Nous avons choisi de commenter de façon détaillée les principaux documents et textes élaborés en France pour mieux prévenir le suicide en lieu pénitentiaire. Cette masse documentaire est considérable par rapport aux documents rédigés pour la prévention en milieu ouvert ou encore à l’hôpital ou en maison de retraite, surtout, si l’on tient compte que le suicide en prison représente environ 1 % de l’ensemble des morts par suicide. L’exercice est fastidieux mais nécessaire en raison des efforts conduits depuis des années
5.1. Les données sur le suicide des personnes détenues : données 2001-2002 (septembre 2003)
L’Administration pénitentiaire dispose dans sa sous-direction des Personnes Placées sous Main de Justice (PMJ) un Bureau des Etudes, de la Prospective et des Méthodes. Ce bureau réalise chaque année plusieurs études et bilans qui ont trait au suicide et aux actions conduites pour le prévenir.
• Le choix a été fait d’enrichir le commentaire de ce rapport avec des données provenant d’autres pays pour pointer les difficultés partagées.
• Les citations figurent en caractères italiques.
L’Administration pénitentiaire suit les suicides et les tentatives de suicide au jour le jour comme les agressions ou d’autres incidents ou accidents en détention. Le bilan annuel est très détaillé et comprend une étude descriptive des suicides et de leurs circonstances, des personnes décédées et de leur profil sociodémographique et pénal. Cette étude est complétée par l’analyse des enquêtes effectuées par l’Administration pénitentiaire après chaque suicide. Ceci permet de savoir si la personne avait été repérée comme à risque de suicide et/ou comme fragile ainsi que les événements qu’elle avait vécus, sa prise en charge et la surveillance dont elle bénéficiait.
Même si ce document vise à donner une vue d’ensemble sur le phénomène suicide, donc en utilisant les statistiques, l’analyse de chaque paramètre donne lieu à des évocations de certains cas ou situations. Des passages de lettres laissées par les détenus sont reproduits comme tel ou tel point soulevé par les personnels pénitentiaires de l’établissement concerné dans leur rapport. Ainsi, ce rapport très rigoureux rend bien compte de la souffrance qui conduit au suicide et des difficultés pour le prévenir.
Mais ce rapport présente une lacune majeure, car il est vide de toute information fournie par les personnels sanitaires sur la santé du détenu et sa prise en charge. Il est normal que ces informations ne figurent pas dans ce document, mais il est anormal de ne pas disposer d’une autre analyse dans une perspective de santé publique.
Il est certain que le pendant sanitaire au bilan pénitentiaire fait cruellement défaut pour comprendre ce qui s’est passé, si le dispositif de détection protection a normalement fonctionné et s’il y avait un potentiel de prévention inexploité. Ce bureau de PMJ1 fondant son analyse sur les mêmes documents qui sont traités par la Commission centrale de suivi des suicides, nous allons retrouver la même lacune au niveau de cette dernière.
Le ministère de la santé doit construire un système de recueil et d’analyse portant sur les suicides survenus en détention. Il serait même envisageable que ce système soit similaire et/ou commun avec l’analyse des décès survenant en établissement de santé. Certains suicides de personnes détenues surviennent d’ailleurs lors de leur hospitalisation.
Les seules informations d’ordre sanitaire sont celles citées par les rapporteurs de l’événement. Ce sont de façon non constante la connaissance d’antécédents de suicide, le repérage ou non du risque de suicide, la mise en surveillance spéciale, le fait que le détenu soit doublé pour cette raison et sur l’existence d’un suivi médical, spécialisé ou non,
paramédical ou psychologique.
Le rapport sur le suicide en 2001-2002 des personnes détenues contient de nombreuses données qui permettent de décrire la nature et l’ampleur de ce problème de santé publique.
Le nombre total de suicide est de 122 pour 2002, de 104 en 2001 et était seulement de 39 en 1980, 59 en 1990 avec un pic de 136 en 1996. Le nombre de suicides est rapporté à la population moyenne détenue qui a augmenté de 11 % en 2002, soit 48 318 en 2001 et 53 510 en 2002. Le taux de suicide est ainsi pour 10 000 personnes détenues de 21,5 en 2001 et 22,8 en 2002.
Ce rapport indique que les données du premier semestre 2003 doivent laisser envisager un nombre de décès par suicide encore supérieur, estimé autour de 139. L’évolution du nombre de décès par suicide et du taux pour 10 000 personnes détenues figure dans le graphique 1 suivant qui est issu de la DAP-EMS1.
Graphique 1 : Evolution du nombre et du taux de suicide depuis 1980 en métropole et en outre mer pour les personnes détenues
Un tel graphique montre bien la tendance du phénomène qui oscille à des niveaux élevés depuis 1994. Le nombre de mesures prises par l’Administration pénitentiaire que nous allons aborder en examinant la succession de groupes de travail, de missions et de circulaires (29 mai 1998 et 26 avril 2002) démontre une très forte volonté pour améliorer la prévention.
Il nous appartient et ce n’est pas la question la plus facile de comprendre pourquoi cette débauche de mesures n’a pas abouti à une réduction nette du phénomène. On pourrait bien sûr penser que la prévention du suicide n’existe pas ou tout du moins qu’elle est totalement inefficace quelles que soient les actions entreprises. Ceci n’est bien sûr pas notre point de vue et nous tenterons de le démontrer.
Avec les statistiques que produit la DAP nous disposons d’un indicateur bien plus fiable qu’en population générale où une sous-estimation du suicide serait de l’ordre de 20 %, car une autopsie est inconstamment pratiquée alors qu’elle est systématique en milieu pénitentiaire, l’administration pénitentiaire vérifiant régulièrement que l’ensemble des comptes-rendus d’autopsie lui parvient.
La faiblesse du nombre de décès liés à d’autres causes en milieu pénitentiaire et le système d’analyse en place réduit au mieux le risque d’erreur d’attribution.
Cependant, il peut y avoir des cas rares, comme en milieu ouvert, où il est difficile de trancher entre décès suite à une mise en danger sans intention de succomber et décès intentionnel.
Il serait plus exact de rapporter les décès au nombre de personnes incarcérées car il n’est pas licite de le rapporter à un nombre de places occupées en moyenne. Le rapporter au flux des entrants est valable dans la mesure où la durée moyenne de détention est inférieure à un an (elle est d’un peu plus de 7 mois). Mais ceci n’est pas valable pour les centres de détention où les peines s’étendent sur plusieurs années. Les comparaisons internationales devraient tenir compte de la durée moyenne en détention.
Si la situation de la France pourrait être relativisée en raison de la longueur des peines, ce qui importe avant tout est le nombre de vies perdues prématurément.
Pour 67 308 entrants en 2001, on dénombre 104 suicides soit un taux de 1,54 pour mille et de 81 533, en 2002, pour 122 suicides soit un taux de 1,49 pour mille entrants. Dans le même temps, la proportion de prévenus a augmenté en passant de 33,7 % au 1er janvier 2001 à 37,6 % au 1er janvier 2003.
Quoiqu’il en soit, nous préconiserons l’attitude adoptée pour la sécurité routière qui est de compter le nombre total de vies perdues et de ne pas le rapporter à un dénominateur (nombre de véhicules, nombre de personnes transportées, de kilomètres parcourus…) soit pour notre domaine : nombre moyen de détenus, nombre d’entrants, nombre d’années en détention. L’utilisation de dénominateurs est à réserver aux fins d’analyse du phénomène pour améliorer la prévention.
Le dernier document produit par la DAP porte sur la population décédée en 2001 et en 2002, soit 226 personnes détenues. Ce document constitue à lui seul une très bonne description du problème et de sa prévention. Les personnes décédées et les circonstances de leur suicide sont décrites avec détails pour :
- l’heure de découverte du corps, avec 23,9 % découverts entre 5h00 et 7h00 et 22 % entre 15h00 et 17h00, heure des promenades ;
- le jour de la semaine, avec plus de suicide en début de semaine et moins le dimanche ;
- le mois, avec plus de suicide en août et en septembre ;
- le lieu, qui est la cellule dans 80 % des cas.
Le graphique 2, est intéressant pour savoir avec quelle fréquence la personne décédée était seule en cellule ou si le ou les codétenus étaient présents ou absents lors du suicide.
La moitié des personnes décédées occupaient seules leur cellule et la presque la moitié de celles qui étaient avec des co-détenus ont profité de leur absence pour mettre fin à leurs jours. Si le geste a lieu en présence des co-détenus, c’est essentiellement la nuit pendant leur sommeil.
Vingt-quatre suicides ont été enregistrés au quartier disciplinaire soit 11 % de l’ensemble des suicides. Pendant ces deux dernières années, on note une tendance à la diminution puisque 40 décès avaient été enregistrés au cours des années 1998 et 1999, qui représentaient 16,6 % des suicides. Le fait que le détenu soit placé au quartier disciplinaire en prévention, c’est-à-dire dans l’attente de connaître la durée de la sanction, est une situation qui se présente pour 7 suicides sur 24.
La durée de la sanction, notamment lorsqu’elle est supérieure à 30 jours a été identifiée comme un facteur précipitant le passage à l’acte. Des lettres laissées par des détenus vont dans ce sens, indiquant qu’ils ne peuvent pas endurer une sanction aussi longue.
Le mode de suicide est la pendaison pour 92 % des décès. Les intoxications médicamenteuses diminuent de 7,1 % à 3,5 % entre 1998-99 et 2000-01. Les précautions pour éviter le stockage de médicaments semblent efficaces.
5.1.1. Les caractéristiques des personnes suicidées
• Le profil sociodémographique pour l’âge, le sexe et la nationalité
Nous reprenons ici les données de l’Administration pénitentiaire qui sont très semblables à celles des autres pays quant aux caractéristiques des personnes détenues décédées par suicide. La comparaison avec la population générale nécessiterait une stratification car la pyramide des âges des détenus diffère de celle de la population d’un pays. Ces données,
contenues dans le tableau 1, montrent que le taux de suicide croît avec l’âge mais que le taux des moins de 18 ans est élevé alors qu’il est faible en population générale soit, en 1999 de 7,5 pour 100 000 habitants. Pour cette tranche d’âge, le taux de suicide en détention est plus de 20 fois supérieur au taux moyen de cette tranche d’âge. Mais nous ne disposons pas de données sur le taux de suicide pour des sujets de cet âge et porteurs des mêmes facteurs de risque que ceux qui sont détenus en France. De ce fait, il n’est pas possible d’apprécier l’ampleur exacte du caractère suicidogène de la détention. L’intérêt de ce débat est atténué par le fait que, quel que soit le réseau de causes du suicide, l’objectif est de le diminuer au mieux son niveau actuel. Nous reproduisons cependant des données comparatives (tableau 1 bis) de la surmortalité par suicide des personnes détenues et de personnes sous main de justice mais non incarcérées en Angleterre et au Pays de Galles.
Le taux de suicide en population générale qui est trois fois moindre pour les femmes puisqu’il était de 8,8 pour 100 000, en 1999, contre 27,1 pour les hommes, est très supérieur en détention puisqu’il s’élève à 26,2 pour 10 000 contre 23,1 pour 10 000 pour leurs homologue masculins. Nous précisons, afin d’éviter toute erreur de lecture, que l’habitude est d’utiliser des taux pour 10 000 en milieu pénitentiaire et pour 100 000 en population générale.
Tableau 1 bis : taux de mortalité par suicide/mort auto-infligée et indice comparatif de mortalité volontaire (ICM) et de suicide chez les prisonniers, les délinquants non incarcérés, de sexe masculin, et au sein de la population générale (Angleterre et Pays de Galles : 1996 - 1997)
Source : http://cebmh.warne.ox.ac.uk/cebmh/elmh/nelmh/suicide/prison/
(1) Délinquants affectés à des travaux d’intérêt général ou en liberté surveillée et relevant des administrations carcérales anglaise et galloise.
(2) Ces taux sont calculés à partir d’une moyenne du nombre de prisonniers incarcérés chaque année (53 019 en 1996 et 58 439 en 1997).
(3) Taux pour 100 000 personnes par an.
(4) Les indices comparatifs de mortalité volontaire sont des pourcentages, en 1996 le taux de suicide chez les délinquants non incarcérés est 977 % plus élevé qu’en population générale (indice 100).
Il serait important de savoir si en France les taux de suicide sont aussi proches entre les personnes en liberté surveillée ou affectés travaux d’intérêt général et les personnes détenues.
5.1.2. Le profil pénal des suicidés
En 2001-2002, selon le tableau 2, près de la moitié (47,3 %) des personnes détenues qui se sont suicidées étaient prévenues alors que la part des prévenus au sein de la population carcérale était de 33,2 % au 1er janvier 2002. Le taux de suicide des personnes en attente de jugement s’élève à 33,2 p 10 000 alors qu’il n’est que de 18,3 p 10 000 pour les personnes condamnées.
L’imminence et l’appréhension du jugement, tout comme l’incertitude de la durée de la peine constitueraient des facteurs déclencheurs du passage à l’acte.
Tableau 2 : Répartition des suicidés selon différentes variables pénales
Champ : métropole et outre mer
Source : Statistique trimestrielle au 01/01/2002 (PMJ1), rapports suicides (EMS1) en 2001-2002
Au sein même de la population prévenue, le taux de suicide est particulièrement élevé pour les prévenus en procédure criminelle puisqu’il atteint 42,2 contre 19,9 pour 10 000 pour les prévenus en procédure correctionnelle. Bien que le taux de suicide des condamnés soit nettement inférieur (18,3 p 10 000) à celui des prévenus, il varie sensiblement selon la procédure (correctionnelle ou criminelle), le quantum et l’infraction. Lorsque la condamnation a été prononcée, le taux de suicide est plus élevé pour les condamnés en procédure criminelle (28,5 p 10 000 contre 15,0 p 10 000 pour les condamnés en correctionnelle).
Par ailleurs, les taux de suicide les plus élevés sont enregistrés parmi les condamnés à une peine supérieure à 20 ans (45,7 p 10 000) et parmi les personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité. Le lien statistique entre le taux de suicide et le quantum de peine est complexe, puisque le taux de suicide des détenus condamnés à une peine inférieure à
6 mois (21,4 p 10 000) est supérieur au taux de suicide de l’ensemble des condamnés (18,3 p 10 000).
Le tableau 3 apporte des indications importantes sur l’influence de la nature du crime ou du délit sur le taux de suicide.
Les condamnés pour crimes de sang semblent davantage exposés au risque du suicide puisque le taux de suicide s’élève à 40,6 p 10 000. Cette infraction regroupe 23 % des condamnés qui se sont suicidés en 2001-2002 alors même qu’elle ne représente que 10 % de la population carcérale condamnée au 1er janvier 2002.
Il apparaît que, quelle que soit la situation pénale du détenu (prévenu ou condamné), le taux de suicide est particulièrement élevé : pour les meurtres, assassinat, parricide, infanticide (77,2 p 10 000), pour les viols (46,1 p 10 000) et en matière délictuelle : pour les coups et blessures volontaires avec circonstances aggravantes (56,2 p 10 000), pour les atteintes et outrages à la pudeur sur mineur (27,6 p 10 000 ) et pour les vols avec violence (26,4 p 10 000).
5.1.3. Les situations de fragilité liées aux événements
Le document aborde ensuite la question de la fragilité des personnes décédées en fonction des événements familiaux et sociaux survenus et repérés. L’analyse des rapports concernant les personnes décédées apporte de nombreux facteurs qui ont été mis en évidence comme suicidogènes dans le milieu ordinaire et qui sont aussi à l’oeuvre dans le
milieu pénitentiaire.
Ce sont :
- les séparations, si bien que les personnes qui déclarent vivre en couple ont un risque un peu plus élevé, (11 % des détenus en couple vivent une séparation dans le premier mois de détention) ;
- l’éloignement familial qui est un facteur de fragilisation des relations et qui peut conduire à un sentiment d’abandon ;
- l’isolement, un tiers des détenus suicidés n’avaient aucune visite et un quart aucune correspondance selon les spécifications des rapports produits ;
- la rupture sociale avec le statut antérieur, les personnes ayant fréquenté le secondaire ou ayant un emploi ont un taux de suicide plus élevé.
Les événements judiciaires et de la vie pénitentiaire constituent aussi des facteurs qui sont depuis longtemps identifiés.
Ce sont :
- l’incarcération, avec la notion de « choc carcéral », 9 % des suicides sont réalisés pendant la première semaine, 17 % pendant le premier mois, 34 % durant les trois premiers mois ;
- la nature de l’infraction comme cela est mentionné plus haut ;
- l’approche du jugement ;
- la condamnation (notion de « choc de la condamnation » de Nicolas Bourgoin), avec 12,6 % des condamnées qui se donnent la mort dans le premier mois de leur peine cette dernière étant dans 50 % des décédés inférieure à un an ;
- l’approche de la libération, avec 27 % des personnes décédées ayant un reliquat de peine inférieur à six mois et 7 % inférieur à 1 mois ;
- le transfèrement dans un autre établissement pénitentiaire, peut être un facteur déclenchant lorsqu’un celui-ci est incompris suite à des problèmes de discipline, de suspicions d’évasion ou par manque de place dans le cadre d’opérations de désencombrement ;
- le refus d’aménagement de peine, ou encore l’émergence d’une ancienne affaire peut représenter un facteur que le détenu ne peut plus supporter.
Nous ajoutons dans l’encadré ci-dessous les événements pouvant augmenter la souffrance et la détresse et susceptibles de survenir dans la vie d’une personne détenue doivent être bien connus. Les événements passés ont un rôle ainsi que les événements futurs qui imposent un retour en arrière (anniversaires, reconstitution du crime) et ceux qui sont une
menace pour l’avenir.
Evénements susceptibles [1] d’être à l’origine d’actes suicidaires
Source (Angleterre) traduite : http://cebmh.warne.ox.ac.uk/cebmh/elmh/nelmh/suicide/prison/
L’emprisonnement est générateur de stress et, partant, d’idéations et de
comportements suicidaires. Certaines angoisses peuvent être soulagées, d’autres non.
Notons que le risque de suicide peut être aggravé par des situations stressantes comme :
* des problèmes interrelationnels : placements des enfants en famille d’accueil, brouille.
* l’absence d’une visite attendue,
* des menaces, des brimades, l’endettement,
* une comparution et son issue, même en appel,
* le refus d’une libération conditionnelle,
* une condamnation inattendue ou longue (à perpétuité, notamment),
* une procédure disciplinaire,
* l’anniversaire d’un décès, de la condamnation, du crime…
* une tentative de suicide chez autrui,
* l’incarcération, le transfèrement, le déplacement du détenu...
L’emprisonnement réduit dans le même temps les exutoires des détenus à leurs problèmes et leurs sentiments. Il leur est notamment plus difficile, voire impossible, de se procurer de la drogue ou de l’alcool.
5.1.4. Les difficultés et dysfonctionnement de la prise en charge
Un chapitre très intéressant porte sur les difficultés et les dysfonctionnements de la prise en charge des personnes qui se sont donné la mort. La lecture des rapports, comme nous avons pu le faire personnellement dans le cadre de notre mission, montre à l’évidence que le potentiel d’amélioration de la prévention existe.
Nous ne pouvons que reprendre le texte du document qui stipule que :
- pour la prise en charge médicale, parmi les 192 dossiers faisant état d’au moins une rencontre avec le médecin, souvent en lien avec la visite obligatoire des arrivants (article D285), 47 % avaient fait l’objet d’un suivi médical régulier par les Unités de Consultations et de Soins Ambulatoires (UCSA) et seulement 4 % des personnes détenues n’avaient pas encore fait l’objet de la visite médicale obligatoire en raison de leur arrivée récente au sein de l’établissement ;
- pour le suivi psychologique ou psychiatrique, dans 53 % des dossiers des personnes détenues qui se sont suicidées, il est fait mention que la personne bénéficiait d’un suivi psychologique ou psychiatrique régulier ;
- plus généralement, huit détenus sur dix avaient rencontré au moins une fois un psychologue ou un psychiatre ;
- près de deux personnes détenues sur dix avaient séjourné au moins une fois en service médico-psychiatrique régional (SMPR), 8,4 % avaient été placées en hospitalisation d’office (HO) et 0,9 % en unités pour malades difficiles (UMD), soit 29 % au total ;
- enfin, 11,5 % des personnes détenues qui se sont suicidées en 2001-2002 avaient été repérées comme toxicomane et 4 % comme alcoolique.
Les points évoqués ci-dessus sont trop importants pour qu’ils ne fassent pas l’objet dans le futur d’un recueil attentif, par les équipes sanitaires elles-mêmes, pour ensuite servir de base de réflexion.
En effet, les questions de l’évaluation de la vulnérabilité des personnes détenues et du repérage du risque suicidaire sont essentielles. Dans quelle mesure les indices de cette vulnérabilité étaient-ils présents, les actions ont-elles été conduites selon les recommandations actuelles pour les rechercher et une prise en charge adaptée a-telle été conçue et effectuée ?
Les rapports des décès contiennent des informations concernant le repérage suicidaire en réponse à des questions comme :
- l’attention du personnel avait-elle déjà été appelée sur des risques suicidaires présentés par l’intéressé ?
- des précautions avaient-elles été prises pour parer ce risque ?
Le tableau 4 montre à l’évidence que le repérage est faible pour le risque suicidaire et pour la « fragilité ».
Un quart des personnes détenues qui se sont suicidées avaient été repérées suicidaires (59 sur 226). A ces derniers pourraient s’ajouter 11 personnes qui avaient été signalées fragiles, agressives, dépressives avec des antécédents de tentative de suicide et automutilation.
Lorsque les risques ont été décelés, le signalement provient du Juge d’Application des Peines, des Services Médicaux, des Conseillers d’Insertion et de Probation ou des personnels de surveillance. Parallèlement, un quart des personnes détenues avaient été repérées comme étant fragiles, agressives, dépressives sans présenter nécessairement des tendances suicidaires (57 sur 226).
En reliant les données plus haut avec celles du tableau 4, il apparaît qu’environ la moitié des personnes décédées par suicide bénéficiaient d’un suivi psychologique ou psychiatrique mais n’avaient pas été repérées comme suicidaires.
Ainsi, dans plus de la moitié des situations, le comportement de la personne détenue avait attiré l’attention des personnels. Inversement, 42 % des personnes détenues n’avaient pas été repérées (95 personnes sur 226).
Le tableau 5 indique les mesures prises lorsque le détenu a été repéré comme suicidaire.
Les deux tiers des dossiers mentionnent précisément la mise en oeuvre d’une seule mesure.
Par ordre décroissant, il s’agit, dans 34 % des cas d’une surveillance spéciale, dans 12 % des situations un doublement cellulaire, 15,3 % de soins psychiatriques et 3,4 % d’un isolement.
Le tiers des autres dossiers mentionne au moins deux des mesures qu’il s’agisse de surveillance spéciale et de cellule doublée, de surveillance spéciale et de soins psychiatriques, cellule doublée et soins psychiatriques.
Il ne s’agit bien sûr ici que des mesures explicitement mentionnées, il est donc possible que d’autres mesures aient pu exister.
Les données ci-dessus portent sur les échecs de la prévention et apportent seulement une vision de la prévention qui ne marche pas ou qui n’est pas mise en place. Il y a une relative difficulté à démontrer ce qui marche car le résultat est bien moins visible que la survenance d’un suicide.
Ces données indiquent que la détection de l’état suicidaire des personnes décédées est de 59 pour 226 décès, que la surveillance spéciale a été rapportée pour 20 d’entre eux et les soins psychiatriques pour 9. Ceci montre la taille du potentiel de prévention résiduel puisque ¾ des personnes n’avaient pas été repérées comme suicidaires.
Les processus de détection et de protection doivent être plus efficaces et plus alignés. Ces données sont intégrées dans le schéma 4 à des seules fins d’illustration.
Nous rapprochons les données françaises de celles fournies par l’Administration pénitentiaire en Angleterre et au Pays de Galles (tableau 5 bis) pour le taux de personnes détenues qui bénéficiaient d’un plan de prévention au moment du décès par suicide.
Tout en restant notoirement insuffisant, le nombre de personnes bénéficiant d’un plan de prévention est un peu supérieur aux données françaises. Pourtant en Angleterre et au Pays de Galles, c’est la procédure 2052SH qui règle la prise en charge des détenus à risque de suicide : procédure susceptible d’être déclenchée par tout membre du personnel qui a remarqué un comportement auto agressif ou suicidaire chez un détenu. Elle comporte un formulaire spécifique « automutilations/risque de suicide » (F2052SH) dans lequel peuvent être enregistrées les observations de tous les membres du personnel en contact avec le détenu en vue d’établir un compte rendu complet et continu de l’état d’esprit de l’intéressé. Avant de retirer le nom du détenu du formulaire en question, son cas doit être examiné par les principales personnes qui le suivent (par exemple le médecin-chef, un membre de la direction et le gardien-chef de l’aile).
Ceci démontre que la difficulté pour repérer les personnes à risque est partagée par les différents pays. Les partages d’expérience et de données sont à prolonger pour favoriser le transfert d’améliorations.
Il est écrit dans le document de l’Administration pénitentiaire française : « toutefois la lecture des rapports soulignent (comme dans le compte rendu sur les suicides en 1998-1999) que les mesures mises en place pour prévenir les tentatives de suicide sont facilement déjouées par les détenus (dispositif des rondes déjouées, passage à l’acte lorsque que le co-détenu est absent ou endormis,…) ».
L’idée évoquée ci-dessus, selon laquelle les personnes suicidaires cherchent à déjouer les mesures de prévention, risque de faire penser qu’il n’y a rien à faire puisque les personnes cherchent à mourir de toutes les façons.
Il faut plutôt considérer qu’elles n’ont su (pu) trouver des solutions autres que le suicide et que l’arrêt de leur souffrance est impérieux.
La question essentielle est donc de penser non pas qu’elles veulent mourir mais qu’on doit les aider à trouver des solutions qui diminuent leur souffrance. Leur participation active à leur propre protection est indispensable à rechercher car la surveillance passive, c’est-à-dire presque à l’insu de la personne, est d’une efficacité extrêmement limitée. D’ailleurs, il n’est pas sûr que les personnes qui sont réputées avoir déjoué la surveillance se sentaient réellement protégées.
La difficulté de doubler en cellule des personnes présentant des troubles psychiques avec troubles du comportement est notée ce qui rend difficile l’application des recommandations préconisées par voie de circulaire.
5.1.5. Les dysfonctionnements repérés dans les dossiers après un suicide
Le document reprend certains points défaillants pour la transmission des antécédents et le repérage du risque de suicide.
Par exemple :
- pour 12 détenus parmi les 95 non repérés, les antécédents de tentative de suicide avaient été pourtant transmis par la famille et/ou les amis ;
- pour 2 cas, une tentative de suicide avait déjà eu lieu dans un établissement pénitentiaire.
Il est mentionné qu’une famille reproche qu’un détenu ait eu la possibilité de stocker des médicaments, que l’administration des médicaments ne soit pas immédiate et qu’il n’y ait pas eu de fouilles de la cellule.
Lorsque le risque a été repéré, la survenance du suicide peut être attribuée au fait que le professionnel de santé, vers lequel il a été orienté, ne le reçoive pas dans le délai souhaité ou encore parce qu’il n’existe pas d’offre de soins dans l’établissement. Un refus de consultation médicale est aussi cité une fois par un détenu dans sa lettre d’adieu.
Le fait que ces anomalies soient recensées dans un document démontre la capacité d’évocation des difficultés dans le milieu pénitentiaire.
Un tel document est en soi très remarquable par sa qualité, sa précision et aussi son côté humain. La question du retour sur le terrain pour améliorer la prévention de façon efficace reste entière et est portée au sein de l’Administration pénitentiaire.
5.2. Circulaire du 12 novembre 1991 de la Direction de l’administration pénitentiaire à destination des directeurs régionaux et des chefs d’établissement
Cette circulaire rédigée dans un contexte de hausse des suicides, début 1991, invite après une description du phénomène à organiser au sein de chaque établissement pénitentiaire des réunions de réflexion autour de ce thème de prévention des actes suicidaires, auxquelles soient associés l’ensemble des intervenants (magistrats du parquet, de l’instruction, de l’application des peines, personnel de surveillance, personnel socio-éducatif, personnel médical), au besoin des personnalités extérieures (psychiatres, psychologues, sociologues …) dont les compétences pourraient être requises.
Nous voyons que la volonté d’associer les différents intervenants est depuis plus de 10 dans les textes.
5.3. Le rapport de mai 1996 du groupe de travail de l’Administration pénitentiaire sur la prévention du suicide en milieu pénitentiaire
Il s’agit d’un document important qui dénote la volonté de cette administration de réduire le taux de suicide. Le groupe de travail a été mis en place en 1995 par le Directeur de l’administration pénitentiaire. Le document contient de nombreuses recommandations qui vont dans le sens de la prévention du suicide qui seront reprises dans nos propositions.
La composition du groupe de travail dénote un souci d’ouverture et celui de réunir toutes les compétences disponibles. Ont été associés à cette réflexion et élaboration des médecins, légiste, psychiatres, généraliste, un démographe, les personnels pénitentiaires des établissements, des personnes de la Direction de l’administration pénitentiaire, de la Direction générale de la santé, de la Direction des hôpitaux. Cinq sous-groupes ont été constitués sur pour étudier en détail les différents aspects de la prévention. Madame Zientara-Logeay, rapporteur, était à l’époque magistrat au bureau de l’individualisation et des régimes de détention.
Le rapport comprend trois parties :
- les préalables à la mise en oeuvre d’une politique de prévention dont la formation des personnels ;
- les étapes de la prévention selon le parcours du détenu, en amont de l’incarcération, au moment de l’écrou, pendant la détention et au quartier disciplinaire ;
- la postvention après un suicide et une tentative de suicide.
Les annexes contiennent des données chiffrées sur le suicide en milieu carcéral en France, son évolution de 1975 à 1995, au quartier disciplinaire et dans les différents pays européens.
Un compte rendu de l’intervention de Nicolas Bourguin est aussi est aussi annexé. Ce texte est particulièrement précis et riche sur les facteurs de risque, au sens statistique du terme, du suicide en détention. La plupart des facteurs cités sont repris dans notre rapport.
Dans l’introduction, le contexte historique de la prévention du suicide est dressé rappelant :
- la circulaire du 12 novembre 1991, précédées de notes ou circulaires en 1975 et 1967 ;
- une étude réalisée en 1993 pour évaluer l’impact de cette circulaire faisant le constat que seulement 9 % des 22 établissements interrogés avaient mis en place des réunions sur ce thème.
Le chapitre premier définit le sens d’une politique de prévention. Ce chapitre intéressant éclaire sur la façon le groupe de travail ou du moins certains de ses membres conçoivent les causes de l’augmentation du suicide en détention et sur quoi repose, pour eux, la prévention du suicide.
Les causes de l’augmentation du suicide sont placées dans :
- un changement de la population pénale, décrite comme immature, souffrant d’un déficit de capacité affective et d’un handicap relationnel favorisant des relations sadomasochistes, elles-mêmes aggravées par le fonctionnement habituel « totalitaire » et non négocié de la prison ;
- un changement au niveau du personnel, dans son recrutement et dans ses missions à la fois de garde et de réinsertion, source de désarroi et de repli à l’égard des détenus ;
- un changement de la prison, avec sa mission de réinsertion inscrite dans la loi du 22 juin 1987, et un nouveau statut accordé à la parole du détenu qui impose un nouveau savoir-faire, non encore maîtrisé ;
- un changement dans le rôle de l’hôpital psychiatrique, qui passe d’un rôle de garde et d’assistance pour s’ouvrir sur l’extérieur par le biais de la politique de secteur psychiatrique et de ce fait, limite les soins sous contrainte et écarte, car moins contenant, les patients porteurs de troubles du comportement.
La surpopulation carcérale est aussi citée comme facteur entrant en jeu dans l’augmentation du suicide.
Ces réflexions sont complétées par une schématisation de l’évolution des logiques entre l’administration pénitentiaire et le phénomène du suicide :
- la première est celle de la protection du détenu contre lui-même, le suicide étant considéré comme une évasion ;
- la deuxième est celle de la prison humanisée, le suicide étant le signe d’une défaillance du médecin ;
- la dernière et actuelle, étant la logique de la symétrie avec le milieu civil, le détenu étant un adulte responsable, qui n’a pas à être protégé spécialement contre lui-même et auquel « on doit les mêmes soins qu’en milieu libre et, à l’inverse, il lui appartient aussi dans une certaine mesure d’en faire usage et demande ».
Les auteurs du rapport soulignant que les deux premières logiques persistant à des degrés divers, cette coexistence ne peut que renforcer un climat d’incertitude quant aux missions des établissements pénitentiaires. Le groupe de travail met ici remarquablement en évidence les fondements d’une ambivalence vis-à-vis du rôle que peuvent jouer les acteurs pénitentiaires et sanitaires pour prévenir le suicide. Nous avons ici un texte qui risque de faciliter la transmission de mythes et d’idées reçues sur le suicide qui sont un des freins à la prévention du suicide :
- le suicide est un acte de liberté ;
- le suicide procède d’un choix ;
- il n’est pas normal de s’opposer à la volonté de quelqu’un.
Cette introduction se termine par une mise en garde à l’égard de la « prévention totale ».
En quelques lignes, la prévention totale, concept qui n’est pas retrouvé dans la littérature, est définie comme « l’idée d’éradiquer le suicide par tous les moyens, y compris les plus coercitifs » et qualifiée de « dangereuse à plus d’un titre ». Elle est dénoncée comme techniquement impossible, pratiquement inefficace, philosophiquement inacceptable et dotée d’effets potentiellement pervers, générateurs de comportement suicidaires en raison de « sa dimension totalitaire et déshumanisatrice ».
Cette énergie à dénoncer une pratique de prévention que nous n’avons jamais rencontrée dans nos visites correspond plutôt aux craintes que l’on peut éprouver légitimement lorsque des mesures de surveillance intensive, voire continue, sont mises en place pour viser à empêcher tout passage à l’acte suicidaire. Les mesures de protection et de surveillance représentent une partie de la prévention du suicide et il est regrettable qu’il y ait un tel amalgame à ce sujet dans ce rapport, dès l’introduction. Les membres du groupe de travail proposent une prévention du suicide en faisant de la prison un lieu de vie, où le détenu est restauré dans sa dimension de sujet et acteur de sa vie.
Il s’agit en clair de la promotion de la santé qui est un volet qui peut contribuer à la diminution de la souffrance mais qui n’agit pas sur les principaux facteurs de risque du suicide. Les auteurs du rapport semblent veiller essentiellement à ce que la prison ne détériore pas la qualité de vie de la personne détenue et négligent les facteurs de risque du suicide.
De ce fait leur position est un plaidoyer pour humaniser la prison et dénoncer les mesures de surveillance intensive des détenus suicidaires. En aucun cas, ils n’évoquent ici les éléments d’une politique de prévention du suicide.
Le chapitre suivant est consacré à la formation des personnels pénitentiaires. Il insiste sur le fait que la prévention passe par les personnels de toutes catégories qu’il convient de non seulement d’assister et de former, mais aussi de conforter dans leur mission. Nous ne pouvons que souscrire à de tels propos tout en soulignant que le besoin de formation n’est évoqué que pour les personnels pénitentiaires et, ne serait-ce que l’amélioration des connaissances des personnels sanitaires ne fait jamais l’objet d’une allusion dans ce rapport.
Effet peut-être du travail en sous-groupe, ce chapitre contient des propositions qui représentent des points importants pour la prévention du suicide sous la forme suivante :
- en formation initiale une information sur la question du suicide en prison ;
- en formation continue, serait abordée la question de la prévention,
- complétée, dans un cadre régional, d’une formation obligatoire sur la prévention du suicide, pour quelques agents de chaque établissement ;
- et enfin d’une formation approfondie sur les questions de prévention pour les premiers surveillants, comportant l’accueil des arrivants, l’affectation en cellule, à la prévention au quartier disciplinaire ou aux fonctions d’agent référent.
Il est aussi proposé dans le cadre de la postvention la désignation d’une personne pour l’après-suicide. On voit qu’une architecture de l’organisation des personnes ressources est ainsi suggérée. Avant de faire des propositions, nous pouvons nous demander pourquoi la formation à la prévention du suicide n’est pas incluse dans l’enseignement initial et qu’il faille attendre que les personnels soient confrontés « aux réalités du comportement ou du geste suicidaire en prison » pour être formés. Ceci montre peut-être que la prévention du suicide est encore conçue comme ne faisant pas partie des risques où la prévention est transmissible dès la formation initiale. Nous ne pouvons que dénoncer une telle logique qui
en quelque sorte structure le risque et expose les personnels à un traumatisme potentiel. Il appartient aux services de formation de donner à chaque surveillant une compétence pour prévenir le suicide dès son premier jour de fonction. Dit autrement, il n’est pas acceptable que des détenus soient « exposés » à un surveillant qui n’a pas cette compétence.
Un chapitre entier porte sur l’accueil du détenu lors de l’écrou. Très documenté et argumenté, il contient une multitude de recommandations, précautions, à la fois pratiques et détaillées pour améliorer l’accueil et ainsi minimiser au mieux la souffrance et la désorganisation psychique. Le groupe de travail propose aussi d’inclure dans ce processus d’accueil un système associant la détection de la souffrance et d’appel si la situation personnelle et l’état psychologique sont particulièrement préoccupants.
Le groupe rappelle « qu’il peut être utile de faire appel au médecin » et « préconise l’appel au personnel de direction de permanence pour information et décision. Outre les différences sémantiques, il est à noter que le groupe ne s’est pas engagé pour dire si l’appel devait se faire de préférence auprès d’un généraliste ou d’un psychiatre. Il n’a pas du tout abordé ce que devait faire ce médecin et dans quel délai.
La demande récente de la Direction générale de la santé de recommandations professionnelles pour les SMPR auprès de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES) est certainement à articuler avec cette zone floue laissée par un groupe de travail pourtant composée de spécialistes.
Un ensemble d’observations critiques, portant sur le fait de doubler en cellule des détenus, suit immédiatement cette absence de recommandations sur l’action médicale. Les observations portent sur l’efficacité douteuse du doublage, la responsabilité morale sur le co-détenu et l’anxiété de l’arrivant en difficulté si le co-détenu dort déjà. La préconisation du groupe est d’éviter le caractère systématique du doublage et si cela est fait de procéder à un choix circonspect du co-détenu. Il est aussi mentionné comme alternative au doublage, l’aménagement de cellule avec interphone ou système d’alerte.
Les visites des établissements démontrent que le doublage reste une des mesures essentielles de protection d’un détenu en souffrance. Le groupe a sous-estimé le fait qu’il est extrêmement difficile de modifier les pratiques professionnelles sans proposer une autre pratique, immédiatement applicable et avec une efficacité supérieure démontrée. Aucune mesure d’implémentation des recommandations n’est abordée dans le rapport, laissant beaucoup à l’initiative locale, donc au risque de non application en raison de toutes les autres exigences et contraintes existantes.
Des propositions pour améliorer les formations initiale et continue sont faites pour que les personnels puissent bien se représenter les besoins fondamentaux d’une personne pendant les premières de l’écrou. Les critères de choix pour l’affectation en cellule sont aussi cités. Il s’agit d’un élément important d’action, l’ambiance dans les cellules pouvant être très
variable. Les formation telles qu’elles sont présentées s’adressent uniquement au personnel pénitentiaire puisque seule l’ENAP et la Sous direction des ressources humaines sont citées.
Le repérage et la prise en compte du risque suicidaire fait l’objet d’un chapitre entier incluant un guide d’analyse des situations. Le contenu de ce document, repris en grande partie dans la grille de la circulaire du 26 avril 2002, est un outil d’évaluation du risque de suicide qui vise à améliorer :
- la qualité de l’observation ;
- le regroupement de l’information selon différentes sources ;
- et l’alerte de la hiérarchie, du service socio-éducatif, de l’UCSA et du SMPR s’il existe.
Ce document témoigne essentiellement d’une volonté de repérer les éléments nécessaires pour effectuer une évaluation du risque suicidaire. Ce sont : les antécédents de suicide personnels ou familiaux, l’existence d’un trouble psychiatrique dont une dépression et/ou l’abus d’alcool, la nature du crime ou délit, la situation pénitentiaire dont les périodes où un
excès de risque est identifié.
Ainsi, alors que les paramètres de l’évaluation du risque sont bien regroupés, il n’existe aucune proposition pour quantifier ce risque, définir des seuils d’intervention ainsi que les interventions appropriées autre que signaler. Le seuil de signalement est défini dans le guide « lorsqu’il y a conjugaison de plusieurs éléments ou apparition d’un événement majeur dans une situation individuelle » D’ailleurs le signalement est un mot dont la présence répétée dans l’ensemble des documents consultés contraste avec la pauvreté de tout ce qui concerne les actions de prévention.
Ceci peut se comprendre dans la mesure où ces documents émanent de
l’administration pénitentiaire qui veut assurer son rôle de repérage tout en attribuant, a priori, la prévention du suicide au dispositif sanitaire. Nous rencontrerons à plusieurs reprises cette répartition des rôles conduisant à une hypertrophie relative du système de détection par rapport aux actions de prévention et de protection.
Les notions de crise suicidaire avec ses différentes étapes et d’urgence suicidaire sont absentes de ce rapport. L’absence de l’évaluation de l’urgence suicidaire empêche de définir l’intensité de l’idéation suicidaire, l’existence ou non d’un scénario suicidaire et de connaître le délai de réalisation de ce scénario. L’absence de ces notions s’accompagne d’une crainte presque généralisée des personnels pénitentiaires et sanitaires, même spécialisés en psychiatrie, pour parler directement avec le détenu de sa souffrance et de ses idées de suicide. Si cette crainte est une attitude presque universelle et spontanée, il y a bien longtemps que les avantages d’une exploration directe et franche ont été démontrés et ont été adoptés par tous les organismes professionnels et bénévoles qui interviennent dans le champ de la prévention du suicide. Ces arguments seront repris en détails dans le chapitre des recommandations.
De ce fait le guide d’analyse proposé insiste à juste titre sur tous les facteurs de risque que l’on peut déceler indirectement, sans dialoguer avec le détenu. Mais il néglige totalement l’approche la plus simple, la moins ambiguë et la plus aidante qui est le dialogue direct avec la personne. En effet, ce guide débute par la phrase suivante : « Ce guide n’est pas un questionnaire qui s’adresse directement aux personnes incarcérées. C’est un outil d’aide à l’observation, à la réflexion, à l’analyse de situation pour une meilleure intervention ».
La grille d’analyse a l’avantage de proposer un ensemble d’informations nécessaires à la prévention du suicide utiles pour évaluer le risque dont des informations à caractère médical.
La présence de ces données pose la questions des informations partagées et partageables entre les différentes personnes qui interviennent auprès d’un détenu. Il n’est pas écrit dans le guide d’analyse dans quelle mesure les professionnels sanitaires contribuent à l’information de ce document. Le contrôle de la qualité des données n’est pas posé, ni leur réactualisation.
En ce qui concerne l’intervention, il est intéressant de noter que « l’intervention peut se situer à différents niveaux et le personnel de surveillance, comme le personnel d’encadrement, est généralement capable de trouver seul des réponses appropriées à chacune de situations observées ». Cette capacité d’intervention des personnels pénitentiaires est fondamentale et doit être soutenue. Cependant le rapport est apporte peu
d’informations sur la nature des interventions.
La grille d’analyse a été testée à la maison d’arrêt d’Epinal que nous avons visitée, et a servi de base à la grille incluse dans la circulaire du 26 avril 2002. Ceci dénote une démarche cohérente, articulée et continue au fil des années pour produire un système documentaire et réglementaire favorable à la prévention du suicide. Cependant le système proposé présente des lacunes qui risquent de rendre inefficaces les efforts conduits quelle qu’en soit l’ampleur.
Le groupe de travail d’ailleurs laisse beaucoup de latitude aux établissements pour appliquer la procédure et suggère timidement quelques lignes directrices d’organisation. Ces propositions deviendront des recommandations impératives dans la circulaire citée plus haut.
5.4. Circulaire JUSE9840034C du 29 mai 1998
Cette circulaire, signée par le seul ministère de la Justice, contient l’idée importante que face au problème du suicide, il n’y a pas de solution unique et radicale. Elle reprend à son compte des passages du groupe de travail de 1996 en insistant sur le fait que la prévention cherche à restaurer le détenu dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie.
La circulaire contient ensuite une série de recommandations de pratiques professionnelles pour améliorer l’accueil des arrivants, la prévention en détention, la prise en charge d’un acte auto agressif et enfin la postvention. Elle suit, en cela, parfaitement les recommandations du groupe de travail de 1996 et donne aux personnels pénitentiaires un référentiel de prévention tout à fait adapté.
Citons quelques points clés pour inclure dans la phase d’accueil un processus de prévention du suicide :
- tenir compte que des suicides peuvent survenir avant l’audience arrivant ;
- faire intervenir le service socio-éducatif dès que possible ;
- conduire les entretiens avec une approche susceptible de repérer la détresse d’un détenu ;
- l’examen médical doit intervenir dans les plus brefs délais ;
- en cas détresse manifeste, l’équipe médicale doit être contactée par le gradé de permanence, et il doit être fait appel au dispositif d’urgence en dehors des heures d’ouverture du service médical ;
- les détenus signalés dans leur notice individuelle par l’autorité judiciaire doivent faire l’objet d’une surveillance particulière ;
- la bonne circulation des informations est indispensable pour assurer la prévention ;
- mise à disposition de moyens d’hygiène corporelle (douche) et vestimentaire (sous-vêtements neufs) ;
- favoriser la possibilité donnée aux familles de faire parvenir aux détenus des effets vestimentaires, demande distincte du permis de visite ;
- disposer du nécessaire de correspondance.
Les paragraphes sur la prévention en détention apportent quelques modifications et aussi des rappels sur les dispositions en vigueur. Ce sont :
- cesser la pratique consistant à déshabiller un détenu, même en le laissant avec des sous-vêtements en fibres non tissées en raison de son caractère humiliant ;
- de recourir à la mise en prévention au quartier disciplinaire de façon
exceptionnelle, c’est-à-dire seulement en cas d’infraction des premier et deuxième degrés et si cette mesure est « l’unique moyen de mettre fin à la faute ou de préserver l’ordre à l’intérieur de l’établissement » (art. D.250.3) ;
- cette mise en prévention est qualifiée de « mesure grave » réalisée sous la responsabilité du chef d’établissement ;
- il peut être nécessaire, dans les cas de comportement très agressif, symptôme éventuel d’une crise psychologue grave, d’aviser dans les délais les plus brefs le service médical pour qu’il apprécie par une intervention rapide, si ce placement n’est pas de nature à compromettre la santé du détenu ;
- les périodes plus particulièrement à risque de suicides sont rappelées (arrivants, mauvaises nouvelles, comparution ou condamnation, quartier disciplinaire), ainsi que l’apport des informations retranscrites par écrit au cours du service.
La circulaire précise aussi la prise en charge individualisée et rapide des détenus auteurs d’actes auto agressifs en rappelant que ceux-ci sont à risque de suicide (25 fois plus d’antécédents de tentative de suicide, 6 fois plus d’auto mutilation et 3 fois plus de grève de la faim chez les personnes décédées par suicide).
De ce fait, leur signalement doit être systématique au service médical et les suicidants (c’est-à-dire les personnes qui ont fait une tentative de suicide) doivent bénéficier d’une prise en charge qui doit être abordée lors de réunions associant les services médicaux, les autorités judiciaires et l’administration pénitentiaire.
Le rôle des personnels pénitentiaires est décrit comme primordial en complément à l’éventuelle prise en charge somatique ou psychologique. Ils sont invités à restaurer le dialogue avec ces détenus pour éviter l’escalade dans la violence auto agressive et le détenu doit être reçu en audience par un personnel de direction le ou les jours suivants le passage à l’acte.
Le rôle du service socio-éducatif est précisé en demandant au travailleur social d’entrer en contact, sur accord du détenu et en l’absence d’opposition du magistrat saisi du dossier, avec la famille ou les proches du détenu.
Les associations d’écoute et d’accueil peuvent aussi être sollicitées pour aider les détenus en détresse.
La postvention est aussi envisagée dans plusieurs composantes :
- l’annonce du décès à la famille ;
- recevoir la famille en entretien sur sa demande dans les meilleurs délais ;
- solliciter le service socio-éducatif pour aider la famille dans ses démarches ;
- signaler les co-détenus qui peuvent éprouver un sentiment de culpabilité ;
- aider les personnels volontaires -pénitentiaires et sanitaires- par une séance d’écoute et de dialogue sous la direction d’un psychologue, de la direction régionale avec l’aide éventuelle de psychologues cliniciens formés ;
- cette séance est clairement disjointe de toute recherche de responsabilité, le responsable d’établissement ou ses adjoints n’ayant pas vocation à y participer.
Toutes ces mesures, si elles sont appliquées, constituent un support idéal à la prévention du suicide notamment en positionnant tous les acteurs autour de la trajectoire de la souffrance pour la repérer et intervenir. Le positionnement des acteurs sanitaires s’appuie sur le code de procédure pénale tout en demandant plus aux personnels sanitaires, au moins dans l’esprit alors que la circulaire émane seulement de la justice. Ce manque sera comblé par la circulaire, Justice Santé d’avril 2002. Il manque cependant les aspects spécifiques pour détecter le risque, l’évaluer et pour intervenir de façon appropriée.
5.5. Rapport du comité national d’évaluation du programme de prévention du suicide en milieu carcéral (février 1999)
Il s’agit de l’évaluation du programme expérimental sur onze sites pilotes, d’une action lancée par le Directeur de l’Administration Pénitentiaire en 1995 à la suite du groupe de travail qui a produit le rapport de mai 1996. Sur la base de ces recommandations un programme est lancé au printemps 1997 dans onze sites par la DAP. Il est intéressant de noter que le volontariat n’a pas été choisi pour sélectionner les établissements, ce qui permet de mieux rendre compte de l’acceptabilité et de la faisabilité réelle de telles actions.
Le Comité National d’Evaluation a conduit une évaluation de la mise en oeuvre des moyens prévus dans le cadre du programme de prévention du suicide pour apprécier la valeur des expériences pilotes, tirer les enseignements pour améliorer et diffuser les actions de prévention du suicide. Le demandeur de cette évaluation est clairement l’Administration pénitentiaire.
Une méthode d’évaluation associant les membres du comité et des pairs recrutés par une note et par publication dans le mensuel Etapes, revue de l’AP, diffusé à destination des personnels pénitentiaires.
Dix établissements ont été évalués, quatre d’entre eux, Bayonne, Epinal, Fleury Mérogis et Loos, ont été inclus dans notre programme de visite. Ce rapport contient la description des objectifs et des actions locales en matière de prévention du suicide, l’évaluation de l’atteinte des objectifs et une série de recommandations. Il est certain que ce rapport est très proche de la mission que nous avons conduite même si les moyens utilisés et la méthode différent quelque peu. Dans les objectifs locaux, il est naturel que nous retrouvions la sensibilisation et la formation comme actions premières.
5.5.1. La sensibilisation des personnels et la formation
Des difficultés sont mises en avant pour :
- la diffusion de l’information aux personnels ;
- le fait que les formations s’adressent généralement à un « cercle d’initiés » ;
- le manque de volontaires pour se former, d’où des désignations d’office surtout pour les personnels d’accueil et du quartier disciplinaire ;
- la mise au point du contenu de la formation ;
- le recrutement d’un formateur, ayant une bonne connaissance de l’administration pénitentiaire et de la vie carcérale ;
- la persistance de résistances faites d’un scepticisme sur la pertinence d’une politique de prévention du suicide et sur l’efficacité de ce type de formation.
Il est important que le comité d’évaluation insiste sur ces difficultés car, si nos propositions apportent des réponses sur quelques points, il sera toujours essentiel de tenir compte des résistances psychologiques à l’égard de la prévention du suicide et de la formation. On doit noter que des écarts peuvent exister entre l’expression du besoin de formation et l’engagement dans un processus de formation, notamment sur un sujet qui a des implications émotionnelles fortes. Malgré cela, cinq établissement sur dix évalués avaient mis en place au moins une action de formation.
5.5.2. L’amélioration de l’organisation du quartier disciplinaire
C’est le deuxième objectif fixé localement, très approprié puisque le QD est un lieu à risque de suicide bien identifié.
Les actions relativement modestes consistent en :
- la désignation d’un gradé responsable et une stabilisation des surveillants du QD ;
- la mise en place peu fréquente (2 sites sur 10) d’outils d’observation individuelle.
Outre les deux visites médicales prévues par le Code de Procédure Pénale qui sont réellement effectuées, le comité d’évaluation n’a pas relevé de perturbations pour la continuité des soins et des traitements médicamenteux sauf pour la prise en charge psychiatrique et psychologique.
Ce dernier point constitue pour nous une anomalie majeure en considérant que, d’une part, la souffrance psychique induite par les maladies mentales est la première cause de suicide et que, d’autre part, le suivi par les psychiatres, les psychologues et les infirmiers vise à diminuer cette souffrance. Le simple fait que des thérapeutes soient absents a été décrit comme un facteur de fragilisation, même en milieu ouvert ; dans ce cas de figure, il y cumul de facteurs de fragilisation. Si une telle politique est systématique on peut avancer que la prise de risque de suicide l’est aussi.
5.5.3. L’accueil du détenu
Le comité d’évaluation a trouvé des pratiques hétérogènes pour les axes essentiels de la prévention du suicide. Des variations existent en particulier pour :
- la recherche d’informations sur le risque suicidaire en amont, auprès des instances judiciaire et policières ;
- une recherche structurée d’information concernant le risque suicidaire ;
- la durée de la phase d’accueil, d’une journée à une semaine ;
- une possibilité de douche globalement occultée ;
- un quartier arrivant plus ou moins bien individualisé.
Mais la totalité a élaboré des documents écrits qui sont remis aux détenus dès leur écrou pour les informer des éléments principaux de la vie carcérale.
5.5.4. Observer le détenu
Les actions mises en évidence sont :
- la désignation de gradés référents qui sont chargés de faire la synthèse des observations des personnels de surveillance et d’en faire part à la Commission pluridisciplinaire ;
- la conception d’outils d’observation, jamais élaborés avec les surveillants, et dont la mise en place est inconstante, avec parfois la crainte de voir sa responsabilité engagée en s’exprimant par écrit ;
- la mise en place de commissions pluridisciplinaires dans trois établissements sur dix, pour suivre les détenus à risques ou fragiles, mais les surveillants de surveillance y participent très peu et les comptes-rendus sont rares ;
- l’amélioration des relations entre services pénitentiaire et sanitaires qui sont estimées globalement satisfaisantes bien qu’essentiellement orales.
Le Comité d’évaluation a cependant relevé des anomalies dans cette communication qui se fait dans le sens pénitentiaire vers sanitaire sans véritable réciprocité. Le personnel pénitentiaire souffre d’une absence de retour de l’information justifiée par le respect du secret médical. Des situations de blocage ont aussi été observées avec des relations
inexistantes entre l’UCSA et l’Administration pénitentiaire.
Un autre point fondamental est souligné : la commission pluridisciplinaire ne peut se résumer à une instance de repérage des sujets à risque, elle doit être un lieu de prise de décisions et d’initialisation des mesures de suivi. Cette recommandation prend en compte le fait que les actions pour prévenir directement le suicide des détenus sont réduites par rapport à l’énergie déployée pour le repérage.
5.5.5. Gérer l’après-suicide
Les différentes dimensions de la postvention sont envisagées sauf celle qui porte sur le suicide par imitation. L’aide psychologique auprès des personnels pénitentiaires, sanitaires et des codétenus est abordée pour dire son irrégularité. Cette aide est réalisée essentiellement sur demande alors que la plupart des personnes traumatisées sont en général incapables de solliciter de l’aide, notamment les hommes. L’aide est apportée par le psychologue de la DR, les personnels sanitaires et parfois le médecin du travail.
Le poids de l’enquête administrative est souligné mais l’impact des inspections, souvent suite à une série de suicides, n’est pas abordé. Les visites ont permis aux professionnels de dire le stress supplémentaire qu’apportaient les inspections.
Des recommandations sont faites pour l’annonce du décès à la famille et les contacts que le travailleur social peut avoir avec l’entourage. Le soutien de la famille en tant que personnes endeuillées n’est pas évoqué. Les recommandations visent surtout à prévenir le soupçon. Ce point est important, car le deuil par suicide induit toujours une recherche des responsabilités qui peuvent être des accusations et des autoaccusations. Le manque de transparence peut bloquer le travail de deuil.
Ce rapport, après un chapitre qui reprend une analyse des dimensions citées plus haut, est conclu par une série de recommandations portant sur les objectifs et la mise en oeuvre du programme par les établissements pénitentiaires, les DR, la DAP et les autorités judiciaires et enfin les acteurs de santé.
Parmi 77 recommandations, seules 6 sont à destination des structures (UCSA, SMPR) et des établissements de santé liés par convention. Aucune recommandation n’est formulée pour les responsables sanitaires départementaux, régionaux ou nationaux.
La prévention du suicide n’est toujours pas conçue comme un risque à gérer et à prévenir de façon conjointe par les acteurs pénitentiaires et sanitaires, avec des objectifs, une stratégie et des actions partagées.
Ce rapport est cependant de grande qualité et les recommandations proposées vont dans le bon sens pour améliorer les conditions de vie des détenus, atténuer le sur risque lié au quartier disciplinaire, améliorer l’évaluation du risque suicidaire et disposer d’un partage d’information efficace. En revanche, les aspects spécifiques de la prévention du suicide n’émergent pas dans les actions des établissements qui ont été pilotes, et dans les recommandations. Le Comité d’évaluation préconise la généralisation du programme avec un pilotage actif avec un rôle important des Directions Régionales. La sensibilisation généralisée des personnels pénitentiaires est à nouveau énoncée comme priorité.
Ce rapport montre enfin les limites de recommandations forgées de bon sens, mais relativement faibles sur le plan de la stricte prévention du suicide. Le recours à l’initiative locale, même si les établissements engagés sont « désignés volontaires », constitue une seconde faiblesse pour des actions de prévention qui, par essence, sont régulières et systématiques. De ce fait, on peut se demander si l’application stricte de ces recommandations ci-dessus pourrait avoir un effet significatif sur le nombre de suicides.
5.6. La gestion de la santé dans les établissements du programme 13 000 (septembre 1999)
Le rapport réalisé à la suite de la mission confiée par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et le secrétaire d’Etat à la Santé et à l’Action Sociale, à Monsieur Pierre Pradier, député européen, est une évaluation des conséquences en terme de santé publique de la délégation des soins à une société gestionnaire privée pour 21 établissements pénitentiaires.
Il faut souligner le caractère interministériel de cette mission.
Ce système de délégation, aujourd’hui révolu, nécessitait une évaluation pour savoir si cette organisation qui faisait rupture avec les usages antérieurs apportait les réponses antérieures appropriées. De ce fait les soins psychiatriques, la prise en charge de la toxicomanie et la prévention du suicide font l‘objet de descriptions, de remarques et de suggestions.
Parmi les principales, nous retiendrons celles qui sont en faveur de la prévention du suicide.
5.6.1. Le rapprochement des UCSA et de la psychiatrie publique de secteur
Pierre Pradier veut susciter le rapprochement entre la médecine et la psychiatrie, ou plus précisément avec l’institution hospitalière publique, afin d’améliorer la convergence de ces partenaires de santé autour des besoins des personnes détenues. Pour lui, les hospitalisations dans les services de secteur psychiatrique doivent être plus faciles et pour des durées de séjour suffisantes afin d’obtenir une amélioration significative de l’état de santé ; le séjour ne peut se réduire à un séjour en chambre d’isolement. Le nombre important de personnes atteintes de troubles psychotiques et dont la pathologie a été souvent la cause première de l’incarcération impose une amélioration de l’accès aux soins psychiatriques de ces populations. Il souligne, et nous trouverons souvent ce questionnement au cours de nos visites, l’inexplicable présence en prison de personnes manifestement extrêmement malades mentalement. La difficulté de les surveiller, les réinsérer, les soigner et à vivre à leurs côtés est partagée par les surveillants, les soignants et les co-détenus. Il soulève la difficulté d’obtenir des hospitalisations d’office D 398 pour ces patients ainsi que l’hospitalisation en Unité pour Malades Difficiles (UMD), forte de 520 lits et pour lui insuffisante.
La prévention du suicide
Après une évocation du cauchemar que représente le suicide pour l’administration et les personnels de surveillance et sa progression des dernières années, il est fait état des principales mesures pour mieux identifier les « sujets à risques » lors de la visite d’entrée et d’observation plus attentive des personnes détenues considérées comme plus fragiles. Ces mesures ne sont pas décrites en détail et ne sont pas évaluées dans leur application.
L’auteur note que dans un établissement une seule des cinq personnes décédées par suicide était inscrite sur la liste des sujets à risque. Ce point montre bien la nécessité de mettre en place un dispositif qui permette l’identification correcte des risques. La surmortalité par suicide lors des trois premiers mois d’incarcération et au quartier disciplinaire est soulignée et doit faire l’objet d’une réflexion.
Le suicide est perçu par l’auteur comme un acte qui « est la marque d’une détermination qui défie encore aujourd’hui toutes les précautions, et la prévention du suicide reste à l’état de problème non résolu ». Ce constat montre combien le mythe, qui veut que les personnes suicidaires qui souhaitent absolument mourir, est partagé et est cohérent avec l’absence de suggestions pour agir directement sur le taux de suicide.
De nombreuses propositions sont faites pour mieux gérer les urgences, limiter la consommation de psychotropes. Sur ce point, plus d’une page est consacrée à savoir comment dire non à une demande de psychotrope pour un usage détourné. La médecine pénitentiaire doit aussi savoir répondre aux demandes sans besoin. Il faut noter que le problème des besoins sans demande, c’est-à-dire la question des incitations pour faire émerger une demande ou encore des soins sous contrainte, n’est pas abordé. Or nous verrons que c’est un sujet important pour la prévention du suicide.
Ce rapport a le mérite de souligner le travail des infirmiers qui a produit une avancée de la santé en prison : agents de la continuité des soins, disponibles, « oreille attentive » et interface avec les surveillants par le biais du surveillant chargé de l’UCSA.
L’accent est mis aussi sur le rôle que devrait avoir la procédure d’accréditation introduit par l’ordonnance d’avril 1996 pour vérifier la qualité et la sécurité des soins des établissements de santé publics et privés. Nos visites, quatre ans après ce rapport, ont permis de constater un démarrage très lent de cet incitatif et nous avons sollicité l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé (ANAES) en charge de cette procédure pour disposer des évaluations faites et des recommandations émises pour les établissements accrédités et en charge d’une UCSA et/ou d’un SMPR. L’évaluation des pratiques professionnelle est encore débutante.
5.7. Le guide du détenu arrivant, Ministère de la Justice, 1999
Ce document doit être remis à tous les arrivants. Il est complété dans certains établissements par un autre guide qui donne des précisions sur les règles de fonctionnement et les possibilités spécifiques à l’établissement.
Le guide donne des informations importantes qui ne doivent pas dispenser d’une explication orale. Beaucoup de détenus sont illettrés ou ne savent pas lire le français. Un support d’information complémentaire a, par exemple, été réalisé aux Baumettes. Une cassette vidéo, disponible en 4 langues, est présentée dans une salle aux détenus arrivants.
Nous avons relevé les principales informations en lien direct ou indirect avec la prévention du suicide. Ce sont :
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J’ai eu, ou je vais avoir un bref entretien avec un responsable. Je pourrai lui signaler un problème de santé, ou toute difficulté.
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Comment faire pour écrire à ma famille, à un ami ?
Je peux recevoir des photos de ma famille.
Je peux recevoir un mandat de ma famille.
Je peux écrire à tous les services de l’établissement sous pli fermé.
Je peux demander à voir le premier surveillant, le chef du bâtiment ou le directeur soit par demande écrite, soit en le signalant au surveillant.
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Et si je suis malade, ou très angoissé ?
A mon arrivée, je dois être examiné lors d’une consultation médicale dans les plus brefs délais après mon incarcération.
Signaler au médecin tout problème médical ou traitement en cours.
Par la suite, signaler que j’ai un problème de santé, et que je souhaite être reçu par le médecin, le dentiste, le psychiatre ou le psychologue.
Je peux écrire, ou faire écrire au personnel de santé de l’établissement, sous enveloppe fermée, pour demander un rendez-vous ou parler d’un problème personnel ou de santé physique ou psychologique : ce courrier est confidentiel.
Demander à mon médecin de prendre contact avec le médecin de l’établissement.
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Si c’est très urgent, je dois le signaler au surveillant qui fera d’abord appel au personnel soignant.
La nuit, il est fait appel à un service médical d’urgence - le surveillant doit faire appel au premier surveillant pour ouvrir la cellule.
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Si j’ai un problème de drogue ou d’alcool, si je suis en manque.
Ce support apporte aux arrivants une information de base qui est intégrée que s’ils ne sont pas trop tendus émotionnellement et désorganisés psychiquement. Il ne faut pas oublier que le taux d’illettrisme est évalué à un peu moins de 40 % des personnes détenues et que ce document n’est que le support d’une information normalement délivrée oralement.
5.8. Suicides et dispositifs de prévention du suicide dans différents pays européens et d’Amérique du Nord (août 2000)
Il s’agit d’une analyse comparée à partir de la contribution de 12 pays européens et d’Amérique du Nord, transmises par les magistrats de liaison dans ces différents pays. La synthèse a été rédigée par le bureau PMJ1 de la DAP. Il ressort des analyses statistiques que le taux de suicide en détention est corrélé avec le taux de suicide en population générale et que l’augmentation du suicide en détention dans les dernières années concerne plus de la moitié des pays.
Les points de départ des programmes de prévention sont variables, prise de conscience d’un taux élevé, éviter les recours administratifs… A titre d’exemple, il est maintenant admis en Espagne qu’un suicide survenu dans une prison entraîne une indemnisation de la famille du décédé, pour « fonctionnement anormal de l’institution pénitentiaire » pour une somme, en 2000, de 200 000 à 400 000 francs.
Les données transmises par la Belgique apportent une conception de la crise suicidaire en accord avec les données des dernières recherches. La progressivité de la crise, ses stades avec un tension majeure et souvent des manifestations agressives. La crise a une phase préparatoire identifiable qui est provoqué par la survenance d’un événement négatif « déclenchant ».
De nombreux éléments de cette analyse seront repris dans les rapports suivants. Quelques points nous paraissent essentiels :
- le traitement médical qui peut être obligatoire dans certains pays, comme l’Italie ;
- les visites journalières au détenu suicidaire en Espagne ;
- son placement en surveillance spéciale dans un local affecté à la prévention du suicide, local situé si possible en secteur médical, aux Etats-Unis.
La surveillance spéciale est variable selon les pays :
- surveillance vidéo permanente au Québec ;
- surveillance 4 fois et jusqu’à 8 fois par heure en Belgique ;
- entretien quotidien avec le responsable du programme de prévention du
suicide qui est le seul à pouvoir interrompre la surveillance aux Etats-Unis ;
- implication des services psychosociaux en Autriche.
Les mesures matérielles sont aussi utilisées pour limiter l’accès aux moyens de suicide :
- vêtements et draps jetables en Italie ;
- adaptation de la cellule et du mobilier pour éviter tout risque de pendaison aux Pays- Bas ;
- retrait de tout objet dangereux en Autriche.
Nous verrons plus loin que la limitation de l’accès aux moyens de suicide peut faire l’objet de plusieurs autres propositions.
Les mesures pour éviter l’isolement du détenu suicidaire constituent une piste d’intervention importante :
- le placer sous la surveillance d’un autre détenu, éventuellement formé pour jouer ce rôle de protection (Espagne, Canada, Belgique) ;
- l’occuper (Italie) ;
- ou encore, favoriser le maintien des liens familiaux par des contacts avec des personnes extérieures (Italie, Pays-Bas) ;
- ou encore, rompre l’isolement grâce aux associations d’écoute et de réconfort (Roumanie, Italie, Espagne, Autriche, Finlande, Belgique).
Ce document qui recèle bien d’autres informations, présente en annexe les contributions de chaque pays. Par exemple, celles fournies par Bernard Rebatel, magistrat de liaison à Washington, qui indique que dans un pays où il y une inflation carcérale avec presque 2 millions de personnes détenues, le taux de suicide dans les prisons fédérales n’excèderait pas le taux de la population générale, soit 11 pour 100 000 en 1998. Ce taux est environ 20 fois inférieur au taux carcéral français et un tiers inférieur au taux de la population générale française.
La majorité des administrations pénitentiaires des Etats-Unis ont mis en place des programmes de prévention qui comprennent des recommandations dans les six composantes suivantes :
- formation du personnel pénitentiaire avec une formation annuelle sur les risques suicidaires ;
- mise en oeuvre de mesures d’évaluation des risques, de surveillance, de
conseils et de soins ;
- conditions de détention, notamment lorsque le détenu est au quartier disciplinaire ;
- niveaux de contrôles avec possibilité de communiquer verbalement avec le détenu ;
- rapidité d’intervention ;
- études des dossiers de suicide.
L’administration pénitentiaire doit démontrer après un suicide qu’elle a effectivement mis en oeuvre un programme de prévention pour écarter sa responsabilité. Nous reprendrons cette obligation de moyen à notre compte car, quelle qu’en soi l’efficacité, elle permet de dire que tout ce qui pouvait être fait a été fait. Les échecs sont bien moins difficiles à assumer dans un tel contexte que dans celui où l’on est obligé de penser que tout n’a pas été fait.
Cependant cette obligation de moyens doit tenir compte du fait que faire confiance à la personne en crise est un facteur positif qui impose en soi une prise de risque.
Au Québec, la prévention du suicide fait l’objet de nombreuses actions en milieu ouvert comme dans les établissements pénitentiaires. Les études concernant les facteurs de risque présentés par les personnes détenues décédées par suicide indiquent qu’elles présentaient souvent des troubles de la personnalité (personnalité antisociale et borderline) accompagnés ou non d’états dépressifs ; en général ces troubles n’avaient pas été repérés. Ces personnes sont plus souvent toxicomanes, avec des difficultés relationnelles avec les co-détenus et arrivés récemment dans l’établissement.
Parmi les femmes incarcérées, 55 % auraient déjà fait une tentative de suicide et 28 % des hommes avec en moyenne plus de 3 tentatives par personne. La fréquence des antécédents de tentatives de suicide sont d’environ 3,5 % dans la population masculine adulte. Ces données sont issues du rapport fait par Marc Daigle et Gilles Côté, en avril 2002, pour le ministère de la santé du Québec sur le dépistage systématique et la prise en charge des hommes incarcérés suicidaires.
Presque 50 % des hommes incarcérés ont déjà « pensé sérieusement au suicide en prévoyant le moyen pour le faire » avant d’être écroués contre 10 % pour la population générale. Les détenus en urgence suicidaire élevée, selon l’échelle en 9 niveaux définie par Morisette en 1994 (en annexe 19 dans le document proposé pour évaluer le potentiel suicidaire), représentent 8 % de la population carcérale et 14 % ont un trouble mental sévère. Le risque est considéré comme élevé à partir du degré 2 de cette échelle ce qui peut paraître excessif avec le risque de mettre tous les détenus suicidaires sous le même plan de prévention.
Trente cinq pour cent seulement des personnes en urgence élevée étaient dépistées de façon formelle et placées en surveillance spéciale. Ceci montre que les améliorations à conduire ne sont pas spécifiques à notre pays.
La prévention au Québec obéit aux mêmes principes qu’en Europe. Quelques points particuliers paraissent intéressants à souligner.
Des actions de sensibilisation et de formations sont faites auprès des personnels, des intervenants des associations, des personnes incarcérées et des groupes d’entraide.
La formation inclut l’intervention en cas de crise suicidaire, telle qu’elle est abordée dans la conférence de consensus française, avec le repérage des signes de la crise et l’intervention fondée sur l’établissement d’une relation de confiance puis d’un désamorçage de la crise. La formation aborde aussi les thèmes de la hiérarchie, de la manipulation, de l’impulsivité et de l’agressivité. Une journée sur la prévention du suicide fait partie de la formation initiale et les équipes d’intervention de crise bénéficient de 4 journées.
Il existe un programme spécial d’aide par les pairs qui s’appuie sur l’idée qu’une relation de confiance peut s’instaurer plus facilement entre détenus qu’entre détenus et surveillants. Cette possibilité vient compléter l’aide qu’apportent les surveillants et ce dispositif peut augmenter les chances de détecter et d’intervenir en cas de crise suicidaire.
Les arrivants sont soumis à un questionnaire pour évaluer le risque de suicide. Cet instrument est intitulé « Critères de filtrage pour le dépistage et la prévention du suicide en milieu carcéral ». Les informations issues de différentes sources, observation, dialogue avec le détenu, impression subjectives, sont renseignées dans un document qui a inspiré en partie la grille de la circulaire du 26 avril 2002. Il existe une volonté d’explorer les points suivants :
- le vécu du détenu quant aux émotions et sentiments qu’il peut éprouver :
tristesse, pleurs, effondrement, désespoir, honte, peur, anxiété, colère, impuissance, idéation suicidaire…
- les antécédents de tentative de suicide et d’auto lacération ;
- les pertes dans les 6 derniers mois (proche, conjoint, ami, emploi…) ;
- les menaces et pertes futures liées à l’incarcération (famille, emploi, santé, argent…) ;
- le fait d’être endeuillé par suicide ;
- l’existence d’une désorganisation psychique (agitation, impossibilité de se
concentrer, absence de réaction, incohérence, retrait, effets de drogues ou de l’alcool, hallucination, délire) ;
- les idées de suicide et les projets de suicide.
Les concepteurs ont prévu que s’il y avait plus de 8 réponses positives pour les 18 critères, le détenu devait être signalé au chef d’unité. De plus, 7 critères sont considérés comme suffisamment spécifiques quant à l’urgence suicidaire, pour qu’une seule réponse positive à l’un d’entre eux induit un signalement, quelles que soient les autres réponses. Ce sont les critères sur l’idéation suicidaire, le fait que le détenu ait une reconnaissance sociale ou a commis un crime particulièrement choquant, le désespoir, les antécédents de tentative de suicide, l’incohérence et l’influence de drogues ou d’alcool.
La surveillance qui découle de cette évaluation comporte 3 niveaux : de routine, active et constante. Thierry Alvès et Ludovic Fossey, qui ont fait une mission lors du premier congrès international de la francophonie en prévention du suicide à Québec en avril 2000, ont été étonnés de découvrir que les personnes en urgence suicidaire élevée pouvaient bénéficier d’une surveillance constante par le recours à la vidéo sur de courtes périodes. Ils proposaient après ce constat une réflexion sur l’équilibre à trouver entre le respect de la liberté individuelle et l’obligation faite à l’administration d’empêcher le passage à l’acte.
Les documents annexés à leur rapport contiennent des mises en garde sur l’utilisation de description ou de profil type des personnes à risque de décès par suicide ou de moment type de survenance du suicide. Les rédacteurs de ces documents voient un risque de soustraire à la vigilance des divers intervenants des détenus ou des situations qui s’écartent de ces profils.
Quelques objectifs et principes de prévention en cas de crise suicidaire existent au Québec dans la procédure de dépistage, de référence et d’intervention :
- prévenir l’apparition de comportements suicidaires et leur aggravation
(idéation passagère, menace, automutilation, tentative de suicide) ;
- instaurer un mécanisme de référence unique permettant aux personnes
suicidaires incarcérées ayant un potentiel suicidaire de rencontrer les personnes-ressources appropriées ;
- instaurer un système permettant la communication d’information entre les
intervenants.
Les liens successifs entre agressivité, violence, menaces, automutilation, tentative de suicide et suicide sont bien décrits en Amérique du Nord. Les personnes recourant à un moment données à l’automutilation sont clairement identifiées comme à risque de suicide élevé.
L’engagement social et associatif au Québec pour prévenir le suicide est important comme la place donnée aux formations adaptées au milieu pénitentiaire. L’administration pénitentiaire française devrait s’engager à travailler sur la limitation de l’accès aux moyens de suicide comme le fait le Québec. La postvention est aussi décrite dans ses différentes composantes.
Nous la reprendrons plus loin.
L’intérêt de l’institution des coroners [2] est aussi évoqué pour analyser avec précision les causes et les circonstances des décès, notamment en cas de suicide, quel que soit le lieu de survenance. Ce dispositif a l’avantage d’avoir accès à l’ensemble des informations existantes, de reconstituer la séquence causale avant le décès et de faire des recommandations en vue de la prévention. Il est certain que l’analyse des causes des suicides en France manque cruellement dans tous les milieux de l’existence d’un tel dispositif.
5.9. Rapport sur les dispositifs de prévention du suicide dans les établissements pénitentiaires ; évaluation de la mise en oeuvre de la circulaire du 29 mai 1998 relative à la prévention du suicide dans les établissements pénitentiaires Annexe (janvier 2001)
Il s’agit d’un document technique très complet de l’Administration pénitentiaire qui vise à identifier quels sont les paramètres des établissements pénitentiaires liés à leur structure et leur fonctionnement qui peuvent influencer le taux de suicide des personnes détenues.
Une typologie des établissements est proposée en trois classes selon le niveau du taux de suicide et la présence de caractéristique corrélées avec le taux de suicide.
Le taux de suicide dépend des paramètres suivants qui sont eux-mêmes corrélés entre eux.
Par exemple les maisons d’arrêt ont plus de suicides et le taux d’encadrement est plus faible que dans les centres de détention.
Le groupe 1, avec un faible taux de suicide, est constitué essentiellement :
- d’établissements pour peine ;
- avec un faible taux d’occupation ;
- un bon taux d’encadrement (73 % avec moins de 2,8 détenus par surveillant ;
- et une mise en service après 1980.
Le groupe 3, avec un fort taux de suicide, est constitué de manière prévalente de :
- maisons d’arrêt
- avec un fort taux d’occupation ;
- un faible taux d’encadrement (53 % avec plus de 3,2 détenus par surveillant) ;
- et une forte proportion d’établissements construits avant 1960.
Le groupe 2 est constitué d’établissements où aucune caractéristique marquée qui favoriserait le suicide ou en protégerait.
La variable taille de l’établissement ne se dégage pas dans cette analyse alors, qu’intuitivement, on pourrait penser qu’il y a une taille optimale pour mieux organiser la prévention. Une large partie du document comporte une comparaison entre les 3 groupes quant aux pratiques institutionnelles préconisées dans la circulaire pour la prévention du suicide. Il ne s’agit pas d’une évaluation à partir d’un échantillon de détenus pris en charge mais de réponse des établissements sur les pratiques habituelles.
Ces données nous apportent des informations relativement complexes car si les maisons d’arrêts sont plus souvent dans le groupe 3 avec un taux de suicide élevé, ce sont elles qui font le plus en sorte que les détenus arrivants voient un médecin le jour même de l’arrivée.
A la question « le psychologue ou le psychiatre reçoivent-ils le détenu arrivant ? » les réponses sont de 16,7 % pour le groupe 1, et 24,2 % pour le groupe 3. Cette question sous-entend que la procédure est systématiquement appliquée pour tous les arrivants alors que dans tous les établissements les psychiatres et psychologues reçoivent des détenus, souvent sur demande ou sur signalement, mais pas tous.
Selon les réponses faites, les pratiques d’utilisation du quartier disciplinaire ont été modifiées dans le bon sens suite à la circulaire. La baisse du nombre de décès enregistrés au QD en 2001 est 2002 est-elle à relier à ces changements ? Faute de données antérieures sur les pratiques déclarées, il est difficile de l’affirmer mais cette tendance doit être retenue.
A la question portant sur les professionnels qui rencontrent systématiquement dans les premières heures un détenu mis en prévention au QD, les réponses sont :
- le chef de détention dans 86 % des établissements ;
- un personnel de direction dans 32 % des établissements ;
- un personnel socio-éducatif dans 3 % des établissements ;
- un médecin dans 68 % des établissements ;
- un psychiatre ou psychologue dans 4 % des établissements.
La seule différence entre les 3 groupes porte sur la fréquence où le chef de détention voit le détenu (93 % des établissements dans le groupe 3) essentiellement des maisons d’arrêt, qui, rappelons-le, a le plus de suicide. Les autres pratiques, exceptées la visite du médecin, sont trop peu fréquentes pour expliquer les différences entre les groupes.
La fréquence avec laquelle les psychiatres ou psychologues interviennent au QD pour rencontrer un détenu placé en prévention apparaît extrêmement faible en regard du risque de suicide qui est sur le plan sanitaire le principal risque à prévenir.
Plusieurs autres questions portent sur l’attitude des établissements face au risque de suicide, lorsque celui-ci est identifié pour un détenu le jour de l’écrou. Là encore, les réponses indiquent des variations :
- le médecin de l’UCSA, en raison probablement de l’examen systématique mais aussi d’une mobilisation spécifique puisque le taux en routine est autour de 49 %, est le professionnel le plus rencontré pour 87 % des établissements ;
- pour le psychiatre : 30 % pour le groupe 1, 61 % pour le groupe 2 et 53 % pour le groupe 3 ;
- pour le CIP : 58 %.
Les mesures prises pour protéger le détenu sont :
- la surveillance spéciale avec des rondes plus fréquentes (69 %), une observation plus approfondie (58 %) ; des entretiens individuels (8 %), des comptes-rendus à la hiérarchie (20 %).
En cas de doublement de la cellule, le médecin est très peu sollicité pour avoir son avis sur le choix du co-détenu. Ce dernier, dont la présence est sensée protéger, n’est informé systématiquement du risque que dans 37 % des établissements globalement, plus dans les centres de détention que dans les maisons d’arrêt.
La palette de l’offre des différents professionnels de surveillance, du SPIP et de l’UCSA est relativement large. Les réponses donnent l’impression que tout le monde a un rôle à jouer, mais qu’il existe des variations qui témoignent qu’il n’y pas peut-être par une claire répartition des contributions de chacun.
L’aide apportée sous forme d’entretien par le SPIP est déclarée pour 87 % des établissements alors qu’elle est de 55 % pour les psychologues et de 42 % sous forme d’un suivi psychiatrique.
Le travail préconisé par la circulaire, sous la forme de réunions pluridisciplinaires pour aborder la situation des détenus fragiles ou avérés suicidaires, est mis en place dans 59 % des établissements avec une périodicité hebdomadaire dans 23 % des cas, tous les 15 jours pour 11 %, et 36 % mensuellement. Un intérêt pour le travail de prévention est déclaré dans 89 % des établissements.
La recommandation d’ouverture et de recours au monde associatif pour contribuer à la prévention du suicide est le fait de seulement 4 % des établissements.
Pour le volet sensibilisation et/ou formation 14 %, des établissements déclarent des actions dans ce sens pour la prévention du suicide.
Enfin, nous constatons que 43 % répondent utiliser une « grille de repérage » sans qu’il soit précisé que cela porte spécifiquement sur le risque de suicide. Ce taux est plus élevé que celui constaté lors de nos visites pour la grille de la circulaire de 2002.
Quelques soient ces résultats, la volonté d’évaluation du changement induit par une circulaire au niveau de l’organisation et des pratiques est en soi remarquable.
On ressent cependant un certain « vide » entre la circulaire et son évaluation, avec l’impression que malgré les « prescriptions » précises contenues dans un texte réglementaire, les établissements ne sont pas suffisamment accompagnés dans leur démarche d’amélioration du processus de prévention du suicide. Les nombreuses réponses, « à la demande », « si besoin » indique que la démarche de prévention n’est
pas systématique et que son « moteur » est plus le volontariat des acteurs locaux soumis aux aléas des institutions et de l’empilement successif de priorités.
5.10. Rapport de la mission d’étude de dispositifs étrangers de prévention du suicide en milieu carcéral (mai 2001)
Monsieur Didier Boccon-Girod, conseiller technique au Cabinet de la Garde des Sceaux, Madame Isabelle Gorce sous’directrice à la DAP, Madame Sophie Lambremon, inspectrice générale adjointe des services judiciaires, Monsieur Michel Rispe, magistrat à la DAP, rapporteur et Monsieur Michel Vernerey, inspecteur général à l’IGAS ont été missionnés en 2001 par la Garde des Seaux, Ministre de la Justice pour rendre compte des dispositifs de lutte contre le suicide à l’étranger.
Cette mission démontre encore une fois la préoccupation de l’Administration pénitentiaire de trouver les meilleures solutions face à ce fléau. Pourtant, il est signalé dans le préambule que le Bureau des études, de la prospective et du budget de l’administration pénitentiaire n’a pu mettre en évidence un lien entre les taux de suicide publiés et l’existence d’une politique formalisée de prévention du suicide, pas plus qu’avec les conditions de détention ou les caractéristiques des populations détenues. Cette assertion est reprise du travail de synthèse remarquable fait par ce bureau (DAP-PMJ1) en août 2000 intitulé : « Suicides et dispositifs de prévention du suicide dans différents pays européens et d’Amérique du Nord » et résumé plus haut.
Un rappel de la « sur-suicidité » carcérale, par rapport à la population générale des pays de référence, indique que la France est en position médiane, avec un coefficient de 12 fois plus de suicides pour les personnes détenues, parmi des extrêmes de 4 pour la Finlande et de 24 pour l’Irlande. Il est à noter que ce sont des données brutes et que la population carcérale n’est pas comparée avec une population libre présentant les mêmes caractéristiques d’âge, de sexe, de facteur de risque. Faute de données françaises, il nous est impossible de dire l’ampleur de cette sur-suicidité qui est potentiellement attribuable au délit ou au crime, à l’arrestation, à la garde à vue, à la mise sous écrou, à la détention, aux différentes phases judiciaires et à leurs cortèges respectifs de conséquences. Cette question qui est plus d’ordre scientifique est latérale à notre mission dont l’objectif est de faire des propositions, non pas pour expliquer le suicide pour les personnes détenues, mais pour faire face à ce
risque et le diminuer.
Les caractéristiques générales des 6 pays visités, Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas, Angleterre et Pays de Galles sont comparées pour la population carcérale totale, les taux de suicide, le nombre de personnes écrouées, la durée de détention, la capacité carcérale, la densité carcérale et la politique ou non de l’encellulement individuel. Le taux d’encadrement qui est le nombre de détenus par surveillant était de 2,5 en France pour les années 1998-2000 pour 3 en Allemagne et 1,5 aux Pays-Bas.
Les membres de la mission indiquent qu’aucun paramètre à soi seul ne peut être relié au taux de suicide.
Le grand intérêt de cette mission est de mettre en lumière les solutions adoptées par ces différents pays exprimées sous formes de 13 propositions.
La première est, une fois de plus, la formation des personnels. La recommandation contient, outre l’enseignement d’une meilleure connaissance du phénomène suicidaire, celui des rôles que ces personnels doivent jouer, notamment l’intérêt qu’il y a à communiquer avec les détenus et d’échanger avec les autres services. La conférence de consensus d’octobre 2000 sur « La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge » est citée pour rappeler que la formation est un objectif prioritaire identifié par le jury.
Le repérage du risque de suicide, et les conditions favorables à ce repérage, font l’objet des 5 propositions suivantes :
- établissement par les services de police d’une fiche écrite portant sur le
comportement des personnes placées en garde à vue avec transmission à l’établissement pénitentiaire dès l’écrou ;
- création de quartiers arrivants dans tous les établissements pénitentiaires ;
- utilisation de grilles d’évaluation du risque suicidaire pour chaque entrant ;
- ouverture d’une cote spéciale dans le dossier individuel d’une personne
détenue repérée comme suicidaire pour s’assurer de la réalité de sa prise en charge ;
- systématisation des réunions multidisciplinaires préconisées par la circulaire de 1998.
Une grille de repérage du risque suicidaire a été reprise dans la circulaire du 26 mars 2002 cosignée par la Justice et la Santé. Ceci montre l’effort de cohérence pour améliorer la prévention du suicide. Nous verrons les faiblesses qui peuvent expliquer qu’en 2003 cette grille soit peu utilisée dans les établissements que nous avons visités.
Les six propositions émises pour apporter un soutien aux détenus présentant un risque suicidaire sont importantes car elles introduisent des mesures conformes aux recommandations des experts internationaux de la prévention du suicide. On peut seulement regretter encore que le risque de suicide soit encore confondu avec l’existence d’une crise
suicidaire.
La première notion introduite est que la réponse doit être adaptée à l’importance du risque ce qui implicitement impose une graduation du risque (ceci est valable aussi pour l’urgence suicidaire). La surveillance spéciale faite par les personnels pénitentiaire ne peut plus être la réponse univoque.
La deuxième est que le dialogue doit être privilégié et il « s’agit de converser humainement avec le détenu sans craindre d’évoquer les idées de suicide ».
S’il n’y avait qu’une seule recommandation à faire en terme de prévention du suicide, c’est celle-ci que nous ferions car sans l’exploration des idées de suicide, des intentions et du scénario, il est strictement impossible de savoir sans ambiguïté si une personne pense ou ne pense pas au suicide. On peut avoir de l’intuition, on peut s’appuyer sur des signes indirects ou faire des constructions pseudo logiques, seul le dialogue permet de confirmer ou d’infirmer ces suppositions. Il est dommage que cette notion n’ait pas été reprise dans la circulaire de 2002 pour renseigner la grille
sur le risque de suicide.
Une proposition est en faveur de l’expérimentation de détenus confidents selon le modèle anglais, repris aussi au Québec. Les auteurs du rapport sont prudents, doutant de l’acceptabilité d’une telle solution, ils écrivent qu’il faut prendre toutes les précautions qui s’imposent. Un jumelage entre établissements est même évoqué. L’Angleterre, et l’Espagne dans une moindre mesure, ont poussé le plus loin la rationalisation du choix du co-détenu qui va « doubler » celui qui est suicidaire. Il s’agit d’une pratique habituelle en maison d’arrêt.
L’utilisation de critères explicites rendrait certainement encore plus adapté le choix qui est fait le plus souvent avec attention mais sur des critères qui dépendent plus du professionnel en poste que de la structure. Ainsi, il est proposé que le choix d’un détenu confident appartienne au comité pluridisciplinaire de suivi de chaque établissement. Ces détenus seraient choisis parmi des volontaires qui devraient recevoir une formation adéquate. Des mesures financières sont aussi proposées à l’étranger pour reconnaître l’engagement des détenus.
L’esprit d’ouverture suscité par cette mission à l’étranger se poursuit par la possibilité de développer les liens avec l’extérieur par :
- par l’intervention des associations d’écoute ;
- par la possibilité de visites au profit des détenus à risque de suicide, notamment ceux qui sont placés au quartier disciplinaire, comme l’avait déjà proposé un groupe de travail en 2000 ;
- en aidant financièrement les familles peu fortunées pour favoriser les déplacements en cas de détention éloignée ;
- en étendant la possibilité de téléphoner pour les prévenus.
Il est certain que ces mesures tendent potentiellement à augmenter les possibilités pour un détenu de mieux endurer ses souffrances et d’éviter qu’il entre dans une crise suicidaire.
La postvention est évoquée par les actions conduites aux Pays-Bas pour limiter le phénomène de contagion après un suicide, pour soutenir les personnels et assister la famille. La possibilité est offerte à la famille du défunt de visiter sa cellule dans souci de dialogue et de transparence. Il est remarquable que cette proposition ait été adoptée en France rapidement.
Suite à ses déplacements, la mission conclut qu’il n’y a pas de solution unique mais une palette d’approches et de mesures complémentaires pour maintenir ou restaurer le désir de vivre chez les personnes incarcérées.
5.11. Circulaire DGS/SD6C n° 2001-318 du 5 juillet 2001 relative à la Stratégie nationale d’actions face au suicide 2000-2005 : actions prioritaires pour 2001
Cette importante circulaire vise à la réalisation d’actions précises pour :
- favoriser la prévention ;
- diminuer l’accès aux moyens du suicide létaux ;
- améliorer la prise en charge des personnes en mal être et des familles ou
proches des suicidants ;
- mieux connaître la situation épidémiologique.
L’objectif de cette stratégie est de passer à terme sous la barre symbolique des 10 000 morts par suicide. Il est intéressant de savoir que le Cépidc de l’INSERM qui recense les causes de décès, donnait, début 2003, le chiffre de 10 268 suicides pour 1999. Une tendance à la diminution se manifestant depuis plusieurs années, il est possible que cet objectif ait été atteint avant la parution de cette circulaire, sauf si l’on tient compte de la sous-estimation des déclarations des suicides évaluée à 20 %.
Un des axes importants de cette circulaire est la réalisation d’une formation de formateurs (universitaires de psychiatrie et universitaires de psychologie, à raison d’au moins un binôme par région) pour qu’ils réalisent au moins 3 formations par an pendant 3 ans aux fins de transmettre les conclusions de la conférence de consensus sur la crise suicidaire. Cette action aura été financée à hauteur de 1 500 000 F pour les six premières sessions qui seront achevées en janvier 2004. La liste des formateurs régionaux est en annexe 11.
Une dynamique de partenariat est sollicitée entre ces universitaires et les différentes institutions régionales dont la justice. Pour chaque action de formation dans les régions un financement important est prévu. Cette circulaire témoigne d’un engagement fort et sans précédent du ministère de la santé en faveur de la prévention du suicide.
5.12. Circulaire NOR JUSE 02 400 75C/Santé-DGS 2002/258 du 26 avril 2002
Cette circulaire constitue un événement dans le champ de la prévention du suicide en milieu pénitentiaire car elle est cosignée par les 2 ministères. Son volume, 16 pages accompagnées d’une grille d’aide au signalement des personnes détenues présentant un risque suicidaire de 4 pages, atteste de l’engagement politique et technique du ministère de la santé dans la prévention du suicide des personnes détenues.
Un large historique introductif permet de montrer l’évolution des idées et des différents textes précédant. L’introduction d’un nouveau texte est justifié, après évaluation faite par la DAP (Rapport sur les dispositifs de prévention du suicide dans les établissements pénitentiaires ’ DAP/PMJ1 ’ janvier 2002) par une application trop imparfaite de la circulaire précédente pour l’information des familles, l’accueil des arrivants écroué tardivement, l’échange et la circulation des informations, le peu de réunions consacrées à la prévention du suicide et un relatif cloisonnement des services.
L’évaluation citée a permis de mettre en évidence des initiatives locales :
- mise en place d’une période d’observation de plusieurs jours en maison d’arrêt comme ce qui est fait pour les centres de détention dotés d’un PEP ;
- prise de contact avec les associations environnantes pour améliorer la prise en charge des personnes détenues fragiles ;
- des unités de consultations et de soins ambulatoires ont entrepris d’animer des groupes de parole pour les détenus en difficulté.
Différentes actions sont rappelées pour mieux introduire les changements proposés. La visite dans plusieurs pays étrangers, décrite plus haut permet d’écrire : « la lutte contre le suicide en détention, loin de se limiter à un simple suivi médical, mobilise fortement toutes les catégories de personnels, tant les équipes soignantes, les partenaires associatifs que les personnels de surveillance, au point que leurs efforts conjugués ont permis d’obtenir des résultats probants qui démontrent, s’il en était besoin, que la prévention du suicide est possible ».
Cette déclaration marque une étape importante dans la prévention du suicide car elle en fait une performance collective.
La circulaire oriente le renforcement du dispositif construit jusqu’ici dans cinq plans :
- développer des actions de formations ciblées ;
- favoriser un meilleur repérage du risque suicidaire ;
- apporter un plus grand soutien aux personnes détenues présentant un risque suicidaire ;
- mieux limiter les conséquences du passage à l’acte ;
- améliorer le suivi des actes suicidaires et de l’application du dispositif de
prévention des suicides.
Les actions concernant la formation mobilisent l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP) pour renforcer l’enseignement sur la prévention du suicide. Les intervenants en milieu pénitentiaire peuvent bénéficier aussi des formations régionales mises en place par la DGS. Ces formations visent à diffuser les recommandations de la conférence de consensus organisée par la Fédération française de psychiatrie (FFP) avec le soutien méthodologique de l’ANAES : « La crise suicidaire : repérer et prendre en charge ».
Les publics ciblés par cette formation sont décrits dans la circulaire ministère de la santé du 5 juillet 2001 avec pour la première année une participation limitée des personnels pénitentiaire en raison des besoins dans les différents milieux. A terme, il est prévu que les formations seront dispensées par les services compétents de l’administration pénitentiaire.
Rien n’est dit sur la participation des personnels sanitaires à la formation.
L’amélioration du repérage du risque suicidaire introduit une grille qui est qualifié de premier outil d’aide au signalement des personnes présentant un risque suicidaire. L’objectif est de mettre en relief certains aspects ou facteurs qui laissent à penser qu’une personne peut être tentée de se suicider.
Théoriquement, en accord avec les conclusions de la conférence de consensus et certaines expériences étrangères, cette grille est perfectible et fait l’objet d’une proposition (Annexe 19).
Des formations sont annoncées pour apprendre à renseigner cette grille ; elles ne verrons jamais le jour, et de plus, entraîneront une confusion avec les formations initiées par le ministère da la santé.
Les recommandations qui accompagnent cette grille sont ambiguës dans la mesure où il semble pouvoir renseigner les items sans poser directement les questions au détenu. Dans le problème qui nous concerne, il est resté la personne la plus informée sur sa souffrance et sur l’éventualité de recours au suicide pour mettre fin à celle-ci.
L’exploitation de la grille doit se faire lors d’échanges entre les différents services et il est prévu de la transmettre à l’UCSA et au SMPR, si l’établissement en est doté. Ces deux recommandations sont en faveur d’un meilleur partage de l’information. Nous verrons lors des visites que cette grille est peu renseignée souvent pour certains arrivants, et peu transmise aux équipes sanitaires.
Il est regrettable que la distinction entre risque et urgence suicidaire ne soit pas faite malgré la référence à la conférence de consensus et surtout, comme cela avait été
noté à la suite des missions à l’étranger, que l’exploration directe des idées, des intentions et du scénario suicidaire ne soit pas érigée comme référence de pratique.
Même si ceci peut soulever peurs et réticences, il n’est pas connu, aujourd’hui, d’autre méthode, pour détecter et intervenir lors d’une crise suicidaire, que le dialogue direct avec la personne. La fiabilité des signes indirects est trop faible pour affirmer une crise, ces signes ne peuvent servir que de clignotants. Le professionnalisme passe par le dépassement de ces peurs lors de formations adaptées.
La poursuite de l’observation au cours de la détention est préconisée pour les périodes à risque déjà évoquées et les situations de mise en danger extrême, avec une référence explicite aux incendies de cellules et aux auto mutilations.
Au fil des documents, on voit se construire un lien entre la souffrance psychique avec ses diverses formes d’expression, quelles soient auto et/ou hétéro agressive et l’augmentation des agressions envers les personnels des services pénitentiaires qui ont doublé entre 1996 et 2001.
Cinq types d’action sont recommandés pour apporter un plus grand soutien aux personnes avec un risque de suicide. Cette énumération est précédée d’un rappel de jurisprudence surl’obligation de moyen et de traçabilité des actions entreprises pour surveiller et protéger.
Le recours à un co-détenu et la désignation de celui-ci doivent être faits avec le plus grand discernement. Une expérimentation du dispositif anglais du « détenu confident » est envisagée.
Le soutien au détenu est constitué aussi du maintien, voire du renforcement, des liens familiaux et/ou amicaux. Le concours des familles, des proches et des associations doit être effectif.
L’expérimentation de téléphonie sociale conduite avec la Croix-Rouge française dans huit établissements devrait être étendue à d’autres établissements.
Le soutien préconisé passe aussi par un choix d’activités, poste de travail, sport, activités socio-éducatives et culturelles.
La surveillance spéciale est rappelée et il est proposé de mettre une cote spéciale dans le dossier du détenu pour garder trace de toutes les des actions faites pour prévenir le suicide.
Un silence total est fait sur les actions sanitaires pour prévenir le suicide et le traitement de la souffrance psychique liées aux maladies mentales. Dans ce sens la circulaire malgré sa double signature montre un trop faible engagement sanitaire.
Rien n’est dit sur les consultations, leur caractère systématique ou seulement sur demande expresse du détenu, les délais de ces consultations, les examens médicaux au quartier disciplinaire, les indications de soins au SMPR et les hospitalisations en secteur de psychiatrie. Rien non plus sur les urgences liées aux crises suicidaires en dehors de heures de présence médicale.
Les recommandations après un passage à l’acte suicidaire sont détaillées à nouveau dans cette circulaire pour informer et accueillir la famille endeuillée. Les plus proches du défunt peuvent se rendre dans la cellule du défunt. Il leur est proposé systématiquement de rencontrer un psychiatre, un médecin ou encore un psychologue. Une information à destination des co-détenus doit aussi être effectuée par le chef d’établissement lors d’une réunion.
Le dernier point concerne un renforcement des rôles de la « commission d’étude des cas d esuicide » mis en place depuis janvier 2001 au sein de la DAP qui devient « commission centrale de suivi des actes suicidaires en milieu carcéral ». Composée d’un magistrat et de membres de la DAP dont le chef du projet de prévention des suicides à la DAP, cette commission ne comprend qu’un représentant du ministère de la Santé.
Ses objectifs sont :
- veiller à ce que tous les décès par suicide soient effectivement recensés ;
- contrôler la bonne application des dispositions édictées en matière de prévention du suicide ;
- rechercher de nouveaux axes d’amélioration.
Il est noté que pour mener à bien ses missions cette commission pourra s’adjoindre l’expertise d’un médecin-psychiatre.
La circulaire donne les étapes de la remontée d’information après un suicide ou tout décès de cause indéterminée et indique que cette commission doit se réunir chaque trimestre et qu’elle remet un rapport annuel au Garde des Sceaux.
Chaque Direction régionale doit recenser chaque année les actions de prévention du suicide faites dans chaque établissement et elles doivent réunir une fois par an l’ensemble des directeurs et chefs d’établissement.
Deux paragraphes importants se trouvent à la fin de cette volumineuse circulaire : l’un porte sur l’inscription des besoins des établissements pénitentiaires dans la programmation régionale de santé pour prévenir le suicide et le second demande à ce que, ensemble, les acteurs du milieu carcéral devront s’employer à ce que les actions de prévention du suicide fassent l’objet d’une parfaite coordination, notamment entre les établissements de santé et les établissements pénitentiaires concernés.
La grille d’aide au signalement des personnes détenues présentant un risque de suicide complète cette circulaire. Elle est commentée et fait l’objet de suggestions, de modification dans nos propositions.
5.13. Circulaire DGS/SD6C n° 2002-271 du 29 avril 2002 relative à la Stratégie nationale d’actions face au suicide 2000-2005 : actions prioritaires pour 2002
Dans le droit fil de celle du 5 juillet 2001, cette circulaire prolonge les formations de formateurs, en prévoyant le financement de 2 sessions en plus. Plus de 80 seront ainsi formés en 4 sessions.
Les formations régionales sont aussi financées sous forme de crédits délégués sur le chapitre 47-11/70 pour indemniser les binômes de formateurs et assurer les frais attenants aux personnes formées.
Ceci démontre bien la volonté du ministère de la santé via la DGS pour mettre en oeuvre la stratégie nationale de prévention dans un souci de cohérence et de progressivité.
Les chefs de service pénitentiaires et travailleurs sociaux des SPIP sont identifiés parmi 10 champs d’action prioritaires.
5.14. L’organisation des soins aux détenus : rapport d’évaluation de l’Inspection générales des affaires sociales et de l’Inspection générale des services judiciaires (juin 2002)
L’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) et l’Inspection Générales des Services Judiciaires (IGSJ) ont été chargées d’évaluer l’organisation des soins aux détenus suite à la loi du 18 janvier 1994 et le décret du 27 octobre 1994. Cette loi modifie profondément les soins aux détenus en :
- rattachant automatiquement chaque personne détenue au régime général d’assurance maladie et maternité de la sécurité sociale ;
- mettant en place des unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), confiées aux hôpitaux publics ;
- instaurant la prise en charge des détenus nécessitant une hospitalisation par le service public hospitalier.
Cette loi est dans la logique de la réforme qui a conduit à la création des services médicopsychologiques (SMPR), en 1986, par les établissements hospitaliers publics, dans le cadre de la sectorisation.
La lettre de mission donnée aux inspections générales contenait plusieurs points qui concernent la nôtre : les traitements psychologiques et psychiatriques, le mode de signalement par les personnels médicaux, paramédicaux et de surveillance des attitudes suicidaires, les précautions prises à la suite de ces signalements et les initiatives déjà engagées pour enrayer ce phénomène.
Nous ne reprendrons que quelques idées et recommandations de ce rapport, uniquement sur le thème de la prévention du suicide.
Il est noté que le repérage suicidaire et l’accompagnement d’un détenu suicidaire sont une oeuvre collective et que le partage trop strict des rôles peut s’avérer contreproductif.
Nous ne pouvons que souscrire à cette remarque d’autant plus que la situation est urgente.
L’amélioration des échanges entre les médecins et les travailleurs sociaux (de la permanence d’orientation pénale ou du service éducatif auprès du tribunal) qui ont été amenés à rencontrer le futur détenu lors de sa garde à vue, est recommandée.
Le SMPR ou le secteur de psychiatrie doit répondre aux demandes de l’UCSA, des surveillants ou des travailleurs sociaux lorsque ces derniers signalent une situation à risque, sans attendre une demande expresse du détenu.
La mission demande que la question du placement en quartier disciplinaire de personnes souffrant de troubles mentaux soit évoquée et traitée par un groupe de travail DGS/DAP.
Personnellement, nous savons que le guide méthodologique des UCSA et SMPR est en cours de révision avec la DHOS à « code constant », c’est-à-dire sans modifier le code de procédure pénale actuel qui définit précisément les actions sanitaires au sein des établissements pénitentiaires. Cette contrainte limite totalement la possibilité d’introduire les changements qui seraient protecteurs pour les personnes détenues et malades mentalement.
En particulier, l’intervention des équipes de psychiatrie devrait être systématique en cas de mise au quartier disciplinaire pour vérifier que les troubles du comportement du détenu ne sont pas en lien avec un trouble mental non diagnostiqué et/ou en lien avec une crise suicidaire qui prend un masque d’irritabilité, d’agressivité ou de violence.
Les idées d’expérimentation de détenus confidents, d’assistance téléphonique sont reprises.
Enfin, la mission distingue bien le champ de la recherche de responsabilité après la survenance d’un suicide et la recherche de causalité en vue d’améliorer la construction de la prévention. Ce domaine est celui du retour d’expérience qui est trop peu développé en santé.
La mission propose :
- le caractère pluridisciplinaire de cette réflexion, sans pointer l’engagement indispensable des acteurs sanitaires ;
- la position de retrait que devrait avoir l’administration pénitentiaire pour cette analyse afin de laisser la réflexion se conduire avec l’animation d’un technicien ayant l’habitude de ce type d’exercice.
Nous pensons que si la France se dotait de l’équivalent de l’institution des coroners, la question se poserait différemment car les administrations sanitaire et pénitentiaire disposeraient d’une enquête conduite par un enquêteur (officier public au Québec) extérieur, rôdé à l’exploration de la causalité dans tous les milieux. Elles auraient de ce fait seulement à se préoccuper de la mise en oeuvre des recommandations qui leur sont faites, et ne seraient pas constamment juge et partie. En souhaitant à la fois rechercher ce qui s’est réellement passé, sans oser mettre à jour réellement le potentiel de prévention et à la fois protéger les acteurs et les institutions, la mission devient impossible. Personne ne peut adopter simultanément ces postures sans le risque de n’atteindre aucun objectif totalement.
La mission souligne l’importance des troubles mentaux chez les détenus, l’augmentation de la prescription des psychotropes. Elle cite une étude de la pharmacie de Fleury-Mérogis montrant la progression de la présence des psychotropes chez les détenus qui ont untraitement médicamenteux. De 39 % en 1996, le taux de 80 % est mesuré en 2000. Aucun commentaire ne peut être fait sans analyse plus fine. Meilleure couverture des besoins et/ou prescriptions inutiles ?
L’enquête des entrants de 1997 est citée. Pour les 17 % de détenus ayant une prescription de psychotropes, 3,5 % avaient des neuroleptiques et 4 % des antidépresseurs, alors que l’enquête présentée ci-après a mesuré que 30 % des hommes détenus auraient un trouble dépressif et 45 % des femmes détenues.
Il n’est pas possible de retraduire la richesse d’informations apportée par cette mission. Nous retiendrons qu’elle prend acte des progrès sanitaires induits par la réforme introduite par la loi du 18 janvier 1994 tout en notant de façon générale :
- l’existence de divergences cultures professionnelles et de blocages
organisationnels pour la coopération entre les différents acteurs ;
- des lacunes importantes pour la mise en oeuvre d’une politique de santé publique, pour le traitement des détenus présentant des troubles mentaux et la prise en charge du handicap et du vieillissement.
Si cette tendance générale est globalement confirmée par nos visites, plusieurs établissements sont capables d’instaurer une collaboration entre les acteurs qui permet de rendre caduques ces remarques. Le chemin pour généraliser ces réussites locales à l’ensemble des structures reste à trouver.
5.15. La santé mentale et le suivi psychiatrique des entrants accueillis par les services médico-psychologiques : étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère de la santé et le Groupe français d’épidémiologie psychiatrique (juillet 2002).
Il s’agit de la première étude dont l’objectif principal est d’évaluer la santé mentale des personnes détenues. Elle avait seulement été précédée par une étude réalisée par les médecins généralistes en 1997 avec pour résultats principaux pour notre sujet :
- 30 % des arrivants cumulaient les consommations d’alcool, de tabac, de drogues et de psychotropes ;
- un détenu sur 10 était orienté par le généraliste vers une consultation spécialisée en psychiatrie.
L’étude publiée en 2002 a été réalisée en 2001 conjointement par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la santé et le Groupe français d’épidémiologie psychiatrique (GFEP).
L’étude a porté sur 2302 arrivants d’établissements dotés d’un SMPR en juin 2001.
L’évaluation conduite par les psychiatres de ces établissements apporte des informations très intéressantes qui sont les suivantes en lien avec la prévention du suicide :
- au moins un trouble psychiatrique est décelé chez 55 % des arrivants ;
- 30 % des hommes et 45 % des femmes auraient un trouble dépressif ;
- 54 % un trouble addictif ;
- un sur 5 a déjà été suivi par les secteurs de psychiatrie ;
- un suivi psychiatrique est préconisé pour presque l’ensemble des arrivants pour lequel un trouble a été décelé (52 %) mais 10 % des arrivants ont été pris en charge en juin 2001 par les SMPR ;
- le taux de suivi préconisé est très supérieur à celui de l’étude de 1997 par les généralistes qui orientaient 9 % des arrivants en psychiatrie, 7 % en alcoologie et 4 % vers une consultation de toxicomanie.
Il est extrêmement surprenant que dans la publication de cette enquête, dans le n°181 de juillet 2002 de la revue Etudes et Résultats, le mot suicide n’apparaisse pas une seule fois dans un article de 10 pages alors que des données ont pourtant été recueillies dans ce sens lors de l’enquête. Le problème du suicide n’est jamais évoqué, ni le lien entre maladie mentale et conduite suicidaire.
Aussi nous remercions Madame le docteur Nathalie Prieto du GFEP d’avoir répondu à notre demande en nous apportant les données portant sur les arrivants qui avaient formulé des idées suicidaires. Ainsi :
- sur 2302 personnes enquêtées, 147 ont formulé des idées de suicide dont 113 de « façon patente », soit presque 7 % ;
- pratiquement tous ont des problèmes de santé mentale associés (troubles anxieux, 90 % ; impulsivité, 63 % ; tendances addictives, 35 %) ;
- pour 97 % d’entre une indication de suivi est mentionnée mais seulement 21 % ont été suivis au cours du mois de juin, entretien d’accueil exclu. L’enquête ayant inclus les arrivants de juin, il est certain que les personnes écrouées en fin de mois ont moins de chance d’avoir un suivi initialisé en juin. Cependant en raison du lien entre l’existence d’une idéation suicidaire et le suicide, le taux de suivi est très faible et constitue en soi une anomalie majeure sauf à considérer que la prise en charge de ces personnes suicidaires est répartie entre les équipes des SMPR, des UCSA, les surveillants, les travailleurs sociaux, les bénévoles…
Cette enquête indique que ce sous-groupe avec idéation suicidaire présente quelques différences avec l’ensemble des arrivants sur les points suivants :
- meilleure insertion sociale des personnes suicidaires ;
- un peu plus d’antécédents judiciaires ;
- moins de primo-incarcérés ;
- 40 % ont été suivis en psychiatrie dont 25 % hospitalisés en psychiatrie et 33 % soignés antérieurement en SMPR.
Nathalie Prieto indique dans les tableaux fournis qu’il s’agit des idées de suicide exprimées ; nous n’avons aucune indication dans qu’elle mesure les cliniciens avaient des consignes pour explorer l’idéation suicidaire et s’ils les ont respectées, le cas échéant, de manière systématique. Selon les données, on peut supposer qu’ils ont mis à jour des idées suicidaires chez 34 patients alors que 113 les ont exprimées spontanément soit un total de 147.
Les antécédents de tentative de suicide ne sont pas abordés ce qui est très rare dans une enquête de santé mentale. En réalité, cette enquête porte sur les troubles psychiatriques car les paramètres de la santé mentale positive sont inexistants.
Cette enquête sera bientôt complétée par une autre étude de grande envergure et en phase de démarrage sur la prévalence des troubles mentaux dans la population carcérale.
5.16. Le Livre blanc de la psychiatrie (janvier 2003)
Cet ouvrage édité par la Fédération française de psychiatrie avec la collaboration de ses associations membres regroupe ce que les rédacteurs appellent les fondamentaux de la psychiatrie. Nous avons examiné essentiellement les idées défendues pour la psychiatrie pénitentiaire et la prévention du suicide.
La psychiatrie pénitentiaire occupe 14 lignes dans un ouvrage de 234 pages. La difficulté des conditions d’exercice est soulignée ainsi que les troubles du comportement (violence, tentatives de suicide) de la population carcérale. La psychiatrie au sein des UCSA n’est pas citée.
La prévention du suicide dans le chapitre sur la prévention est évoqué dans une interrogation pour savoir comment cette pratique médicale (la psychiatrie) peut s’inscrire ou coopérer avec des actions de santé publique menées à un niveau plus général, comme la prévention du suicide.
Malgré cette prudence, les rédacteurs écrivent que le risque est en rapport avec une vulnérabilité individuelle et que le diagnostic de cette vulnérabilité et sa réduction est une des bases de l’action thérapeutique du psychiatre.
Les stratégies de prévention du suicide en population générale, dans les établissements de santé et en milieu pénitentiaire, ne sont pas mises sur l’agenda de la profession. Il apparaît, en feuilletant cet ouvrage comme à sa lecture, que la prévention du suicide ne fait pas partie, comme la psychiatrie pénitentiaire, des fondamentaux que la profession a à coeur de mettre en avant et de porter. La psychiatrie pénitentiaire s’est-elle trop autonomisée pour être une préoccupation forte ? Quant à la prévention du suicide, on peut s’étonner que ne soit pas au coeur du métier car c’est le premier risque à gérer. Les recommandations pour la prise en charge des suicidants et la conférence de consensus sur l’intervention de crise suicidaire auraient pu être reprises avec moins de timidité, car elles représentent un engagement majeur pour aller vers l’action. Il est essentiel que les plus belles idées soient traduites en offre de prévention au risque de ne pas répondre aux besoins réels et aux espoirs suscités.
Notre connaissance des acteurs de terrain et l’engagement dont ils témoignent pour améliorer la prévention du suicide ne sont pas le strict reflet de cet ouvrage. Il est cependant essentiel que ceux qui représentent la profession soient porteurs d’un projet pour prévenir la plus dramatique complication de la souffrance psychique. La psychiatrie dispose des connaissances et des compétences pour jouer un rôle déterminant dans ce champ en partenariat avec d’innombrables autres acteurs bénévoles et professionnels. Faute de cet engagement dans d’autres pays, la prévention est organisée par les acteurs du champ social ou associatif.
La très récente enquête conduite, à notre demande, par la Direction des hôpitaux et de l’organisation des soins, sur les suicides dans les établissements publics et privés de psychiatrie permet d’apporter une première estimation de l’ampleur du problème.
Nous tenons à remercier ceux qui l’ont conduite dans un délai aussi bref.
Ce sont 194 décès par suicide, 121 hommes et 73 femmes, qui ont été recensés par les DDASS pour l’année 2002 pour les patients hospitalisés. Il n’est pas possible de dire combien de personnes détenues et hospitalisées figurent parmi ces décès. Une sous-estimation globale est possible dans la mesure où 5 départements n’ont pas apporté de réponse et 29 ne déclarent aucun suicide. Cependant l’absence de suicide
est tout à fait possible, une année donnée, dans un département de petite taille. Un travail complémentaire est à faire pour relier avec rigueur ces données à des dénominateurs plus pertinents que les 60 892 lits installés ou les 623 902 entrées en 2000 (le même patient peut entrer plusieurs fois dans une année).
Cette enquête permet de montrer que la prévention du suicide en établissement de santé est un sujet d’importance comme en établissement pénitentiaire. Ces deux domaines ont en commun les troubles psychiatriques comme première cause et la psychiatrie comme acteur.
Il serait opportun que la profession s’empare encore plus de la prévention du suicide, le partage des expériences de part et d’autre pouvant servir à l’amélioration de la prévention. La perspective des Unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) invite à cette réflexion.
5.17. Etude épidémiologique nationale sur la santé mentale des personnes détenues (en cours)
Cette étude a été annoncé par une circulaire santé/justice (DGS/6C et DAP/PMJ2 N°2003/63 du 12 février 2003). Conçue en 2001, elle devait débuter en février 2003. Nous espérions les premiers résultats pour notre rapport mais le retard actuel est trop important. Il faut noter que dans l’argumentaire contenu de la circulaire, le problème du suicide n’est pas explicite. Une phrase indique que « le ministère de la justice souhaite en outre fournir à ses services déconcentrés des éléments fiables d’analyse permettant d’apporter des réponses adaptées, tant en matière de gestion de la population carcérale que de prise en charge au quotidien des personnes, avec un souci particulier concernant la prévention des effets pathogènes liés à la détention ». On peut penser que le suicide est classé dans les effets pathogènes de la détention ce qui est en soi une prise de position.
Nous avons pu nous procurer le protocole de l’étude qui mentionne, entre autres, l’augmentation du nombre de suicide en introduction. Parmi les variables, très pertinentes car identifiées comme facteurs de risque de suicide :
- les pertes parentales et séparation pendant l’enfance ;
- la maltraitance physique, psychologique ou sexuelle ;
- l’évaluation des troubles mentaux en particulier, schizophrénie, dépression, abus de substance ;
- et l’évaluation des troubles de la personnalité de type borderline, antisociale et évitante.
La recherche des antécédents suicidaires n’apparaît pas dans le protocole de recherche, document pourtant de 44 pages ainsi que la recherche d’une crise suicidaire. Dans le MINI, instrument diagnostique, le risque de suicide figure comme dans la grille diagnostique utilisée par les deux cliniciens qui vont examiner chaque détenu.
Il reste dommage que cette étude dont le budget est considérable ne soit pas construite pour faire au mieux le lien en maladie mentale et risque de suicide et que les conclusions de la conférence de consensus sur la crise suicidaire ne soient pas prises en compte pour apprécier :
- le degré de risque suicidaire ;
- l’urgence suicidaire dans ses différents degrés ;
- et la dangerosité suicidaire.
Cette étude aurait été l’occasion de faire une évaluation clinique pragmatique pour apprécier la dimension d’un risque qui repose sur tant de souffrance et en suscite autant. Le recueil de tant de paramètres concernant le tempérament, le caractère et la personnalité correspond, à notre sens, plus à une recherche fondamentale en psychopathologie.
L’absence, selon le protocole mis à notre disposition, de recueil sur les traitements mis en oeuvre (modalités de prise en charge, traitements psychothérapeutiques et médicamenteux) est regrettable d’autant qu’un objectif est d’améliorer la prise en charge et la continuité des soins des troubles mentaux. Il est seulement indiqué qu’en cas de pathologie décelée, la personne détenue pourra être signalée, avec son accord, à l’équipe de soignante de santé mentale compétente.
Le protocole contient une intéressante revue de la littérature sur la prévalence des troubles psychiatriques chez les personnes détenues. Les études sont seulement étrangères et la seule étude française, décrite ci-dessus, et effectuée par la DREES et le GFEP, en 2001, n’est pas citée.
Cette revue donne des résultats importants en terme de prévalence des troubles psychiques pour les populations détenues tout en considérant que des variations importantes selon les auteurs et les pays. Nous retiendrons les principaux :
- la dépression est estimée autour de 15 % ;
- la schizophrénie et autres psychoses autour de 5 % ;
- l’abus et la dépendance à l’alcool ainsi que la dépendance aux toxiques sont estimésavec de grandes variations selon les auteurs et pays (10 à plus de 60 %) ;
- les troubles de la personnalité de 10 à 30 %.
Nous attendons avec impatience les premiers résultats.
5.18. Circulaire DGS/SD6C n°355/2003 du 16 juillet 2003 relative à la Stratégie nationale d’actions face au suicide 2000-2005 : actions à mettre en oeuvre par les services déconcentrés pour 2003
Cette circulaire qui est la troisième du genre devient de plus en plus précise sur les objectifs à atteindre et sur la façon de les atteindre. La place de la prévention du suicide en milieu pénitentiaire prend une place plus importante. La mission qui nous est confiée facilite peutêtre cette orientation forte cela est dû au fait que le bureau de la santé mentale est sous la responsabilité de Madame Fabienne Debaux. Cette dernière a fait une grande partie de sa carrière dans les établissements pénitentiaires et leur administration et connaît bien l’importance du sujet.
Cet intérêt explique le message, dans cette circulaire, aux responsables des DRASS pour obtenir une meilleure participation des personnels intervenant au sein des établissements pénitentiaires, qu’il s’agisse de surveillants pénitentiaires ou des personnels hospitaliers des UCSA et SMPR.
La circulaire poursuit : les personnels des services hospitaliers, et notamment des services de psychiatrie, ont également été peu représentés parmi les personnes ressources formées alors même que leur rôle est prépondérant tant en matière de prévention que de prise en charge et que l’on observe une sursuicidalité chez les personnes hospitalisées ou récemment hospitalisées.
Il serait souhaitable que soient analysés localement les motifs de ces écarts pour que soient envisagées en concertation avec les binômes formateurs, des dispositions particulières pour faciliter l’inscription de ces publics, dès lors que la situation s’y prête. En tout état de cause, les formations de personnes ressources doivent être poursuivies et étendues aux publics qui en sont globalement restés à l’écart.
En particulier, la situation préoccupante des suicides en prison, qui a conduit le Garde des sceaux et le Ministre de la santé à confier une mission de réflexion sur cett question au Pr. J.L. Terra, ne peut qu’inciter à développer la formation des personnes exerçant en milieu carcéral.
5.19. Evaluation conduite par la Direction générale de la santé des actions de formations auprès des personnels exerçant en milieu carcéral (en cours)
Cette évaluation entre dans le suivi des actions de formations réalisées dans le cadre de la stratégie nationale d’action face au suicide lancée par voie de circulaire en 2001 et reprise en 2002 et 2003 par des circulaires qui détaillent chaque action. Nous avons réalisé personnellement un premier bilan de cette formation de formateur sous forme d’une évaluation stratégique dont les résultats ont été présentés en décembre 2002 au ministère de la santé en présence du directeur général de la santé. Les professionnels formés et les responsables des dispositifs sanitaires et associatifs engagés la prévention du suicide étaient invités. Les résultats indiquaient que la transmission des connaissances était facile et que les jeux de rôles constituaient un support essentiel de l’acquisition des compétences.
Le suivi entrepris par la DGS, à l’aide d’un questionnaire, reproduit en annexe et adressé aux DRASS, indique que plusieurs régions ont débuté des formations en direction des personnels travaillant en milieu judiciaire et pénitentiaire. Ceux-ci représentent environ 5 % de l’ensemble des personnes formées. Certaines régions, Ile de France, Poitou- Charente, Rhône-Alpes et bientôt Lorraine et PACA font des formations spécialement pour les personnels travaillant en milieu pénitentiaire. Le retour des informations n’étant pas complet, certaines autres régions ont pu aussi avoir des formations spécifiques. Les jeux de rôles à partir de cas préétablis sont utilisés pour que les personnes acquièrent une véritable compétence pour nouer une relation de confiance, évaluer la crise suicidaire et la désamorcer.
Le suivi des formations entrepris par la DGS est essentiel. Il est à poursuivre et ses résultats sont à communiquer pour permettre l’inscription de plus de plus d’acteurs de prévention car la formation est encore peu connue.
5.20. Les recommandations et les documents de formation
De nombreux documents existent sur les sites Internet des organismes officiels de prévention du suicide à l’étranger. Leur contenu a été utilisé pour construire les recommandations et des points particuliers sont inclus dans le rapport.
Ici, nous aborderons la formation faite à l’ENAP, les formations universitaires de médecine, de psychiatrie et de psychologie. Nous n’avons eu accès aux contenus des enseignements des diplômes d’université dédiés aux acteurs sanitaires en milieu pénitentiaire.
Lors de nos visites, nous avons eu des informations sur les organismes de formations ayant une offre pour les personnels pénitentiaire et sanitaire.
Enfin, les recommandations de L’Organisation Mondiale de la Santé » seront examinées.
5.20.1. La formation de l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire
La prévention du suicide est traitée pendant 4 heures dans la formation des chefs de service pénitentiaire et pendant 9 heures pour les directeurs. Les contenus pédagogiques transmis par Monsieur Philippe Peyron indiquent un contenu d’enseignement actualisé pour 2003 avec la conférence de consensus d’octobre 2000 sur la crise suicidaire. L’évaluation du risque suicidaire est traitée de façon classique. Les concepts d’urgence et de dangerosité ne semblent pas enseignés ni l’intervention de crise.
Le module de prévention du suicide en milieu carcéral inclut tous les professionnels pénitentiaires dans l’organisation nécessaire pour prévenir ce risque. La répartition des rôles est décrite pour les directeurs, les CSP, les surveillants, les 1ers surveillants, les CSIP et les CIP.
Lors de nos visites, nous avons interrogé les personnels sur cet enseignement qu’ils avaient reçu lors de leur formation initiale. Globalement, l’enseignement était intéressant, mais trop théorique et fait souvent par des intervenants extérieurs qui ne connaissaient pas assez le milieu pénitentiaire. Nous avons trouvé dans ces cours des données sur le suicide qui dataient un peu et un manque d’actualisation des connaissances sur le suicide en population générale. Les informations sur le suicide en prison sont très précises, surtout pour la chaîne des arrivants, le quartier disciplinaire et les moments à risque de la vie judiciaire.
Comme pour les personnels sanitaires, l’évaluation du potentiel suicidaire se réduit à l’évaluation du risque sans que le projet suicidaire, s’il existe, ne soit exploré lors d’un dialogue avec la personne concerné. Les formations dans le cadre du programme national de prévention du suicide visent à compléter la formation initiale et à améliorer les compétences en cas d’intervention de crise.
Les contacts pris avec les responsables de l’ENAP indiquent un esprit d’ouverture et une volonté de délivrer un enseignement actualisé.
5.20.2. Les enseignements initiaux en médecine et en psychiatrie
Grâce à l’action du Collège des enseignants universitaires de psychiatrie (CNUP), une base commune d’enseignement est en cours de validation. L’enseignement sur la prévention du suicide reprend les conclusions de la conférence de consensus. Le contenu des enseignements précédents reflétait une variabilité entre les régions aussi bien pour l’approche du suicide que pour l’actualisation des connaissances. L’enseignement portant sur les soins psychiatriques des personnes détenues pour la spécialisation en psychiatrie est globalement très réduit, sauf engagement particulier d’un responsable universitaire. Il faut souligner le très faible nombre d’enseignant universitaire orienté vers la psychiatrie pénitentiaire. Les universitaires de médecine légale sont plus engagés dans la mesure où ils ont une orientation en même temps vers la psychiatrie.
Les enseignements complémentaires de médecine en milieu pénitentiaire existent. Leur enseignement devrait inclure les expériences étrangères sur les programmes de réduction du suicide en milieu pénitentiaire.
5.20.3. Les enseignements initiaux en psychologie
Nous n’avons pas eu accès directement aux programmes des enseignements des facultés de psychologie sauf celle de l’université Lyon2. Lors de la formation de formateur que nous avions réalisée à destination des psychologues universitaires, nous nous sommes rendu compte que la prévention du suicide était, sauf exception, peut abordée sur le plan de l’intervention de crise et sur celui de la postvention.
La formation au travail de deuil après suicide est généralement absente de la formation des psychologues. C’est une formation qui est très utile pour les psychologues des Directions régionales de l’administration pénitentiaire et pour les psychologues qui suivent des patients endeuillées. Il serait important que les facultés de psychologie puissent apporter un enseignement sur les soins à apporter aux personnes placées sous main de justice ou ayant des antécédents judiciaires.
5.20.4. Les recommandations de l’OMS
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) publie une série de recommandations pour la prévention du suicide dont un guide intitulé « Prévention du suicide ; Indications pour le personnel pénitentiaire » traduit en 2002. Ce document de 22 pages qui synthétise les recommandations actuelles sur le sujet est rédigé par des spécialistes reconnus de la prévention du suicide.
La fréquence du suicide est rappelée en introduction ainsi que la pression exercée par l’intérêt que portent les médias à cette question qui peut vite devenir une polémique politique. C’est pourquoi, la mise en place de programmes de prévention et d’intervention de crise est à la fois utile aux détenus et à l’institution pénitentiaire qui l’organise.
Il est indiqué que les programmes complets de prévention ont permis d’obtenir des résultats significatifs dans plusieurs nations. Les grandes caractéristiques en sont présentées ainsi que les meilleures méthodes pratiques.
Nous reprenons les composantes essentielles :
- un programme de formation pour le personnel pénitentiaire leur permettant de repérer les détenus suicidaires et de répondre de façon appropriée à ceux en crise suicidaire ;
- des procédures d’évaluation systématique des détenus dès leur arrivée et tout au long de leur séjour pour identifier ceux qui ont risque élevé ;
- une méthode pour maintenir la communication entre les membres du personnel concernant les détenus à haut risque de suicide ;
- des procédures écrites précisant les besoins minima pour l’hébergement des détenus à haut risque ; une offre de soutien social ; un contrôle visuel régulier et une surveillance constante pour les détenus les plus suicidaires ; un usage approprié des méthodes de contention ;
- le développement de pratiques internes suffisantes de liaisons avec les
établissements psychiatriques de secteur afin de bénéficier des professionnels de santé mentale lorsqu’une évaluation complémentaire et un traitement s’avèrent nécessaires ;
- une stratégie pour l’analyse des cas de suicide afin de préciser les méthodes d’amélioration de repérage des détenus suicidaires, le contrôle et la prise en charge en milieu pénitentiaire de toute personne présentant un risque élevé de suicide.
Les recommandations ci-dessus contiennent des exigences qui sont soit controversées comme le recours à la contention, ou qui ne sont pas régulièrement utilisées en France comme la surveillance constante, notamment par caméra.
Le document contient des indications précises sur les signes d’alerte d’un risque suicidaire, sur l’observation après l’admission, sur le risque lié au quartier disciplinaire et le difficile problème de la manipulation.
Le soutien aux personnels pénitentiaire suite à un suicide est aussi abordé en insistant sur les sentiments mêlés que peuvent susciter une telle expérience : tristesse, ressentiment, colère, culpabilité.
En conclusion, ce document est intéressant car il représente une synthèse concise, fruit des expériences internationales. Plusieurs recommandations demanderaient des changements profonds pour être intégrées à l’organisation actuelle. A l’inverse, les recommandations font moins appel au dispositif psychiatrique que l’organisation en vigueur dans notre pays. Ceci tient au fait que, quels que soient les manques perçus et/ou réels, le nombre de psychiatres en France est supérieur en moyenne aux autres pays, même si les inégalités entre régions sont considérables selon de nombreux rapports. La loi de 1994 a permis la construction d’une véritable offre de soins psychiatriques dans les établissements pénitentiaires.