CENTRE D’HISTOIRE SOCIALE DU XXe siècle, UMR CNRS 8058
Axe « politiques pénales et pénitentiaires dans les sociétés contemporaines »
Pierre V. TOURNIER
LOI PÉNITENTIAIRE
CONTEXTE ET ENJEUX
Sine ira et studio ? [1]
Introduction
Partie I. - CONTEXTE
Chapitre 1. - Les personnes placées sous main de justice
1.1 -Terminologie
1.2 - Situation d‘ensemble au 1er janvier 2007
1.3 - La population sous écrou dans sa diversité
Chapitre 2. - Descriptif du peuplement carcéral
2.1 - Détenus en surnombre
2.2 - Descriptif du peuplement carcéral
2.3 - Surpopulation et type d’établissement
2.4 - Surpopulation et inflation carcérale
Chapitre 3. - L’abandon des grâces collectives et les peines planchers : de nouveaux facteurs d’inflation ?
3.1 - Eléments de modélisation
3.2 - L’abandon des grâces collectives
3.3 - La loi du 10 août 2007 sur la récidive et son impact
Chapitre 4. - Perspectives de population carcérale
4.1 - Terminologie
4.2 - Horizon 2017
4.3 - Horizon 2012
Partie II. - ENJEUX
En guise de préambule
Chapitre 5. - Les règles pénitentiaires européennes : petite chronique d’une application annoncée
5.1 - Cela se passe à Strasbourg
5.2 - Vous avez dit recommandation ?
Chapitre 6. - Une charte pour l’action
6.1 - Règles non reconnues par le droit français d’après l’Administration pénitentiaire
6.2 - Règles reconnues mais d’application difficile d’après l’Administration pénitentiaire
6.3 - Les priorités de l’Administration pénitentiaire
6.4 - Autres règles essentielles
Chapitre 7. - Retour vers le futur
7.1 - Contrôle extérieur des prisons
7.2 - Des hommes et des femmes debout
7.3 - L’exercice de la citoyenneté en détention
7.4 - Numerus clausus en milieu fermé comme en milieu ouvert
7.5 - Lutter contre l’inflation carcérale
7.6 - Des peines systématiquement aménagées, des procédures adaptées au quantum
7.7 - Prisons : faut-il construire ?
Chapitre 8. - Une nouvelle échelle des peines
8.1 - Etat des lieux
8.2 - La prison à sa juste place
Pour mémoire
Références bibliographiques
Annexe
- Introduction -
Le 11 juillet 2007, Mme Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, installait le Comité d’orientation restreint (COR) [2], composé de 28 membres et animé, par M. Jean-Olivier Viout, procureur général près la Cour d’Appel de Lyon. Le COR a été chargé de préparer le projet de loi pénitentiaire sur lequel M. Nicolas Sarkozy s’était engagé avant son élection à la présidence de la République. Dans son discours d’installation, la Garde des Sceaux précisait qu’il « lui paraissait souhaitable que ce comité appuie sa réflexion sur l’audition d’experts français et internationaux » [3]. Aussi avons-nous écrit, le 21 juillet 2007 à M. Viout afin d’être auditionné. Le présent document a été rédigé dans cette perspective.
« Il faut traduire, dans notre droit positif, les règles pénitentiaires européennes », règles qui ont été adoptées par le comité des ministres du Conseil de l’Europe le 11 janvier 2006 [4]. Tel est, selon la Garde des Sceaux, l’un des objectifs majeurs de cette « grande loi pénitentiaire ». Cette volonté politique rejoint la prise de position exprimée par M. Claude d’Harcourt, directeur de l’administration pénitentiaire, dans son avant-propos à la publication, à son initiative, des règles, en août 2006 [5] : « [Les règles] engagent les 46 pays signataires à harmoniser leurs politiques pénitentiaires et à adopter des pratiques communes. Elles s’inscrivent dans une logique de réalisme qui est autant le fruit de l’expérience acquise que le gage de véritables avancées futures. Elles constituent une charte pour l’administration pénitentiaire qui donne sens à l’action de l’ensemble des personnels. Les mettre en oeuvre représente, par conséquent, un enjeu essentiel. »
Mme Dati va plus loin encore, en affirmant que « cette loi ne doit pas être uniquement centrée sur la prison. Elle devra prendre en compte l’ensemble des missions induites par l’exécution des mesures et sanctions pénales ». Ce sont donc non seulement les mesures et sanctions privatives de liberté qui sont concernées (le « milieu fermé »), mais aussi les mesures et sanctions pénales « appliquées dans la communauté », pour reprendre la terminologie du Conseil de l’Europe [6] (le « milieu ouvert »).
Face à de telles ambitions que l’on ne peut que partager, il y a la réalité du surpeuplement des établissements pénitentiaires et de l’inflation carcérale. Depuis l’abandon du projet de loi Lebranchu [7], la situation a empiré. Au 1er avril 2002, la France (outre-mer compris) comptait 53 183 personnes sous écrou, ce qui donne un taux de personnes sous écrou de 86,5 pour 100 000 habitants. 5 ans plus tard, l’effectif était de 63 290, soit un taux de 100 pour 100 000 habitants [8].
Cet accroissement d’environ 10 000 personnes sous écrou sur 5 ans ne concerne que la population des condamnés définitifs : 34 855 au 1er avril 2002 pour 45 064 au 1er avril 2007. Par ailleurs, cette croissance est due pour 2/3 aux courtes peines. L’accrois-sement relatif, sur 5 ans, varie en raison inverse du quantum : de + 60 % pour les « courtes peines » (un an et moins) à + 5 % pour les « très longues peines » (plus de 10 ans).
Sur la même période, le nombre de prévenus est resté stable : 18 328 au 1er avril 2002 pour 18 226 au 1er avril 2007. La proportion de prévenus passe ainsi de 34,5 % à 28,8 %, simplement du fait de l’augmentation du nombre de condamnés.
Alors que le nombre de personnes sous écrou augmentait de 19 %, la « capacité opérationnelle » des établissements pénitentiaires passait, elle, de 47 404 à 50 207 (+ 5,9 %), d’où une forte détérioration des conditions de détention au cours de la législature. Dans la statistique du 1er avril 2002, on ne distingue pas les condamnés placés sous surveillance électronique et les condamnés bénéficiant d’un placement à l’extérieur des personnes écrouées réellement en détention, comme le fait l’administration pénitentiaire depuis 2004. Malgré ce biais de faible importance, constatons la très forte augmentation du nombre de détenus en surnombre (NDS) qui passe ainsi de 8 772 au 1er avril 2002 à 11 589 au 1er avril 2007, soit + 32 % [9]. Cet indice ne cesse d’augmenter : au 1er juillet 2007, il est de 12 595.
Les débuts du quinquennat de M. Sarkozy ont été marqués, dans le domaine pénal, par l’abandon des grâces collectives du 14 juillet et par le vote de la loi Dati « renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs ». Compte tenu de l’état critique de nombre d’établissements pénitentiaires, les effets de cet abandon, certainement souhaitable, et de cette loi fondée sur le caractère dissuasif, improbable, de l’aggravation des peines ne vont-ils pas transformer « la grande loi pénitentiaire » en catalogne de vÅ“ux pieux ?
Le dépôt devant le Parlement, dès la session extraordinaire de juillet, du projet de loi créant un « contrôleur général des lieux de privation de liberté » est, évidemment une excellente initiative. Il est bon aussi que sa compétence ne se limite pas aux prisons, suivant en cela le modèle du Comité européen de prévention de la torture (CPT). Mais aura-t-il les moyens d’une telle tâche quand on pense aux difficultés de la commission informatique et liberté (CNIL) et de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) ? Le projet Dati examiné par le Sénat le 31 juillet est, en fait, bien décevant : pas de garantie d’une enveloppe budgétaire et des effectifs nécessaires, nomination du contrôleur par simple décret, pouvoir d’inspection limité par le caractère secret de telle information ou de telle pièce utile, rôle du contrôleur limité à des recommandations, pas de pouvoir d’injonction. Jean-René Lecerf, sénateur UMP du Nord, a même parlé de projet « a minima » [10]. Il y a pourtant urgence à examiner de près les conditions de détention des 44 075 personnes détenues dans des établissements ou quartiers (pour les centres pénitentiaires) surpeuplés (chiffres au 1er juillet 2007) [11].
Ruptures
Sortir de telles contradictions, par le haut, est possible, à condition d’exhumer les recommandations du Conseil de l’Europe qui ont précédé celle du 11 janvier 2006, jamais prises en considération par la Chancellerie et de les mettre en pratique.
Nous pensons, en particulier, à la recommandation du 30 septembre 1999 sur Le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale et à celle du 24 septembre 2003 sur La libération conditionnelle [12].
Ces recommandations viennent d’être partiellement mises en ligne sur le site internet du ministère de la Justice, dans les pages consacrées à la loi pénitentiaire. Nous y voyons une manifestation de bon augure.
Encore ne faudrait-il pas oublier d’examiner de près les propositions - qui s’inspirent des orientations européennes - de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), concernant les alternatives à la détention [13].
C’est à ce prix que la loi pénitentiaire échappera à la « politique spectacle », en matière de lutte contre la délinquance et la criminalité et pour une justice à la fois plus efficace et plus respectueuse des droits de l’homme, « politique spectacle », rythmée par l’adoption de textes législatifs qui sont, au mieux, sans aucun effet sur la réalité [14].
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