Publié le samedi 20 octobre 2007 | http://prison.rezo.net/le-travail-penitentiaire-un-outil/ La recherche confirme ce que les détenus ne cessent de répéter : un emploi stable à la sortie est un facteur important dans la prévention de la récidive. Or, seuls 25 % des sortants réussissent à trouver une activité professionnelle régulière dans les douze mois après la sortie. Cet article étudie l’apport, potentiel et actuel, du travail pénitentiaire à la réinsertion professionnelle des personnes détenues. Il s’intéresse aux difficultés qui s’opposent à des résultats plus prometteurs et aux solutions proposées. Abstract : Research confirms what inmates have been saying all along : having a steady job on leaving prison is an important factor to reduce recidivism. Yet only a small number of inmates, at the most 25 %, are able to find regular employment within the first twelve months of leaving prison. This article looks at the contribution, potential and real, of prison labour to improve the chances of ex-inmates on the labour market. It examines both the difficulties that stand in the way of more promising results and the solutions that have been proposed. Introduction Nous nous limiterons ici à examiner un seul aspect critiqué, la mission de réinsertion. Dans un premier temps, nous tenterons de clarifier le concept de la réinsertion par le travail en considérant ses buts et en vérifiant, en quelle mesure l’intégration professionnelle à la sortie y contribue. Dans une deuxième étape, nous nous intéresserons aux possibilités ? potentielles et actuelles ? du travail pénitentiaire pour promouvoir l’employabilité des sortants. Nous terminerons avec une analyse des obstacles qui vont à l’encontre des résultats plus prometteurs et nous présenterons les solutions proposées par l’administration pénitentiaire (AP). Notre approche méthodologique tient compte de la nature pluridisciplinaire de la criminologie en associant une recherche plus générale (droit, histoire, sociologie) avec l’expérience pratique d’un professionnel du travail pénitentiaire et une recherche de terrain faite en 2001-2002 dans neuf prisons européennes, dont trois en France. 1. Le lien insertion professionnelle-prévention de la délinquance 1.2. Le rapport chômage-délinquance Quant au lien entre réinsertion professionnelle et récidive, les rares recherches faites dans ce domaine confirment sans exception un risque moindre pour les sortants de prison qui sont insérés dans un emploi stable. L’étude la plus détaillée provient de trois chercheurs autrichiens, Hammerschick, Pilgram et Riesenfelder qui, entre mars et juin 1994, ont retracé le parcours professionnel de 505 ressortissants de prison pendant six ans : quatre avant leur incarcération et deux après leur libération. De leur population totale, 50 % furent condamnés de nouveau pendant les deux premières années suivant leur libération, mais seulement 33 % parmi ceux qui avaient trouvé un emploi régulier (1997, 179). Une enquête de Francis Simon, menée dans six prisons anglaises, donne des résultats comparables. Cinq mois après la libération, seuls 15 % des sortants insérés dans une activité rémunérée commirent une infraction sérieuse, comparés aux 28 % de ceux qui cherchaient en vain un emploi, et aux 75 %, qui n’avaient aucune intention de travailler. Les 176 détenus interrogés furent eux-mêmes d’avis qu’un salaire régulier était un des meilleurs gages pour éviter la récidive (1999, 175). Une étude du Land Nordrhein-Westfalen va dans le même sens : 85 % des détenus qui sortirent sans formation, sans traitement et sans travail retournèrent en prison contre 33 % de ceux qui sortirent avec un diplôme et trouvèrent un emploi correspondant (Wirth, 1998, 65). Du côté français, la recherche de Kensey et Tournier (2005) montre que les détenus qui déclarent une profession à l’écrou, soit ceux qui ont un capital d’employabilité plus grande, affichent un taux de récidive nettement plus bas que ceux qui se déclarent "sans profession", avec une différence particulièrement prononcée pour les infractions à haut risque de récidive comme le vol (crime) où la réduction est de 39 points. L’hypothèse d’un lien entre réinsertion professionnelle et protection contre la récidive est-elle ainsi confirmée ? La réponse est positive mais il faut noter que les détenus qui sortent avec un contrat de travail en poche ne représentent pas une sélection neutre. Ce sont le plus souvent ceux, qui ont profité d’un placement à l’extérieur, d’une mesure de semi-liberté ou de libération conditionnelle, aménagements accordés uniquement à ceux qui sont perçus comme "bon risque". Il n’est donc pas surprenant que leur taux de retour sous écrou soit inférieur (Kensey, Tournier, 2005). En deuxième lieu, ce sont également ceux qui peuvent compter sur leurs familles ou leurs amis dans la recherche d’un travail. Le fait de disposer d’un réseau de contacts sociaux à l’extérieur est en lui-même un facteur qui réduit le risque de récidive. Nous pouvons ainsi résumer le lien emploi-délinquance-récidive comme suit : le fait d’être inséré dans une activité rémunérée ou non est un facteur significatif dans l’évaluation du risque de la délinquance, primaire ou répétée. Même si le lien est moins fort que les données statistiques ne le suggèrent, car elles ne tiennent pas compte du processus de sélection opéré, il justifie néanmoins un examen de l’apport du travail pénitentiaire à la réinsertion professionnelle des détenus. 2. Apport potentiel - apport effectif du travail pénitentiaire à la réinsertion 2.1.1. Première hypothèse : la majorité des détenus ont des carences d’employabilité 2.1.2. Deuxième hypothèse : travail et formation sont des outils efficaces pour remédier à ces carences Tableau 1 : Statut d’emploi des détenus avant/après la période d’incarcération Au travail =>50 % par an Source : Hammerschick/Pilgram/Riesenfelder, 1997, 166. Nous constatons, par rapport à la situation de l’emploi, que la première année après la sortie est encore plus calamiteuse que celle avant l’incarcération. Dans la seconde année, un petit groupe arrive à se réinsérer au niveau antérieur ou à le dépasser, mais la majorité s’éloigne davantage de l’insertion professionnelle. L’étude de Frances Simon (1999, 165) constate les mêmes difficultés pour les sortants de prison en Angleterre : 6 mois après leur libération, à peine 25 % de son échantillon avaient trouvé un emploi ; 61 % étaient encore à la recherche et 11 % avaient abandonné toute tentative. Qui plus est, le fait de trouver un emploi est lié, en premier lieu, à l’expérience et au niveau de formation avant l’incarcération. Les personnes, qui occupaient antérieurement une position professionnelle stable, avaient 50 % de chances de trouver un emploi après la libération, indépendamment du fait d’avoir travaillé en prison ou non. Pour ceux qui étaient au chômage avant leur dernière condamnation, toutes les mesures prises en prison - travail, éducation, formation professionnelle - n’eurent aucun effet visible sur leur réinsertion. Seuls 13 % retrouvèrent un poste permanent. Les résultats de deux études britanniques du service d’insertion vont dans le même sens : seuls 21 % des détenus libérés sous probation obtinrent un emploi, malgré l’assistance et l’encadrement du service d’insertion (Mair, May, 1997, 134). Ce taux était encore plus bas pour ceux qui quittèrent la prison en fin de peine : 10 % seulement trouvèrent une activité rémunérée (Fletcher, Woodhill, Herrington et al., 1998, 134). En absence de données précises pour la France, il semble raisonnable de supposer que le profil d’emploi des sortants ne saurait être meilleur, sachant que son taux de chômage est plus élevé qu’en Angleterre ou en Autriche [5] et que sa population carcérale souffre des mêmes handicaps. Comment expliquer cet échec ? Certains auteurs sont convaincus que la baisse d’employabilité inhérente à l’incarcération (perte d’estime de soi, d’initiative, de contact avec le monde extérieur) et les difficultés rencontrées à la sortie (dettes, problèmes de logement, difficultés familiales, préjugés des employeurs) sont telles, que les meilleures conditions de travail et de formation ne sauraient y porter remède (Preusker, 1988 ; Maxwell, Mallon, 1997 ; Garland, 1998). D’autres pensent, au contraire, que c’est la gestion du travail et de la formation à l’intérieur de la prison, qui est à la racine du problème (Conseil économique et social, 1987 ; Assemblée nationale, 2000 ; Sénat, 2000, Loridant, 2002). Sans nier l’importance des éléments externes, nous nous pencherons ici sur les interventions faites à l’intérieur de la prison pour augmenter l’employabilité des sortants. Nous avons évoqué supra (2.1.1.) les handicaps personnels et professionnels présents avant l’incarcération mais sans prendre en compte les difficultés supplémentaires auxquelles les détenus doivent faire face à la sortie. Nous le ferons grâce à l’excellent résumé que nous a fourni un détenu français, qui écrit actuellement une thèse en sociologie sur le travail pénitentiaire. 2.2. Les critères d’employabilité à la sortie Le casier judiciaire : Le seul fait d’avoir passé une période en prison diminue l’employabilité des sortants : ils sont automatiquement exclus des emplois qui transitent par des cabinets de recrutement dont la quasi-totalité disposent des moyens de s’informer des antécédents judiciaires des postulants. Aucun ne prendra le risque de suggérer à un employeur la candidature d’une personne pourvue d’un casier judiciaire. [...] De la même manière, sont écartés tous les emplois ayant trait aux administrations ou aux groupes importants ; ceux-ci réclament systématiquement un extrait de casier judiciaire. Pour les emplois restants, les caractéristiques suivantes sont déterminantes : Les caractéristiques physiques : Comme l’on dit couramment, il faut avoir "le physique de l’emploi". Cela signifie que nombre de détenus n’ont pas les moyens de posséder ou d’acquérir le nécessaire vestimentaire en adéquation avec l’emploi proposé. Ce peut être aussi, après une longue détention, une dentition désastreuse ou une vue non corrigée, voire une démarche saccadée après des années passées à marcher avec des chaussures sans talon. Les caractéristiques économiques : Être employable, c’est disposer d’un minimum de conditions requises comme un domicile fixe, un moyen de communication, de quoi subsister jusqu’au premier versement du salaire. C’est, parfois, devoir disposer d’un véhicule, d’un matériel lié à l’emploi (j’ai un copain qui s’est vu refuser un emploi de boucher au motif qu’il n’avait pas ses ustensiles personnels de travail). Les caractéristiques psychologiques : C’est la capacité de pouvoir passer un entretien d’embauche après un temps plus ou moins long d’emprisonnement. C’est, d’une certaine manière, parvenir à occulter ce temps pour affirmer une gestuelle, un langage commun. C’est aussi la capacité de "se vendre" après un temps passé dans l’inexistence. Les caractéristiques situationnelles : Elles sont de plusieurs ordres. Il y a d’abord celle qui est personnelle comme d’être seul, sans famille et sans amis, et en rupture totale avec les valeurs mouvantes de la vie libre (le coût de la vie, les salaires en usage dans la profession). Il y a, ensuite, celle de devoir se constituer un passé si l’on veut dissimuler le passage en prison [...]. Et puis, enfin, quand on postule pour un emploi dans le cadre d’une semi-liberté ou d’une libération conditionnelle, il y a l’impossibilité d’énoncer une date fixe de libération et la certitude de cette libération. Quel employeur, aujourd’hui, peut se permettre de s’engager à employer une personne incarcérée s’il ignore si cette personne sera libérée par anticipation et quand elle le sera ? C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’immense majorité des promesses d’emplois formulées dans ces cas le sont par complaisance mais ne sont pas suivies d’effet. À la lumière de ces cinq caractéristiques, voyons comment le régime pénitentiaire peut contribuer à rendre les détenus plus employables. 2.3. Les possibilités d’intervention à l’intérieur de la prison en faveur de l’employabilité Je n’ose pas aborder la situation d’employabilité du côté de l’institution pénitentiaire car, à peu de choses près, cela se réduit à néant. Pratiquement rien n’est fait pour aider un détenu à trouver un emploi ; les dispositions légales mises en place (permissions exceptionnelles prévues à cet effet) sont tellement lourdes et soumises à l’arbitraire qu’elles sont sans efficacité réelle. Quant aux services d’insertion, depuis leurs changements statutaires, on atteint le comble de l’absurde, voire de l’incompétence. Cette évaluation est peut-être trop négative, mais elle reflète la désillusion exprimée par 78 % des détenus (OIP, 2007, 26). 2.3.2. L’apport du travail et de la formation Conserver les compétences professionnelles existantes. Contrecarrer l’effet déstabilisant de l’incarcération en offrant une activité qui structure la journée et permet au détenu d’échanger son rôle d’incarcéré sans statut contre celui de travailleur responsable et valorisé. Atténuer les problèmes mentaux liés à l’enferment : dépression, isolation sociale, perte du sens de la réalité. Maintenir le lien social en offrant un lieu de socialisation et de sociabilité. Permettre aux détenus d’acquérir des compétences recherchées à l’extérieur. Enseigner la conformité aux exigences en vigueur auprès d’un employeur extérieur pour ce qui a trait à la ponctualité, l’assiduité, le comportement et la qualité de leur travail. Offrir un niveau de rémunération qui permet aux travailleurs de mettre de côté un pécule de sortie suffisant pour satisfaire aux critères économiques d’employabilité. Dans quelques rares ateliers, tels que le studio de son à la maison centrale de Saint-Maur (concession) ou l’atelier de tapissier garnisseur de Toul (RIEP), ce potentiel est réalisé, mais dans la vaste majorité des cas nous en sommes encore loin. D’une part, la réinsertion par le travail est sérieusement compromise par le fait que moins de 40 % des personnes détenues ont un emploi ou sont en formation (35,2 % en 2005). Par ailleurs, la plupart des tâches en concession et au service général sont peu aptes à augmenter les compétences professionnelles des travailleurs ou à donner un sens à la peine. Même la Régie qui, grâce à ses ateliers industriels (imprimerie, mécanique, menuiserie, par exemple), offre en général des emplois plus qualifiés, se tourne maintenant vers le travail à façon : 25 % de tous ses emplois touchent ce secteur (Loridant, 2002, 37). Enfin, les compétences sociales, telles que la politesse, la capacité d’accepter une critique et de trouver le ton juste avec ses supérieurs et ses collègues, ne sont pas assez sollicitées par les chefs d’ateliers. Certaines aptitudes fortement appréciées par les employeurs extérieurs : le sens d’initiative et de responsabilité ou la capacité de résoudre des problèmes sont même découragées puisqu’elles ne correspondent pas à la position inférieure de la personne détenue. Ajoutons que la rémunération moyenne horaire varie entre 41 % et 44 % du SMIC en atelier et moins au service général. Ce montant ne permet qu’exceptionnellement aux sortants de payer leurs dettes [6] et de sortir avec un pécule suffisant. Enfin, l’exclusion de la majorité des droits et d’une partie importante des protections sociales conférés par le contrat de travail ne facilite pas l’adhésion à des valeurs de travail. Examinons de plus près ces cinq aspects ainsi que les mesures prises par l’AP pour y porter remède. 3. Cinq aspects qui posent problème Il est également vrai que la crise des emplois pénitentiaires est causée pour une bonne part par des facteurs hors contrôle de l’AP et des groupements. Les transformations économiques récentes et l’augmentation de la population carcérale [9] ne sauraient être mises sur leur compte. Les entreprises, qui autrefois faisaient fabriquer leurs produits en prison, délocalisent leurs productions vers les pays de l’Est où la rémunération horaire se compare favorablement à celle des ateliers pénitentiaires français. Ou ils s’automatisent. Il y a cinq ans, la main-d’œuvre pénale insérait des échantillons dans des revues. Aujourd’hui ce travail est fait par des machines. Les emplois pénitentiaires offrent encore un certain intérêt pour des entreprises avec des volumes de production non automatisables mais elles ne peuvent pas compenser le nombre d’emplois perdus. Les directions régionales et la régie ne sont pas restées passives face à ces nouvelles donnes. Quelques directions régionales ont commencé à faire appel à des sociétés prestataires de services, qui offrent aux entreprises une sous-traitance comme alternative à la concession. Elles leur évitent ainsi les aspects fastidieux des rapports avec la prison, qui vont de la négociation à l’encadrement, à un certain prix, bien entendu. Les premiers résultats sont positifs : l’érosion des activités a été arrêtée, bien que la création de nouveaux postes s’avère difficile. La Régie, en réponse au rapport Loridant, a mis en exécution un plan de restructuration. Elle a réduit ses activités déficitaires, elle est devenue plus compétitive et s’est assurée une plus grande partie du marché interne, mais elle n’a pas réussi à redresser la perte d’emplois [10]. La question reste donc posée de savoir si l’AP a fait tout ce qui était possible pour relancer la croissance des emplois. Nous n’en sommes pas convaincus, en premier lieu parce qu’elle n’a pas assez suivi les évolutions économiques et, deuxièmement, parce qu’elle accepte un déséquilibre croissant entre la mission sécuritaire et celle de réinsertion. Quant au décalage avec l’évolution économique, elle refuse de tenir suffisamment compte du fait que les entreprises concessionnaires ont de moins en moins besoin des ateliers pénitentiaires, et encore moins sous forme de concession. Si les entreprises externalisent aujourd’hui une partie de leur production c’est, certes, pour des motifs de flexibilité et de réduction du coût, mais également pour se libérer de la gestion des activités secondaires. Elles cherchent donc à trouver des sous-traitants en mesure de fournir le produit fini, à date convenu, selon les normes de qualité spécifiées et à un prix compétitif. Or l’AP hésite à franchir le pas vers la sous-traitance, car le changement aurait un coût (achat d’équipement, encadrement) et demanderait une nouvelle orientation gestionnaire et commerciale (gestion des ateliers par l’établissement, plus grande flexibilité d’heures d’ouverture, encadrement professionnel, formation continue des détenus au travail). Plus difficile encore s’avère une réorientation du travail pénitentiaire vers le secteur du service. L’AP reste fixée sur les ateliers industriels traditionnels, malgré le fait que ce secteur ait perdu à l’extérieur presque deux millions d’emplois entre 1975-1995 (Marchand, Thélot, 1997, 78) et continue d’en perdre. Hormis les tâches du service général, en grande partie sans valeur professionnelle, l’AP n’ose pas introduire d’autres activités du secteur tertiaire, tels que télé-centres, services traiteurs, buanderies commerciales, etc. Malgré les propositions du Rapport Loridant (2002, 91) et malgré les demandes répétées des groupes privés (Guilbaud, 2006, 178), leur introduction est différée, principalement pour des raisons de sécurité. Nous ne contestons pas l’importance de la mission sécuritaire. Elle est indispensable pour garantir la protection tant des détenus que du personnel et du public, mais elle reste subordonnée au principe de proportionnalité. Si les télé-centres fonctionnent sans risque en Italie et les services traiteurs en Allemagne et si, en Angleterre, les stagiaires en nettoyage industriel obtiennent le "contrat" pour le nettoyage professionnel de l’établissement, on comprend mal pourquoi ces activités valorisantes, en demande à l’extérieur, devraient être bloquées en France au nom de la sécurité. 3.2. Le taux d’emplois non-qualifiés Le problème du travail déqualifié n’est pourtant pas sans issue. Commençons par le manque d’équilibre entre régie et concession. Alors qu’en Allemagne 40 % en moyenne des emplois en atelier sont gérés par la régie et 60 % en Angleterre (Shea, 2006, 41), la RIEP ne fournit que 1 236 emplois sur un total de 17 217, soit 7,2 % (AP, 2003). Une extension de l’activité de la Régie s’impose donc pour améliorer la qualité du travail. Ensuite, le manque de préparation de la main-d’œuvre, la figeant à des tâches banales, peut être atténué par la mise en place d’une gamme de formations adaptées à la clientèle : "sur le tas", en module ou en formation longue. Du moment où la prison peut offrir une main-d’œuvre qualifiée et motivée, il n’y a aucune raison pour qu’elle n’attire pas d’activités valorisantes. Plus la valeur ajoutée par le travail est élevée, plus les bas salaires des détenus deviennent intéressants pour les entreprises. La preuve en est fournie par des établissements comme Poissy ou Toul, mais également par nos voisins européens. Dans la centrale la plus sécuritaire de Bavière est installé un atelier de fabrication de turbines, qui occupe 120 détenus en deux équipes de 5h à 19h. Les travailleurs sont formés par l’entreprise et peuvent, selon leurs capacités, faire "carrière" à l’intérieur de l’atelier. Les meilleurs sont embauchés à la sortie. Le concessionnaire se dit entièrement satisfait de son investissement. 3.3. Les lacunes en compétences sociales Pour augmenter ces compétences en prison, deux approches sont possibles, celle des sanctions et celle de l’apprentissage, mais ni l’une, ni l’autre donne les résultats espérés. Les sanctions sont prévues uniquement pour des comportements nettement inacceptables. Dans les cas moins graves, le problème est souvent contourné. Si, par exemple, une personne détenue est incapable de s’insérer dans une équipe, elle est transférée à un poste solitaire. Quant à l’apprentissage de qualités comme la politesse, la volonté de s’appliquer ou simplement de s’impliquer, les responsables d’atelier et les surveillants n’ont ni le temps ni la formation pour insister sur des valeurs, qui ne correspondent pas toujours à celles de la culture prisonnière. 3.4. Une rémunération insuffisante Tableau 2 : La rémunération journalière des détenus français en 2003 Service général Classe 1 : 11,25 € Même si ces montants sont relativement élevés comparés à nos voisins (9,68 € en moyenne en Allemagne, 2,40 € en Angleterre, Shea, 2006, 76sqq.), ils sont insuffisants pour constituer une contribution réelle à la réinsertion des détenus. Selon les calculs du sénateur Loridant (2002, 34), un détenu a besoin d’un minimum de 40 à 50 € par semaine pour couvrir ses besoins personnels en détention. Ainsi, ceux classés au service général gagnent moins que le minimum nécessaire pour subvenir à leurs besoins, et leurs contributions au pécule de sortie et à l’indemnisation des parties civiles seront minimales [13]. Même en atelier, une personne détenue travaillera plusieurs années pour épargner une somme suffisante pour la sortie [14]. La demande, formulée tant par les détenus que par les associations militantes, d’un rapprochement avec les rémunérations horaires du SMIC nous paraît difficile, voire impossible à réaliser sans augmentation de la productivité, qui s’établit autour de 40 % à 50 % du niveau extérieur (Conseil économique et social, 1987, 65). Certes, les faiblesses de productivité ne peuvent pas être uniquement imputées à la main-d’œuvre. Elles ont également trait aux maintes contraintes qui affligent le travail en prison : locaux et localisations inadaptés, équipement éloigné des standards extérieurs, heures de travail trop courtes, manque de savoir-faire commercial et interférences de l’impératif sécuritaire, pour ne nommer que les plus importantes. Si les deux premières contraintes ne sauraient être surmontées sans des ajustements budgétaires considérables, il n’est pas hors portée de l’administration d’agir sur la durée du travail, la formation du personnel et le maintien de l’aspect sécuritaire dans des limites raisonnables. S’il nous est permis une brève digression, ajoutons que le travail risque de devenir l’unique activité rémunérée en prison puisque des orientations du ministère du Budget vont contraindre l’administration à limiter la rémunération des stagiaires. L’impossibilité d’accéder à un revenu autre que par le travail pose un sérieux problème pour la réinsertion. D’abord, parce que le manque de ressources à la sortie augmente le risque de récidive. Ensuite, parce que les autres activités de réinsertion - enseignement, formation, thérapies - sont dévalorisées et les personnes détenues les abandonnent dès qu’elles ont la possibilité d’accéder à un emploi, si banal soit-il. 3.5. L’exclusion du droit du travail Conclusion Bibliographie Albrecht H.-J., 1988, Kriminell weil arbeitslos ? Arbeitslos weil kriminell ?, Zeitschrift für Bewährungshilfe, 2, 133-147. Assemblée nationale, 2000, Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur la situation dans les prisons françaises, M. Jacques Floch rapporteur, Les documents d’information de l’Assemblée nationale, no. 2521, Paris. Auvergnon P., Guillemain C., 2006, Le travail pénitentiaire en question, La documentation Française, Paris. Bundesarbeitsgemeinschaft für Straffälligenhilfe, 1993, Tarifgerechte Entlohnung für Inhaftierte, Zeitschrift für Strafvollzug, 3, 174-180. Barel Y., 1990, Le grand intégrateur, Connexions 56, 2, 85-100. Conseil de l’Europe, 2006, Recommandation du Comité des Ministres aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes : les nouvelles règles pénitentiaires, Conseil de l’Europe, Strasbourg. 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[1] Année où furent créées les maisons centrales, qui rendaient possible le travail pénitentiaire à grande échelle. [2] Pour un résumé, voir Guilbaud, 2006, 20-21 [3] Pour un résumé détaillé voir Conseil économique et social, 2005, 16-33 [4] Out of labour force, c’est-à-dire en dehors du réseau social [5] Taux de chômage en 2006 : France : 8,9 % ; Angleterre : 4,9 % ; Autriche : 5,1 % [6] Nous ne disposons pas de chiffres pour la France, mais la dette moyenne des détenus allemands est estimée à s’établir entre 12 500 € et 22,500 €. (Bundesarbeitsgemeinschaft für Straffälligenhilfe, 1993, 174). [7] En 1974, pratiquement les deux tiers des détenus avaient un emploi (Conseil économique et social, 1987, 58 ). En 2001, ils étaient encore environ la moitié (47,6 %) ; aujourd’hui ils ne sont qu’un tiers (Source : AP) [8] En 2003, le taux en maison d’arrêt était de 32,4 % et de 56,7 % en établissement pour peine. Source : AP [9] Le 1er mars 2007, 59 892 personnes étaient sous écrou en France (métropole et outre-mer) contre 48 835 en 2000 [10] Nombre de postes fournis par la RIEP : en 1994 : 1 326 ; en 2001 : 1 240 ; en 2005 : 1 243. Source : AP [11] En 2003, 6 794 emplois sur un total de 17 217, Cours des comptes, 2006, 48 [12] En France, en avril 2006, 20,2 % des détenus condamnés étaient en prison pour viol ou autre agression sexuelle. Dans cette catégorie nous trouvons bon nombre de personnes avec un parcours professionnel impeccable. Le même est vrai pour d’autres catégories, telles que l’homicide volontaire (8,5 % des détenus condamnés). Source : AP [13] À condition que la rémunération dépasse 200 €, 10 % sont mis de côté pour amorcer un pécule de sortie, et 20-30%, selon le niveau de revenu, pour l’indemnisation des parties civiles et des créanciers d’aliments (article D. 320 CPP) [14] D’après nos entretiens avec les détenus, il leur faudrait un minimum de 3 000 € pour payer les trois mois de dépôt pour un logement, de nouveaux vêtements, l’alimentation et les déplacements pour la recherche du travail, etc., avant de trouver un emploi. Nous basant sur un salaire mensuel moyen de 450 €, dont 10 % sont versés sur le pécule de sortie, un détenu devrait travailler 66 mois, soit cinq ans et demi, pour accumuler la somme nécessaire [15] Maladie et maternité : 4,2 % ; assurance vieillesse : 9,8 % ; accident et maladie du travail : 1,5-2 % |