POSITION DE L’ASRSQ
PRIVATISATION D’UN CENTRE DE DÉTENTION
EN MONTÉRÉGIE
15-11-04
? RAPPEL DES FAITS
Le gouvernement du Québec a annoncé, dans le cadre d’interventions publiques liées à la création d’une Agence des partenariats publics/privés, son intention de privatiser un centre de détention. Devant cette annonce, le conseil d’administration de l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ) a mandaté un comité d’experts pour étudier la question. Le comité appuie sa réflexion sur l’expertise de ses membres ainsi que sur un travail d’analyse et de recherche des expériences en cours à travers le monde.
Le comité mandaté par l’ASRSQ (voir composition du comité dans le communiqué en annexe), chargé d’étudier la question de la privatisation d’un centre de détention, a rencontré les représentants des Services correctionnels du Québec responsables de ce dossier. Lors de cette rencontre, tenue le 18 octobre dernier, ces derniers ont donné certaines informations quant au projet.
Celles-ci se résument de la façon suivante :
• Le centre de détention serait situé en Montérégie afin de permettre aux personnes incarcérées originaires de cette région d’y demeurer ;
• Le centre serait construit en raison de la désuétude des centres de détention de Sorel et de Valleyfield ;
• Les finances publiques du Québec étant précaires, le financement d’un tel centre serait assuré par le privé ;
• Le nombre de cellules du nouveau centre de détention serait de 300, alors que les 2 centres de détention de Sorel et de Valleyfield comptent au total 120 cellules (il est à noter que les médias ont fait référence à la construction d’un centre d’une capacité de 500 cellules) ;
• Le profil de la clientèle qui serait incarcérée dans le centre n’a pas encore été identifié ;
• Advenant la construction de ce centre, il n’y a pas d’engagement de la part du gouvernement de fermer les centres de Sorel et de Valleyfield ;
• Trois scénarios sont à l’étude : le premier prévoit la privatisation du financement, de la conception, de la construction et de l’entretien du centre.
Le second ajoute la privatisation de certains services auxiliaires, tels la cafétéria, la formation, les ateliers de travail. Le dernier scénario ouvre la voie à la privatisation de l’ensemble des activités, dont la surveillance, sauf pour les activités engendrant l’usage de la force et de la discipline. Dans ce
scénario, la gestion des sentences reste entre les mains du secteur public, à travers un chef de conformité. Cependant, l’exécutant demeure le secteur privé. Pour ces 3 scénarios, il y a un vérificateur public.
• Les responsables du dossier doivent développer un projet d’affaires d’ici la fin du mois de février. Il y a une obligation de démontrer la valeur ajoutée d’un tel PPP.
? ANALYSE DES ENJEUX
Le besoin d’un centre de détention ?
Avant même de prendre position sur la privatisation d’un centre de détention provincial (soit pour les sentences de 2 ans moins 1 jour et pour la détention des prévenus), le comité a jugé pertinent de répondre à la question suivante : Est-il nécessaire de construire un nouveau centre de détention sous juridiction provinciale ?
Pour répondre à cette question, le comité a examiné l’évolution de la criminalité, l’évolution des données démographiques et l’évolution de la population carcérale. Ces données témoignent d’une baisse de la criminalité, du vieillissement de la population et d’une diminution du recours à l’incarcération.
Sur la base d’une analyse de ces données, le comité a convenu qu’outre le problème de désuétude de certains centres de détention, les données analysées confirment qu’il n’y a pas de raison de croire que le Québec a un besoin accru de cellules.
Bien que certains croient le contraire en raison de la baisse du nombre d’absences temporaires, de la durée accrue des séjours en détention et de l’augmentation des prévenus, l’ASRSQ est surtout d’avis que ces situations sont attribuables au manque de ressources des Services correctionnels du Québec (SCQ). Ce manque de ressources est dû au sous financement chronique de l’appareil correctionnel québécois. Il prolongerait, notamment, les séjours en détention. En effet, les ressources réduites nuisent à l’évaluation convenable des personnes incarcérées et des prévenus de même qu’au niveau d’encadrement souhaité. Rappelons que le sous financement des Services correctionnels du Québec a fait l’objet de plusieurs représentations de la part de divers organismes, notamment le Protecteur du citoyen. Également, il est au coeur du problème puisqu’il empêche l’entrée en vigueur de la Loi sur le système correctionnel du Québec, adoptée il y a 2 ans suite au meurtre d’Alexandre Livernoche.
Conséquemment, faute d’évaluations adéquates et de programmes d’intervention, les ressources correctionnelles étant limitées au plan de la surveillance à offrir en milieu ouvert, l’incarcération demeure une option incontournable pour plusieurs des décideurs.
Mieux financés, l’ASRSQ est d’avis que les Services correctionnels du Québec seraient en mesure de contrôler adéquatement le nombre de cellules, et ce, dans le respect à la fois des intérêts des victimes, des communautés et des contrevenants.
Il s’agit de renforcer la qualité de l’encadrement et de la surveillance, de valoriser le processus d’évaluation des contrevenants et les programmes nécessaires à leur réhabilitation sociale. D’ailleurs, lors du virage correctionnel amorcé en 1995, le ministre de l’époque avait fermé des centres de détention en souhaitant utiliser les économies ainsi réalisées pour rehausser les éléments que nous venons de souligner. Mais, outre la fermeture des centres de détention, sa volonté ne s’est pas concrétisée.
Enfin, il s’agit d’offrir à la magistrature et à la Commission québécoise des libérations conditionnelles des alternatives à l’incarcération solides et crédibles aux yeux de la population et des justiciables. Cela passe notamment par un rehaussement de l’encadrement pour les personnes profitant d’un sursis à l’incarcération, d’une probation ou d’une libération conditionnelle.
En ce qui concerne le besoin d’espaces de détention plus modernes, l’Association considère que la situation qui prévaut au niveau des centres de détention fédéraux devrait constituer une opportunité unique pour les 2 paliers de gouvernement de conclure une entente fédérale/provinciale. En effet, la diminution du taux de criminalité et la réduction de la longueur des sentences font en sorte que plusieurs cellules sont actuellement disponibles dans les pénitenciers fédéraux. Ces cellules pourraient servir à remplacer celles qui sont vétustes dans les centres sous juridiction provinciale.
Du point de vue du contribuable, qui a investi largement à la construction d’établissements carcéraux au Québec, une entente fédérale/provinciale peut constituer une alternative acceptable et souhaitable au plan de la gestion des fonds publics. D’ailleurs, des ententes entre les deux juridictions sont possibles :
c’est ce que l’on constate à travers celle qui lie le gouvernement du Nouveau- Brunswick et le gouvernement fédéral. Cette entente prévoit des services d’hébergement, de détention temporaire pour des délinquants à risque et à besoins élevés.
Les enjeux de la privatisation du milieu correctionnel
Dans le document d’analyse de l’Association, on retrouve des informations touchant les différents modèles de privatisation, soit les modèles privilégiés par la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’Ontario. Pour connaître plus en détail chacun de ces modèles, nous vous référons au document.
Cependant, les éléments suivants ressortent de manière importante dans les expériences de privatisation :
1. Malgré la prétention des tenants de la privatisation, « (...) il n’existe pas de données fiables pour appuyer l’idée que les prisons privées sont plus
efficaces et que les services sont de meilleure qualité... » (voir note 46 de la page 24) ;
2. À l’intérieur des centres de détention privée, on note de hauts taux de
roulement du personnel et d’incidents majeurs. (voir note 45 de la page 24) ;
3. Les modèles architecturaux reposent sur le modèle panoptique, favorisant la surveillance électronique, et ce peu importe les besoins de la population carcérale ;
4. Au chapitre des enjeux, la question légale et de la délégation des pouvoirs et responsabilités de l’État constitue un enjeu de taille. Puisqu’il s’agit de contrôle social, on doit s’interroger sur le rôle du privé dans la garde d’individus et la gestion des sentences. Le recours à la force, le suivi
psychologique, les mesures disciplinaires et la manipulation d’informations à caractère confidentiel font partie des éléments à considérer ;
5. Au plan éthique, la logique de rentabilité inhérente à l’entreprise privée peut s’imposer au détriment de l’efficacité et peut contribuer à alimenter des politiques pénales répressives favorables à l’usage de l’incarcération.
Toujours au plan éthique, les logiques propres aux secteurs publics et privés pourraient engendrer des disparités majeures au niveau des conditions de détention et du traitement des détenus, selon l’établissement dans lequel ils purgent leur sentence ;
6. Au niveau des enjeux cliniques, plusieurs éléments sont à considérer, notamment l’efficacité des programmes de réhabilitation, puisque l’après incarcération ne fait pas partie des priorités du secteur privé. On doit également s’interroger sur la qualité de la formation du personnel, les normes qui seront à respecter et les programmes qui seront offerts selon le niveau de sécurité de l’établissement ;
7. La question des droits de la personne fait partie des éléments pour lesquels la plus grande prudence est de rigueur. En effet, dans le cadre de l’implication du privé, il faut garantir aux personnes un processus d’imputabilité et de transparence assurant le respect des droits de la
personne et l’application des chartes ;
8. Le projet actuel n’émane pas d’un débat de société.
? LA POSITION DE L’ASRSQ
Considérant les tendances démographiques qui indiquent un vieillissement de la population et une diminution du nombre de jeunes, dont les effets combinés entraînent une décroissance de la délinquance ;
Considérant l’entrée en vigueur récente de la Loi modifiant le Code de la sécurité routière et le Code de procédure pénale concernant la perception des amendes, laquelle a pour objectif d’empêcher l’incarcération pour les amendes non payées ;
Considérant que les problèmes actuels des Services correctionnels du Québec au niveau du nombre de places occupées sont liés entre autres au sous financement de l’appareil correctionnel québécois et à l’impossibilité, dans un tel contexte, de recourir de façon optimale et sécuritaire aux alternatives à l’incarcération ;
Considérant que le gouvernement fédéral au niveau des pénitenciers possède un certain nombre de cellules disponibles et acceptables au plan physique et que des ententes locatives avec le gouvernement du Québec sont possibles, tel que nous l’avons connu dans le passé ;
Considérant que les études sur les prisons privées ne sont pas en mesure de démontrer à la fois les économies et l’efficacité de ce modèle ;
Considérant que la logique du privé peut engendrer une escalade de l’incarcération au détriment des investissements dans l’encadrement, dans les programmes et les mesures en milieu ouvert ainsi que dans les mesures de réinsertion graduelle dans la communauté ;
Considérant le profil de la clientèle correctionnelle du Québec, qui présente plusieurs problématiques telles que les troubles sociaux et mentaux, la violence et la toxicomanie ;
Considérant l’ensemble des enjeux liés à la privatisation ;
L’Association des services de réhabilitation sociale du Québec :
1. S’oppose à la construction d’un nouveau centre de détention ;
2. S’oppose à la privatisation de la construction et de la gestion immobilière d’un centre de détention ;
3. S’oppose à la privatisation des services liés à la gestion de la sentence, sauf pour certains services auxiliaires, tels que l’entretien, les services d’alimentation et de formation ;
4. Encourage le gouvernement du Québec à recourir à une entente avec le
gouvernement fédéral pour répondre aux besoins d’espaces physiques modernes. Ainsi, le gouvernement limiterait les dépenses des contribuables tout en assurant le respect des individus et la sécurité du public ;
5. Encourage fortement le gouvernement actuel à réinvestir dans l’appareil correctionnel de manière à mieux contrôler le niveau de la population carcérale. L’Association insiste auprès du gouvernement afin qu’il mette en
vigueur la Loi sur le système correctionnel du Québec, adoptée il y a maintenant 2 ans. Cette loi prévoit des mécanismes d’évaluation et d’encadrement des contrevenants afin d’assurer la sécurité publique ;
6. Encourage le gouvernement à renforcer les mesures alternatives à l’incarcération ;
7. Convie le gouvernement à respecter la mission des Services correctionnels, laquelle privilégie la réinsertion sociale des contrevenants ;
8. Demande au gouvernement du Québec un moratoire de 2 ans de manière à permettre une étude approfondie des enjeux et la tenue d’un véritable débat public.