J’avais tout juste 20 ans au moment des faits. Faits qui m’ont mené droit en prison pour plusieurs années. Vous dire combien exactement serait comme occulter les deux ou trois ans qui ont précédé ma condamnation (que l’on appelle « prison préventive ») et durant lesquelles on imagine tous les scénarios possibles et imaginables. Combien vais-je prendre ? Combien de temps me reste-t-il à faire concrètement ? En soi cela peut être une torture pour certains (pour d’autres cela peut aider après quelques mois de prison à se dire plus j’approche du procès plus mon reliquat de peine se réduit et donc je suis plus près de la fin). Moi, j’avais dépassé tout ça. Après quelques années de prison, je savais qu’il ne me restait plus qu’une dizaine de jours à faire en tant que prévenu. Personne ne m’attendait, excepté mes parents et mes soeurs. Je n’avais encore ni femme, ni enfant, autrement dit, je n’avais aucune sorte de responsabilité qui m’attendait. Autant, quelques années plus tard, j’allais me soucier de mon devenir à l’approche de ma libération, autant, cette première fois, je n’avais aucun souci, excepté un seul et qui s’est avéré de taille. En effet, l’un des infirmiers, que je voyais tous les jours pour des raisons médicales, venait de me prendre en grippe, suite à une simple dispute. L’homme en question, bien que frêle et de petite taille, se montra progressivement grossier et délibérément provocateur, n’hésita pas à me pousser du haut de l’escalier de l’infirmerie à plusieurs reprises. Sachant que ma libération était proche, l’infirmier, manifestement rancunier, voire vindicatif, usa et abusa de son autorité à mon encontre, espérant, m’a-t-il semblé, une réaction violente de ma part. Ce qui aurait pu sembler n’avoir pas plus d’importance que ça a pris, pour moi, des proportions hors normes. Chaque soir, je m’endormais en essayant de m’imaginer ce que l’infirmier me réservait pour le lendemain et rien qu’à l’idée de descendre à l’infirmerie, j’étais complètement mort de peur tant cet homme était parvenu à me pousser à bout. J’avais une profonde et presque irrépressible envie de lui tourner autour en sautillant, un peu comme le boxeur autour de son adversaire, et de lui décocher une ribambelle de coups de poing et de coups de pied qui auraient, alors, mis un terme à son petit jeu sadique. J’en crevais d’envie. C’était carrément viscéral. Je savais que le combat était perdu d’avance car j’allais lui défoncer la tête ce matin même. Je me sentais incapable de ne pas le faire tant je lui en voulais. Le moment enfin venu (la veille même de ma libération), l’infirmier, après m’avoir, comme d’habitude, poussé et tiré dans tous les sens, m’asséna un premier coup de pied à hauteur du genou, puis un second dans la foulée, je parai, alors, de ma jambe gauche ses deux tentatives. Puis, je faisais constater à un surveillant chef (passant par là par hasard) que j’étais victime d’agression physique de la part de I’infirmier. Le surveillant chef constata l’incident et fit un rapport contre le surveillant infirmier. Ce jour-là, je remportais ma première grande victoire sur moi-même. Je ne cédais pas à la facilité. Sans doute par intérêt et sans doute aussi parce que la liberté vaut parfois quelques sacrifices.
Texte écrit par José