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Les visites des établissements pénitentiaires : les constats

Mise en ligne : 23 décembre 2003

Texte de l'article :

6. Les visites des établissements pénitentiaires : les constats

Nous avons fait le choix de ne pas rendre compte de chacune des 17 visites d’établissements pour les raisons suivantes :
- l’objectif est d’améliorer les processus de prévention pour l’ensemble des établissements pénitentiaires à partir d’un échantillon d’entre eux et non de conduire une évaluation structure par structure ;
- les visites ont visé à examiner les processus pour connaître les points forts et les points faibles, et identifier les variantes pour faire un diagnostic global.
Plusieurs établissements visités souhaitaient avoir un retour sur la qualité de leurs processus de prévention. Ce fut possible lors d’une discussion générale, très souvent à la demande du directeur ou du chef d’établissement pénitentiaire, en fin de visite.
Nous reprenons ci-dessous les éléments essentiels. Beaucoup de points ont été décrits dans les rapports précédents suite à de nombreuses visites et évaluations.

6.1. L’organisation des visites
La liste des établissements visités a été communiquée par le Directeur de l’administration pénitentiaire aux Directeurs régionaux et par le Directeur des hôpitaux aux Directeurs régionaux de l’action sanitaire et sociale et aux Directeurs des Agences régionales de l’hospitalisation.
Bien que nous ayons essayé de donner à l’avance les dates de nos visites, nous n’avons pu parfois informer les établissements que peu de jours avant notre visite. Quel que soit ce délai, nous devons signaler la grande qualité de l’accueil qui nous a été réservé dans tous les cas. Cependant, ce délai a parfois empêché les responsables pénitentiaires et sanitaires d’informer à leur tour, tous les intervenants ayant une action dans le champ de la prévention du suicide. Nous devons insister sur l’effort de mobilisation de beaucoup de personnes qui ont modifié leur emploi du temps pour se rendre disponibles rapidement.
Volontairement, nous avions choisi de ne pas donner un programme de visite type avec une liste des personnes à rencontrer afin d’éviter des visites stéréotypées et trop préparées. Un programme de visite nous a été cependant été demandé bien souvent quelques jours avant la visite. Nous avons surtout demandé à emprunter le trajet des personnes détenues lors de leur arrivée et en cours de détention voulant ainsi plus évaluer le fonctionnement ordinaire qu’exceptionnel. Au fil de la visite, nous avons cherché à avoir des entrevues, souvent brèves avec les personnels, les bénévoles et les détenus. Dans chaque établissement nous avons rencontré des personnes détenues dans leur cellule, au QD ou dans les autres lieux.
Plusieurs étaient en crise suicidaire.
La visite débute par une réunion dans le bureau du directeur ou du chef d’établissement avec les principaux responsables de la détention, du SPIP et du dispositif sanitaire, directeur des hôpitaux liés par convention, chefs de services, directeur des soins. Il y a eu toutes les variations entre la réunion avec 2 ou 3 personnes et la réunion avec plus de 10 participants.
Ce premier contact permet une présentation de l’établissement et donne une perception de l’accueil fait à cette mission.
La présentation de l’établissement permet de faire le tour des grandes questions d’actualité pour l’établissement. La première, et d’extrême importance, est celle de la surpopulation pour les maisons d’arrêt. Cette situation, devant laquelle les personnels pénitentiaires se sentent impuissants, alourdit les charges de travail puisque le nombre de personnes détenues peut être supérieur au double de la capacité d’accueil.
Les établissements pénitentiaires sont les seules structures qui ne peuvent ni refuser d’admettre, ni décider de la sortie des personnes confiées. La réalisation des missions de surveillance, d’insertion, de soins se trouve entravée. Malgré cela, la mission qui nous a été confiée fut bien reçue.
Plusieurs fois, des surveillants nous ont rappelé que la souffrance des personnels était aussi une réalité et ont évoqué le suicide de collègues. Il est certain que la prévention du suicide des détenus ne peut être une priorité que si les professionnels ne sont pas dépassés par leurs propres difficultés.
La politique de l’établissement en matière de prévention du suicide est ensuite présentée dans ses grandes lignes avec les différents partenaires. Les éventuels suicides de personnes détenues sont abordés. Les hasards de la mission mais surtout la fréquence du problème ont fait que nous avons rencontré à quelques reprises des équipes qui avaient vécu un suicide récemment.
Le périmètre des professionnels et bénévoles concernés par cette mission n’est pas strictement dessiné, sauf quand l’établissement conduit une politique de lutte contre le suicide de longue date et qu’il a identifié les acteurs clés. Lorsqu’elle existe, la composition de la commission de prévention du suicide (commission pluridisciplinaire), est un bon indicateur des acteurs jugés comme essentiels. Nous avons pu assister à quelques unes de ces commissions lors des visites.
Les établissements associent en proportion variable un fonctionnement de type :
- plutôt hiérarchique, privilégiant les attributions, chaque responsable de structure devant être informé personnellement pour assurer la représentation de son équipe ;
- réseau, plus horizontal, plus souple et favorable à une mobilisation plus rapide et favorisant les contributions.
Le degré de cloisonnement des différents acteurs influence la vitesse de communication.
Nous pensons aux SPIP, direction des établissements hospitaliers, ARH, DRASS, DDASS, CODES, associations de bénévoles qui ont pu se mobiliser bien souvent dans des délais brefs. Le nombre de personnes ayant un rôle direct ou indirect dans la prévention du suicide est un véritable défi pour assurer une coordination optimale. Le nombre d’heures dans la journée où les détenus sont accessibles limite aussi l’espace de prévention.

6.2. La prévention du suicide au cours du circuit des arrivants
L’organisation mise en place aussi bien dans les maisons d’arrêt que dans les centres de détention est très propice, par son caractère structuré et systématique, à la prévention du suicide. La description qui suit cette chaîne montre la complexité des tâches et leur enchevêtrement.
La chaîne comprend pour ses phases principales dans les maisons d’arrêt :
- la phase d’écrou qui se réalise au greffe ;
- l’audience arrivant avec un gradé ;
- un entretien avec le travailleur social ;
- l’examen médical par un médecin généraliste ;
- un entretien avec un membre de l’équipe de psychiatrie, le plus souvent un infirmier.
Cette chaîne permet une relativement bonne évaluation du risque suicidaire, même s’il y a des confusions entre l’évaluation du risque et l’existence ou non d’une crise suicidaire actuelle. Le processus général correspond à la procédure décrite dans les circulaires de 1998 et 2002, il permet à un arrivant à plusieurs occasions d’exprimer sa détresse et aux professionnels de mettre en évidence les différents facteurs de risque de suicide et de déceler une crise suicidaire. La difficulté est certainement la répartition des rôles, le partage et la transmission des informations pertinentes et la réactivité des intervenants de cette chaîne pour apporter les bonnes réponses dans le bon délai.

6.2.1. Le greffe et l’accueil
La personne arrivante est d’abord placée dans une salle d’attente qui est un local très réduit.
Lors de nos visites, nous avons pu constater une grande variabilité entre des locaux acceptables et propres et des lieux dégradés, sombres et sales.
Le passage au greffe, phase où sont enregistrés l’identité de l’arrivant et le document qui justifie l’incarcération, est un moment très important pour reconnaître le choc carcéral et alerter les autres intervenants pénitentiaires et sanitaires. Le fait que l’arrivant soit un « primaire », c’est-à-dire incarcéré pour la première fois, donc susceptible d’être profondément choqué, est un fait parfaitement connu dans le monde pénitentiaire. Des détenus témoignent volontiers que l’attitude des personnels au greffe les rassure et contraste avec ce qu’ils imaginaient de la prison. Nous tenons à remercier tous les professionnels rencontrés au greffe d’avoir accepté de répondre à nos nombreuses questions sur leur façon de procéder.
L’accueil structuré et qualifié de chaleureux par certains témoignages succède à une période de garde à vue qui a pu être extrêmement difficile. Quels que soient les qualités des personnels du greffe et le soin qu’ils prennent à l’accueil des arrivants, il nous est apparu que l’idéation suicidaire n’était pas recherchée par le dialogue. Si le détenu exprime spontanément ces idées, elles semblent entendues et le système d’alerte fonctionne. Dans le cas contraire, malgré une souffrance exprimée, il n’existe pas une exploration pour repérer une crise suicidaire et l’évaluer dans ses différentes composantes. La recherche des antécédents de tentative de suicide est loin d’être conduite de façon systématique. Plusieurs fois, nous avons pu lors d’entretiens, mêmes brefs, avec des personnes détenues, mettre à jour des antécédents qui n’étaient pas connus des professionnels présents.
De façon générale, nous rencontrerons cette lacune tout au long de la chaîne des arrivants et seuls, de trop rares professionnels sanitaires abordent directement l’idéation, l’intention et le scénario suicidaire permettant d’évaluer le degré d’urgence suicidaire.
Les motifs pour ne pas faire cette exploration sont nombreux et défendus par quelques chefs d’établissement. Les craintes exprimées pour expliquer cette attitude ne sont pas spécifiques au milieu pénitentiaire. Ce sont pour les plus fréquentes :
- c’est difficile et délicat à demander ;
- on a peur d’induire les idées de suicide ;
- on risque de se faire manipuler ;
- ceux qui le disent ne le font pas, et ceux qui se tuent ne le disent pas, donc cela ne sert à rien de le demander ;
- ceux qui sont suicidaires sont bien décidés à mourir et rien ne peut les empêcher ;
- mettre à jour des idées de suicide impose d’apporter une réponse et on ne sait pas quoi faire, de plus cela engage notre responsabilité ;
- ce n’est pas notre rôle, il y a le gradé pour cela, ou les médecins, les infirmières, les psychiatres, les psychologues.
Une autre raison peut être trouvée dans la notice de la grille d’évaluation du risque suicidaire de la circulaire du 26 avril 2002 où il était souligné que le recueil des informations ne devait pas se faire en posant directement les questions à l’arrivant. De nombreux personnels ont souligné cette ambiguïté.
Les indications portées sur la notice individuelle renseignée par le Juge d’instruction ou par le Juge des libertés et de la détention, comme nous l’avons constaté au Service pénal du Tribunal de grande instance de Paris, constituent un élément d’alerte. Le signalement se fait simplement par une réponse oui ou non sur l’existence de risque suicidaire. De ce fait, sauf mention explicite et spontanée du juge, il n’existe pas d’information sur la nature des facteurs de risque et leur poids. La valeur de ce signalement est parfois mise en doute quand le signalement devient presque systématique et qu’il est perçu comme une précaution excessive qui protège plus le juge que la personne écrouée. On a constaté que l’existence d’un signalement par le juge n’entraînait pas systématiquement une exploration directe de la crise suicidaire, ce qui ne lève pas le doute sur son existence réelle et sur le bien-fondé d’une surveillance.
Ce signalement induit une surveillance spéciale, habituelle pour les arrivants mais qui sera prolongée au-delà. Les établissements semblent démunis pour savoir sur quels critères interrompre une surveillance spéciale qui paraîtrait inutile selon leurs données d’observation.
L’existence d’une commission de prévention du suicide peut permettre de mettre fin à cette surveillance spéciale. Une demande écrite est parfois faite par l’établissement au juge d’instruction pour qu’il confirme la nécessité de prolonger la surveillance spéciale ; celle-ci étant suspendue sans réponse de sa part au d’un certain délai. L’absence de réponse serait l’occurrence serait la plus fréquente.
Le passage au vestiaire permet à la personne écrouée de déposer ses papiers d’identité et les objets, de subir une fouille au corps et de prendre le plus souvent une douche. Un paquetage lui est remis dont la composition réglementaire est plus ou moins enrichie selon les établissements. Nous avons été sensibles au fait que certains établissements fournissent des produits de première nécessité de bonne qualité (brosse à dent, tube de dentifrice…, voire même déodorant) tandis que d’autres s’en tiennent à des produits de faible qualité (brosses à dent très minces, non conformes aux normes d’hygiène dentaire, simple sachet de dentifrice).
Les lieux dans lesquels se déroule cette phase importent dans la mesure où certains locaux, mêmes modestes, démontrent un souci de respect (peintures rafraîchies, ordre, propreté, rangement des effets des détenus) tandis que d’autres dénotent par une vétusté, un défaut d’entretien et de rangement. La possibilité de douche pour les arrivants semble bien respectée sauf pour les écrous tardifs.
L’attitude des professionnels reste certainement l’élément le plus important pour les arrivants. Cette phase qui est en soi difficile à supporter, par essence intrusive est l’occasion pour les surveillants de bien mesurer la réaction de la personne écrouée.
La mise en place d’un quartier arrivant est inconstante dans les établissements, surtout pour ceux de petite taille. Pour ceux qui en sont dotés, les protocoles de fonctionnement sont assez variables. Le quartier arrivants peut être individualisé avec un personnel dédié et une durée de présence des arrivants de plusieurs jours. Un flux d’entrants considérable et le surencombrement consécutif peuvent désorganiser le fonctionnement du quartier arrivant et limiter la phase d’observation initiale.
L’existence d’un quartier arrivant avec un personnel fixe, au moins sur une certaine durée, est propice à construire la sécurité par une plus grande qualité d’observation et une mise à profit de l’expérience. L’affectation permanente des personnels de surveillance permet de structurer des liens avec les autres intervenants.
Les établissements qui ont construit un quartier arrivant l’ont doté d’aménagements qui tranchent avec le reste des autres locaux de détention. Ces cellules peuvent être équipées de douches, de télévision et d’un réfrigérateur. Si tous les professionnels s’accordent sur les progrès représentés, il est difficile d’évaluer dans quelle mesure cet équipement atténue le choc carcéral.

6.2.2. L’audience par le gradé
Cette audience, qui est systématique, se fait dans les heures qui suivent l’arrivée, le lendemain matin en cas d’arrivée le soir. Il s’agit d’un moment important qui permet de faire une deuxième évaluation. En cas de détresse particulière d’un arrivant, nous avons pu constater plusieurs fois la mobilisation du gradé, voire du chef ou du directeur d’établissement pour conduire très rapidement cet entretien après signalement d’un surveillant.
Nous avons constaté, et eu des confirmations par plusieurs sources, que les gradés reçoivent facilement les détenus en souffrance qui en font la demande. Une politique d’écoute est en place. Le problème est, semble-t-il, la capacité à apporter les réponses quand elles dépendent d’autres intervenants.
Le risque est de susciter des espoirs par des promesses, puis de la déception si les réponses ne sont pas réelles. Plusieurs fois, des surveillants, des visiteurs de prisons et des détenus nous ont dit que la capacité de l’Institution à dire non, par crainte d’un incident, s’était affaiblie face aux personnes les plus démunies de stratégies pour faire face à leurs problèmes.
L’écoute des surveillants et des gradés est très importante pour les détenus qui ont commis des crimes sexuels qui vivent souvent dans des conditions de solitude et de peur extrêmes.

6.2.3. L’entrevue avec le travailleur social
L’entrevue avec le travailleur social est un moment important pour les détenus, car ils sont en quelque sorte les ambassadeurs du monde extérieur et des liens avec la famille. Le travailleur social est investi comme une personne pouvant trouver des solutions aux problèmes antérieurs et à ceux induits par l’incarcération.
Nous avons perçu selon les discours des autres professionnels et selon nos constats une intégration très variable des travailleurs sociaux dans les établissements pénitentiaires. Les flux d’arrivants et un nombre largement supérieur à 100 dossiers, en milieu ouvert et/ou en milieu fermé, à gérer peuvent limiter le rôle des travailleurs sociaux pour intervenir en cas de crise suicidaire. Cependant, leur accès au monde extérieur permet souvent de trouver des solutions à la détresse des détenus dans les différentes sphères de leur vie. Les travailleurs sociaux ont accès à des informations sur la trajectoire de vie qui sont précieuses pour évaluer le risque suicidaire. Le partage des informations avec les personnels de surveillance et les personnels sanitaires nous a paru inconstant dans certains établissements. Leur articulation avec les assistants sociaux des SMPR n’est pas toujours apparue clairement.

6.2.4. Structures sanitaires : UCSA et SMPR
Le circuit des arrivants des établissements pénitentiaires comporte un passage par l’UCSA qui regroupe, dans les mêmes locaux, l’équipe de soins somatiques et celle de psychiatrie, sauf en cas d’existence d’un SMPR. Il en découle généralement une facilité des contacts.
Lorsque l’établissement est doté d’un SMPR, celui-ci est habituellement situé dans des locaux à proximité variable de l’UCSA. Une difficulté peut en découler pour accéder de l’un à l’autre.
Nous envisageons ce circuit toujours dans le cas de la prévention du suicide.
• Le médecin généraliste
Chaque détenu arrivant bénéficie d’un examen médical par le médecin généraliste dès le jour même ou le lendemain de son arrivée. Ce délai peut être porté à trois jours en fin de semaine. Les établissements importants peuvent organiser une présence médicale le samedi matin tandis que dans de petits établissements un détenu peut être examiné jusqu’à 6 jours après son arrivée si le généraliste ne vient qu’une fois par semaine. Un examen médical peut être réalisé par un médecin des services d’urgence ambulatoire en cas de besoin. Leur déplacement n’est toutefois pas toujours assuré selon les informations rapportées.
L’examen médical systématique est propice au recueil de données pour évaluer le risque de suicide : antécédents médicaux et chirurgicaux, abus de substances (alcool, drogue), traitements antérieurs et en cours. L’évaluation de la dépression et de l’urgence suicidaire n’est en revanche pas réalisée de façon systématique. Elle dépend du praticien et de son expérience clinique.
Le rôle du médecin généraliste et des infirmières est essentiel face aux détenus en détresse.
Ces derniers peuvent leur être adressés en urgence par les surveillants et gradés quand ils ont détecté un risque suicidaire chez un arrivant. Ce mécanisme d’alerte et d’accélération des interventions est essentiel. Il représente une force du système. Dans les établissements qui ne sont pas dotés d’un SMPR, la proximité avec l’équipe de psychiatrie est, en principe, favorable à une intervention rapide de celle-ci. Dans le cas des établissements dotés d’un SMPR, la même rapidité d’intervention est recherchée mais pas toujours obtenue.
• L’équipe de psychiatrie
L’équipe de psychiatrie fait en sorte que tous les arrivants bénéficient d’un entretien avec un membre de l’équipe. Les infirmiers ont habituellement très souvent cette charge qui comprend un accueil, une présentation de la structure et une évaluation.
Cette évaluation peut être aussi conduite systématiquement par les psychologues ou par les psychiatres selon les établissements. Ces variations ne sont pas soutenues par des preuves d’équivalence des trois modalités d’organisation. Si la pénurie peut être une excellente justification dans les petits établissements, elle n’a pas de justification dans les structures importantes.
Le délai dans lequel est fait cet entretien pose des questions dans le cadre de la prévention du suicide. Des SMPR s’engagent à voir tous les détenus dans un délai précis, par exemple dans les 10 jours qui suivent leur arrivée. Cette organisation positionne le SMPR en aval dans le processus de détection systématique du risque de suicide. Cette structure doit donc faire confiance aux intervenants en amont pour détecter et orienter rapidement les personnes en crise suicidaire.
Cette évaluation est essentielle dans le cadre de la prévention du suicide en raison du sur risque des personnes souffrant d’affections mentales. Les discussions avec de nombreuses infirmières et infirmiers nous indiquent qu’il n’y a pas de procédure structurée pour identifier les personnes les plus à risque de suicide. L’organisation s’appuie sur l’expérience de chaque professionnel, plus ou moins partagée au sein de l’équipe, pour identifier les patients qui ont le plus besoin de prise en charge. Cette manière de procéder correspond aux pratiques habituelles de la psychiatrie.
Cependant, en raison du grand nombre de personnes à rencontrer et de la difficulté à apprécier le risque de suicide, il serait opportun qu’un ensemble de critères explicites soit partagé.
Les psychologues ont plus rarement la charge de rencontrer systématiquement tous les arrivants. C’est cependant le cas dans quelques SMPR. Certains psychologues ont une solide formation en prévention du suicide, notamment lorsqu’ils ont fait une partie de leur cursus à l’étranger ou qu’ils interviennent à l’extérieur dans des organismes de prévention du suicide. Les psychologues sont souvent en deuxième ligne, recevant des patients après orientation des infirmiers ou des psychiatres ou encore sur demande expresse des détenus.

6.3. La prévention du suicide au cours de la détention
La prévention du suicide en détention est mise en place en fonction de l’évaluation initiale et des événements qui ponctuent la vie de la personne détenue. Ces événements de nature diverse peuvent s’accumuler et avoir un effet de potentialisation. La prévention dépend aussi de l’organisation sanitaire en place, de son accessibilité et de la nature des soins dispensés.

6.3.1. Les événements de la vie pénitentiaire
• Le quartier disciplinaire (QD)
Le placement au quartier disciplinaire est relié avec une augmentation du risque de suicide.
Nous savons cependant que le nombre de décès par suicide au QD est globalement en diminution. Des directeurs ont fait des rappels pour limiter les placements en prévention au QD ainsi que l’interdiction de retirer les vêtements des détenus suicidaires.
Le placement au QD de détenus suicidaires représente une véritable incompatibilité sauf à considérer que le QD est le lieu de l’établissement où la surveillance et les soins peuvent être les plus intenses. Si le détenu doit être puni, cette punition doit s’effectuer en dehors d’une crise suicidaire lorsqu’un équilibre émotionnel est retrouvé.
Les médecins généralistes ont la charge de voir deux fois par semaine les détenus au QD.
Le médecin peut demander l’interruption de cet isolement pour des motifs médicaux. Il n’est pas sûr que leurs recommandations soient toujours suivies de l’aveu même d’un directeur.
Les soins psychiatriques sont parfois interrompus lors du placement ce qui constitue une anomalie.
• Les transfèrements
Leur caractère traumatique dépend des motifs du transfèrement et des conséquences de ce qui peut représenter un éloignement de la famille. La rapidité de certain transfèrement est liée à des impératifs de sécurité si bien que ce départ ne peut être préparé. La transmission de dossiers de qualité est essentielle pour ne pas faire perdre des chances à cette personne
• Les anomalies de la vie pénitentiaire
La vie pénitentiaire est complexe et il est difficile pour un oeil extérieur de distinguer ce qui est normal et anormal.
Les problèmes de l’intimidation et de la violence entre détenus ont été relativement peu abordés par les détenus lors des rencontres. Ils se plaignent beaucoup plus de la promiscuité, du bruit, de l’absence de propreté. Cependant, quelques uns nous ont signalé que les rapports de force étaient prévalents dans quelques établissements, notamment dans les cellules où il y avait des matelas par terre. Les relations sexuelles imposées n’ont pas été dénoncées lors de nos visites. Elles le sont par certains patients, antérieurement incarcérés, que nous suivons dans le cadre de notre exercice professionnel.
Les services de gestion financière nous ont indiqué qu’ils suivaient les dépenses de cantine pour voir si les détenus étaient contraints d’acheter à cause du racket. Les détenus condamnés pour crime sexuel nous ont dit la peur dans laquelle ils avaient pu vivre ou vivaient encore. Des mécanismes de protection sont mis en place pour ces détenus dans toute leur trajectoire au sein des établissements.
Parmi les difficultés dont se plaignent le plus les détenus, on trouve la dépendance dans laquelle ils se trouvent et la perte de contrôle. Elle est inhérente à la situation de détenu. La difficulté à avoir une réponse aux demandes, le fait d’être obligé d’attendre pour une durée indéterminée donne un vécu d’impuissance et de désespoir. Le fonctionnement normal que peut endurer un détenu en équilibre psychique peut se révéler insupportable pour une personne en crise. Des réactions violentes peuvent être la marque de l’impuissance.

6.3.2. Les événements de la vie judiciaire
Une attention toute particulière est donnée aux événements de la vie judicaire. Certains moments sont très difficiles : les confrontations, la reconstitution, le procès, la sentence, les refus de liberté conditionnelle ou la perspective d’une nouvelle affaire. Ces événements sont traités comme des périodes critiques qui peuvent augmenter le risque de suicide dans les Commission Locale d’Insertion ou les commissions de prévention du suicide.
Quelques établissements ont établi une durée de surveillance spéciale automatique avant le procès et après la condamnation. Ce caractère systématique est en faveur de la prévention.
Le rôle des travailleurs sociaux est essentiel pour l’accompagnement des détenus, l’élaboration du projet de réinsertion et du projet d’exécution de peine (PEP). La surcharge du SPIP peut provoquer des retards et augmenter les sentiments d’abandon et de désespoir que plusieurs détenus nous ont confiés.

6.3.3. L’organisation sanitaire
Les rôles des infirmiers de soins somatiques et de psychiatrie dans les UCSA des établissements de petite taille comportent la prise de nombreuses responsabilités en raison d’une présence médicale non constante. Habituellement volontaires et motivés pour cette fonction, ils bénéficient à la fois de beaucoup de liberté d’initiative et reçoivent des patients qui ne vont pas bien et qui veulent souvent tout, tout de suite. Le métier est décrit par une infirmière dans une interview pour un quotidien comme « lourd et attachant ». Les infirmiers programment les consultations des généralistes et des psychiatres. 
Le plus souvent, les psychologues reçoivent les patients sur leur demande expresse ou sur orientation des psychiatres. Quelquefois l’offre de soins psychologiques est concentrée sur un nombre très faible de détenus. Selon les établissements, les psychologues vont ou non en détention pour rencontrer des détenus signalés et sans demande d’aide.
L’examen psychiatrique des personnes détenues n’est habituellement pas systématique, sauf exception. Ceci pose un problème pour être assuré que l’ensemble des facteurs de risque soit bien identifié. Les antécédents personnels et familiaux de tentative de suicide ne sont pas constamment recherchés comme nous avons pu le constater. Il serait important que quels que soient les professionnels qui font l’évaluation clinique, il soit dressé une liste des données essentielles à recueillir pour chaque arrivant. L’intuition ne suffit pas dans le cadre de la prévention du suicide. Les personnels pénitentiaires ont quant à eux beaucoup plus recours à des documents pour décrire l’état psychologique ou le comportement de la personne détenue. Ceci est bien sûr très développé dans les centres de détention où il y a une véritable culture de l’observation.
Le fait qu’il soit demandé aux détenus d’écrire pour obtenir une consultation peut être un facteur limitant pour les personnes qui ne sont en difficulté avec l’écrit et pour les personnes qui sont à la fois fières et fragiles.

La prescription de psychotropes
Nous avons rencontré des UCSA où les généralistes prescrivent les différents psychotropes dont les antidépresseurs comme en clientèle en milieu ouvert. Dans d’autres UCSA, ils sont cantonnés au renouvellement des prescriptions de psychotropes instaurées précédemment et à la prescription des seuls anxiolytiques et des hypnotiques. La mise en route des antidépresseurs est faite par les psychiatres. Cette organisation est intéressante si les patients rencontrent réellement les psychiatres et qu’elle n’entraîne pas de perte de chance de bénéficier d’un antidépresseur. A l’inverse, si le généraliste ne peut pas, en cas de dépression, prescrire d’antidépresseur et que le patient refuse et/ou ne voit pas le psychiatre, il y a une anomalie de l’organisation des soins.
Le taux de personnes détenues sous antidépresseur est un indicateur dont nous avons demandé la mesure au cours de nos visites. Il s’agit bien d’un indicateur dans le sens où le traitement de la dépression ne se restreint pas à la prescription de médicaments. Nous remercions les pharmaciens et les équipes médicales et infirmières qui ont fait le décompte des patients de cette classe thérapeutique un jour donné.
Les taux varient de 3,4 % à 33,4 % des personnes détenues, le taux le plus élevé étant dans un centre de détention pour femmes ce qui est cohérent avec la prévalence de la dépression dans ce groupe. En effet, les études précédemment citées, indiquent une prévalence de cette affection qui est la première cause de suicide entre 15 et 50 %. De telles variations du taux de personnes détenues sous antidépresseurs ne peuvent être expliquées par des différences des besoins de santé.
Une enquête auprès des entrants indiquait un taux de 4 % de personnes sous antidépresseurs à l’arrivée. Ceci signifie que dans certains établissements, la prise en charge sanitaire n’augmente pas la probabilité d’un traitement de la dépression.
Le nombre de personnes détenues ayant une prescription d’anxiolytiques et d’hypnotiques varie beaucoup d’un établissement à l’autre. Il en est de même pour les médicaments de substitution. De nombreux professionnels de santé, mais aussi de formateurs nous ont alerté à propos de ces prescriptions pour lesquelles ils ont des doutes quant à l’intérêt en terme de santé et de vie quotidienne, sans parler du risque de trafic.
Les prescriptions d’anxiolytiques à des posologies supérieures aux recommandations alertent les pharmaciens qui disent parfois ne pas pouvoir exercer le contrôle qui leur est confié réglementairement. Nous soulignons ce point, non seulement en raison du risque en cas d’absorption massive de ces médicaments, mais en raison des interrogations sur le lien entre anxiolytiques et passage à l’acte.
Des audits sur les pratiques de prescription sont à conduire par les différentes équipes médicales et les comparaisons seraient certainement fructueuses lors des réunions scientifiques des UCSA et des SMPR. Ces évaluations sont à inclure dans les démarches qualité et la procédure d’accréditation.

Le circuit du médicament
Aucun problème de disponibilité des médicaments nécessaires aux soins n’a été évoqué au cours de visites. La charge de travail des infirmiers de l’UCSA, en l’absence de préparateur en pharmacie, peut être considérable au point diminuer leur temps consacré aux soins. Le fait qu’il soit prévu réglementairement que les infirmières de soins somatiques préparent et administrent l’ensemble des médicaments est vécu comme une injustice.
En effet, les prescriptions sont constituées souvent à 60 % de psychotropes, prescrits essentiellement par les équipes de psychiatrie. De plus, sur le plan du suivi thérapeutique, c’est un non sens puisque l’administration des médicaments est un acte important qui permet de détecter des problèmes d’observance, des effets secondaires et d’évaluer les effets thérapeutiques. La distribution des médicaments peut être pluriquotidienne, quotidienne, quotidienne la semaine et pour 2 jours en fin de semaine, 2 fois par semaine et une fois par semaine. Une distribution de fréquence élevée permet aux infirmiers d’avoir des points de contact avec les personnes en difficulté.
Nous recommandons que cette charge soit au moins partagée entre les équipes somatiques et psychiatriques comme nous l’avons vu dans plusieurs établissements. Ceci améliore le climat social et limite les clivages toujours délétères pour prévenir un risque comme le suicide.

Le dossier du patient
L’existence d’un dossier unique, qui n’est hélas pas la règle, est un point fort pour rassembler dans un même document les informations nécessaires. La multiplicité des dossiers, chaque établissement de rattachement et chaque corps professionnel pouvant le revendiquer, est un non-sens quand il s’agit de protéger le patient, notamment en situation d’urgence. L’éparpillement des informations et leur détention dans des lieux divers, pas toujours sécurisés, reviennent à une construction de la prise de risque.
La collaboration entre les équipes somatiques et psychiatriques adopte toutes les formes des relations humaines. Une ambiance de collaboration avec le respect des compétences de chacun est la forme la plus fréquente. Rarement, mais c’est encore trop fréquent, nous avons pu percevoir un véritable climat délétère dont il est difficile de penser qu’il n’a pas de conséquences en terme d’organisation et de qualité des soins. Nous avons été surpris du nombre élevé de personnes informées de cet état de fait et de l’impossibilité pour un département ou une région de traiter ces anomalies devenues chroniques. La gestion et la prévention d’un risque supposent des organisations qui travaillent continûment ensemble.

L’hospitalisation au SMPR
Les visites nous ont permis de confirmer ce qui avait été constaté lors des précédentes missions. Les chefs de service des SMPR sont conscients des limites actuelles car, et nous citons l’un d’entre eux, les « SMPR ne sont pas des lieux d’hospitalisation au sens strict du terme ; ce sont des lieux de prise en charge, le plus souvent à temps partiel (8 heures/18 heures) dans la prison, soumis aux impératifs pénitentiaires ». Ils ne correspondent pas aux impératifs « d’un soin intensif (surveillance clinique 24H/24, traitements médicamenteux intensifs avec surveillance clinique rapprochée, surveillance des états suicidaires). L’accès direct aux détenus n’est pas constant en raison des charges qui incombent aux surveillants. La nuit, l’accès à un patient au SMPR en cas d’urgence demande 15 à 20 minutes, ce qui est un délai trop élevé en cas de détresse vitale. Sauf erreur de notre part, seuls 2 SMPR sur 26 en France bénéficient d’une présence infirmière la nuit.
Certains SMPR visités ont eu à déplorer des suicides ces dernières années. Il est très tentant de relier la vétusté, voire l’insalubrité des locaux, la sensation d’isolement et d’abandon qui peuvent en découler avec la survenance de suicides. Le raccourci est probablement inexact en partie. Nous sommes convaincus que les personnes sont conduites au suicide parce que leur vie va très mal et que plus rien n’y fait pour atténuer leur souffrance. Cependant, il est difficile d’imaginer que certaines cellules que nous avons visitées constituent un lieu apaisant, protecteur et source d’espoir. Proprement effrayantes en terme d’aspect, d’hygiène, de confort, ces cellules ne peuvent être le témoin d’une marque de respect et considération.
La mise en place des Unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) devrait, à terme, faire disparaître ces lieux non sanitaires.

La garde médicale de psychiatrie
Un modèle d’organisation précis de la garde ne nous est pas apparu clairement. Les médecins généralistes disent que ce sont eux qui les assurent, pour la plus grande part, essentiellement en cas de tentative de suicide et d’automutilation. Pour d’autres établissements, les équipes de psychiatrie assurent cette mission en se rendant disponibles 7 jours sur 7.
L’accès à un psychiatre de garde doit pouvoir être assuré dans chaque établissement pénitentiaire.

6.4. Le bilan de la prévention du suicide au travers des visites
6.4.1. La promotion de la santé
La promotion de la santé physique

Les actions de promotion de la santé physique et de la prévention des risques sont nombreuses. Dès son arrivée à l’UCSA, un arrivant peut se rendre compte par les affichages, les documents mis à disposition qu’il s’agit d’un lieu médical où la santé a de la valeur. Ces actions sont le fait de différents acteurs dont l’entente peut être excellente, la Direction régionale, le Comité départemental d’éducation pour la santé (CODES), l’UCSA et par son intermédiaire les spécialistes qui ont une compétence particulière pour le tabagisme, les infections virales par exemple. Les formateurs peuvent associer les détenus à réaliser des documents de promotion de la prévention sous une forme efficace en terme de communication.

La promotion de la santé mentale

La promotion de la santé mentale se fait sous forme d’actions d’information et de discussion sur les thèmes de la prévention du stress, les risques liés à l’alcool, la dépression. Ces actions sont loin d’être généralisées à tous les établissements.
Les groupes de paroles pour les détenus paraissent très utiles et sont un facteur de construction d’un lien social encadré par les équipes psychiatriques.
Les journaux internes aux établissements pénitentiaires représentent un moyen de dialogue et de diffusion de messages de santé. La qualité de rédaction comme la liberté de ton et d’expression dans la rubrique « courrier des lecteurs » sont des bonnes surprises.
Des enquêtes sont réalisées pour connaître les besoins des détenus en terme de prévention.
Les résultats d’une enquête faite dans un établissement indiquent que plus de la moitié des détenus ont pensé au suicide, que presque un tiers a déjà fait une tentative de suicide.
Les difficultés en détention sont en premier les relations avec les autres détenus, les problèmes d’hygiène. Les personnels sanitaires et de surveillance sont renvoyés dos à dos avec des relations qualifiées de difficiles avec ces équipes pour moins d’un quart des détenus. Ce résultat local ne peut être généralisé mais reste à prendre en compte.
Le manque de lieu de parole, le manque d’intimité en cellule, le tabac en cellule (co-détenu fumeur), la séparation avec les proches, le manque de contact avec les avocats sont des difficultés citées spontanément.
De telles enquêtes mériteraient d’être réalisées périodiquement dans tous les établissements car elles peuvent contribuer, s’il y a réelle une volonté, à des actions ciblées pour améliorer les conditions de vie et d’aide.

L’enseignement

Il s’agit d’un secteur important pour la réinsertion des personnes détenues d’autant que le taux de personnes en difficulté avec l’écrit est d’environ 38%. Ce temps d’acquisition diminue le sentiment de perte de temps et de perte de sa vie. Les enseignants sont des acteurs importants pour l’observation des détenus quant à leur forme, leur intérêt et leur moral.
L’apprentissage étant exigeant, les problèmes des détenus transparaissent facilement. Ils ont donc un rôle important pour la prévention du suicide en signalant les détenus en difficulté.
Les équipes d’enseignants peuvent faire des prouesses en permettant, de par la qualité des activités qu’ils proposent, de faire coopérer des détenus accusés de délits ou crimes théoriquement incompatibles.
Des établissements sont organisés sur le plan des horaires pour que les détenus puissent à la fois apprendre et travailler, et ainsi accomplir leur mission de réinsertion.
Le Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées (GéNEPI) est une association « loi 1901 » qui regroupe 850 étudiants bénévoles qui interviennent dans 70 établissements pour la réinsertion sociale des personnes incarcérées.
Les associations culturelles jouent un rôle important dans la vie des établissements. Elles induisent une dynamique de projet et les événements culturels constituent des moments d’évasion qui donne un sentiment d’appartenance au monde.

Le travail
Le classement des détenus, c’est-à-dire leur affectation à un travail, est un autre facteur de stabilité. Le désoeuvrement induit une démoralisation de la population carcérale. La possibilité d’accès à un travail est bien sûr plus élevée en centre de détention qu’en maison d’arrêt. Autant le classement est un facteur positif, autant le déclassement peut être perçu comme une injustice et une dévalorisation. Les détenus particulièrement signalés ne peuvent plus avoir un travail. Cette interruption d’activité est particulièrement difficile.
Le classement des détenus condamnés à de courtes peines est habituellement difficile en maison d’arrêt. Les délais peuvent être très longs ce qui est un facteur de désespérance pour des détenus qui veulent travailler pour essayer d’oublier.
Les détenus peuvent être classés pour le service général, pour la cuisine ou pour les ateliers dans les centres de détention. La Régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP) gérait en 2002, 37 ateliers répartis dans 28 établissements. Nous avons pu visiter des ateliers de production (boisellerie, fer forgé, mécanique générale). Des ateliers sont en cours de certification. Le Service de l’emploi pénitentiaire employait 1260 détenus en 2002.
Des emplois existent aussi dans des chantiers extérieurs. Leur importance est telle que le problème de la dispensation des soins sur site se pose.

La Commission locale d’insertion est un lieu de décision du classement.

La lecture publique

La lecture publique tient une place toute particulière en prison et fait l’objet de nombreuses actions Le livre est une occasion sans cesse renouvelée d’évasion. Les bandes dessinées sont très demandées et même elles servent parfois d’abattant pour les WC (il en faut deux !).
La bibliothèque est en accès direct ou par l’intermédiaire d’un catalogue et d’une distribution itinérante. Les ouvrages accessibles au quartier disciplinaire ne nous ont pas fait une forte impression.
Les directeurs des établissements pénitentiaires encouragent plus ou moins cette politique d’accès au livre. Nous avons rencontré des détenus qui étaient devenus de véritables bibliothécaires, conseillant les codétenus sur la progression de leurs lectures et des ouvrages à emprunter. Mais le taux d’illettrisme reste élevé, autour de 38 % et les autres formes d’activité doivent être trouvées [1].

Les activités sportives
Elles peuvent prendre une place considérable dans la vie en détention et être un facteur d’équilibre. Ces activités sont parfois très structurées avec des tournois organisés au sein de l’établissement avec un affichage des résultats. Une promotion du sport peut être faite grâce à la venue de vedettes. Les activités de musculation prennent une place tout particulière avec une pratique souvent intensive.
Les aires d’activité sportive, les locaux ainsi que le matériel ont des niveaux très disparates.
Certaines salles et certains équipements sont dans un véritable état de délabrement. Au-delà des limitations budgétaires, l’investissement de la direction de l’établissement et des moniteurs peut expliquer de tels écarts.

Le maintien des liens familiaux : les parloirs, le courrier, le téléphone, les Unités Expérimentales de Vie Familiale
Le maintien des liens familiaux est un axe important pour préserver l’insertion des personnes détenues. Les parloirs font partie des grands moments de la vie des détenus et de la vie de la prison. Le premier parloir est un longtemps attendu après l’écrou. Les prévenus peuvent avoir trois parloirs par semaine et les condamnés une fois par semaine.

Les programmes pour favoriser les liens avec l’entourage ont suscité des aménagements dans certains établissements. De ce fait, des écarts semblent creusés tant dans la conception des parloirs que pour leur confort et les seuils de tolérance en vigueur. Les écarts pour le nombre et la durée des parloirs sont faibles entre les maisons d’arrêt et importants entre les établissements pour peine.
Il existe des parloirs clairs, propres, aérés, dotés de suffisamment de chaises, avec des toilettes pour les détenus et pour les familles, avec des distributeurs de boisson, avec des espaces et des jeux pour les enfants… Le contraire existe aussi.
Pendant les parloirs, les couples ont une vie intime pour laquelle l’ambivalence est de mise, à la fois illégale et en pratique objet d’une tolérance avec les risques de l’arbitraire.
Quelquefois, des aménagements discrets protégent cette intimité et évitent la promiscuité avec les parloirs familiaux. Il est difficile d’affirmer que le taux de suicide diminuerait si les couples pouvaient avoir des relations sexuelles dans des conditions dignes. Il n’existe pas de données sur ce point. Il est très vraisemblable que de tels aménagements n’augmenteraient pas le taux de suicide. Un groupe de travail de l’Administration pénitentiaire est en cours sur ce thème qui semble avoir été dépassé par plusieurs pays dont l’Espagne.
Si la plupart des parloirs se passent bien, c’est aussi le lieu où des mauvaises nouvelles sont annoncées, où des échecs relationnels se révèlent. L’observation de l’attitude de détenus et de leur famille dans les parloirs que nous avons visités montre que la communication est parfois bloquée.
Dans quelle mesure les associations de familles de détenus ne pourraient-elles apporter une aide à celles qui sont le plus en difficulté pour parler avec leur parent incarcéré ?
Ces associations ont un rôle important pour aider les familles des détenus. Elles ont mis en place des lieux d’accueil pour les familles qui viennent de loin pour les parloirs. Des tensions dont les raisons nous sont obscures existent entre certains établissements et SPIP et les associations. La question de savoir si les familles doivent devenir des usagers pénitentiaires pour répondre à leurs besoins en tant que famille.
Des équipes de psychiatrie ont su obtenir la mise en place des entretiens familiaux en présence du détenu. Cette possibilité apparaît comme essentielle pour l’exercice de la psychiatrie en milieu pénitentiaire. Chacun peut entendre les mêmes choses au cours de cet entretien à défaut de les comprendre pareillement.
A l’issue des parloirs et des procédures (fouille, accompagnement) les surveillants ont l’habitude de s’enquérir si le détenu n’a pas reçu une mauvaise nouvelle. Les incidents de parloirs comme les parloirs « fantôme » (personne n’est venu) sont des événements à intégrer à l’évaluation du risque de suicide.
L’existence et l’utilisation d’une main courante après les parloirs permettent de noter des faits significatifs dans la vie de la personne détenue. Cette observation est plus facile en centre de détention de par le ratio personnel/détenu.
L’accès au téléphone est refusé aux prévenus et réservé aux seuls condamnés qui sont dans les établissements pour peine seulement. Ceci limite les possibilités de répondre aux demandes d’un détenu qui se sent abandonné. Certains détenus ont de la peine à imaginer qu’ils ne pourront plus téléphoner à leur proches et ne plus les voir pendant un certain temps à partir de l’écrou.
Nous suivons les recommandations précédentes pour que les prévenus, sauf impératif judiciaire, nécessaire à l’enquête, et/ou impératif pénitentiaire, lié à la sécurité, puissent avoir des liens téléphoniques avec leur famille. On ne sait dans quelle mesure un tel accès pourrait limiter le fait que 11 % des détenus hommes vivent une séparation dans le premier mois de détention.
Le courrier est un moyen de maintenir les liens. Il faut rappeler cependant que 38 % des détenus présentent un illettrisme Des détenus savent développer des stratégies pour conserver des liens familiaux. L’un d’entre eux fait des dessins pour ses enfants que ces derniers colorient à la maison. Ensuite, il les met sur les murs de sa cellule. Ce père refuse que ses enfants viennent au parloir en raison de la promiscuité.
Plusieurs détenus ont souhaité que le courrier soit distribué le matin et non le soir car il est difficile de s’endormir sur une mauvaise nouvelle. La lecture non guidée et non accompagnée de son expertise psychiatrique reçue au courrier le soir a été une épreuve pour un détenu.
La mise en place des premières Unités Expérimentales de Vie Familiale constitue un changement très important pour la France. Ce rapprochement familial durant une durée maximale de 72 heures est suivi avec une attention légitime tant c’est un changement avec les pratiques antérieures. Les premiers bénéficiaires sont des femmes en établissement pour peine. Cette solution, qui a nécessité des investissements lourds, ne doit pas faire relâcher les autres efforts en faveur du maintien des liens familiaux car le nombre de ces UEVF sera faible (3 sont prévues pour l’instant selon notre connaissance).
•Les visiteurs des prisons
Ils jouent un rôle essentiel auprès des détenus isolés en constituant parfois le seul lien avec l’extérieur. Les demandes des détenus pour avoir un visiteur varient selon les régions. Leur fonction est multiple pour lutter contre le suicide. Ils ont un rôle de soutien et facilitent la mise en parole de souffrances. Ils peuvent détecter des situations à risque et alerter. Enfin, ils peuvent recevoir les confidences d’un projet suicidaire.

6.4.2. La prévention du suicide
En lien avec les services pénitentiaires, la structure actuelle des UCSA nous a semblé propice pour organiser la prévention du suicide. Les examens sont systématiques, les flux de patients importants et les équipes de psychiatrie intégrées au dispositif. Ceci favorise le partage d’informations qui peut avoir lieu plusieurs fois par jour pour un patient en grande détresse. Le lieu est attractif pour les détenus et moins stigmatisant qu’une structure identifiée spécifiquement pour le soin des troubles mentaux. Il est des établissements où un quart de la population carcérale se rend chaque jour à l’UCSA. Ceci constitue un avantage pour faire de la prévention, mais aussi occasionne une surcharge de travail.
L’hospitalisation au SMPR est une structure de prévention à situer en troisième ligne en tant que recours lorsque les troubles psychopathologiques sont prévalents et que la crise suicidaire ne cède. L’hospitalisation dans un établissement de santé spécialisé occupe la même position. L’activité d’intervention et de consultation des SMPR est à situer en deuxième ligne.

Repérage ou dépistage

L’arrêté du 10 mai 1995 relatif au règlement intérieur type fixant organisation des services médico-psychologiques régionaux apporte une série de modifications à l’arrêté du 14 décembre 1986. Parmi celles-ci, nous relevons dans l’article 2 que les mots « dépistage systématique » sont remplacés par les mots « repérage précoce ».
Ce qui peut paraître subtil est lourd de conséquences pour prévenir le risque de suicide. Il nous semble très important que les maladies mentales des personnes détenues ne soient pas seulement repérées lors de décompensations bruyantes. Elles doivent être dépistées systématiquement  [2] pour les entrants afin de ne pas laisser courir le risque de ne pas recevoir de proposition d’aide et de soins. La prévention du suicide passe en grande partie par la prise en charge de la souffrance induite par les maladies mentales qui réduisent considérablement les possibilités d’adaptation aux événements de la vie et à la conflictualité.
L’évaluation du risque, c’est-à-dire la mise en évidence des facteurs qui augmentent le risque de suicide doit aussi être systématique et recherchée avant l’apparition de manifestations extrêmes.
Enfin, en cas de tension, de souffrance particulière, l’exploration de l’idéation suicidaire doit être faite systématiquement lorsque la personne détenue ne peut spontanément l’exprimer.
Conformément à cet arrêté, nous avons constaté que les pratiques de repérage du risque suicidaire ne sont globalement pas systématiques, que ce soit au niveau des UCSA par les médecins généralistes, ou par les équipes de psychiatrie. Celles-ci sont plus attentives mais n’ont pas de stratégie explicite et partagée.
Les rapports d’activité et les projets de service des SMPR font peu de place à une amélioration du dépistage de la dépression et du risque de suicide. Seul le projet d’un SMPR que nous n’avons pas visité l’inclut dans le dossier d’accueil. Ce dernier est structuré pour évaluer les troubles psychiques, dont les troubles de l’humeur et le risque suicidaire.
Cette fonction est plus confiée aux équipes de psychiatrie sauf quand les généralistes savent que la personne risque de ne pas voir de psychiatre avant plusieurs jours, ou si le détenu refuse de voir le psychiatre.
Le repérage de la dépression se fait lors de l’examen médical, mais il n’y a pas de dépistage systématique avec des critères explicites. Les médecins généralistes ont une bonne habitude des examens systématiques et ils ont souvent mis en oeuvre des « fiches épidémiologiques » pour décrire les antécédents médicaux et chirurgicaux, les consommations d’alcool et de drogue, les résultats de l’examen clinique, les prescriptions et les orientations nécessaires. De telles fiches contiennent plusieurs informations pertinentes pour la prévention du suicide. Les antécédents de tentative de suicide et l’existence d’une dépression pourraient y figurer en raison de leurs fréquences attendues élevées.
Un indicateur pour évaluer « l’alignement » des processus de prévention est le degré de recouvrement entre les personnes placées en surveillance spéciale pour risque suicidaire et les personnes bénéficiant d’une prescription d’antidépresseur. Les établissements qui ont pu faire le rapprochement de ces données constatent des écarts importants qui demanderaient de vérifier, au cas par cas, l’absence de dépression.
La grille d’évaluation du risque suicidaire (circulaire de 2002) lorsqu’elle est utilisée, est transmise de façon inconstante aux personnels sanitaires. La grille peut avoir été utilisée systématiquement puis délaissée en raison de sa lourdeur. Elle est parfois utilisée seulement pour certains détenus. Cela ôte bien sûr le caractère systématique de l’évaluation.
Certains établissements ont développé une culture de la prévention du suicide et le maximum d’informations partageables est mis en commun pour mieux connaître le détenu patient et organiser la prévention des différents risques qu’il court. Un établissement, pilote pour la prévention du suicide, diffuse chaque jour à 21 exemplaires la liste des personnes placées en surveillance spéciale pour risque de suicide. Cette liste peut être actualisée chaque jour grâce à l’application informatique GIDE (Gestion Informatisée des Détenus en Etablissement). Ceci permet à tous les intervenants d’être vigilants pour ces personnes en difficulté. Informés de leur fragilité, ils peuvent signaler des propos alarmants ou des modifications de leur comportement. Ces mêmes intervenants pourront, lors de la participation à la commission de prévention du suicide ou de la Commission locale d’insertion, apporter des observations plus précises. L’accès à GIDE, pour certains champs partageables, serait intéressant pour le personnel sanitaire afin d’avoir une vision de l’ensemble des détenus en surveillance spéciale pour risque de suicide.

6.4.3. L’intervention de crise
La chaîne des arrivants telle qu’elle est construite permet de prendre en charge une crise suicidaire dont l’expression est manifeste. Dans son fonctionnement actuel, cette chaîne n’est pas organisée pour détecter une crise qui serait discrète voire silencieuse. Le détenu peut être repéré comme fragile, ce qui est différent d’un repérage comme actuellement suicidaire. L’urgence suicidaire est un concept très peu utilisé et donc non évalué.

L’exploration de l’idéation suicidaire

L’exploration de l’idéation suicide et du scénario est très peu faite pour les personnes en situation de souffrance. Les infirmiers s’appuient essentiellement sur les signes indirects dont la liste est parfois dressée. Très peu s’autorisent à poser directement les questions.
Toutes les équipes médicales ne sont pas convaincues de la légitimité de cette exploration.
Les infirmiers ayant réalisé une formation continue (AFAR, Institut National de l’Enfance et de la Famille) sur le thème de la prévention du suicide déclarent ne pas avoir appris à explorer l’idéation suicidaire lors de ces formations. Que ces recommandations soient absentes des programmes, ou encore que les bénéficiaires n’acquièrent pas de façon définitive cette compétence, limite grandement l’intérêt de ces formations et constitue une fausse sécurité.
Or, et nous le répéterons de nombreuses fois dans ce rapport, seule la personne en souffrance sait où elle en est de son projet suicidaire. Les signes indirects sont précieux pour s’inquiéter, mais ils ne peuvent en aucun cas dispenser de confirmer ou d’infirmer par le dialogue l’existence d’une crise suicidaire. La reconnaissance de la crise apporte habituellement une diminution de la tension, montre à la personne qu’elle est reconnue dans sa détresse et lui indique qu’elle a affaire à des professionnels qui ont le courage et la compétence d’aborder directement sa détresse.
Nous recommandons que les organismes de formation continue, actualisent les contenus qu’ils proposent, selon les recommandations de la conférence de consensus de la Fédération française de psychiatrie d’octobre 2000.
A l’heure actuelle, les stratégies d’intervention de crise ne peuvent donc pas être préétablies en fonction du degré d’urgence puisque celui-ci n’est pas évalué.
La surveillance spéciale est utilisée aussi bien pour des détenus à risque, non forcément en crise suicidaire actuellement, que pour des personnes en crise suicidaire. Il manque, à notre sens, un plan d’intervention qui serait à établir pour chaque personne en crise suicidaire. La surveillance spéciale n’étant qu’un volet qui ne peux à lui seul redonner espoir. Elle permet de repérer une aggravation, un geste suicidaire, mais ne peut pas modifier la cinétique de la crise. Doubler le détenu est une mesure de protection qui ne peut pas être abandonnée tant que des protections plus efficaces sont utilisées comme la surveillance constante.

6.4.4. La postvention (l’après suicide)
La postvention après un décès par suicide connaît encore un développement partiel. Tous ses aspects ne sont pas encore mis en oeuvre.

L’information des proches
Après un décès par suicide, l’information de la famille est assurée par le directeur de l’établissement. Plusieurs nous ont dit combien cette annonce par téléphone est difficile en soi et aussi parce qu’il est difficile de connaître leur vulnérabilité.
Nous demandons s’il n’y aurait pas un intérêt à recourir aux forces de police ou de gendarmerie pour annoncer le décès dans les cas où il existe des doutes (vulnérabilité connue, accumulation de mauvaises nouvelles…) sur la réaction de la personne qui va recevoir la nouvelle.
Les détenus proches de la victime peuvent aussi être informés par un membre de la direction.

L’accueil des proches
Voir la cellule où vivait la personne décédée est une possibilité prévue par l’Administration pénitentiaire pour l’entourage. Réalisée sur demande de la famille, cette visite ne peut que faciliter le travail de deuil qui peut être bloqué si les personnes endeuillées pensent qu’on leur cache des choses. Le deuil par suicide est caractérisé par une recherche de responsabilités. Plusieurs membres des directions ont dit leur appréhension à la venue de la famille en détention. Au moins, un directeur nous a dit que cela s’était bien passé et que cela n’avait suscité aucun mouvement.
Répondre aux demandes des familles qui aimeraient rencontrer les co-détenus qui ont connu la personne décédée est plus difficile à faire. Cette démarche est très fréquente en cas de deuil par suicide en milieu ouvert. La compréhension de ce qu’a vécu la personne dans les dernières semaines est habituellement le fil conducteur du travail de deuil.
Les endeuillés doivent aussi pouvoir rencontrer les médecins qui ont pris en charge la personne décédée. L’information, autant que possible et autant que de besoin, est un impératif. Il a été démontré que les psychiatres qui recevaient les familles endeuillées avaient moins de recours en justice que ceux qui ne le faisaient pas. Ils se sentaient de surcroît aidés personnellement par les familles en tant qu’endeuillés professionnels.

Les actions auprès des intervenants professionnels
Le suicide est un événement traumatisant pour les personnels qui découvrent la scène, alertent, portent les premiers secours, rendent compte de ce qui s’est passé, rédigent un rapport… Le suicide est habituellement médiatisé, une inspection peut être déclenchée si plusieurs suicides sont considérés comme faire une « série ».
La succession de suicides est toujours difficile à assumer, induisant des doutes sur la capacité de la structure à prévenir le suicide. Seule une analyse de causalité permettrait de dire s’il y a des causes communes, ou s’il s’agit d’une série de phénomènes indépendants.

Le soutien psychologique des personnels, après un événement
traumatisant, est prévu par l’Administration pénitentiaire. Des créations de postes de psychologues affectés au soutien du personnel ont eu lieu en 2001. Les psychologues des Directions régionales se mettent à disposition des personnels qui le souhaitent afin de les soutenir dans cette épreuve pour des rencontres individuelles ou collectives. Il s’agit essentiellement d’une activité de débriefing qui est proposée. Une intervention de crise peut être conduite auprès d’un professionnel particulièrement déstabilisé par l’événement.
Fondée sur le volontariat, cette démarche n’est pas évidente pour beaucoup. Il n’est pas facile de dire que l’on est touché à ce point par le décès d’une personne détenue et que l’on a vraiment besoin d’en parler. Plusieurs surveillants nous ont dit qu’ils préféreraient en parler avec des professionnels qui travaillent plus en détention.
L’impact de la découverte d’un suicide peut laisser des traces pendant de longs mois. Une surveillante nous a dit son appréhension à regarder dans l’oeilleton après avoir découvert une personne pendue lors d’une ronde. Il n’est pas facile de parler des liens qui se créent entre les personnels et les détenus. Le suicide met fin brutalement à ce lien. Une orientation pour obtenir un soutien psychologique sur une période prolongée fait partie des missions des psychologues du personnel.
Le soutien psychologique aux personnels sanitaires ne doit pas être oublié. Il repose sur l’offre de leur établissement de santé de référence. La procédure est peut-être moins explicite que pour les personnels pénitentiaires. Le soutien aux médecins n’a pas pu être mis en évidence. Il est très rarement fait appel à la cellule d’urgence. Un établissement de santé inclut, dans un avenant au Contrat d’objectif et de moyens signé avec l’Agence régionale de l’hospitalisation, un temps de psychothérapeute pour apporter un soutien psychologique aux équipes de l’UCSA et du SMPR. L’objectif est de les accompagner et de prévenir l’épuisement psychologique dans un établissement où la population détenue est double de la capacité prévue.
Un suicide apporte suffisamment de désorganisation pour l’ensemble des intervenants qu’il serait important que les ressources des milieux sanitaires et pénitentiaires se concertent pour avoir une action commune. Cette coopération se fait déjà dans quelques régions.

La prévention du suicide par contagion

La prévention du suicide par contagion est un objectif peu développé selon les informations recueillies. Un détenu, placé au quartier disciplinaire après une réaction violente de sa part après avoir appris que sa libération conditionnelle était rejetée, nous a dit bien comprendre le suicide d’un détenu survenu un an plus tôt. Etant dans la même situation que lui, le suicide de ce dernier devenait une solution.
La contagion du suicide peut aussi toucher la famille du détenu décédé. Ce risque rend encore plus nécessaire la rencontre avec les proches et leur orientation vers des services spécialisés. Le hasard de la vie, fait que nous avons eu à déplorer, dans notre propre service hospitalier, le suicide d’un patient dont le frère s’était suicidé 6 mois plus tôt en prison. Notre patient avait tenté de s’immoler par le feu un mois après la mort de son frère. Manifestement dans cet enchaînement, tout le potentiel de repérage et de prévention n’a pas été utilisé.

6.5. L’encadrement et l’évaluation des actions de prévention du suicide
Nous avons longuement détaillé la politique et les actions conduites par l’Administration pénitentiaire avec un soutien progressif et constant des responsables sanitaires et sociaux.
Les visites ont montré que l’organisation de cette prévention était difficile en raison de la complexité du sujet et du nombre d’acteurs en jeu.
L’ensemble des actions faites pour mieux prévenir le suicide est encadré par un système d’évaluation dû essentiellement à l’Administration pénitentiaire. Un recensement précis des actions de prévention a été fait par les Direction régionales. Le processus de prévention au cours de la chaîne des arrivants et au cours de la détention a été analysé lors de l’évaluation des sites pilote.
L’évaluation des pratiques professionnelles en santé est globalement encore très peu développée. Des directions d’établissements de santé incluent avec succès les UCSA et SMPR dans l’auto évaluation de la procédure d’accréditation. Quelques UCSA sont dotées d’une véritable démarche qualité qui est très fortement soutenue par les directions de la qualité des hôpitaux. Des protocoles sont mis en place pour les problèmes de santé les plus fréquents dont quelques protocoles en santé mentale. Il serait opportun que les avancées des UCSA et des SMPR soient contagieuses dans ce domaine.
L’inspection des structures de santé conduite par les DDASS est tout à fait intéressante car elle complète la démarche d’accréditation qui est plus volontariste et moins spécifique. Les documents et le référentiel qui nous a été transmis par Monsieur Vallerand et par Madame Bonnard [3], médecins inspecteurs régionaux, sont structurants et remarquablement détaillés.
Nous pouvons regretter que les critères pour les SMPR et leurs antennes ne portent pas plus sur leurs activités de soins psychiatriques comme c’est le cas pour les soins somatiques dispensés par les UCSA. La prévention du suicide n’est pas évoquée alors qu’il représente plus de décès que la légionellose. Cette inspection se fait sur site ce qui permet de nombreux constats. Au travers de nos visites, nous n’avons pas le sentiment que toutes les régions portent le même intérêt aux résultats de ces inspections.

Le rôle des Programmes régionaux de santé (PRS) et de la Stratégie nationale d’action face au suicide

Les PRS ont représenté le moyen essentiel pour construire progressivement des actions de santé publique afin de mieux prévenir le suicide à partir de 1996. Ces programmes, financés par la Direction générale de la santé, ont permis aux professionnels de divers champs de s’investir dans des actions locales. Ainsi, les intervenants des établissements pénitentiaires ont pu bénéficier de formations ou d’action dans ce domaine, conformément aux circulaires du ministère de la Santé. Ces actions sont maintenant possibles dans toutes les régions avec l’adoption d’une stratégie nationale depuis 2000. L’engagement des DRASS est ascendant sur ce thème.
Des actions de formations associant les équipes sanitaires et pénitentiaires ont débuté dans différentes régions. Des formateurs ont mis au point des jeux de rôles adaptés aux situations qui se présentent en milieu pénitentiaire. La DGS fait actuellement le recensement des formations auprès des cibles visées par les circulaires de 2001, 2002 et 2003 (le document de recueil des informations figure en annexe 13).

Notes:

[1] Besse J-M, Petiot-Poirson K, Petit-Charles E. Qui est illettré ? Retz, Paris octobre 2003

[2] Daigle M, Côté G. Dépistage systématique et prise en charge des hommes incarcérés suicidaires. Recherche du Ministère de la santé et des services sociaux du Québec (2002)

[3] Référentiels d’inspection de sécurité sanitaire dans les établissements pénitentiaires du Nord Cécile Guitard, Lionel Martinon, DDASS du Nord (version 2000) et DRASS de Picardie : Vallerand, Jasion, Veyret (version mai 2003)