La loi du 25 février 2008 « relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale » est entrée en vigueur. Le baroud médiatique soulevé par le président de la République lequel avait demandé au premier président de la Cour de cassation, M. Vincent Lamanda, de faire toutes propositions permettant néanmoins à la loi de rétroagir en matière de rétention de sûreté, et par Mme Dati qui, quant à elle, avait dit souhaiter y pallier par voie de décret ou de circulaire, était en réalité parfaitement inutile. C’est qu’en réalité, la loi va bel et bien rétroagir en de nombreux points qui vont permettre de contrôler de manière forte les délinquants en cause . Elle va en outre s’appliquer avant quinze ans.
La non rétroactivité ne concerne que la rétention de sûreté
Dans sa décision du 21 février 2008, le Conseil constitutionnel n’a invalidé que la rétroactivité de la rétention de sûreté (RS). Après avoir tenté de montrer qu’elle ne constituait ni une peine ni une sanction, en conséquence de quoi elle n’était pas concernée par le principe de non rétroactivité (§ 9), il a énoncé que « eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu’elle est prononcée après une condamnation par une juridiction » (§ 10), elle ne saurait s’appliquer à des personnes :
- qui ont été condamnées avant la publication de la loi (soit au 26 févr. 2008) ;
- qui seraient condamnées après cette publication, mais pour des faits commis antérieurement.
Toute empêtrée que soit la décision, elle sauve néanmoins la France du déshonneur d’avoir violé l’un des principes les plus inhérents aux sociétés démocratiques, ce à propos d’une privation de liberté, qui plus est post sentencielle, dont la duré est potentiellement perpétuelle. Cependant, la loi s’appliquera plus tôt que ne l’a dit la presse.
La rétention de sûreté s’appliquera avant 15 ans
Il a été dit que la loi ne s’appliquerait que dans quinze ans. Il est vrai que la RS ne concerne que des personnes condamnées à une peine d’au moins quinze ans de réclusion criminelle (art. 706-53-13 c. pr. pén.). Cependant, à supposer que, très rapidement des cours d’assises retiennent le principe de la RS pour des faits commis dans la période prochaine, la loi s’appliquerait bien plus tôt. Soit l’auteur d’un fait commis le 29 février 2008, condamné le 10 janvier 2010 à quinze ans de réclusion criminelle pour les faits visés à l’article 706-53-13 et donc libérable le 10 janvier 2025. S’il a commis une infraction qui n’entraîne pas automatiquement l’application d’une période de sûreté (par ex. viol sur majeur ou mineur n’ayant pas entraîné la mort ou n’étant pas précédé, accompagné ou suivi de tortures ou actes de barbarie), et il n’en est pas prononcé à titre facultatif, les crédits de réduction de peine (CRP) auxquels il aura droit, s’il n’est pas récidiviste et s’il accepte les soins qui lui sont proposés en détention - la RS s’appliquant alors, en vertu de la réserve interprétative du Conseil constitutionnel si ces soins n’ont pu produire de résultats (§19) - sont de 3 mois la première année et de deux mois les années suivantes, soit d’un total de 31 mois. Les réductions supplémentaires de peine (RSP) auxquelles il pourrait prétendre seraient au maximum d’environ 45 mois (moins l’effet du reliquat). Au total, l’intéressé pourrait bénéficier de 6 ans environ de réductions de peine, ce qui ramènerait sa libération, très grossièrement évalué à 2019. La RS pourrait alors s’appliquer dans 11 ans.
Observons d’ailleurs que si elle ne peut s’appliquer plus tôt, c’est avant tout en raison de la politique pénale actuelle. Rappelons que le président de la République a choisi ne plus accorder de grâces collectives. Les peines prononcées sont dès lors exécutées plus pleinement.
De plus, les RSP ont été réduites par la loi du 25 février pour les auteurs des faits visés à l’article 706-53-13 commis sur des mineurs s’ils refusent les soins qui leur sont proposés en détention. Elles sont alors ramenées hors récidive à deux mois par an et, en cas de récidive, à un mois par an (art. 721-1 C. pr. pén.). Ceci a pour résultat de repousser le moment de l’entrée en vigueur de la loi. Notons par ailleurs que ceci aura un effet délétère en termes de surveillance : la surveillance judiciaire des personnes dangereuses (SJPD), système de sûreté très proche de la surveillance de sûreté (SS) , dont il sera question infra si ce n’est qu’elle ne peut être perpétuelle, est assise, pour le calcul de sa durée, sur les réductions de peine obtenues durant la détention (art. 723-29 C. pr. pén.). Ainsi, la durée de SJPD est-elle réduite pour ceux-là même pour lesquels elle est utile. Peu importe dira-t-on, puisque, pour ce qui les concerne la loi a créé la SS et que, cette fois, le CC n’a pas remise en cause la rétroactivité.
La surveillance de sûreté rétroagit bel et bien
La déclaration d’inconstitutionnalité n’est retenue au paragraphe 10 de la décision précitée que pour la RS. Au contraire, pour la SS, seul le paragraphe 9 est en cause qui écarte l’application de la Déclaration de 1789. Or l’article 13-III de la loi énonce qu’elle « est immédiatement applicable ». Il ne précise cependant pas à quelles situations elle s’applique. Il ne semble pas possible d’envisager que la loi s’applique immédiatement à des faits ou condamnations antérieures à l’entrée en vigueur de la loi dans le cas où la SS est prononcée du fait de la cessation d’une RS (art. 706-53-19 C. pr. pén. ), puisque cette dernière n’est pas concernée par l’application immédiate. Cependant, le législateur a prévu que la SS puisse s’appliquer aussi à la suite d’une SJPD qui aurait été prononcée, dès lors que l’intéressé purgerait une peine d’au moins quinze ans de réclusion criminelle pour des faits visés à l’article 706-56-13 (art. 723-37 C. pr. pén.). Ces faits auront par hypothèse été commis antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. Ce n’est pas la seule nouvelle mesure qui va rétroagir.
D’autres formes de privations de liberté rétroagissent
La loi du 25 février 2008 comporte deux formes de privation de liberté qui vont bien rétroagir. Il s’agit, en premier lieu, d’une hospitalisation dans un établissement qui est ordinairement affecté à l’accueil des personnes incarcérées tel que régi par les articles L. 6141-5 et R. 6147-66 et suivants du code de la santé publique. L’article 13-III de la loi du 25 février énonce que si une personne placée sous SS n’exécute pas les obligations qui lui ont été imposées et que cela révèle à nouveau sa « particulière dangerosité » et un risque très probable qu’elle commette encore une infraction visée à l’article 706-53-13, alors, elle pourra être placée dans un établissement de santé de cette nature, et ce, jusqu’au 1er septembre 2008 sur décision du président de la juridiction régionale des mesures de sûreté, pour une durée de trois mois. La juridiction régionale devrait confirmer ce placement au bout d’un tel délai, ce, après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.
La loi crée aussi une nouvelle mesure dite de l’assignation à domicile. Son régime juridique demeure certes à déterminer, mais il s’agit d’une authentique privation de liberté. Elle pourra être imposée, dans le cadre de la SJPD (art. 723-30 C. pr. pén.), de la surveillance électronique mobile (art. 763-3 C. pr. pén.) et de la SS (art. 13-I). L’article 13-1 de la loi énonce que seront concernées, les personnes qui sont incarcérées au 1er septembre 2008 et purgent une peine de réclusion criminelle d’au moins quinze ans pour avoir commis l’une des infractions visées à l’article 706-53-13. Il y a donc ici encore rétroactivité au regard des faits commis ainsi que des condamnations prononcées avant l’entrée en vigueur de la loi du 25 février, dès lors que ces personnes seront encore en train de purger leur peine au 1er septembre 2008. Il en ira de même pour d’autres mesures limitant la liberté.
D’autres mesures restrictives rétroagissent
Il y a application rétroactive de la loi pour chaque disposition à propos de laquelle le critère de l’application dans le temps est l’exécution d’une peine en cours. Sous couvert d’application immédiate, il y a en effet alors rétroactivité au regard des faits ou de la date de condamnation (V. notre ouvrage Droit de l’exécution des peines, Dalloz, 2007, n° 02.32). Ceci concerne en premier lieu, la modification apportée à l’article 729 du code de procédure pénale, en vertu de laquelle, les personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité ne peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle qu’après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté . L’article 13-V de la loi énonce que cette règle est d’application immédiate aux personnes exécutant une telle peine lors de la publication de la loi. La même règle a été retenue à propos des modifications apportées aux articles 721 et 721-1 du code de procédure pénale, en matière de réductions de peine (art. 13-VI de la loi). Le premier permet de retirer des CRP aux condamnés pour des faits visés à l’article 706-53-13 commis contre des mineurs et qui refuseraient de suivre des soins en détention ; le second réduit le quantum des RSP à l’égard des mêmes personnes et à la même condition.
Martine Herzog-Evans
Professeur à l’Université de Reims
Mars 2008