Les recommandations sont classées selon leur capacité à réduire le nombre de suicides et leur délai de mise en oeuvre.
7.1. Un objectif national
Un objectif national de réduction du suicide en milieu pénitentiaire doit être fixé. Nous proposons de viser une réduction de 20 % en 5 ans du nombre de personnes détenues décédées par suicide. Le projet de loi de santé publique, qui contient dans son deuxième objectif la prévention des morts violentes et des suicides, constitue un cadre adapté pour soutenir la politique nécessaire. L’action de l’Administration pénitentiaire, initialisée depuis des années, combinée à la Stratégie nationale d’action face au suicide mise en place depuis 2000 par le ministère de la Santé, représente un cadre opérationnel pour l’atteinte de cet objectif. Les agences de santé, comme l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé (INPES) et l’Agence Nationale d‘Accréditation en Santé (ANAES) peuvent assurer un soutien pour atteindre cet objectif.
7.2. La formation à l’intervention de crise
L’objectif est que toute personne détenue et suicidaire ait une chance, chaque jour et chaque nuit, de pouvoir être au contact d’une personne formée. La formation, qui doit être adaptée au milieu pénitentiaire, vise à apporter un langage commun et à donner une compétence pour détecter et intervenir auprès des personnes détenues [1]. Elle doit donc inclure la souffrance psychique qui prend le masque de l’agressivité et de l’automutilation.
Tous les différents professionnels et bénévoles intervenant auprès des personnes détenues doivent être capables :
- de contribuer à identifier les personnes à risque de suicide élevé ;
- de repérer une crise suicidaire sous ses différentes formes et à ses différents stades ;
- de conduire une entrevue pour aborder la souffrance de la personne en crise, permettre l’expression des émotions et nouer une relation de confiance ;
- d’évaluer l’urgence, c’est dire d’explorer l’idéation suicidaire, l’existence d’un scénario (où, quand, comment, avec quoi ?) et la dangerosité suicidaire ;
- d’intervenir, d’alerter et d’orienter selon le degré d’urgence et de dangerosité.
Afin de favoriser le repérage et la prise en charge précoce d’une crise suicidaire, il est nécessaire d’envisager aussi cette formation pour les professionnels qui interviennent en amont de l’écrou, lors de la garde à vue, lorsque la personne est déférée au Parquet, puis mise en détention provisoire.
Le périmètre des personnes à former inclut les intervenants de la téléphonie sociale qui devrait bénéficier à plus de personnes détenues.
La formation de co-détenus doit être expérimentée dans des sites pilote selon l’exemple d’autres pays (détenus confidents) pour évaluer l’opportunité d’une extension plus large.
La formation peut être délivrée dans le cadre de la formation initiale et de la formation continue. Cette dernière permet de former rapidement une masse critique d’intervenants d’autant que la Stratégie nationale d’action face au suicide dispose de 80 formateurs à ce jour et de 120 en janvier 2004. Des psychiatres de SMPR et des enseignants de l’ENAP participeront aux sessions de formation de formateurs de décembre 2003 et de janvier 2004, et ainsi augmenteront la capacité de formation dans
les régions. Deux fiches action décrivent plus en détail cette recommandation en annexe 18 A et 18 B.
7.3. Améliorer le dépistage et le traitement de la dépression
Un plan national est en cours d’élaboration au ministère de la santé. La dépression est plus fréquente pour les personnes détenues que pour la population générale. La dépression non traitée est la première cause de suicide. Au moins 50 % des personnes décédées par suicide avaient une dépression, le plus souvent non traitée.
Le repérage des symptômes, le diagnostic et le traitement de la dépression doivent être des objectifs prioritaires des UCSA et des SMPR. Les médecins généralistes ont, comme les psychiatres, un rôle déterminant à jouer. Les acteurs de santé en milieu pénitentiaire doivent s’inscrire dans ce plan national.
L’objectif est que le taux de personnes détenues traitées pour dépression soit en accord avec l’importance de cette maladie. La fréquence de cette dernière sera mieux précisée par une étude épidémiologique actuellement en cours auprès d’un échantillon de 1000 personnes détenues.
Le taux de personnes en surveillance spéciale, pour risque de suicide et recevant un traitement antidépresseur, est un indicateur à suivre.
Dès maintenant, la formation à l’intervention de crise, évoquée plus haut, met l’accent sur la dépression comme facteur de risque de suicide et sur le repérage et le traitement de ce trouble. La fréquente association de la dépression avec un autre trouble, comme la dépendance à l’alcool et/ou aux drogues et comme les troubles de la personnalité, est aussi soulignée.
Les équipes de psychiatrie doivent centrer leur action auprès des personnes détenues souffrant de plusieurs troubles psychiques simultanés (troubles comorbides) et proposer les approches thérapeutiques recommandées, notamment avec une offre psychothérapeutique adaptée.
Le plan national de traitement de dépistage de la dépression devra être relayé dans les établissements pénitentiaires sous forme d’actions d’information et de sensibilisation. Les acteurs et structures de promotion de la santé ont un rôle important à jouer.
7.4. Les personnes détenues en crise suicidaire ne doivent pas être
placées au quartier disciplinaire.
Les personnes en souffrance psychique utilisent différentes stratégies pour trouver un apaisement. Ces stratégies sont en lien avec les troubles de la personnalité sous-jacents et avec le degré de désespoir. Il existe une progressivité dans la recherche de solutions au cours d’une crise suicidaire. Plus la personne est empressée à être soulagée, plus elle fait des demandes insistantes et souvent malhabiles. Elle peut devenir agressive. Il peut exister une progression qui masque temporairement la crise suicidaire : demandes pressantes, réactions de déception et de colère, intimidations, menaces, violences, automutilation puis tentative de suicide, suicide. Le stade où la personne estime qu’elle n’a plus rien à perdre est particulièrement critique car tout devient possible.
Les personnels doivent être formés pour reconnaître au mieux une souffrance psychique majeure derrière un tel tableau. Les objectifs sont d’éviter les réponses qui pourraient aggraver la crise, et de désamorcer une telle escalade. Reconnaître la souffrance derrière des manifestations violentes reste difficile. Le recours à des professionnels spécialisés aux intrications entre la souffrance psychique et les troubles du comportement est nécessaire.
Puisque le suicide est le premier risque qui peut survenir au quartier disciplinaire, un examen psychiatrique doit être pratiqué pour ces détenus avant leur placement au quartier disciplinaire. La mise en prévention au quartier disciplinaire représente une menace qui peut précipiter le geste. Elle doit être évitée, sauf quand aucune autre mesure ne peut mettre fin au trouble, tel que le prévoit le Code de Procédure Pénale.
La recherche d’alternatives au quartier disciplinaire est à développer selon les recommandations des précédents rapports.
Nous demandons que tout soit fait pour vérifier que les troubles qui motivent le placement au quartier disciplinaire ne soient pas dus à une crise suicidaire. Si l’examen psychiatrique s’oriente vers cette hypothèse ou la confirme, la personne détenue doit être placée 72 heures dans une cellule sécurisée [2], facilement accessible à l’équipe sanitaire. Cette période permet une observation, un dialogue, une évaluation et la mise en place de soins, si nécessaire. Elle sert aussi à rechercher les déterminants de cette crise par la reconstitution de l’histoire récente du détenu : quelles sont les difficultés éprouvées ? quels sont les événements survenus ou ceux qui menacent l’avenir ?
Au terme de cette période :
- si la personne est considérée en crise suicidaire et si une sanction est prononcée, son exécution doit avoir lieu lorsque l’équilibre émotionnel est retrouvé. Il est important de rappeler que les personnes mettent, au mieux, plusieurs semaines, pour retrouver un équilibre ;
- si la personne n’est pas considérée comme en crise suicidaire, la sanction
prononcée peut être exécutée avec une surveillance particulière pénitentiaire et sanitaire.
Si, de façon exceptionnelle, une personne détenue et souffrant de troubles
psychiatriques est placée au quartier disciplinaire, les soins psychiatriques doivent être poursuivis.
7.5. Un système documentaire partagé est à mettre en place pour
évaluer le potentiel suicidaire et définir les actions à entreprendre
Parce que :
- les facteurs de risque de suicide se situent dans des domaines très divers : histoire personnelle, troubles psychiques, événements de vie ;
- tout professionnel ou bénévole peut recevoir des confidences d’une personne en crise suicidaire ;
- la personne en crise, souvent tendue et épuisée, risque de ne pas se confier plusieurs fois ; un support commun doit servir au recueil des informations pertinentes pour évaluer le degré de risque de suicide, d’urgence et de dangerosité, et pour définir les actions à entreprendre et réalisées.
Ce document devrait être ouvert lors de la garde à vue, et suivre la personne déférée puis écrouée. L’objectif est de diminuer le risque de perdre une information importante et de suivre de façon continue l’état d’esprit de la personne. La grille annexée à la circulaire du 26 avril 2002 constitue une base pour élaborer un document qui doit être simple. Une proposition de ce document figure en annexe 19 D. L’objectif est de connaître le niveau de risque, d’urgence et de dangerosité suicidaire pour
mettre en oeuvre les réponses adaptées.
La participation de chacun est nécessaire pour rassembler les informations
pertinentes. Les professionnels sanitaires ont un rôle notamment pour évaluer le risque suicidaire. Les événements de la petite enfance (négligence parentale, abandon, sévices), les troubles psychiques et les événements de vie récents représentent des informations nécessaires aussi bien pour évaluer ce risque que pour assurer des soins. La connaissance de ces éléments permet d’apprécier ce risque et de limiter l’influence des facteurs de risque quand cela est possible.
Il est important de considérer qu’il ne s’agit pas de partager toute l’information mais d’aboutir collectivement à la meilleure évaluation pour apporter collectivement la meilleure protection.
L’exercice de l’ensemble des équipes sanitaires des UCSA et SMPR se fait dans le cadre hospitalier [3]. Le Code de la Santé Publique, article L.1110-4, stipule que :
« lorsqu’une personne est prise en charge par une équipe de soins dans un
établissement de santé, les informations la concernant sont réputées confiées par le malade à l’ensemble de l’équipe ».
Ce rappel semble nécessaire pour que la « rétention » d’informations ou de notes personnelles ne vienne pas faire perdre une chance au patient. Dans ce sens, l’existence d’un double dossier du patient, somatique et psychiatrique, peut représenter un risque organisé si le cloisonnement des informations empêche d’apprécier la nature du risque et l’urgence de la situation. L’amélioration de la qualité du dossier du patient représente un objectif collectif de l’ensemble des structures sanitaires. Les avancées de certaines équipes constituent une base précieuse
7.6. La surveillance spéciale pour risque de suicide doit être complétée dans tous les cas d’actions de protection et de soins où le détenu est un acteur de sa protection.
Chaque personne considérée comme à risque élevé de suicide et/ou en crise suicidaire doit bénéficier de plans spécifiques. Ces plans sont à définir quant à la nature des actions et des acteurs qui les mettent en oeuvre. Les acteurs de prévention sont habituellement en trois lignes pour répartir les rôles.
Le plan d’action est différent selon que la personne est à risque de suicide sans être en crise suicidaire, ou est en crise actuellement.
Si la personne est à risque, mais n’est pas en crise suicidaire, prévenir consiste à agir sur les déterminants de la souffrance, pour lesquels une action est possible, afin d’éviter une évolution vers une idéation suicidaire. Ce sont, essentiellement :
- le traitement des troubles psychiques ;
- les actions qui visent à atténuer l’impact des pertes (liens familiaux, insertion sociale, travail…) ;
- la protection du détenu des risques qu’il court au sein de l’établissement en raison de la nature du délit ou du crime
- et la prévention des dysfonctionnements qui pourraient augmenter sa souffrance et son désespoir. Le suivi des demandes faites et des réponses apportées semble essentiel pour éviter une escalade dans la frustration et l’incompréhension.
La personne en crise suicidaire doit bénéficier d’une intervention dont la nature et le délai sont adaptés au degré de l’urgence (idées, intention, programmation du scénario).
L’évaluation de l’urgence selon une progression en 9 points (donnée en annexe 19 D) permet à l’intervenant de première ligne de faire son évaluation et la transmettre. Cet intervenant peut arriver à désamorcer la crise en instaurant une relation de confiance et, le cas échéant, il oriente la personne vers un autre intervenant.
Un des moyens les plus efficaces de prévenir est de donner à la personne le goût de se protéger. Les mesures passives de protection, c’est-à-dire sans la participation, ou les mesures imposées sont des solutions de dernier recours. Elles peuvent être perçues comme un manque de confiance et être vécues comme blessantes et inutiles.
De ce fait, elles sont à réserver lorsque les différentes interventions ont été un échec et que rien ne semble dissuader la personne que se donner la mort est la seule solution à sa souffrance.
La prévention du suicide impose de bien examiner le rapport risque/bénéfice de chaque décision et notamment selon la perspective du bénéficiaire. Plus une personne est en crise, plus elle est sous l’emprise de sa subjectivité. Par exemple, le recours à l’hospitalisation qui devrait être une protection peut être vécue comme un abandon ou comme stigmatisante. Ainsi, l’hospitalisation n’est jamais une garantie totale de sécurité.
7.7. La prévention est une oeuvre collective où chacun peut et doit jouer des rôles différenciés
On peut distinguer les intervenants :
- de première ligne, personnes au contact direct des détenus. Les surveillants sont au premier plan, mais chacun peut être, à un moment donné, cet intervenant lors d’un contact direct (un directeur, un travailleur social, un éducateur, un infirmier, un médecin, un co-détenu) ;
- de deuxième ligne, ceux auxquels on a habituellement recours pour alerter, signaler, mobiliser lorsque l’intervenant de première ligne est confronté à une situation qui dépasse ce qui est prévu dans son champ de compétence et d’action ;
- de troisième ligne, ceux dont la compétence permet de mettre en oeuvre des actions après l’intervention d’urgence (évaluation complémentaire, orientation, soins spécialisés, suivi,).
Plus le degré d’urgence est élevé, plus les actions sont préétablies et accomplies par les personnes présentes. Le cumul de petits retards et de mauvaises décisions est à la source de la plupart des catastrophes. La prise des bonnes décisions ne doit pas être paralysée par le fait de professionnels inaccessibles.
L’intervention de crise suicidaire est du registre de la conduite à tenir devant une détresse vitale. Ce n’est ni un soin, ni une psychothérapie. C’est une intervention à visée salvatrice devant une détresse psychique. Comme toute personne peut être amenée à faire cette intervention un jour dans sa vie professionnelle et/ou personnelle, chacun a à être formé car l’intervention ne peut pas s’improviser, quelles que soient les qualités personnelles et la formation initiale.
En cas de crise suicidaire, il est important qu’une personne soit désignée comme référent de l’ensemble du processus d’évaluation et de protection.
Ce professionnel doit s’assurer de la coordination des différentes actions et de la fiabilité collective. L’objectif est de prévenir les ruptures (matin/après-midi, jour/nuit, semaine/week-end, sanitaire/pénitentiaire) dans la continuité et la cohérence des actions. Il doit avoir une entrevue chaque jour avec la personne en crise.
Le dispositif mis en place ne peut être arrêté sans l’aval de ce professionnel référent.
La question d’un double référencement, pénitentiaire et sanitaire, serait un mode d’organisation à expérimenter.
Chaque établissement doit être doté d’une commission de prévention du suicide. Le cas échéant, cette fonction est intégrée dans une commission existante. Les participants représentent les différents processus de prévention mis en oeuvre autour de la trajectoire de la personne détenue. La mise en place des plans de prévention et de protection, ainsi que leur arrêt est validé par cette commission. La participation du professionnel référent évoqué ci-dessus est indispensable.
Ses membres vérifient que toutes les personnes détenues qui en ont besoin ont un plan de prévention ou un plan d’intervention de crise. Elle vérifie la pertinence et la mise en oeuvre de ce plan. Le plan d’intervention est élaboré à partir des recommandations professionnelles existantes, et tient compte des attentes de la personne en crise.
7.8. Mettre en place un cadre de détention qui préserve la dignité du détenu et favorise la détection des personnes suicidaires.
A l’heure actuelle, l’identification des détenus à risque d’auto agression ou de suicide est très insuffisante puisque la majorité des détenus qui attentent à leurs jours ne sont pas identifiés comme à risque ou comme suicidaire.
Un aspect essentiel de tout plan de prévention réside donc dans l’établissement d’un climat propice aux confidences sur leur souffrance pour tous les détenus. La disponibilité des professionnels pour parler est de ce fait essentielle.
Ainsi, le bon fonctionnement des sonnettes représente une mesure générale qui a une importance dans la fonction d’alerte. Il est difficile d’expliquer la réussite d’établissements dans ce domaine alors que les bonnes raisons pour renoncer à cette facilité abondent dans d’autres structures !
Pour avoir une atmosphère propice à la prévention, le stress et l’anxiété des personnes détenues est à réduire au maximum en particulier grâce à de bonnes relations entre les détenus et le personnel pénitentiaire, à des conditions de vies décentes, à l’assurance de ne pas être brutalisé, au maintien de liens familiaux ainsi qu’à des activités constructives et
valorisantes. Le rôle des visiteurs des prisons et de l’ensemble des bénévoles est essentiel pour rappeler la valeur des personnes incarcérées.
L’instauration d’un tel climat de confiance représente une véritable gageure que les services pénitentiaires s’efforcent de relever. En son absence, le risque est de ne pas pouvoir mettre en évidence les personnes qui vont mal au sein d’une population carcérale tendue et agitée.
De nombreux pays conduisent des actions pour déceler l’existence de brimades et pour conduire, si nécessaire, des actions pour les réduire. Un questionnaire avec des réponses anonymes est un moyen d’évaluation utilisé par ces pays. Des actions similaires, déjà réalisées à l’initiative d’établissements français pour connaître les difficultés éprouvées par
les détenus, sont à encourager.
Le développement de la téléphonie sociale est une action qui augmente la possibilité de dire leur souffrance aux personnes qui éprouvent de la solitude en tant que condamné ou prévenu. Ce recours est important pour les prévenus qui connaissent des moments de désarroi intense, notamment avant l’obtention de l’autorisation de parloir.
Les intervenants de la téléphonie sociale doivent être formés à l’intervention de crise suicidaire pour avoir une évaluation juste de l’urgence suicidaire et partageable. Nous recommandons que, si le projet de réalisation du suicide est dans les 48 heures, l’établissement pénitentiaire en soit alerté. Il est important de considérer que si une personne informe cet intervenant au téléphone, elle exprime directement ou indirectement le désir que quelque soit fait pour elle. Obtenir l’accord de la personne est préférable mais ne peut être considéré comme obligatoire.
Les situations d’urgence vitale imposent l’action comme éthique. De ce fait, l’engagement personnel des intervenants face au suicide est un paramètre important et à travailler.
7.9. Réduire l’accès aux moyens de suicide
La pendaison et surtout l’étouffement étant les recours utilisés dans plus de 90 % des cas signe que l’accès aux autres moyens de suicide est bien contrôlé. Le nombre de suicide par intoxication médicamenteuse est en diminution passant de 7,1 % des moyens utilisés en 1999-2000 à 3,5 % en 2001-2002.
Aussi, il reste à envisager comment une politique de réduction aux moyens de strangulation et de pendaison pourrait être mise en oeuvre. Ce point n’est certes pas le plus facile et on pourrait facilement penser que dans ce champ il n’y a strictement rien à entreprendre.
Pourtant plusieurs pays ont tenté de limiter au mieux l’accès aux supports matériels permettant de fixer un dispositif permettant la pendaison et/ou la strangulation. Il est à noter que les établissements de psychiatrie ont pris de nombreuses mesures dans ce sens à la suite d’un suicide. Ces précautions locales ne semblent jamais avoir fait l’objet de réflexion nationale. Nous n’avons d’ailleurs pas trouvé de tels dispositifs de sécurité à Hôpital Expo, salon professionnel où expose pourtant l’ensemble des fournisseurs des établissements de santé.
En revanche, des sites Internet étrangers dédiés aux équipements sanitaires et pénitentiaires proposent plusieurs dispositifs dont certains paraissent intéressants.
Avant d’envisager des solutions qui ont un coût certain, quelques mesures
s’imposent. Les points permettant un arrimage facile d’un lien (drap, vêtement, rallonge électrique…) doivent être progressivement éliminés.
Les potences des téléviseurs
En premier lieu ce sont les potences de télévision qui devraient être remplacées par des tablettes, comme cela est déjà fait dans de nombreux établissements. La présence de potences, encore plus inutiles lorsqu’elles ne supportent même pas une télévision, et leur solidité constitue un moyen qui ne suppose pas de longues recherches pour un détenu suicidaire.
La barre horizontale du cloisonnement du coin toilette
Ce cloisonnement constitue une amélioration indéniable pour l’intimité des personnes détenues, même si certains détenus trouvent que le cloisonnement a trop d’emprise sur l’espace restant de la cellule et que le lavabo n’aurait pas dû être inclus dans ce cloisonnement.
Quel que soit ce progrès, le nombre de détenus qui ont utilisé cette barre pour se pendre, et recensés par la Commission centrale de suivi des suicides laisse perplexe. Existe-t-il des possibilités de remplacer la barre actuelle par un matériau qui ne pourrait pas soutenir le poids d’un homme ? Les procédés trouvés par d’autres pays inciteraient à penser au moins que des solutions sont à rechercher.
Utilisation de vêtement anti-pendaison en cas de crise suicidaire majeure.
Une société anglaise (SafeSuit) propose depuis peu un vêtement en mousse de PVC à cellules ouvertes qui empêche toute utilisation comme lien. Ce vêtement jetable devrait être étudié en pour apprécier son intérêt. Son utilisation est à réserver lorsque la crise suicidaire n’a pas pu être désamorcée et qu’un lien de confiance n’a pu être établi. Parfois un lien de
confiance est établi mais il n’est pas protecteur tellement la personne souffre.
L’aménagement de cellules sécurisées est à étudier.
Un plan est reproduit en annexe 18. L’emplacement de ces cellules doit permettre une surveillance facile, voire constante. Chaque établissement devrait pouvoir en disposer au moins d’une cellule de ce type. Elles peuvent être située en face du bureau de la détention et le plus à proximité des services sanitaires. Leur utilisation pour les détenus qui doivent être évalués avant une éventuelle sanction par le placement au quartier disciplinaire est à prévoir.
De telles contraintes sont à prendre en compte dans la construction des nouveaux établissements pénitentiaires et des Unités Hospitalières Spécialement Aménagées.
7.10 Augmenter les possibilités de surveillance
Nous abordons ici un thème qui soulève des résistances chez de nombreuses personnes et notamment les psychiatres. Les programmes étrangers incluent un niveau de surveillance constante quand la personne suicidaire ne peut être désamorcée. La surveillance directe est celle qui apporte le plus de protection et d’humanité. La vidéosurveillance ne saurait en aucun lui être substituée.
La surveillance directe
La surveillance directe constatée est employée aussi dans certains pays qui font le choix de détacher du personnel spécifiquement. Le besoin de disposer d’un lieu, où une surveillance constante a été parfois exprimé lors de nos visites pour surveiller un arrivant qui allait manifestement très mal et où le fait de le laisser seul, ne serait-ce que pour quelques dizaines de minutes, était perçu comme un risque.
Pour les personnes les plus à risque, les cellules disposées en rotonde sont plus propices à la surveillance que les cellules alignées. Cette possibilité de surveillance est accrue quand la porte de la cellule permet le contrôle visuel direct. Ces cellules sont utilisées à l’étranger pour quelques heures et pour des personnes en détresse extrême. Il est important que la personne détenue puisse être vue et puisse voir le surveillant et qu’ils puissent se parler facilement.
La vidéosurveillance en cellule
L’évocation d’un tel dispositif fait l’objet de nombreuses craintes. Les craintes sont centrées sur l’atteinte à la vie privée et au risque que la surveillance à distance remplace la présence humaine. Le coût est un obstacle de second ordre tant la prévention est importante.
Les expériences étrangères dans ce domaine consistent à utiliser la surveillance vidéo pour de courtes durées lorsque la crise suicidaire nécessite une surveillance très régulière voire constante. Il va sans dire qu’un tel dispositif n’a de sens que si les possibilités d’intervention dans la cellule sont immédiates. De ce fait, de telles cellules sont placées, si possible, en secteur médical pour assurer les interventions de soutien nécessaires. Le recours à un tel moyen de surveillance doit être réservé aux cas où une relation de confiance n’a pu être établie et que la crise suicidaire n’est pas désamorcée.
Nous ne ferons pas de recommandations sur ce thème autre que d’étudier, sans passion, l’utilisation de la vidéo surveillance au travers de la littérature et de visites à l’étranger. Les quelques unités hospitalières qui l’utilisent changent massivement d’opinion lorsque ce système leur a permis de sauver une personne. La DHOS pourrait prendre en charge cette question qui est récurrente et d’actualité pour la sécurité à l’hôpital.
7.11. La postvention est à redéfinir et à mieux organiser
La postvention comprend un ensemble d’actions justifiées par la cascade de conséquences après un suicide. Les recommandations antérieures représentent un support important auxquelles sont intégrées celles d’un programme de postvention au Québec [4].
Les points sur lesquels une attention particulière est à porter sont :
- proposer des rencontres avec la famille endeuillée, aussi bien avec les
responsables pénitentiaires que sanitaires et sociaux ;
- identifier l’impact du réseau des conséquences liées à cette perte pour cette famille ;
- identifier si cette famille a besoin d’un soutien immédiat et/ou pour
l’accompagnement dans son travail de deuil ;
- annoncer la nouvelle aux personnes présentes dans l’établissement (personnels, détenus) simplement même si l’information a déjà diffusé, en évitant de rassembler un grand nombre de personnes au risque d’augmenter les réactions de stress ;
- la personne qui annonce doit adopter une attitude calme, compréhensive,
rassurante et respectueuse ; elle doit éviter de juger le geste et annoncer clairement le décès ;
- distinguer le stress temporaire [5] du stress aigu [6] et du trouble de stress posttraumatique [7] pour apporter les réponses adaptées ;
- intervenir auprès des personnes suicidaires qui peuvent être déstabilisées encore plus par l’événement ;
- identifier les personnes qui avaient une relation d’attachement avec cette personne et qui seront endeuillées en tant que professionnel, bénévole ou ami ;
- disposer d’un programme préétabli avec une équipe de postvention ;
- aller au devant des professionnels qui ont vu la scène, porté secours ou qui avaient un lien avec la personne décédée pour leur proposer une aide ;
- identifier les détenus dans une situation analogue à la personne décédée pour prévenir un phénomène d’imitation.
La mise en oeuvre de telles recommandations nécessite un travail collectif pour les intégrer et ainsi améliorer le programme de postvention actuel. Ces programmes sont globalement encore très peu développés en France. Le débriefing, dont l’intérêt est de plus en plus mis en cause, représente un aspect partiel de la postvention.
7.12. Des groupes d’analyse de la morbidité et de la mortalité sont à mettre en place dans les établissements de santé psychiatriques.
Localement, l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé recommandela mise en place de ces groupes d’analyse dans chaque établissement. Les auto lacérations, les tentatives de suicide et les décès par suicide survenant en milieu pénitentiaire et en milieu hospitalier doivent bénéficier d’une analyse causale par les personnels sanitaires pour apprécier si le dispositif de détection/soins/protection a fonctionné normalement. L’objectif est d’en tirer expérience pour améliorer la
prévention.
Au niveau national, le ministère de la Santé doit organiser un système de recueil et d’analyse de l’ensemble des suicides survenus en détention. L’objectif est d’avoir une vision d’ensemble de la qualité de fonctionnement des processus de prévention du suicide. Il serait même envisageable que ce système soit similaire et/ou commun avec l’analyse des décès par suicide survenant en établissement de santé. L’enquête réalisée par la DHOS pour l’année 2002 est une première étape importante. Certains suicides de personnes détenues surviennent d’ailleurs au cours d’une hospitalisation.
Ce système donnerait un rôle tout différent aux représentants du ministère de la Santé à la Commission centrale de suivi des conduites suicidaires.
7.13. Améliorer le traitement des troubles psychiques
L’amélioration du traitement des troubles psychiques est un axe essentiel de tout programme de prévention du suicide. La recommandation 3 porte sur l’amélioration du dépistage et du traitement de la dépression. Celle-ci est plus générale pour une meilleure prise en charge des troubles psychiques qui induisent une souffrance considérable. Ils ont des conséquences nombreuses comme la survenue d’événements négatifs dépendant des troubles et une faible capacité face à l’adversité. La justesse des diagnostics est nécessaire pour mettre en oeuvre les traitements appropriés.
Favoriser l’accès des personnes détenues aux différentes modalités de soins psychiatriques
Les personnes détenues doivent pouvoir accéder aux mêmes formes de soins que la population générale si l’on suit le credo martelé dans beaucoup de documents. Les principes actuels, encadrés sur le plan réglementaire, font que les détenus sont soignés à leur demande alors que l’absence de demande de soins, voire le refus de soins, sont fréquents
en cas de troubles psychiques.
Les professionnels de psychiatrie de plusieurs UCSA et SMPR visités prennent acte qu’une personne détenue peut avoir des besoins de soins alors qu’elle n’exprime pas de demande ou même refuse les soins. Ces professionnels vont en détention voir ces détenus et essayent de nouer une alliance pour les engager dans un processus thérapeutique.
Attendre que la demande émerge, souvent sous forme d’une demande écrite de personnes qui ont des besoins de soins importants, ou encore considérer que l’incapacité de se protéger soi-même, est une expression de liberté paraissent des contresens majeurs sur le rôle de la médecine envers les personnes détenues. Une telle attitude confine à organiser la
perte de chances en terme de santé.
Nous recommandons que les personnes, manifestement en détresse et qui ne formulent pas de demande de soins expresse correspondant à leur état de santé, bénéficient de visites des professionnels de santé dans les lieux de détention pour l’ensemble des établissements.
La population générale peut bénéficier de soins psychiatriques sans consentement sous forme d’hospitalisation à la demande d’un tiers. Il est anormal que cette possibilité n’existe pas pour les personnes détenues.
De même, les personnes en milieu ordinaire peuvent bénéficier d’une hospitalisation à temps plein sous le régime libre dans un établissement de santé en bénéficiant la nuit d’une présence infirmière constante et un recours à un médecin autant que de besoin.
Manifestement ce n’est pas le cas dans l’immense majorité des SMPR qui sont, et leurs responsables en conviennent, plus des lieux d’hospitalisation à la journée. Le rapprochement souvent fait avec les hôpitaux de jour ne paraît licite que lorsque des soins et des activités de groupe sont suffisamment fréquents.
Nous reprenons simplement les recommandations suivantes :
- la possibilité d’hospitalisation à la demande d’un tiers, déjà évoquée dans des rapports précédents doit être organisée ;
- l’hospitalisation à la demande du patient doit pouvoir se faire dans un service de psychiatrie qui assure des soins continus correspondant au temps plein ;
- les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) semblent
correspondre à ces nécessités à condition que le transfèrement se fasse dans des délais identiques à ceux de la population générale ;
- les UHSA doivent comporter des lieux spécialement aménagés pour permettre la prise en charge de personnes en crise suicidaire, permettre une surveillance constante tout en offrant les soins selon les meilleures pratiques actuelles.
7.14. Introduire une dynamique d’amélioration continue des soins
psychiatriques dans les UCSA et SMPR
La culture de l’évaluation est encore peu développée malgré l’incitatif représenté par la procédure d’accréditation conduite par l’ANAES. Les experts visiteurs de cette agence n’ont généralement pas visité les 62 UCSA et les 6 SMPR des 68 établissements de santé qui ont achevé la procédure, ni les 55 UCSA et 6 SMPR dont la procédure est en cours. Ils ont essentiellement rencontré les membres des groupes d’auto évaluation. L’évaluation des pratiques professionnelles est encore très peu développée dans ces structures. La conférence de consensus sur la crise suicidaire est peu connue, rarement lue, sauf si des formations régionales ont eu lieu dans le cadre de la stratégie nationale.
Puisque l’ANAES doit élaborer des recommandations de bonnes pratiques pour les soins psychiatriques, nous recommandons que leur implémentation soit accompagnée. Les cellules qualité des hôpitaux de rattachement représentent un support naturel pour cet accompagnement qui peut être encouragé par la DRASS et l’ARH. Cet effort est déjà conduit avec détermination dans plusieurs régions.
La deuxième version du manuel d’accréditation devrait intégrer la prévention du suicide dans les risques à prévenir pour les établissements de psychiatrie et ainsi favoriser la prévention.
L’amélioration de la prise en charge des conduites addictives, le bon usage des psychotropes et des traitements de substitution, l’utilisation des cellules d’isolement en SMPR et la tenue du dossier du patient sont des thèmes à inclure dans cette démarche de progrès. Un effort doit être conduit pour aller vers le dossier unique. Les dossiers multiples, dans le cadre de la prévention d’un risque, représentent par essence une organisation de la prise de risque.
7.15. Développer la promotion de la santé physique et mentale
Toutes les actions dont le principe est :
- d’accorder de la valeur à la personne détenue ;
- de lui donner du contrôle sur sa santé en investissant l’avenir ;
- de donner le goût et la compétence de se protéger ;
peuvent diminuer la vulnérabilité et faciliter le développement de capacités pour faire face aux difficultés.
La formation des détenus aux premiers gestes de secours en cas de détresse vitale est une action qui valorise les détenus. La formation de détenus à l’intervention de crise suicidaire procède de ce même principe et accroît le potentiel de prévention au sein de l’établissement. Ce recours est important pour les détenus qui ont développé une méfiance à l’égard des professionnels.
7.16. Le rôle des médias
Leur rôle est essentiel pour attirer l’attention sur le monde carcéral et apporter de l’information. La couverture médiatique des suicides qui se produisent dans les établissements pénitentiaires semble très élevée par rapport à l’ensemble des autres suicides, bien qu’ils représentent à peine plus de 1% de l’ensemble des suicides.
Cette sur médiatisation relative fait courir un risque de stigmatisation aussi bien pour les personnes détenues que pour les professionnels. Le suicide en prison ne doit pas être considéré comme un problème à part dont les seules causes seraient dans les murs. Il existe des tentatives de suicide avant la prison, il existe des suicides après.
Les médias peuvent jouer un rôle actif dans la prévention du suicide. La crise suicidaire est une succession d’équilibres métastables marquée par la désorganisation psychique. A un moment donné, le nombre de personnes en difficulté est élevé et chacune peut être influencée favorablement ou défavorablement par les messages qu’elle reçoit.
Il a été démontré que la façon de rapporter un suicide pouvait influencer le nombre de suicides et de tentatives de suicides. L’influence négative est décrite comme « l’effet Werther [8] » en fonction des facteurs suivants [9] :
- suicide d’une personne célèbre ;
- suicide d’une personne jeune ;
- présenter le suicide comme une solution ;
- dire que le suicide est normal ;
- dire que cela peut arriver à tout le monde ;
- dire que la personne avait tout pour être heureuse ;
- dire que la personne a été courageuse ;
- parler du moyen de suicide [10] ;
- dire qu’elle n’a pas souffert ;
- utiliser la première page des journaux ;
- glorifier la personne ou en faire un martyr, pouvant faire croire que la société rend honneur au comportement suicidaire :
Les médias peuvent jouer un rôle positif en :
- ne donnant pas détails précis sur la méthode utilisée ;
- en publiant dans les pages intérieures ;
- en informant sur les services d’aide et d’assistance en cas de détresse
psychologique ;
- en mettant l’accent sur les facteurs de risque et les signes d’alerte ;
- en faisant savoir que la dépression non traitée est la première cause de
suicide ;
- en prenant en considération l’impact du suicide sur la famille et leur deuil
- en communiquant les coordonnées des groupes de soutien pour les endeuillés par suicide.
Les recommandations ci-dessus portent sur l’ensemble des suicides. Ceux qui surviennent dans les établissements pénitentiaires étant rapportés de façon presque constante, il serait important de limiter au mieux le risque de contagion.
7.17. Améliorer l’analyse des décès par suicides au niveau des établissements et de la Commission centrale de suivi des actes suicidaires en milieu carcéral
Le travail de cette commission est actuellement centré sur les suicides. Les tentatives de suicide devraient être aussi étudiées et surtout les cas où les personnels de surveillance ont pu intervenir pour arrêter le geste suicidaire. Il est ainsi important de se centrer sur ce qui marche et sur les éléments qui ont contribué au sauvetage.
Cette action est essentielle pour mettre à jour ce qui a pu se passer et entrevoir les pistes d’amélioration. Sans ce niveau d’analyse, la Commission centrale de suivi des suicides ne peut pas disposer d’une information de valeur pour améliorer globalement la prévention.
Objectifs
- Mieux connaître ce qui s’est passé pour les personnes décédées par suicide en détention dans une approche de recherche de causalité et non de responsabilité ;
- déterminer le potentiel d’amélioration en l’état actuel de l’organisation de la prévention ;
- identifier les problèmes, rechercher leurs causes puis les solutions qui peuvent servir à améliorer la prévention dans l’ensemble des établissements ;
- diffuser les recommandations à l’ensemble des établissements.
Le traitement des anomalies importantes, c’est-à-dire les déviations par rapport aux règles établies, doit utiliser la voie hiérarchique habituelle. Toute étude approfondie d’une situation dépister des anomalies qui ont pu, ou non, jouer un rôle dans le bon fonctionnement du processus de prévention.
Méthode
Pour chaque cas, il s’agit de décrire ce qui s’est passé et de savoir si le système de détection protection habituel a fonctionné ou non.
- Que savait-on des facteurs de risque, et qui avait l’information ?
- Les informations pertinentes recueillies par les différents intervenants ont-elles été prises en compte ?
- Les facteurs de risques étaient-ils enregistrés ?
- Quelles actions ont été entreprises pour chacun des facteurs de risque où une intervention était possible ?
- Le plan de prévention du suicide a-t-il été conçu en fonction du niveau de risque ?
- Quel était-il ?
- Les actions de prévention préconisées ont-elles été appliquées ?
- Quelle mesures, ou précautions, ont été réellement mises en place ?
- Dans les jours ou heures avant le suicide, quels événements, alertes ou signaux ont été repérés et enregistrés, et par qui ?
- La personne avait-elle indiqué sous forme de signes indirects ou directs qu’elle projetait de mettre fin à ses jours ?
- Est-ce que certaines personnes avaient exprimé leur inquiétude ?
- Avait-on tenté de parler avec le détenu pour évaluer l’urgence et la dangerosité suicidaire ?
- Quelles réponses ont pu être apportées, par qui, quand et comment ?
- Ces réponses correspondent-elles au fonctionnement normal ?
- Quelles anomalies ou défaillances ont pu être identifiées ?
- Quelles actions auraient pu modifier le cours des choses ?
- Quelles recommandations ont découlé de l’analyse
Réalisation
Organiser un recueil de données dans chaque établissement pour compléter les données déjà disponibles. Le recueil se fait en réunissant les personnes qui ont connu la personne décédée. Les différents intervenants pénitentiaires, sociaux et sanitaires sont à associer à cette démarche. Il serait souhaitable de recueillir des informations auprès des détenus qui
ont été en contact avec cette personne.
L’objectif est de poursuivre une réflexion sur le repérage des éventuels signes avantcoureurs, de leur partage entre les différentes personnes qui ont connu la personne détenue et du potentiel de prévention qui pourrait être mis à jour.
Il ne s’agit pas d’une recherche de responsabilité mais d’une recherche qui ressortit au domaine du « retour d’expérience [11] ». Cette recherche causale (causalité cyndinique) vise à favoriser la « fabrique de la prévention [12] ». Cette analyse doit permettre de classer les décès
selon le degré de mise en oeuvre du potentiel de prévention.
Classement des décès par suicide selon leur caractère évitable [13]
1. Suicide totalement imprévisible.
La personne ne présentait pas de facteur de risque de suicide, elle ne présentait pas de signe de souffrance, elle n’a pas demandé d’aide, ni donné des signes directs ou indirects sur ses intentions. Si des événements négatifs sont survenus dans les dernières semaines, personne n’en avait connaissance.
2. Suicide pour lequel il n’existait aucun moyen raisonnable connu pour contrer les facteurs de risque.
La personne était connue pour être en difficulté et tout a été entrepris pour l’aider mais rien n’a pu la détourner de son projet suicidaire
3. Suicide qui aurait pu être prévenu avec un accroissement des mesures déjà entreprises
La personne était connue pour être en difficulté, recevait et bénéficiait de soins et de surveillance cohérents mais insuffisants en regard de l’issue.
4. Suicide potentiellement évitable si des mesures avaient été prises compte tenu du risque.
La personne était en difficulté, demandait de l’aide qui ne lui a été apportée qu’en partie. Les interventions réalisées ne portaient pas nécessairement sur tous les facteurs de risque.
5. Le suicide aurait facilement été prévenu.
La personne était identifiée à risque, parlait explicitement de son intention de se suicider, a demandé une aide à plusieurs reprises qui n’a pas été apportée du tout. Il existait des interventions potentiellement efficaces.
S’il faut accepter l’idée qu’il y aura toujours des suicides, la part de ceux qui sont considérés, a posteriori, comme évitables devrait se réduire. La proportion de ceux qui sont totalement imprévisibles devrait croître dans un contexte global de diminution des suicides. Cette analyse est la seule capable de démontrer que les variations du suicide sont attribuables aux efforts conduits.
Reste la question difficile de la mise en oeuvre d’un tel système d’analyse. Actuellement l’Administration pénitentiaires tente de porter un regard courageux sur l’ensemble des décès par suicide avec la Commission centrale de suivi des actes suicidaires. Le ministère de la Santé doit se joindre activement à cette analyse pour apporter un éclairage sur les troubles psychiques et les actions de soins.
Cette analyse reste cependant difficile comme pour la plupart des morts inattendues et/ou violentes quelque soit le lieu de survenance (domicile, voie publique, école, entreprises, hôpitaux, maison de retraite, prison ….).
Si la France se dotait d’une institution analogue à celle des coroners, la question se poserait différemment pour les administrations sanitaire et pénitentiaire. Elles disposeraient d’une enquête conduite par un enquêteur (officier public au Québec) extérieur, rôdé à l’exploration de la causalité dans tous les milieux.
De ce fait seulement, elles auraient seulement à se préoccuper de la mise en oeuvre des recommandations qui leur sont faites, et ne seraient pas à la fois juge et partie. En souhaitant à la fois rechercher ce qui s’est réellement passé, sans oser mettre à jour réellement le potentiel de prévention et à la fois protéger les acteurs et les institutions, la mission devient impossible. Personne ne peut adopter simultanément ces postures sans le risque de n’atteindre aucun objectif totalement.
La mise en place d’un tel système de retour d’expérience demande des modifications importantes pour réaliser une analyse qui est de nature « interministérielle ». De ce fait, il s’agit d’une recommandation générale qui pourrait servir l’amélioration de la prévention de l’ensemble des suicides et des autres morts violentes, objectif numéro 2 du projet de loi de santé publique.