapté les conditions de garde à vue à l’ordonnance du médecin : celui-ci avait prescrit la prise de médicaments pendant les repas, mais aucun repas n’ayant été distribué, les médicaments n’ont donc pas été délivrés.
La CNDS, dans sa saisine 2005-73 (rapport 2006, p. 244), a rappelé aux services de police l’obligation de respecter les prescriptions et recommandations des médecins qui ont examiné une personne en garde à vue. En l’espèce, le certificat médical comportait les recommandations suivantes : « Pas de menottage des poignets et lui laisser la Ventoline® à disposition pendant toute la durée de la garde à vue ». La Ventoline®, médicament bronchodilatateur utilisé en cas d’asthme, n’a pourtant pas été mise à disposition de la personne, qui n’en a fort heureusement pas eu besoin. De plus, malgré la recommandation formelle des médecins, la personne a été menottée pendant le trajet du retour, puis au cours de ses déplacements à l’intérieur du commissariat.
La saisine 2005-76 (rapport 2006, p. 343), a porté sur le non-respect des certificats d’incompatibilité avec la rétention d’une personne. Dans cette affaire, les fonctionnaires de police ont été confrontés à l’attitude désespérée d’une personne, qui, pour ne pas être reconduite à la frontière, s’est cachée sous un banc et s’y est maintenue dans cette position défensive. Après quarante-cinq minutes d’intervention des fonctionnaires, la personne a finalement été « délogée » du banc, et les fonctionnaires ont alors constaté qu’elle était blessée. Le service médical du centre de rétention administrative d’Orly a refusé de l’admettre au vu de son état et a demandé son hospitalisation immédiate.
Elle a été hospitalisée pendant douze jours, puis replacée au CRA. Deux certificats médicaux d’incompatibilité avec son renvoi ont été établis par l’hôpital, dont il n’a pas été tenu compte.
La Commission a recommandé que les certificats médicaux d’incompatibilité avec le renvoi des personnes soient strictement respectés.

LE RESPECT DES RECOMMANDATIONS PARTICULIÈRES DU MÉDECIN
Suite à un examen médical, il arrive que le médecin prescrive des médicaments, des traitements, ou tout simplement recommande qu’une attention particulière soit accordée à la personne, au vu de son état de santé, tant somatique que psychologique ou psychiatrique. Tout en préservant le secret médical, le médecin doit ainsi pouvoir informer le personnel de surveillance de la fragilité présumée de la personne gardée à vue, retenue ou détenue.
La Commission a constaté que cette surveillance particulière, recommandée par le médecin, n’était pas toujours respectée, entraînant parfois des conséquences dramatiques. Certaines des saisines de la Commission ont fait état de dysfonctionnements dans le dispositif de sécurité mis en place, par des insuffisances dans la surveillance des détenus fragiles, notamment en quartier disciplinaire.
En 2007, la Commission a été saisie d’un dossier concernant une personne de 27 ans, primo-délinquante, incarcérée à Fleury-Mérogis à la suite d’une condamnation prononcée en comparution immédiate par le tribunal correctionnel de Bobigny, de quatre mois d’emprisonnement, dont deux avec sursis avec mise à l’épreuve pendant dix-huit mois (avis 2006-13, rapport 2007). Conduit en détention dans la nuit du 11 au 12 novembre 2005, ce détenu a été retrouvé mort le matin du 13 novembre au quartier disciplinaire, où il avait été placé suite à son agitation (il se frappait la tête contre les murs) et à son comportement inquiétant. Ce décès était la conséquence « d’un manque d’alcool et d’un delirium tremens [22] », selon les déclarations à la Commission d’un médecin de Fleury-Mérogis.
La CNDS a, au cours de son enquête, relevé de nombreuses négligences de surveillance, qui, additionnées, ont conduit au décès de ce détenu.
Les médecins travaillant dans des établissements pénitentiaires n’exercent pas une activité de sécurité mais une activité de soins, la Commission n’est pas compétente pour donner un avis sur leur comportement.
Cependant, la CNDS a estimé devoir transmettre son avis au ministre de la Santé, à toutes fins, pour apprécier le comportement de deux médecins et de décider de la suite à y donner, ainsi qu’au procureur de la République d’Evry, afin de porter à sa connaissance les faits qui pourraient constituer l’infraction de non-assistance à personne en danger commise par les médecins et par le personnel de surveillance.

La Commission a rappelé aux personnel s qu’une attention particulière devait être portée aux personnes détenues, objets d’une surveillance rapprochée décidée par le médecin. La CNDS a souhaité que l’administration pénitentiaire généralise auprès du personnel pénitentiaire l’initiative prise par le médecin responsable de l’UCSA de Fleury-Mérogis depuis cette affaire, à savoir que « toute personne alcoolodépendante doit être revue par un médecin dans les deux ou trois heures après un premier examen médical ».

LA PRISE EN COMPTE DU CERTIFICAT MÉDICAL LORS DU PLACEMENT À L’ISOLEMENT
Toute personne détenue, sauf si elle est mineure, peut être placée à l’isolement par mesure de protection ou de sécurité, soit à sa demande, soit d’office [23]. La décision de placement à l’isolement est prise pour une durée de trois mois maximum, renouvelable pour la même durée. Cette décision est prise par le chef d’établissement. Elle peut être prolongée jusqu’à un an par décision du directeur régional des services pénitentiaires. Puis, au bout d’un an, elle peut être renouvelée tous les quatre mois par le garde des Sceaux, après avis notamment du médecin de l’établissement. Le décret du 21 mars 2006 relatif à l’isolement des détenus a modifié l’article D.283-1 du Code de procédure pénale, et en particulier le dernier alinéa : « Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures, il est tenu compte de la personnalité du détenu, de sa dangerosité particulière et de son état de santé ».
L’isolement est une mesure aggravant les conditions de détention et restreignant les contacts humains et sociaux. La personne détenue placée à l’isolement, c’est-à-dire seule en cellule, est en outre privée des activités et promenades collectives, et ne bénéficie que d’une promenade quotidienne. Ces restrictions peuvent avoir des conséquences physiques et psychiques, auxquelles le personnel de l’administration doit être attentif [24].
Le placement à l’isolement, à la différence du placement au quartier disciplinaire, ne constitue pas une mesure disciplinaire. En effet, la procédure disciplinaire est mise en œuvre à la suite d’une infraction à la réglementation générale ou au règlement intérieur de l’établissement pénitentiaire [25]. La durée du placement au quartier disciplinaire ne peut excéder quarante-cinq jours pour les fautes les plus graves.
Un médecin examine au moins deux fois par semaine les personnes placées à l’isolement et au quartier disciplinaire. La sanction disciplinaire est suspendue si le médecin constate que son exécution est de nature à compromettre la santé du détenu. Le chef d’établissement est tenu de suivre l’avis du médecin [26]. En revanche, le chef d’établissement n’est pas tenu de suivre l’avis du médecin sur l’opportunité de mettre fin à l’isolement, celui-ci n’étant que consultatif [27].
La Commission a, à plusieurs reprises, été saisie du problème de la prise en compte d’un certificat médical lors d’un placement à l’isolement.
Dans son avis 2006-66 (rapport 2007), la CNDS s’est interrogée sur les conditions de maintien à l’isolement d’un détenu classé DPS [28] de la maison d’arrêt de La Santé. Il a fait l’objet de nombreux placements à l’isolement : plus de quatre ans sur les six ans de détention. Supportant de plus en plus mal cette mesure, prorogée à plusieurs reprises, il s’est régulièrement plaint de douleurs musculaires. Devant la persistance de ses plaintes, le médecin chef de l’UCSA [29] a alors écrit une lettre, dans laquelle il indiquait notamment qu’« il était nécessaire que le détenu ait un suivi psychiatrique et qu’un avis compétent d’un médecin psychiatre soit donné afin de définir si le maintien à l’isolement était compatible avec les signes psychiatriques que présentait ce patient », et en a informé à plusieurs reprises la directrice de la maison d’arrêt. Malgré ces demandes, selon le médecin de l’UCSA, ce détenu n’aurait été que partiellement suivi par un médecin du SMPR [30] de l’hôpital Sainte-Anne.
Les médecins des UCSA ne peuvent se prononcer que sur un plan somatique, il ne leur appartient pas d’établir de diagnostic psychiatrique. L’avis d’un médecin psychiatre est recommandé pour définir si le maintien à l’isolement est compatible avec les signes psychiatriques d’une personne détenue.
Si le chef d’établissement n’est pas lié par l’avis médical, il doit toutefois en tenir compte et rechercher d’éventuelles solutions d’aménagements de la mesure (circulaire de la Direction de l’administration pénitentiaire du 24 mai 2006 relative à l’isolement des détenus). Cette prise en compte s’impose tout particulièrement pour les détenus présentant de lourdes pathologies, et il appartient à l’autorité ayant pris la décision d’isolement d’y veiller personnellement. Lors de sa prise de décision, le chef d’établissement doit être tout particulièrement attentif à l’impact de cet isolement sur l’état psychique de la personne détenue. Cette mesure ne peut être décidée que dans un souci de protection ou de sécurité, en tenant compte de la personnalité du détenu, de sa dangerosité et de son état de santé.
La CNDS a recommandé que les prescriptions médicales en matière de placement et de prolongation à l’isolement soient rigoureusement respectées par l’autorité compétente [31].

LA TRANSMISSION DES INFORMATIONS ENTRE LES SERVICES
La prise en charge sanitaire des personnes privées de liberté requiert une étroite collaboration et une coordination, dans le respect de leurs missions, des équipes médicales, du personnel de surveillance, des militaires de la gendarmerie et des fonctionnaires de police. La communication permet la diffusion de l’information. Certaines saisines de la CNDS ont illustré l’inefficacité d’un contrôle médical, faute de circulation de l’information et de prise en compte des avis médicaux émis.
C’est ainsi que plusieurs saisines ont fait état de dysfonctionnements liés essentiellement au manque d’information dont disposait le personnel de surveillance concernant les personnes détenues, comme le manque de connaissance de leurs antécédents judiciaires et psychologiques, aboutissant parfois à une mauvaise affectation des arrivants, comme ce fut le cas dans une saisine de 2001 et dans la saisine 2005-7.
L’une des premières affaires dont la CNDS a eu à traiter en 2001 (rapport 2001, p. 67), concernait le meurtre d’un détenu par son codétenu à la maison d’arrêt de Gradignan. Le détenu auteur du meurtre sortait juste du quartier disciplinaire, où il avait été placé suite à de graves violences exercées sur son ancien codétenu. Le détenu auteur du meurtre fut affecté dans cette cellule par un chef de service pénitentiaire stagiaire, qui ne connaissait ni les conditions de son arrestation, ni son passé psychiatrique, ni les faits commis en prison. Dans cette affaire, la Commission a constaté l’insuffisance de circulation à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire des informations et renseignements concernant la dangerosité du détenu auteur du meurtre. De graves dysfonctionnements dans l’organisation interne des services de nuit ont été relevés : une insuffisance de vérifications par l’œilleton, une insuffisance de rondes, et un manque de rapidité des contrôles.
Pour la CNDS, il est nécessaire d’adapter les rondes de nuit en tenant compte de la personnalité des détenus. Elle a de plus souligné les efforts à faire pour travailler en complémentarité entre les différents intervenants (direction, encadrement, SMPR, UCSA), un cloisonnement entre ces intervenants ayant été constaté.
La Commission a été saisie d’une affaire concernant les conditions du décès d’un détenu de 18 ans à la maison d’arrêt de Gap (saisine 2005-7, rapport 2005, p. 337). Il avait été signalé par le tribunal comme polytoxicomane. Il fut placé en cellule avec un autre détenu, condamné pour viol et considéré par l’administration comme « perturbé et sournois, voire dangereux », qui avait été sorti prématurément du quartier disciplinaire. Le jeune détenu a été retrouvé mort dans sa cellule deux jours plus tard. L’infirmière n’a pas été tenue au courant de l’arrivée de ce détenu ayant des conduites addictives, ni du fait qu’il détenait des médicaments.

La Commission a estimé que des négligences graves avaient été commises dans sa surveillance, alors que son état de vulnérabilité était connu de l’administration pénitentiaire. Elle a de plus considéré que ces faits révélaient un manque d’organisation et de concertation entre le service médical et l’administration pénitentiaire dans le suivi de son état de santé, qui témoignait d’une importante vulnérabilité imposant une surveillance particulière.
La Commission a recommandé que le personnel médical soit tenu informé de tout incident survenu entre détenus, mais aussi concernant la situation personnelle d’une personne détenue, comme les tentatives de suicide ou les grèves de la faim.
Pour veiller à la continuité des soins, la conférence du consensus tenue en décembre 2004 sur l’intervention du médecin auprès des personnes en garde à vue préconise que celui-ci poursuive les traitements en cours, en prenant contact avec le médecin traitant ou avec la famille. De plus, il doit se préoccuper de la transmission des informations, que cela soit à l’administration pénitentiaire, au médecin traitant ou au médecin hospitalier. En effet, le personnel pénitentiaire doit pouvoir disposer, pour la meilleure marche de son travail, dans les limites du secret médical, des informations pertinentes sur la personnalité des détenus, issues des dossiers judiciaires ou d’avis médicaux.

Le secret médical et la confidentialité

« Il n’est pas de qualité des soins sans confidence, de confidence sans confiance, et de confiance sans secret  ».
Pr. Bernard Hœrni

LE SECRET MÉDICAL
Le secret médical couvre tout ce qui est porté à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession : ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris [32]. Il s’impose à tout médecin. Le Conseil national de l’Ordre des médecins [33] a récemment rappelé le caractère intangible de ce secret en toutes circonstances. A cet égard, il a souligné que dans le cadre des soins aux personnes détenues, le médecin devait disposer d’un dossier médical comprenant les antécédents médicaux qui pourraient figurer au dossier administratif, et ce sans réciprocité de la part du médecin vis-à-vis de l’administration pénitentiaire.
Le partage d’informations concernant les personnes détenues soulève la question du respect du secret médical. Les personnels de surveillance considèrent qu’ils doivent connaître les pathologies graves des personnes détenues, leur degré de dangerosité, les maladies contagieuses, et les tentatives de suicide pour en tenir compte dans l’exercice de leur fonction. A l’inverse, le personnel médical peut parfois souhaiter connaître les motifs d’incarcération de la personne, la durée de sa peine, ou son attitude en détention.

LA CONFIDENTIALITÉ DURANT L’EXAMEN MÉDICAL
L’examen médical devrait pouvoir se dérouler dans la confidentialité, c’est-à-dire à l’abri du regard ou de toute écoute extérieure, sans la présence d’un surveillant ou d’un agent de la force publique, pour que le médecin puisse, comme il se doit, établir un colloque singulier avec le patient. Mais l’exigence de sécurité, nécessaire dans ces lieux, vient souvent entraver le bon fonctionnement de cet examen, plus souvent qu’il ne serait indispensable, ce que déplore la CNDS.
En établissement pénitentiaire, la relation entre le médecin et le patient détenu peut pâtir des contraintes carcérales : la personne qui souhaite voir un médecin doit faire passer un courrier pour demander une consultation. Ce courrier doit être remis au surveillant, qui le transmettra au service médical. La confidentialité peut être rompue dès ce stade du parcours.
Pour couper court à toutes suspicions, dans plusieurs établissements pénitentiaires, le personnel médical a mis en place des boîtes aux lettres accessibles directement par les détenus (se trouvant placées dans les escaliers menant aux cours de promenade), dans lesquelles les personnes détenues peuvent glisser leur demande d’accéder à des soins et d’obtenir la consultation d’un médecin, sans passer par l’intermédiaire du surveillant. Ces boîtes sont ouvertes uniquement par les infirmières, qui trient ainsi les demandes selon leur urgence.
La responsabilité de la santé de la personne détenue incombe en droit au médecin de l’unité de consultation et de soins ambulatoires et au chef d’établissement. Mais la responsabilité des mouvements de la personne incarcérée et l’accès à l’UCSA pèsent en réalité sur l’administration pénitentiaire, par le biais du personnel de surveillance. Le surveillant constitue un lien entre l’UCSA et la détention. Il gère les déplacements des personnes détenues vers l’UCSA, ou vers le SMPR. Il est au cœur du partenariat entre l’équipe médicale et l’équipe pénitentiaire. A ce titre, il doit favoriser l’accompagnement de la personne détenue vers le soignant, tout en veillant au respect des règles de sécurité.
Conformément à l’article 4 du Serment d’Athènes de 1979, serment des professionnels de santé travaillant dans des établissements pénitentiaires, ces médecins s’engagent à « respecter la confidentialité de toute information obtenue dans le cours de leurs relations professionnelles avec des malades incarcérés ».
La surveillance constante d’une personne détenue pendant une consultation médicale remet en cause la confidentialité de l’examen médical. La circulaire du 18 novembre 2004, relative à l’organisation des escortes pénitentiaires des détenus faisant l’objet d’une consultation médicale, prévoit trois niveaux de surveillance selon la dangerosité de la personne détenue et les risques d’évasion [34]. Le troisième niveau est le plus strict : il prévoit une consultation sous la surveillance constante du personnel pénitentiaire avec des moyens de contrainte.
Toutefois, le Conseil d’État [35] a plusieurs fois rappelé que la surveillance constante d’une personne pendant la consultation médicale, quand celle-ci est justifiée par sa personnalité, devait s’effectuer sans qu’il soit porté atteinte à la confidentialité de l’entretien médical. Le personnel pénitentiaire doit alors définir les modalités de surveillance et de contrainte, en conciliant sécurité et confidentialité de l’entretien avec le médecin.
La CNDS a pu constater que certains médecins exigeaient la présence effective d’au moins un surveillant dans le cabinet médical, suite à certains incidents (saisine 2007-24, rapport 2007). Un médecin auditionné a mis en avant le fait que, n’ayant pas connaissance du passé pénal des personnes incarcérées, les médecins, par précaution, préféraient ne pas faire retirer les menottes, sauf si celles-ci gênaient le bon déroulement de l’examen. A défaut de renseignement, et sans vouloir prendre sur eux la responsabilité de restreindre les mesures de sécurité, ils acceptent les mesures mises en place par l’administration pénitentiaire.
Dans la saisine 2007-24 (évoquée supra), deux détenus avaient chacun fait l’objet d’une consultation à l’hôpital en présence de plusieurs surveillants.
L’avis de la CNDS a été transmis au garde des Sceaux, ainsi qu’au ministre de la Santé pour qu’il puisse rappeler à l’ensemble des médecins hospitaliers qu’il existe un premier niveau de surveillance des personnes détenues [36], la consultation pouvant s’effectuer hors la présence du personnel pénit entiaire, avec ou sans moyen de contrainte. La mise en œuvre de cettedisposition répondrait ainsi de manière plus appropriée à la nécessaire confidentialité des consultations.

L’assistance et la surveillance des personnes vulnérables
Article 10 du Code de déontologie de la police nationale :
« Le fonctionnaire de police ayant la garde d’une personne dont l’état nécessite des soins spéciaux doit faire appel au personnel médical et, le cas échéant, prendre des mesures pour protéger la vie et la santé de cette personne  ».
La Commission a rappelé à plusieurs reprises l’obligation qui incombait aux agents de porter assistance aux personnes privées de liberté et la surveillance constante dont elles devaient faire l’objet. Le fait de priver une personne de liberté crée une obligation de protection dont est chargée l’autorité responsable de cette personne. Ainsi, toute personne interpellée, gardée à vue, détenue ou retenue, est placée sous la responsabilité des fonctionnaires de police, des militaires de la gendarmerie et de l’administration pénitentiaire. Ceux-ci ont le devoir de mettre en œuvre toutes les mesures adaptées pour protéger la vie et la santé de ces personnes.

Un mineur, une personne en état d’ivresse, une personne blessée, doit pouvoir bénéficier de l’assistance et de l’attention que son état de santé et sa vulnérabilité requièrent.

LES MINEURS
La CNDS a été confrontée à plusieurs situations dans lesquelles la prise en charge sanitaire d’un mineur n’avait pas été correctement réalisée. L’ordonnance du 2 février 1945 prescrit l’obligation pour le juge ou le procureur de la République de désigner un médecin dès le début de la garde à vue d’un mineur de moins de 16 ans, dans les conditions prévues à l’article 63-3 alinéa 4 du Code de procédure pénale.
Plusieurs saisines de la Commission concernaient la situation de mineurs qui n’ont pu accéder aux soins dans un délai raisonnable, soit en raison de l’absence de notification de leurs droits, soit de l’absence de présentation à un médecin. La CNDS a souligné la vigilance particulière qui doit être accordée à la situation des mineurs gardés à vue, retenus ou détenus, plus vulnérables que les adultes.
Dans la saisine 2003-30 (rapport 2003, p. 182), un mineur de 17 ans non-admis sur le territoire national, victime de violences policières, n’a pu voir un médecin qu’au bout de son troisième jour de maintien en zone d’attente à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Le mineur aurait souhaité se rendre au cabinet médical, mais aurait trouvé la porte close. La CNDS a recommandé que toute personne retenue qui porte des traces de coups, quelle qu’en soit l’origine, soit présentée dans les plus brefs délais à un service médical.
Dans la saisine 2005-4 (rapport 2005, p. 192), un mineur de 17 ans a été, suite à son interpellation, gardé et interrogé dans le commissariat du 1er arrondissement de Marseille pendant trois heures, sans être placé en garde à vue. Il n’a pu bénéficier de la visite d’un médecin.
Dans la saisine 2006-3 (rapport 2007), un jeune de 15 ans a été interpellé puis placé en garde à vue au commissariat de Saint-Denis. Une réquisition a été envoyée au médecin des UMJ de Bondy pour l’examen médical. Mais l’OPJ n’a pas assuré la présentation du mineur au médecin ; le mineur a ainsi passé sept heures en garde à vue sans être examiné.
Dans son avis 2006-75 (rapport 2007), la Commission, saisie de la situation de deux mineurs placés en garde à vue au commissariat de Meaux, a recommandé qu’un effort particulier soit réalisé pour la présentation du mineur à un médecin. En effet, deux adolescents de 16 et 17 ans avaient été interpellés puis placés en garde à vue dans des cellules individuelles. La Commission a relevé que les cellules ne comportaient ni matelas (ils n’étaient pas encore livrés), ni couverture (pas en quantité suffisante au vu du nombre d’interpellés ce soir-là), ni toilettes (un des mineurs a été obligé d’uriner dans sa cellule, les agents ne répondant pas à sa demande d’aller aux toilettes). Un des jeunes a demandé à voir un médecin, mais celui-ci n’est jamais venu.
Suite à cet avis, des mesures ont été prises par le procureur de la République de Meaux, qui a décidé de réorganiser les visites médicales des personnes gardées à vue [37].
La CNDS, constatant un manque de diligence pour l’accès aux soins de ces mineurs, a recommandé de rappeler aux fonctionnaires l’attention et la vigilance particulières qui devaient être faites aux mineurs gardés à vue, qui ne doivent pas être laissés sans surveillance.
Dans sa saisine 2007-42 (rapport 2007), la Commission a déploré le manque d’attention quant à l’état physique d’un jeune homme de 17 ans gardé à vue. Après une interpellation violente au cours de laquelle il a perdu une dent, il a été conduit au commissariat de Pantin pour être placé en garde à vue (alors qu’il était taché de sang). Il a vu un médecin qui a estimé l’état du mineur compatible avec la mesure de garde à vue. Le médecin n’a pas établi de certificat médical décrivant les différentes blessures du mineur.
De tels dysfonctionnements devraient être évités par la mise en œuvre à l’échelon national des préconisations de la conférence de consensus sur l’intervention du médecin auprès des personnes en garde à vue tenue en décembre 2004 [38]. L’élaboration et l’utilisation de réquisitions types ont été préconisées par le jury de la conférence : sur la réquisition, devront figurer l’interrogation sur la compatibilité de l’état de santé de la personne avec la garde à vue, mais aussi la demande de constatation des éventuelles lésions et blessures.
Dans l’affaire 2005-75 (rapport 2005, p. 306), la CNDS a été saisie de la situation d’une mère retenue au centre de rétention administrative de Oissel (près de Rouen) avec son enfant âgé d’un mois. La Commission a déploré que la mère n’ait pas été informée de son droit de consulter un médecin pendant son interrogatoire à la police aux frontières. De plus, ce centre de rétention, bien qu’autorisé à accueillir des familles, n’était pas équipé de matériels de puériculture (pas de berceau, de table à langer, ni de chauffe-biberon). Aucun soin médical, notamment pour le bébé, n’avait été proposé à la mère. Sur ce point, le chef de centre présent lors de l’admission n’a pas rempli ses obligations. De plus, la CNDS a estimé qu’il n’était pas admissible que la mère et son bébé d’un mois soient gardés dans un véhicule sans nourriture ni eau, de 6h00 du matin à 13h45 lors de leur transport vers un autre centre de rétention. La Commission a estimé que la mère et l’enfant auraient dû être conduits au service médical d’urgence de l’aéroport de Roissy ou au cabinet médical de la ZAPI [39]. La CNDS a considéré que ces manquements constituaient une violation de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 [40].

LES PERSONNES EN ÉTAT D’IVRESSE PUBLIQUE ET MANIFESTE ET EN ÉTAT ALCOOLIQUE
Dans le cadre de saisines concernant l’accès aux soins, le traitement et l’assistance des personnes en état d’ivresse publique et manifeste, la Commission a rappelé l’obligation qui incombait aux fonctionnaires de protéger ces personnes interpellées et la surveillance constante dont elles devaient faire l’objet. Conformément à l’article L.3341-1 du Code de la santé publique, une personne peut être arrêtée et placée en cellule de dégrisement dès lors qu’elle est en état d’ivresse. Or le constat de cet état d’ivresse est laissé à l’appréciation des agents interpellateurs.
Une note de service de la Direction centrale de la sécurité publique du 18 décembre 2006 relative au traitement des procédures d’ivresse publique et manifeste soulignait le devoir d’assistance, de protection et l’obligation de surveillance constante à porter envers les personnes concernées. Cette note prévoit qu’une fois l’ivresse constatée, la personne doit être examinée par un médecin avant d’être placée en cellule de dégrisement jusqu’à complet dégrisement. Le placement en cellule de dégrisement est une mesure de police administrative privative de liberté mise en place pour protéger la personne d’elle-même ou de ses agissements potentiels contre les autres, et préserver ou rétablir l’ordre public. De plus, la note précise que les rondes effectuées dans le cadre de la surveillance des personnes placées sous la responsabilité des services de police doivent être faites régulièrement sous la responsabilité du chef de poste, être espacées de quinze minutes au plus, et faire l’objet d’une mention sur une main-courante.
La Commission a été saisie (saisine 2004-84, rapport 2005, p. 149) des conditions de la garde à vue d’un homme interpellé pour conduite en état d’ivresse, le 9 octobre 2004 à 10h30. Le lendemain à 6h30, il était découvert inconscient aux abords du commissariat du 17ème arrondissement de Paris, où sa mesure de garde à vue avait pris fin, selon les mentions du registre, le 9 octobre à 18h00. Il décédera quatre jours plus tard, victime d’une hémorragie cérébrale. Outre les nombreuses irrégularités dans les écrits de la procédure, la CNDS a relevé qu’aucune disposition n’avait été prise pour soumettre le gardé à vue à un nouvel examen médical, après une première présentation à un médecin hospitalier avant le placement en cellule de dégrisement. L’homme restait pourtant dans un état d’hébétude et vomissait encore à plusieurs reprises, des heures après son dégrisement supposé. Il avait de plus été maintenu dans une cellule de dégrisement vétuste et dépourvue d’équipement de vidéosurveillance. La Commission a ainsi souligné que « ce défaut d’attention à l’état de santé d’un gardé à vue exprime la déshumanisation des relations ».
La CNDS a recommandé d’informer les OPJ des principes élémentaires de médecine légale relatifs à la durée au dégrisement et à l’élimination de l’alcool dans le sang. De plus, elle a rappelé que tout placement en cellule de dégrisement devait être précédé d’un examen médical effectif, distinct de celui de la garde à vue. Il serait aussi opportun d’enjoindre aux policiers d’informer le médecin des anomalies de comportement qui ont pu être constatées et de l’allégation de tous autres maux.
Dans la saisine 2005-62 (rapport 2007), suite à un contrôle routier, un automobiliste contrôlé positif à l’éthylotest, a été amené à la brigade de gendarmerie de Vittel pour être placé en garde à vue. Soumis au contrôle de l’éthylomètre, il a été placé en chambre de dégrisement.
La personne n’a toutefois pas fait l’objet d’une surveillance particulière, trois rondes par nuit ne paraissant pas suffisantes pour protéger la vie et la santé des personnes privées de liberté et en état alcoolique, pour la CNDS.
La Commission a, dans ses recommandations, fait référence à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, Taïs contre France du 1er juin 2006 [41]. Elle a ainsi recommandé que l’attention des services de gendarmerie et de police soit attirée sur l’importance et la régularité de la surveillance, y compris médicale, devant s’exercer sur les personnes, souvent fragiles et vulnérables, placées en garde à vue ou retenues dans une cellule de dégrisement.
Une fois de plus, dans la saisine 2005-92 (rapport 2006, p. 280), la Commission a déploré le fait qu’une personne interpellée, décrite comme « avinée » par les fonctionnaires de police, ne soit pas conduite immédiatement auprès d’un médecin en vue de l’établissement du certificat médical de non-admission à l’hôpital.
La CNDS a recommandé que les formalités relatives à la présentation en milieu hospitalier des personnes en état d’ivresse publique et manifeste soient scrupuleusement respectées. Il s’agit d’une véritable garantie pour la personne interpellée et pour les fonctionnaires qui en ont la garde.
Enfin, dans sa saisine 2006-31 (rapport 2007), la Commission a été confrontée à la situation d’un homme interpellé dans le cadre d’un contrôle routier et conduit au commissariat de Draveil pour être soumis à un contrôle d’alcoolémie par éthylomètre (il avait refusé de souffler dans l’éthylotest). Suite à ce contrôle, il a été remis en liberté et convoqué pour le lendemain matin. Les fonctionnaires lui ont alors remis les clefs de sa voiture et l’ont laissé quitter le commissariat, bien que dans son état (il avait notamment chuté sans raison dans le commissariat), il puisse représenter un danger pour lui-même et pour autrui.
L’accès aux soins des personnes privées de liberté La CNDS a fait référence à l’article 10 du Code de déontologie de la police nationale, rappelant ainsi aux agents le devoir qui leur incombait de protéger la vie et la santé des personnes privées de liberté.

LES PERSONNES BLESSÉES LORS D’INTERVENTIONS
La personne, une fois interpellée, est placée sous la responsabilité des forces de police ou de gendarmerie. Celles-ci ont donc l’obligation de transporter cette personne vers un service médical si elles constatent que son état nécessite des soins. La Commission a déploré à plusieurs reprises que l’aide et l’assistance aux personnes blessées lors d’une interpellation ou d’une reconduite à la frontière n’aient pas été apportées.
Dans sa saisine 2004-54 (rapport 2005, p. 91), un homme ayant subi un contrôle de la part de fonctionnaires de police avait eu le bras cassé au moment de son interpellation. Il a été conduit au commissariat de Mantes-la-Jolie, mais n’a pas été placé en garde à vue. La Commission a rappelé la jurisprudence de la Cour de cassation [42] : dès l’instant où une personne est mise sous contrainte à la disposition d’un OPJ, il appartient à celui-ci de la placer en garde à vue et de lui notifier ses droits.
Selon les auditions des fonctionnaires de police, l’individu n’a pas été placé en garde à vue, car ayant constaté qu’il était blessé, la procédure aurait obligé une garde à vue à l’hôpital ; or le service de police était alors en sous-effectif.
Dans l’affaire 2005-10 (rapport 2005, p. 203), un jeune homme, blessé au cours de son interpellation à la suite d’un contrôle d’identité, a été directement conduit au commissariat d’Évry pour y être placé en garde à vue, sans passer par l’hôpital. Il n’y sera transporté qu’ultérieurement, où plusieurs fractures du nez et des dents seront constatées.
Dans le dossier 2005-63 (rapport 2006, p. 389), une personne détenue qui avait été blessée après l’intervention en force de trois surveillants a été laissée sans soin pendant toute une nuit sans être amenée à l’hôpital.
La CNDS a recommandé que soit particulièrement rappelé au personnel de surveillance que toute personne détenue qui a été blessée lors d’une intervention doit être présentée au service de l’UCSA, et qu’en dehors des permanences du week-end, la personne détenue doit être examinée dans les plus brefs délais par un médecin d’un service médical d’urgence, ou conduite à l’hôpital.
Dans la saisine 2006-43 (rapport 2006, p. 426), une personne détenue alléguant avoir subi des violences suite à des brimades commises par des membres du personnel de surveillance du centre pénitentiaire de Liancourt, n’a pu rencontrer le médecin de l’UCSA que quatre jours après l’incident, en dépit de ses demandes répétées. Le médecin a finalement constaté une impotence fonctionnelle du membre supérieur droit et un syndrome douloureux justifiant une incapacité totale de travail de sept jours.
Dans les affaires 2006-51 et 2006-96 (rapport 2007), les forces de police de Niort sont intervenues au cours d’une manifestation en utilisant des gaz lacrymogènes pour évacuer les manifestants. Durant cette intervention, deux jeunes femmes ont été blessées. L’une d’elles a été prise d’une crise d’asthme et de vertiges. Le père d’une amie l’a alors accompagnée à l’hôpital, les forces de police ayant, selon plusieurs témoignages, refusé de l’aider.
Dans sa réponse à l’avis de la CNDS [43], le ministre de l’Intérieur a constaté en effet que si l’allégation de non-assistance envers la victime était avérée, le comportement des fonctionnaires constituerait bien un manquement à l’obligation de soins ou de transport de personne blessée vers un établissement médical, celle-ci étant l’une des règles de base de l’enseignement initial et de la formation continue dispensés aux fonctionnaires.
Dans son avis 2006-106 (rapport 2007), la CNDS a été saisie des conditions du décès par noyade d’une personne, suite à une course-poursuite avec des fonctionnaires de police d’Aubervilliers.
Deux personnes prises en flagrant délit de vol de carburant s’enfuirent en voyant les policiers arriver et se jetèrent dans le canal Saint-Denis.
L’opération de poursuite s’est alors transformée en une opération de secours. L’une des personnes, ne sachant pas nager, fut sortie du canal et directement conduite sur ordre de l’officier de police judiciaire au commissariat pour y être placée en garde à vue, alors qu’elle avait manifestement besoin de soins médicaux.
La Commission a estimé que l’OPJ n’avait pas respecté l’article 10 du Code de déontologie de la police nationale. Le médecin l’a examinée dix heures plus tard et a conclu à l’incompatibilité de son état de santé avec la mesure de garde à vue au commissariat.
En ce qui concerne l’autre personne, la CNDS a pu établir, au vu de la main-courante du trafic radio du centre d’information et de commandement (CIC) d’Aubervilliers, que les policiers avaient mis vingt-cinq minutes pour prévenir le CIC à partir du moment où la personne avait disparu dans le canal. Le corps de la victime a été découvert trois jours plus tard.
Pour la Commission, les policiers ont fait preuve d’un manque de réactivité. La CNDS a estimé qu’en ne demandant des secours qu’au bout de vingt-cinq minutes, les fonctionnaires de police ont violé l’article 8 du Code de déontologie de la police nationale, qui dispose que le fonctionnaire de police est tenu, même lorsqu’il n’est pas en service, de porter assistance à toute personne en danger.

LES PERSONNES FRAGILES PRÉSENTANT DES RISQUES SUICIDAIRES
La Commission a été saisie à six reprises d’affaires relatives à un cas de suicide : en quartier disciplinaire (2003-26 [44], 2003-48 [45], 2006-53 [46]), en cellule de dégrisement (2006-27 [47]), et en détention ordinaire (2002-30 [48] et 2007-27 [49]).
Dans son avis 2007-27, la Commission a rappelé les préconisations du rapport Terra de 2003 sur la prévention du suicide [50], qui fait état des lacunes existant pour évaluer le risque de suicide et surtout pour détecter une crise suicidaire. Le repérage des personnes en détresse est très insuffisant pour prévenir le suicide, car il ne présente aucun caractère systématique.
En 2003, un quart seulement des personnes décédées par suicide avaient été repérées comme suicidaires.
Plusieurs problèmes ont été décelés par la Commission : la mise en prévention des personnes détenues présentant des troubles psychiques et mentaux, la surveillance des détenus placés au quartier disciplinaire ou à l’isolement, ainsi que la surveillance particulière à opérer sur les personnes placées en dégrisement.

La décision de placement et la surveillance renforcée au quartier disciplinaire
Le placement de personnes détenues au quartier disciplinaire ne fait pas l’objet d’une réflexion suffisante sur l’existence ou non d’une crise suicidaire sous-jacente. Le placement au quartier disciplinaire constitue une menace supplémentaire, qui peut accélérer l’évolution suicidaire. Le risque suicidaire est en effet sept fois plus important en quartier disciplinaire que dans le reste de la détention [51].
Le régime de détention au quartier disciplinaire restreint les droits des détenus et rend plus difficiles les conditions de vie. Les personnes détenues sont coupées du reste de la détention. Elles ne peuvent ni bénéficier de parloirs, ni cantiner, et leur temps de promenade est restreint.
Ce placement constitue une période de particulière vulnérabilité, nécessitant une forte coopération entre les services médicaux (notamment les psychiatres) et l’administration pénitentiaire. La CNDS a été saisie de deux affaires (2003-26, 2003-48) concernant trois suicides survenus en moins de trois mois au quartier disciplinaire de la maison d’arrêt de Tarbes.
Dans la saisine 2003-26 (rapport 2004, p. 276), un jeune homme de 19 ans a été retrouvé pendu dans sa cellule du quartier disciplinaire. Il a fallu quinze minutes pour ouvrir la cellule, car le surveillant
ne possédant pas les clefs a dû joindre le gradé d’astreinte. La Commission a recommandé que les quartiers disciplinaires des établissements dépourvus de gradé en service la nuit soient dotés du dispositif d’accès en urgence à une clé des cellules dans une armoire vitrée. Une note du 29 juillet 2005 du Directeur de l’administration pénitentiaire a prévu une telle procédure d’urgence, mais uniquement en cas d’incendie.
La CNDS estime indispensable que cette possibilité soit étendue rapidement aux risques d’atteinte physique des personnes détenues (malaises, tentatives de suicide). La Commission a déjà attiré l’attention de l’administration pénitentiaire sur l’urgence à doter les quartiers disciplinaires d’un poste de surveillant fixe. Elle a regretté qu’à la maison d’arrêt de Tarbes, aucun personnel de surveillance n’ait été spécialement affecté au quartier disciplinaire : le surveillant en charge de tout l’étage assumait seul ce rôle.
Dans la saisine 2003-48 (rapport 2004, p. 293), un détenu de la maison d’arrêt de Tarbes avait été repéré par le personnel comme ayant une personnalité fragile et dépressive : il clamait son innocence d’une manière répétée. Placé au quartier disciplinaire suite à la découverte d’un morceau de résine de cannabis à son retour de parloir, il s’y pendra dix jours plus tard. Cette affaire concernait également le suicide d’un autre détenu du même établissement : celui-ci, toxicomane, était suivi par l’UCSA dans le cadre d’un traitement de substitution par Subutex®. Il a été placé au quartier disciplinaire à la suite d’une altercation avec un autre détenu. Il s’y pendra le lendemain.
La CNDS a relevé que la personnalité des deux détenus n’avait pas été suffisamment prise en compte dans le choix des sanctions. La Commission s’est interrogée sur la mise en cellule disciplinaire d’un détenu ayant donné depuis son incarcération de nombreux signes de vulnérabilité.
Dans le dossier 2006-53 [52], la Commission a relevé qu’un détenu du centre pénitentiaire de Liancourt, blessé lors de l’intervention de surveillants, avait été conduit à l’hôpital pour une blessure ayant nécessité des points de suture, et avait été placé en cellule disciplinaire dès son retour de l’hôpital. Alors qu’il manifestait tous les signes d’une détresse morale et psychologique (se plaignant d’avoir mal à son bras blessé, ne s’alimentant plus, refusant tous ses repas ainsi que la sortie en promenade, et demandant à plusieurs reprises à voir un médecin), aucun de ces signaux d’alarme n’avait été pris en compte par les surveillants, ni même par le gradé en poste au quartier disciplinaire. De plus, tous ces éléments préoccupants ne furent pas transmis au personnel médical de l’UCSA. Le détenu a été retrouvé pendu dans sa cellule du quartier disciplinaire.
La CNDS a proposé d’étudier d’autres modalités de préparation des dossiers pour les commissions de discipline : l’instruction devrait être faite par un personnel gradé et extérieur aux faits, et les observations d’un psychiatre et du médecin de l’UCSA devraient être sollicitées (Saisine 2003-48 [53]

Le suicide en cellule de dégrisement
En 2007, la Commission a été saisie du cas d’une femme interpellée pour violences volontaires aggravées et en état d’ivresse publique et manifeste (Saisine 2006-27 [54]), et placée en cellule de dégrisement au commissariat d’Annemasse. Le lendemain matin à 9h00, cette femme a été découverte pendue dans sa cellule de dégrisement.
La CNDS a fait apparaître que le décès de cette femme était associé à un certain nombre de dysfonctionnements.
En effet, les cellules de dégrisement dans ce commissariat ne faisaient pas l’objet de vidéosurveillance et se situaient en outre au sous-sol. Les rondes régulières et espacées de quinze minutes au plus qui devaient s’effectuer, conformément à la note de service diffusée par la Direction centrale de la sécurité publique le 10 février 2003 [55], n’avaient pas été réalisées.
Ce soir-là, le chef de poste était la seule personne présente au commissariat, car trois équipes (au lieu de deux) avaient été envoyées en patrouille. Matériellement, il lui était impossible de faire des rondes régulières, ne pouvant assurer à lui seul l’accueil, la gestion du standard et la surveillance des personnes retenues. Étant donné la présence d’une personne en garde à vue et d’une personne en cellule de dégrisement, il aurait dû être assisté. Il reconnaît n’avoir effectué que trois rondes dans la nuit et ne pas avoir vérifié l’état de la personne à la fin de son service à 5h00, aucune transmission d’information n’ayant été faite à l’équipe de jour concernant l’état d’agitation de la personne placée en dégrisement.
La Commission a regretté que la personne n’ait pas été placée en garde à vue, alors qu’une infraction avait été relevée et que son état d’ivresse et d’agitation avait été constaté. L’OPJ aurait alors pu requérir d’office un médecin pour l’examiner.
La CNDS a recommandé la généralisation, autant que possible, dans les commissariats, d’un service de quart de nuit assurant la présence sur place d’un OPJ, et le placement immédiat en garde à vue avec notification différée des droits des personnes soupçonnées d’être l’auteur d’un délit, même si elles sont en état d’ivresse. Dans le cas où l’imprégnation alcoolique de la personne gardée à vue ne lui permet pas de demander elle-même un examen médical, la Commission rappelle que cet examen doit être ordonné d’office, en conformité avec la note de service de la Direction centrale de la sécurité publique du 18 décembre 2006.

Le suicide en détention
La Commission, a été saisie par deux fois de cas de suicides survenus en cellule de détention (Saisine 2002-30 [56] et Saisine 2007-27 [57]).
Dans son avis évoqué supra, relatif au suicide d’un jeune détenu de 19 ans à la maison d’arrêt de Bayonne, la Commission s’est interrogée sur le maintien en détention d’un détenu connu et suivi pour des problèmes psychiatriques majeurs. En effet, le détenu avait déjà fait une tentative de suicide quatre jours auparavant, en se tailladant l’avant-bras (nécessitant quarante-et-un points de suture). Il avait toutefois bénéficié de mesures spéciales de prévention prises par la commission de prévention des suicides de l’établissement : placement en cellule avec deux autres détenus, doublement des rondes, et visites par le psychiatre.
La Commission a alors recommandé que le chef d’établissement, lorsqu’il pressent une situation difficile et qu’il ne dispose pas dans les dossiers individuels des éléments médicaux indispensables pouvant guider sa conduite à tenir, puisse pouvoir commettre un expert près la cour d’appel, cette mesure étant une garantie pour le détenu comme pour l’administration.
Dans son avis 2007-27, concernant le suicide d’un détenu de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, la CNDS a repris quelques propositions formulées par le rapport Terra du 10 décembre 2003. Comme l’a noté le professeur Terra dans son rapport, « une attention toute particulière doit être donnée aux événements de la vie judicaire. Certains moments sont très difficiles : les confrontations, la reconstitution, le procès, la sentence, les refus de liberté conditionnelle ou la perspective d’une nouvelle affaire (...). Ces événements doivent être traités comme des périodes critiques qui peuvent augmenter le risque de suicide. Quelques établissements ont établi une durée de surveillance spéciale automatique avant le procès et après la condamnation. Ce caractère systématique est en faveur de la prévention » (6.3.2).
La Commission a partagé pleinement cette analyse, d’autant qu’une étroite relation paraissait exister en l’espèce entre l’annonce à la personne détenue de son transfert judiciaire en vue de sa comparution aux assises pour son procès et son suicide dans la nuit précédant ce transfèrement. La personne détenue à la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone devait être en effet transférée le lendemain à la maison d’arrêt de Rodez.
La CNDS a recommandé que les détenus placés dans de telles situations aient systématiquement une mention CCR (Consignes, Comportement et Régime) à leur dossier et fassent l’objet d’une surveillance accrue dans les heures précédant ce mouvement.
La CNDS, à travers l’étude des dossiers relatifs aux cas de suicide, a formulé trois recommandations sur la prévention du suicide :
La Commission a recommandé à l’administration pénitentiaire la stricte application de la réglementation en matière de placement en cellule disciplinaire à titre préventif, notamment l’article D.250-3 du Code de procédure pénale : cette mesure doit toujours être justifiée dans les faits et conformément aux conditions énumérées dans le Code de procédure pénale. Il faut user à bon escient de la mise en prévention, et les chefs d’établissement ou leurs délégués doivent participer à la prévention des suicides.
La CNDS a rappelé l’obligation faite aux surveillants d’informer quotidiennement le personnel médical du nom des personnes placées au quartier disciplinaire. Les médecins ont, pour leur part, l’obligation de visiter au moins deux fois par semaine les personnes détenues placées au quartier disciplinaire. Ils peuvent exiger la suspension de la mesure s’ ils constatent que la sanction est de nature à compromettre la santé de la personne détenue (D.251-4 du Code de procédure pénale). Ils conseillent ainsi l’administration pénitentiaire sur le risque que certaines mesures peuvent constituer pour la santé des personnes détenues.
Mais surtout, au-delà de la nécessité d’une présence physique constante (les moyens de communication dans les cellules ne remplaçant pas la présence constante d’un personnel), la Commission a recommandé aux fonctionnaires d’être attentifs aux différents signaux d’alarme qui peuvent permettre de prévenir un suicide (refus de repas, de promenade, d’activités), d’observer l’état physique et psychologique de la personne et d’en faire part au service médical. En effet, les fonctionnaires doivent être attentifs à tout événement anormal ou inhabituel concernant la personne dont ils ont la responsabilité.

Conclusion
La question de l’accès aux soins des personnes privées de liberté n’est pas nouvelle. Plusieurs rapports récents de différentes autorités ont fait état des manquements rencontrés dans l’accès aux soins, plus précisément concernant la situation des personnes détenues. Sans les énumérer tous, peuvent être cités : l’étude sur l’accès aux soins des personnes détenues de janvier 2006 de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), ou encore l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur la santé et la médecine en prison de décembre 2006.
Notre étude, portant sur sept ans d’exercice de la Commission, a permis de mettre en exergue les problématiques rencontrées, que cela soit pour une personne détenue, retenue ou gardée à vue, ainsi que les manquements constatés à la déontologie de la sécurité concernant l’accès aux soins. La problématique principale réside dans la difficile conciliation entre les garanties nécessaires à la sécurité (dans les établissements pénitentiaires, les locaux de garde à vue, les centres de rétention administrative), et une bonne prise en charge sanitaire des personnes privées de liberté.
Confrontée à des situations remettant en cause la confidentialité des soins, le secret médical ou le droit à un examen médical, la Commission a prescrit un certain nombre de recommandations, adressées aux différents services de sécurité, pour souligner les problèmes auxquels elle est confrontée et permettre ainsi des avancées sur la prise en charge médicale des personnes privées de liberté.
La récurrence des dysfonctionnements constatés et la gravité de leurs conséquences ne peuvent qu’inciter la Commission à adopter pour l’avenir des exigences plus strictes du respect des règles par les différentes autorités responsables des modalités de l’organisation de l’accès aux soins des personnes privées de liberté.

Notes:

[1] Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé

[2] Art. L.221-4 CESEDA : « L’étranger maintenu en zone d’attente est informé, dans les meilleurs délais, qu’il peut demander l’assistance d’un interprète et d’un médecin ».
Art. L.551-2 CESEDA : « L’étranger est informé dans une langue qu’il comprend et dans les meilleurs délais que, pendant toute la période de la rétention, il peut demander l’assistance d’un interprète, d’un conseil ainsi que d’un médecin »

[3] Art. 63-3 C.pr.pén. : « Toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, être examinée par un médecin désigné par le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire. En cas de prolongation, elle peut demander à être examinée une seconde fois. A tout moment, le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire peut d’office désigner un médecin pour examiner la personne gardée à vue ». Au terme de l’article 4 de l’ordonnance du 2 février 1945, cet examen est obligatoire à l’égard du mineur gardé à vue de moins de 16 ans

[4] Art. D.285 C.pr.pén. : « Le jour de son arrivée à l’établissement pénitentiaire ou, au plus tard, le lendemain, chaque détenu doit être visité par le chef de l’établissement ou par un de ses subordonnés immédiats. Dans les délais les plus brefs, le détenu est soumis à un examen médical dans les conditions prévues à l’article D.381 »

[5] Avis n° 94 du Comité consultatif national d’éthique « Santé et médecine en prison », à consulter sur http:/ /www.ccne-ethique.fr/docs/fr/...

[6] Les médecins chargés des prestations de médecine générale dans les structures visées aux articles D.368 et D.371 assurent des consultations médicales, suite à des demandes formulées par le détenu ou, le cas échéant, par le personnel pénitentiaire ou par toute autre personne agissant dans l’intérêt du détenu.

[7] 175 UCSA en France en 2007

[8] Rapport 2002

[9] Rapport 2004

[10] Rapport 2007

[11] Rapport 2007

[12] Rapport de M. Alvaro Gil-Robles, Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, sur le respect effectif des droits de l’Homme en France, suite à sa visite du 5 au 21 septembre 2005, 15 février 2006

[13] Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, du 27 septembre au 9 octobre 2006, consultable sur http://www.cpt.coe.int/documents/fra/2007-44-inf-fra.htm

[14] Éléments de réponse à la question parlementaire écrite n° 115671 du 16 janvier 2007 (Assemblée nationale, 12ème législature)

[15] Art. D.291 C.pr.pén. : « L’extraction est l’opération par laquelle un détenu est conduit sous surveillance en dehors de l’établissement de détention, lorsqu’il doit comparaître en justice, ou lorsqu’il doit recevoir des soins qu’il n’est pas possible de lui donner dans l’établissement pénitentiaire »

[16] Art. D.381 C.pr.pén. : « Les médecins chargés des prestations de médecine générale dans les structures visées aux articles D.368 et D.371, veillent à ce que la continuité des soins soit assurée à l’occasion des transfèrements des détenus »

[17] Unité de consultation et de soins ambulatoires

[18] Arrêté ministériel du 24 août 2000 relatif à la création des unités hospitalières sécurisées interrégionales destinées à l’accueil des personnes incarcérées

[19] Adoptée le 8 avril 1998

[20] Les Règles pénitentiaires européennes ont été adoptées par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 11 janvier 2006

[21] Arrêt Vincent c/ France, 24 octobre 2006, §55 et Annexe. L’avis de la CNDS, annexé à ce présent arrêt de la CEDH, figurait au rapport 2003 de la CNDS (saisine 2003-47, p. 304)

[22] Manifestation neurologique la plus sévère du syndrome de sevrage d’alcool

[23] Art. D.283-1 C.pr.pén.

[24] Arrêt du Conseil d’État, 30 juillet 2003, Remli : « Le placement à l’isolement d’un détenu contre son gré constitue, eu égard à l’importance de ses effets sur les conditions de détention, une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. »

[25] Art. D.251-3 C.pr.pén.

[26] Art. D.251-4 C.pr.pén.

[27] Art. D.283-1 al. 4 C.pr.pén.

[28] Détenu particulièrement signalé

[29] Unité de consultation et de soins ambulatoires

[30] Service médico-psychologique régional : 26 SMPR implantés dans 26 établissements pénitentiaires

[31] Avis 2006-66 et 2007-8 (rapport 2007)

[32] Art. 4 du Code de déontologie médicale

[33] Communiqué de presse du 22 août 2007, sur les soins aux détenus

[34] Premier niveau : la consultation peut s’effectuer hors la présence du personnel pénitentiaire avec ou sans moyen de contrainte ; deuxième niveau : la consultation se déroule sous la surveillance constante du personnel pénitentiaire mais sans moyen de contrainte

[35] CE 15 octobre 2007, req. n° 281131

[36] Circulaire du 18 novembre 2004

[37] Courrier du procureur de la République de Meaux à la CNDS en date du 30 mai 2007

[38] Courriers du Directeur général de la police nationale en date du 12 octobre 2007, faisant suite aux avis 2006-3 et 2007-42(rapport 2007)

[39] Zone d’attente pour personnes en instance

[40] Convention ratifiée par la France le 7 août 1990

[41] Dans cet arrêt relatif à la mort d’un jeune homme dans une d’un commissariat de police, la Cour a constaté que l’état de la personne dépassait une simple ivresse, tant au plan physique qu’au plan moral, le tout étant révélateur d’une grande fragilité, et que sa détention n’avait au demeurant été accompagnée d’aucune mesure de surveillance, en particulier médicale, afin de protéger sa vie

[42] C. cass. crim. 6 mai 2003, n° 02-87567 : « Lorsqu’elle est mise sous la contrainte à la disposition de l’officier de police judiciaire pour les nécessités de l’enquête, la personne à l’encontre de laquelle il existe des indices faisant présumer qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction doit être placée en garde à vue et recevoir notification de ses droits »

[43] Courrier en date du 12 octobre 2007

[44] Rapport 2004

[45] Rapport 2004

[46] Rapport 2006

[47] Rapport 2007

[48] Rapport 2003

[49] Rapport 2007

[50] Rapport de mission du Pr. Jean-Louis Terra du 10 décembre 2003 pour la prévention du suicide des personnes détenues

[51] Commission nationale consultative des droits de l’Homme, étude sur les droits de l’Homme dans la prison - Volume 1, 23 octobre 2007, consultable sur www.cncdh.fr

[52] rapport 2006 - Sur la situation au centre pénitentiaire de Liancourt en 2006

[53] rapport 2004

[54] rapport 2007

[55] Note relative à la surveillance des personnes placées sous la responsabilité des services de police.

[56] Rapport 2003

[57] Rapport 2007