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Philippe Carrière, psychiatre en prison

"Les choses n’ont pas vraiment avancé depuis les analyses de Michel Foucault"

Mise en ligne : 26 avril 2002

Texte de l'article :

D’abord il y a un fossé entre le haut, l’administration pénitentiaire, et le bas, ce qui se passe dans les établissements.

J’ai l’exemple récent d’un jeune gars qui a tenté de se suicider dans sa cellule. Pour le punir, les surveillants n’ont rien trouvé de mieux que de le mettre au mitard. Cela semble fou, mais c’est pourtant assez fréquent.

Un autre cas typique, il y a quelques jours, celui d’un garçon de 23 ou 24 ans d’origine brésilienne, adopté en France. Il a été condamné à 7 ans de prison pour avoir fait partie d’un groupe qui a participé à une bagarre au couteau dans laquelle quelqu’un a été tué. Il a été considéré comme le meneur mais n’a pas lui-même frappé. Il a fait appel et la cour d’assises a monté sa peine à dix ans. À peine de retour dans sa cellule, il s’est pendu.

Il faudrait déjà que les droits des détenus soient appliqués. Actuellement, la prison est bien cette zone de non-droit, qui n’a pas vraiment avancé depuis les analyses de Foucault. En détention, les contrepoids ne fonctionnent pas. Prenez le travail des détenus, il n’est pas encadré par la loi. Il est faut de dire qu’en prison, l apprend la loi. En réalité, on apprend la loi du plus fort.

Il est sûr que la population carcérale est une population à risque. Des enquêtes assurent qu’un détenu sur deux a déjà fait une tentative de suicide avant l’incarcération. Ce sont souvent des hommes entre 20 et 40 ans qui sont en désinsertion sociale, qui ont connu des ruptures. S’ils se retrouvent là, c’est souvent qu’ils sont incapables de canaliser leurs angoisses et qu’ils sont passés à l’acte. Ils recommencent à l’intérieur, et retournent alors la violence contre eux-mêmes.

Par ailleurs, la prison est clairement un milieu suicidogène. D’ailleurs je pense que les chiffres des suicides sont sous-estimés. On m’a raconté l’histoire d’un détenu qui n’a pas été dépendu parce que les gardiens ont eu peur de faire un geste maladroit si une enquête était ouverte. Quand les médecins sont arrivés sur place, ils ont constaté qu’il n’était pas mort et il a été transféré à l’hôpital. Où il est mort après quelques jours dans le coma. Et bien ça ne compte pas comme un suicide en prison.

Il faut améliorer les conditions d’incarcération, l’accueil des détenus dans les premières 48h. Par exemple éviter que l’écrou soit trop tardif, que les arrivants puissent prendre une douche. Ou même faire leurs valises chez eux avant d’être emmenés. Parfois des femmes se retrouvent en prison sans être passées chez elles et leurs enfants sont tous seuls à la maison. Il n’y aucune humanité dans tout cela.

L’information est bouclée même vis-à-vis des familles. Il n’y a aucun encadrement. Parfois les affaires du détenu ne sont rendues qu’un an après le suicide, et les familles ne soient le corps qu’au bout d’un mois car il y a eu une enquête. Alors elles tombent dans une sorte de délire paranoïaque pour faire leur deuil, elles imaginent que leur proche a été assassiné.

Nous-mêmes, en tant que psychiatres ou personnels de santé, il nous arrive d’apprendre les suicides par la presse, quelques jours après qu’il se soit produit. Tout passe par la rumeur, rien n’est dit.